EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 26 novembre 2025, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Philippe Paul, vice-président, a procédé à l'examen des crédits du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission Défense
M. Pascal Allizard, rapporteur. - Le budget de la défense pour 2026 nous place face à notre responsabilité : garantir à nos forces armées les moyens d'anticiper, d'innover et de se préparer au durcissement du contexte stratégique mondial.
Le programme 144, qui rassemble les moyens dédiés au renseignement, à la prospective et à l'innovation de défense, connaîtra une hausse substantielle de ses crédits en 2026, à la hauteur de cette ambition. 2,8 milliards d'euros sont ainsi prévus en autorisations d'engagement et 2,3 milliards en crédits de paiement, soit une progression de respectivement 27 % et 10,5 % par rapport à la loi de finances pour 2025.
J'aborderai les questions relatives à l'innovation et au soutien à la base industrielle et technologique de défense (BITD) et laisserai ma collègue Gisèle Jourda vous détailler le volet renseignement.
En 2026, les moyens consacrés à l'innovation atteindront 1,4 milliard d'euros, en hausse de 127 millions d'euros par rapport à 2025. Ces crédits supplémentaires permettront d'avancer dans des domaines qui conditionneront les capacités de demain, tels que le quantique, l'intelligence artificielle, l'hypersonique, la robotique et le spatial. Ils financeront en outre des démonstrateurs majeurs comme le drone sous-marin océanique, les armes à énergie dirigée ou l'avion spatial Vortex.
Mais au-delà de ces projets d'innovation planifiée, c'est-à-dire s'inscrivant dans le temps long, le retour d'expérience de la guerre en Ukraine nous enseigne que la réactivité et l'agilité sont devenues centrales pour conserver une supériorité opérationnelle.
L'innovation doit donc pouvoir s'inscrire dans un temps court, fondée, d'une part, sur la capacité des forces et des industriels à concevoir rapidement des réponses concrètes aux besoins du terrain et, d'autre part, sur la possibilité de les déployer rapidement dans les forces.
La « révolution dans les affaires capacitaires », engagée en 2024, marque une évolution bienvenue dans cette direction. Elle vise à simplifier et à accélérer le passage de l'expérimentation à la mise en service en rapprochant davantage l'État-major des armées, la Direction générale de l'armement (DGA) et les armées.
Pour être pleinement efficace, cette dynamique nous semble néanmoins devoir s'accompagner d'une plus grande subsidiarité au profit des forces, d'une simplification des partenariats d'innovation et d'une adaptation du régime de responsabilité pénale des acheteurs publics, lequel constitue un frein à la prise de risque pourtant indispensable concernant les projets innovants.
Par ailleurs, la capacité d'innovation de nos armées ne pourra progresser que si leurs équipements sont nativement conçus pour recevoir des incréments.
Au cours des auditions que nous avons menées, nos interlocuteurs ont ainsi mis en avant la nécessité du recours aux architectures ouvertes. L'exemple du Mirage 2000D, utilisé comme plateforme d'expérimentation grâce à un système ouvert qui permet d'y intégrer de l'intelligence artificielle embarquée, montre la voie à suivre.
À l'inverse, les systèmes propriétaires qui équipent encore la majorité de nos matériels freinent l'intégration rapide de nouvelles technologies. La France doit donc se doter d'un cadre nouveau, à l'image de celui qui prévaut déjà aux États-Unis, garantissant à l'État la maîtrise des données produites par les équipements militaires et permettant une intégration rapide des innovations.
Les crédits du programme 144 visent en outre à soutenir une base industrielle et technologique de défense innovante et résiliente.
Un constat d'abord : en dépit de ce que nous avions voté à l'initiative du Président Cédric Perrin lors de l'examen de la loi de programmation militaire (LPM), les petites et moyennes entreprises (PME) demeurent nettement sous-représentées dans les crédits d'études amont, avec seulement 7 % des montants en 2024, alors même que ces entreprises sont souvent à l'origine d'innovations de rupture. On nous explique que ce pourcentage ne reflète que les financements directs dont bénéficient les PME mais, dans le même temps, aucune traçabilité pour améliorer la connaissance des flux financiers n'est pour l'heure exigée des grands maîtres d'oeuvre industriels. C'est un point sur lequel nous souhaitons que la DGA avance.
S'agissant de la « frilosité » des investisseurs privés, les avancées récentes, comme la création du fonds Bpifrance Défense ou la mise en place d'un dialogue de place, témoignent d'une prise de conscience enfin partagée des difficultés de financement rencontrées par les entreprises du secteur. Nos alertes répétées commencent donc à porter leurs fruits et nous nous en félicitons.
Mais ces progrès au niveau français contrastent avec l'évolution trop lente de la doctrine interne de la Banque européenne d'investissement (BEI), qui continue de s'interdire tout financement des entreprises produisant des armes et des munitions. Cette limitation constitue un frein et un mauvais signal pour les investisseurs qu'il conviendrait de lever rapidement.
De même, en auditions, la complexité d'accès aux financements du Fonds européen de défense, pénalisant de facto les PME, a régulièrement été dénoncée. Un accompagnement renforcé de ces dernières par la DGA dans ce cadre serait par conséquent souhaitable.
Pour autant et d'une manière générale, si les initiatives européennes en matière de financement constituent un soutien utile à la BITD européenne et donc à la BITD française, le rôle de l'Union européenne doit se limiter à celui de facilitateur et ne pas empiéter sur les compétences nationales, la défense demeurant une prérogative de souveraineté.
Au-delà des questions de financement, un phénomène particulièrement inquiétant semble se développer, celui des refus d'assurance opposés à des entreprises en raison de leur activité dans le secteur de la défense. Cette situation constitue un nouveau point de vigilance que nous suivrons avec la plus grande attention.
Enfin, les moyens trop limités du réseau des attachés de défense en région, composé de seulement neuf agents pour plus de 4 500 entreprises, doivent être renforcés afin de mieux accompagner un tissu industriel dont certaines composantes demeurent encore insuffisamment identifiées et soutenues.
Mes chers collègues, la feuille de route est donc claire : des innovations mieux intégrées et plus rapidement, des procédures plus souples, une BITD plus résiliente et des armées préparées aux ruptures technologiques et stratégiques qui s'annoncent.
L'effort qui nous est proposé dans ce projet de budget nous semble de nature à accompagner cette ambition. C'est pourquoi nous vous proposons d'émettre un avis favorable à son adoption sans modification.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Je remercie mon collègue co-rapporteur et souscrit à la proposition d'émettre un avis favorable à l'adoption sans modification des crédits de la mission Défense au bénéfice des observations que je vais vous faire sur le volet « Renseignement » du programme 144.
Les deux services que nous avons auditionnés - la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction du renseignement et de la sécurité de défense (DRSD) - relatent la permanence d'un haut niveau de conflictualité, tant par le contexte de pression et de durcissement tous azimut (flanc oriental de l'OTAN, Moyen-Orient et, toujours, la zone sahélienne), que par la réévaluation du risque de prolifération nucléaire et par la mutation des foyers de menace terroriste (Asie centrale, zone afghano-pakistanaise).
Ces axes d'effort du renseignement confirment les constats établis par le rapport « Perrin » de la délégation parlementaire au renseignement, dont je suis membre, pour l'année 2024. La thématique principale de nos travaux traitait des mutations du renseignement en Afrique et de la bascule d'effort des services vers l'Europe de l'Est et l'Indopacifique. S'y ajoutent maintenant de nouveaux axes de contribution du renseignement en matière de flux migratoires clandestins (Canal du Mozambique, Mayotte) et de lutte contre la criminalité organisée.
Sur le plan intérieur, auquel la DRSD fait face pour la défense des emprises militaires et des entreprises stratégiques de notre BITD, cet environnement constitue également une menace palpable, faite d'attaques cyber et de menaces hybrides tels que des survols de drones ou des sabotages observés en Pologne ou dans les États baltes frontaliers de la Biélorussie et de la Russie.
Ce contexte explique que les crédits de paiements prévus pour 2026 soient en augmentation de 13 % pour s'établir à 579 millions d'euros, répartis entre 549 millions d'euros pour la DGSE et 30 millions d'euros pour la DRSD. Par anticipation, ce budget intègre dès 2026 la surmarche sans laquelle il aurait fallu attendre 2028 pour atteindre ce niveau de crédits.
Au total avec les crédits de personnel du programme 212 ce sont près d'1,3 milliard d'euros qui seront consacrés à la DGSE (pour 1,14 milliard d'euros et la DRSD (pour 174 millions d'euros).
Mais je voudrais signaler que cet effort n'est pas également réparti en termes d'effectifs :
- avec 6 453 équivalents temps plein travaillés (ETPT) pour 2026, le plafond d'emplois de la DGSE continuera à progresser (contre 6 123 ETPT en 2025) ;
- en revanche, les moyens en personnel de la DRSD vont baisser en 2026 (le plafond d'emploi passant de 1 691 ETPT en 2025 à 1 609 ETPT pour 2026), ce qui est préjudiciable alors même que la sécurité des TPE, PME et ETI de l'industrie de défense française est devenu un enjeu de souveraineté crucial. Comme dans le cyber, ce ne sont pas les grands groupes qui sont les plus vulnérables aux attaques mais toute la chaîne des entreprises sous-traitantes.
Or, dans notre souci commun, Pascal Allizard et moi-même, de soutenir la BITD française, cette contrainte d'effectif sur la DRSD est à mon sens malvenue car cette direction est un acteur direct du renseignement de sécurité des entreprises de défense face aux menaces nouvelles qui pèsent sur les PME : attaques cyber, sabotages ou prises de participations hostiles. La DGSE comme la DRSD intègrent dans leur champ d'action un panel de mesures de protection dans divers domaines : la protection économique qui vise à prévenir l'embauche de cadres par des groupes étrangers, la contre-ingérence économique sur les investissements étrangers en France et la lutte contre les attaques cyber et les menaces hybrides.
Notre rapport détaille le rôle de la DRSD, en lien avec la DGA, pour assurer la protection, les inspections de sûreté et les enquêtes d'habilitation au profit des entreprises de défense. Sur les 4 500 entreprises de défense la DRSD a identifié un périmètre « économie de guerre » qui inclut une liste de « sous-traitants critiques » identifiés par la DGA et dont les noms son classifiés. De ce fait, la proportion de PME comme les éventuelles statistiques d'atteinte par des actions malveillantes ne sont pas disponibles. Mais, à l'heure de la publication d'un guide de résilience, il est utile de rappeler, à des fins de pédagogie, que les sous-traitants des entreprises de défense n'ont pas toujours pleinement conscience de leur vulnérabilité au regard de leur importance dans la chaîne de valeur.
Ce travail de sensibilisation est donc indispensable. Et il se double de la mise en place par la DRSD d'un dispositif spécifique de protection cyber des TPE/PME de défense : le CERT[ED] (Computer Emergency Response Team des entreprises de défense), créé en 2023, vise à réduire le risque sécuritaire qui pèse sur leurs systèmes d'information non classifiés des TPE-PME de la BITD. Cette structure accompagnait 451 TPE/PME en 2024 (soit environ 15 % de la BITD) et maintenant plus de 500 entreprises.
Avec mon collègue, je salue la prise en compte particulière du risque cyber des TPE/PME par la DRSD, et je l'encourage à développer une approche spécifique aux besoins de ces entreprises face à la montée des menaces hybrides de tous ordres que j'ai déjà évoquées.
Aussi, compte tenu de l'effort de protection à réaliser en direction du tissu des TPE-PME et sous-traitants de la BITD, il est préconisé de desserrer la contrainte budgétaire des crédits de titre 2 de la DRSD pour 2026 - lesquels sont fixés à 144 millions d'euros pour 2026 au lieu de 149 millions d'euros en 2025 - et, par principe, de confier à cette direction une véritable compétence de recrutement et de gestion de ses effectifs militaires et civils.
Pour conclure, je voudrais saluer l'ensemble des personnels des services de renseignement. Ces femmes et ces hommes travaillent discrètement pour notre défense et notre sécurité nationale. Qu'ils en soient ici remerciés. Enfin, j'exprime ma préoccupation pour l'un de nos agents arrêté au Mali le 14 août dernier, en violation de l'immunité diplomatique, toujours retenu et dont nous voulons la libération dans les plus brefs délais.
Mme Michelle Gréaume. - Malgré certains aspects positifs, ce projet de budget soulève des questions qui ne nous permettent pas de l'approuver. En particulier, l'explosion budgétaire des crédits dédiés à la DGSE interpelle : + 37 % en un an, soit 128 millions d'euros supplémentaires. Dans quel autre domaine accepterait-on une telle hausse sans évaluation ? Alors que la recherche climatique et la santé publique manquent cruellement de moyens, nous finançons une course technologique sans fin et sans comité éthique. Les 85 millions d'euros annuels versés à Djibouti au titre du traité de coopération militaire posent question. Ne serait-il pas plus efficace pour notre sécurité de financier le développement et la sécurité ? Aussi, approuver de projet de budget sans réserve reviendrait à cautionner une fuite en avant technologique sans garde-fous éthiques, une militarisation de la recherche au détriment du civil et une opacité démocratique incompatible avec les principes de notre groupe. Nous choisissons donc l'abstention exigeante et attendons un contrôle parlementaire renforcé sur les budgets de renseignement, un comité éthique obligatoire sur les armes futures et une révision du traité avec Djibouti comprenant une conditionnalité sur le développement. Nous nous abstiendrons donc, non par indifférence aux menaces, mais par exigence d'une cohérence éthique et démocratique.
M. Pascal Allizard, rapporteur. - Je prends acte de la position de Michelle Gréaume et de son groupe que je respecte. Je souhaiterais simplement préciser qu'en matière de renseignement, le contrôle parlementaire est exercé par la délégation parlementaire au renseignement (DPR). On peut comprendre que la communication soit limitée mais le travail est fait.
La commission donne un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 144.