C. ÉVOLUTION OU RÉVOLUTION ?

Le défi commun de la haute intensité se pose en termes identiques aux trois armées en ce qui concerne l'entretien et surtout la disponibilité des matériels. Toutes les armées du monde constatent une croissance exponentielle du coût des matériels militaires et corrélativement de leur entretien.

La loi d'Augustine

La loi d'Augustine, du nom de l'ancien directeur de Lockheed Martin et ancien secrétaire de l'US Army dans les années 1970, Norman Augustine, désigne l'augmentation non contrôlée du coût d'acquisition des systèmes d'armes alors que les budgets de défense suivent une tendance haussière moins rapide voire stable. Norman Augustine résumait cette situation dans le cas américain en déclarant que « le coût unitaire des produits aéronautiques militaires a cru à un rythme étonnant et intenable tout au long de l'histoire. Considérons l'exemple des avions tactiques. Comparant l'évolution du coût unitaire par rapport au temps, [...] nous observons que le coût d'un avion tactique a été multiplié en moyenne par 4 tous les dix ans. En extrapolant le budget de la défense selon les tendances de ce siècle, on découvre qu'en 2054 la courbe du coût d'un avion rejoindra celle du budget. Ainsi, au rythme actuel, le budget de la défense entier ne permettra d'acheter [en 2054] qu'un seul avion tactique ».

Les trois armées cherchent donc à optimiser leurs actions de manière à répondre simultanément à trois défis : améliorer la disponibilité des matériels en opération, se mettre en capacité d'exercer leur mission dans le cas d'un conflit de haute intensité qui sera par nature plus exigeant pour les matériels, le tout à des conditions financières acceptables pour des budgets nationaux très sollicités.

La tendance de ces dernières années a été le recours à la verticalisation des contrats d'entretien, c'est-à-dire confier cette tâche ainsi que la livraison des pièces détachés à des industriels. Or ce modèle a été successivement remis en cause par deux événements :

ü d'une part, la crise pandémique et l'agression russe sur l'Ukraine qui ont révélé les failles de la libre circulation des matériels ;

ü d'autre part, la nécessité de prendre en compte l'hypothèse d'un conflit de haute intensité, qui rendra impossible un entretien des matériels prévu pour une période de paix.

Plusieurs réponses sont envisagées et appliquées de manières différentes dans les armées en fonction de leurs matériels.

 

Tout d'abord, les armées constituent des stocks de pièces détachées.

L'article 49 de la LPM a créé un nouvel article L. 1339-1 au code de la défense pour intégrer la possibilité d'imposer la constitution d'un stock minimal de matières ou de rechanges stratégiques par les industriels privés du secteur de l'armement. Cette démarche, portée par la DGA et les armées s'est concrétisée en 2025 par des arrêtés « stocks minimaux » vers cinq industriels de l'armement. La même démarche est en cours pour deux autres industriels.

 

Ensuite, les armées sont en partie revenues sur la logique de « tout verticalisation », qui n'est pas adaptée à tous les matériels, au profit de contrats « hybrides » quand cela est possible.

L'idée sous-jacente est de récupérer ou de conforter une partie des compétences techniques nécessaires à l'entretien, afin d'être le cas échéant en mesure de pallier à des urgences ou d'utiliser un matériel en dehors du cadre prévu par le contrat. Les différentes composantes doivent ainsi disposer d'une capacité d'adaptation d'autonomie propre. Ainsi, la Marine mène des opérations de « MCO continu » avec des opérations de maintenance en dehors des périodes de révision technique. Dans l'armée de Terre, le programme Ambition MCO-Terre 2030 vise à réinternaliser une partie de l'ingénierie et du stock. Pour la Marine, la disponibilité des sous-marins français s'avère très supérieure à d'autres flottes.

 

Enfin, et toujours dans l'optique de la haute intensité, les armées cherchent à remettre les impératifs opérationnels et la gestion du risque au coeur du processus décisionnel.

Les chefs d'État-Major, par un dialogue avec les industriels, cherchent à estimer le risque d'utiliser un matériel dans des conditions qui s'écartent des normes civiles, ce qui implique une prise de risque assumée.

Ces éléments doivent permettre à nos armées de passer d'un « MCO de contrat à un MCO de combat » adapté à notre époque.

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