N° 142

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2025

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi
de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2026,

TOME II

COHÉSION DES TERRITOIRES

Hébergement, parcours vers le logement
et insertion des personnes vulnérables

Par Mme Nadia SOLLOGOUB,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Mouiller, président ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; Mme Pascale Gruny, M. Alain Milon, Mme Annie Le Houerou, MM. Bernard Jomier, Olivier Henno, Dominique Théophile, Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, Corinne Imbert, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Bourcier, Brigitte Bourguignon, Céline Brulin, M. Laurent Burgoa, Mmes Marion Canalès, Maryse Carrère, Catherine Conconne, Patricia Demas, Chantal Deseyne, Brigitte Devésa, M. Jean-Luc Fichet, Mme Frédérique Gerbaud, MM. Xavier Iacovelli, Khalifé Khalifé, Mmes Florence Lassarade, Marie-Claude Lermytte, M. Martin Lévrier, Mmes Monique Lubin, Brigitte Micouleau, Laurence Muller-Bronn, Solanges Nadille, Anne-Marie Nédélec, Guylène Pantel, Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Anne-Sophie Romagny, Laurence Rossignol, Silvana Silvani, M. Jean Sol, Mmes Nadia Sollogoub, Anne Souyris.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 1906, 1990, 1996, 2006, 2043, 2047, 2048, 2060, 2063 et T.A. 180

Sénat : 138 et 139 à 145 (2025-2026)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 26 novembre 2025, la commission des affaires sociales a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 177 doté de 3 milliards d'euros d'autorisation d'engagement pour 2026 qu'elle propose de modifier par un amendement.

Ce budget est marqué par une hausse de l'enveloppe globale, ne compensant pas la sous-budgétisation. En dépit de cet effort, l'objectif de maintien du parc d'hébergement à 203 000 places apparaît hors de portée.

Cette sous-budgétisation chronique, qui n'est pas un dérapage budgétaire, met en péril les engagements de l'État.

I. L'HÉBERGEMENT : UNE RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT

A. LE SANS-DOMICILISME : UNE RÉALITÉ EN EXPANSION, UNE RESPONSABILITÉ DE L'ÉTAT

La politique d'hébergement est une compétence de l'État pilotée par la délégation à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal), à l'exception de la mise à l'abri des femmes enceintes et des mères isolées d'un enfant de moins de trois ans dont la compétence relève, en théorie, des départements. Cette politique est déléguée à des organismes gestionnaires.

Si la statistique publique sur la population sans domicile est lacunaire et datée, les décomptes et baromètres des associations du secteur constatent malgré tout une croissance continue du nombre de personnes sans domicile en France. Ainsi, entre 2012 et 2024, ce nombre est passé de 133 000 à 350 000, soit une hausse de 163 %.

Par la précarisation de la société et la crise du logement, les profils des personnes sans domicile, longtemps cantonnées à un public marginalisé, évoluent. Entre 2013 et 2021, parmi les individus hébergés, la part des familles avec enfant(s) est passée de 21,5 % à 36 %, tandis que celle des personnes seules sans enfant a diminué de 13 points. Ce public se féminise, la part des femmes dans la population hébergée passant de 36 % à 46 % sur cette période.

L'extinction progressive du dispositif ukrainien

Si l'Union européenne a prolongé jusqu'en 2027 le statut accordé aux déplacés ukrainiens, le nombre de bénéficiaires relevant du programme 177 diminue. Cette évolution s'explique par une intégration progressive de cette population, désormais orientée vers le droit commun, mais également par l'augmentation des demandes d'asile relevant du programme 303.

En 2024, 24 700 Ukrainiens étaient accompagnés au titre du programme : 20 500 via l'intermédiation locative et 4 000 dans le cadre de l'hébergement citoyen. Au 1er janvier 2025, seuls 14 000 bénéficiaient encore d'un accompagnement vers le logement. Aucune estimation n'est, à ce stade, disponible pour mesurer le nombre de personnes encore suivies à la fin de l'année 2025. Toutefois, il est possible que l'on parvienne à un seuil incompressible, dans la mesure où la moitié des personnes encore accompagnées présentent des vulnérabilités particulières (enfant, famille monoparentale, personne âgée, handicap), ce qui freine leur glissement vers le droit commun.

Les crédits dédiés au dispositif ukrainien atteignent 24 millions d'euros en 2025, financés par 14 millions d'euros de crédits reportés de 2024 vers 2025, ainsi que par 10 millions d'euros ouverts à l'initiative de la commission des affaires sociales, sur proposition du rapporteur. Pour 2026, les 10 millions d'euros reconduits devraient suffire à financer les besoins.

B. LE SANS-DOMICILISME DES ENFANTS : UN MAL EN DÉVELOPPEMENT

Depuis la crise sanitaire, les associations constatent une augmentation du nombre d'enfants sans domicile. Entre 2020 et 2025, le nombre d'enfants en situation de demande non pourvue (DNP) est passé de 927 à 2 159, soit une augmentation de 132,9 %, sans compter le non recours. Parmi eux, on dénombre respectivement 368 et 503 enfants de moins de trois ans. La part des familles avec enfant(s) dans le public hébergé est également en hausse, passant de 22 % à 35 % entre 2013 et 2021. En 2025, 70 000 enfants sont hébergés et 22 000 mineurs bénéficient de l'intermédiation locative.

Le sans-domicilisme exerce des effets délétères sur la santé physique et mentale des mineurs, en lien direct avec leur environnement et souvent en corrélation avec l'état de santé de leurs parents. En 2013, 19,2 % des enfants hébergés étaient suspectés de présenter des troubles de santé mentale, contre seulement 8 % dans la population générale. Parmi les enfants sans domicile de moins de six ans, 80,9 % présentent un retard de développement cognitif. Ces écarts s'accentuent avec l'âge : plus l'enfant est âgé et a passé de temps dans la rue, plus son développement est affecté. Plusieurs facteurs aggravants ont été identifiés (niveau d'éducation des parents, carences alimentaires, accès aux soins, faible poids à la naissance).

Stade de développement cognitif des enfants hébergés de moins de six ans en 2013 sur l'échelle VABSS II

Source : Commission des affaires sociales, d'après Bruno Falissard et al., « Adaptive Behavior of Sheltered Homeless Children in the French ENFAMS Survey », American Journal of Public Health, 2018

Pour les enfants sans domicile, l'école constitue à la fois le principal lieu de sociabilisation et un véritable point d'ancrage. Elle leur garantit plusieurs conditions essentielles à la vie en société : l'accès à une alimentation équilibrée, la constitution d'un cercle d'amis et la participation à des activités extrascolaires. Cependant, ces enfants rencontrent de nombreux obstacles qui fragilisent leur parcours scolaire. L'instabilité résidentielle les contraint souvent à changer d'établissement ou à supporter des trajets longs : en 2013, 10,2 % des enfants hébergés âgés de six à douze ans étaient déscolarisés, en grande partie à cause de cette instabilité. Pour ceux qui poursuivent leur scolarité, les conditions d'hébergement, souvent exiguës, compliquent le travail à domicile et réduisent le soutien parental. Les temps de trajet prolongés affectent également le sommeil : 18,2 % des enfants de 8 à 12 ans effectuent plus d'une heure et demie de trajet pour se rendre à l'école, et 25 % dorment moins de neuf heures, contre 3,5 % des enfants du même âge scolarisés dans leur commune. Ces difficultés se traduisent par un redoublement fréquent : 16,4 % des enfants hébergés ont redoublé, proportion qui atteint 25 % pour les plus de huit ans.

II. DES PLANS « LOGEMENT D'ABORD » RÉUSSIS MAIS INSUFFISANTS POUR JUGULER LA CRISE

Depuis 2018, le Gouvernement a lancé une refonte de la politique d'hébergement et d'insertion par le logement via deux plans « Logement d'abord » (2018-2022 ; 2023-2027). Ces plans comprennent deux volets :

 un renforcement du parc d'hébergement et de l'accompagnement social pour sortir le plus rapidement possible les personnes de la rue ;

 le déploiement de solutions d'insertion par le logement innovantes et ayant eu des résultats positifs tangibles.

A. LE MAINTIEN EN DEMI-TEINTE D'UN PARC D'HÉBERGEMENT ÉLARGI

Les plans « Logement d'abord » et la crise sanitaire ont transformé le pilotage du parc d'hébergement. La gestion dite « au thermomètre », consistant à une ouverture de places en urgence durant les grands froids, a disparu au profit d'une augmentation structurelle de la taille du parc. Le parc s'établit dorénavant à un niveau historiquement élevé, avec 203 000 places ouvertes à l'année depuis 2020. Cette hausse s'appuie sur trois dispositifs : les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) proposant un accompagnement social soutenu, les centres d'hébergement généralistes (Chu) et les nuitées en hôtel social.

Évolution du nombre de places d'hébergement généraliste

Source : Commission des affaires sociales, d'après la Dihal

Si la stabilisation du parc à un niveau élevé constitue un progrès notable, elle doit s'apprécier avec nuance. D'une part, les CHRS représentent une proportion trop faible du parc d'hébergement, toujours inférieure à celle pré-crise sanitaire. Il est à noter que certains organismes dénoncent une transformation de places de CHU en CHRS à coût constant, dégradant la qualité de l'accompagnement social.

D'autre part, le maintien du parc repose sur le recours à l'hébergement dit « intercalaire », c'est-à-dire à la mobilisation pour une durée limitée du foncier existant mais inoccupé, comme une école. Cette solution est à saluer lorsqu'elle permet d'agir avec célérité, d'associer les collectivités territoriales et de faire des économies, mais elle devient préoccupante lorsqu'elle représente une part trop importante de l'offre. Le bâti intercalaire doit rester une réponse ponctuelle, un palliatif utile et non une réponse systémique.

Répartition des places d'hébergement généraliste selon le type de structures

Source : Commission des affaires sociales, d'après la Dihal

Vers une financiarisation de l'offre d'hôtel social ?

Les organismes gestionnaires alertent sur une financiarisation de l'offre d'hôtel social, dont les effets restent mal connus. L'un des risques identifiés réside dans la concentration des établissements entre les mains de groupes puissants ayant un pouvoir de négociation voire d'imposition des tarifs des nuitées aux organismes gestionnaires. Si aujourd'hui le Samu social de Paris, via sa plateforme Delta, réussit à maîtriser la dépense d'hôtel social, c'est grâce à une situation de monopsone, c'est-à-dire une situation dans laquelle existent un demandeur et une multitude d'offreurs, qu'une financiarisation remettrait en cause.

La financiarisation peut néanmoins présenter certains bénéfices : amélioration de la qualité des hôtels sociaux par la rénovation du bâti, la meilleure identification des besoins ou encore le développement d'offres spécialisées adaptées aux publics hébergés. Il est toutefois essentiel de veiller à ce que ces acteurs se limitent strictement à leur mission d'hébergement et ne proposent pas de services additionnels payants qui se rapprocheraient de l'accompagnement social, tâche dévolue aux organismes gestionnaires.

Le rapporteur souligne, en conséquence, la nécessité de conduire un travail d'analyse approfondi : dresser un état des lieux précis de la situation, identifier les externalités positives et négatives, et en tirer les enseignements nécessaires pour établir les principes d'une régulation de cette financiarisation.

B. LE SUCCÈS DU DÉPLOIEMENT DU LOGEMENT ADAPTÉ

Les plans « Logement d'abord » ont mis un terme à la logique « en escaliers » de l'accès au logement, fondée sur l'idée que l'on pouvait prédire si une personne serait capable de gérer un logement. Ils ont fait de l'insertion par le logement un axe prioritaire de l'accompagnement vers la sortie de la rue, en déployant des dispositifs innovants ayant eu des résultats probants.

L'intermédiation locative est un des dispositifs phares du logement adapté. Elle repose sur un mécanisme simple : un logement est loué par un propriétaire à un tiers social agréé par la préfecture, qui devient locataire et garantit le paiement des loyers. Ce tiers sous-loue le logement à un ménage en situation de précarité, pour une durée maximale de 18 mois avec un loyer plafonné. Depuis 2018, le dispositif connaît une croissance soutenue : le nombre de places a augmenté de 118 % entre 2018 et 2022, et une progression supplémentaire de 40 % est attendue sur la période 2023-2027. En dépit d'une tension accrue sur le parc privé et de l'interdiction de location des passoires thermiques, les créations annuelles de places dépassent les objectifs fixés. En juin 2025, près de 90 000 places sont ainsi gérées par les organismes gestionnaires, logeant entre autres 22 000 mineurs. Il convient de noter que les logements captés en renouvellement du stock ne sont pas comptabilisés dans les nouvelles places : les objectifs du plan « Logement d'abord » ne prennent en compte que les créations nettes, tandis que le maintien du parc repose sur une enveloppe socle dédiée. Le coût annuel d'une place, estimé à 2 375 euros, inclut notamment des dépenses liées à l'accompagnement social.

Les pensions de famille et les résidences accueil constituent le fer de lance pour la réinsertion des personnes sans domicile parmi les plus éloignées du logement, souvent marquées par des passages longs et répétés à la rue ou en hébergement. Destinées à des personnes capables de vivre de manière autonome tout en partageant une vie collective, ces structures proposent un habitat mixte associant espaces privatifs et espaces communs, moyennant une redevance mensuelle. Elles offrent un accompagnement social et médical renforcé, assuré notamment par la présence quotidienne d'un hôte. Les résidents disposent d'un bail mensuel tacitement reconductible, sans limitation de durée, offrant ainsi un véritable chez-soi pérenne. Malgré une volonté forte de l'État de développer ces structures, la création de nouvelles places peine à atteindre les objectifs affichés. Entre janvier 2023 et juin 2025, seules 3 058 places ont été ouvertes, soit 60 % de la cible. En juin 2025, le parc compte environ 25 700 places, réparties dans près de 1 050 pensions de famille ou résidences accueil. Les réticences des collectivités territoriales sont parmi les principaux freins au développement de ces structures. Les associations soulignent par ailleurs le caractère fragile du modèle économique, avec un tarif journalier d'environ 19 euros, jugé insuffisant. En sus, des barrières administratives ralentissent le développement de ces projets. Le rapporteur insiste sur la nécessité d'accompagner la montée en puissance de ce dispositif.

Le dernier pilier de la réinsertion par le logement est l'attribution de logements sociaux aux personnes sans domicile. Depuis 2018, 195 000 logements sociaux ont été attribués, profitant à 380 000 personnes sans domicile dont 150 000 enfants. L'attribution d'un logement social est le vecteur d'une sortie pérenne du sans-domicilisme. En 2025, la part de logements sociaux attribuée à des personnes sans domicile devrait atteindre 8 % des attributions totales contre 3,9 % en 2017, soit une hausse de 105 %. En valeur absolue, cette augmentation est de 56 % entre 2017 et 2024 en raison de la faible rotation du parc social et de la baisse du nombre d'attributions totales de logements sociaux. Seule une relance de la construction de logements pourrait améliorer la situation.

Évolution de l'attribution de logements sociaux entre 2017 et 2024

Source : Commission des affaires sociales, d'après la Dihal et l'Ancols

C. LES ASSOCIATIONS : CHEVILLES OUVRIÈRES FRAGILISÉES

Les associations sont la cheville ouvrière de la politique d'hébergement par leur rôle d'organismes gestionnaires de places mais aussi de services intégrés d'accueil et d'orientation (SIAO). Si les crédits dédiés au programme 177 ont augmenté d'un milliard d'euros entre 2017 et 2025, ces structures sont aujourd'hui au bord de la rupture face à une triple crise : crise des financement, crise de croissance, crise des vocations.

Les structures de l'hébergement connaissent une crise financière majeure liée à la sous-budgétisation chronique du programme 177 que le Ségur social non financé a renforcé, et dont les conséquences sont précisées infra.

Les opérateurs de l'hébergement connaissent également une crise de croissance. L'accroissement de la taille du parc ne s'est pas accompagné d'une transformation de l'organisation de la veille sociale, notamment de la gestion des ressources humaines et des modes de financement. En revanche, l'année 2025 marque une évolution du système d'information des SIAO avec le module Offre qui permettra de piloter le parc ainsi que la création d'un dossier usager informatisé, évitant les doublons et fiabilisant l'information. D'autres développements devraient voir le jour en 2026, notamment quant au suivi des personnes prises en charge.

Enfin, ce secteur souffre d'une pénurie de recrutement. Les revalorisations salariales issues du Ségur social ont certes permis d'améliorer les rémunérations, mais elles ne suffisent pas à compenser des conditions de travail qui demeurent peu attractives. En 2021, 49 % des écoutants avaient moins de trois ans d'ancienneté, signe d'un fort roulement. Les associations signalent des difficultés non seulement à recruter, mais surtout à fidéliser des travailleurs sociaux qui peinent à trouver du sens à leur mission et expriment parfois un profond malaise.

La mise en place de critères de priorisation, devenus des critères de conditionnalité, d'accès à l'hébergement d'urgence a renforcé ce mal être. L'incapacité à proposer une solution à des personnes pourtant vulnérables génère chez les professionnels un sentiment de maltraitance institutionnelle. Ce tri entre publics remet en cause le principe d'inconditionnalité de l'hébergement d'urgence. Aujourd'hui, à Paris, sont considérées comme prioritaires les seules femmes victimes de violences, les femmes enceintes de plus de 8 mois et celles dont un enfant a moins de 3 mois.

La part des demandes non pourvues poursuit sa hausse depuis 2022 et 2025 s'annonce comme une année record : sur le premier semestre, le taux de DNP dépasse déjà celui des trois années précédentes et devrait franchir les 60 %, bien au-delà de l'objectif de 54 %. En 2025, 88 % de ces demandes non pourvues résultent d'un manque de places disponibles ou adaptées à la composition des ménages. Cette progression est d'autant plus préoccupante que, selon Interlogement 93, 70 % des ménages vivant à la rue n'appellent même plus le « 115 ». La saturation du parc d'hébergement, en dépit de la hausse continue du nombre de places disponibles, est devenue un facteur de départ pour les travailleurs sociaux dont le métier perd son sens.

III. BUDGET 2026 : UNE CORRECTION PARTIELLE DE LA SOUS-BUDGÉTISATION, MAIS RESTANT INSUFFISANTE

A. UNE HAUSSE DES CRÉDITS À SALUER MAIS DES MESURES DE PÉRIMÈTRE INCOMPATIBLES AVEC LE MAINTIEN DE LA TAILLE DU PARC D'HÉBERGEMENT

Le projet de loi de finances pour 2026 prévoit une augmentation de 110 millions d'euros des crédits du programme 177 par rapport à la loi de finances initiale pour 2025. C'est une mesure à saluer : l'État ne fait pas d'économies sur l'hébergement et l'accompagnement des personnes sans domicile. Plus précisément, les autorisations d'engagement de l'action 12 (veille sociale, hébergement et logement adapté), croissent de 116 millions d'euros pour atteindre 3 milliards d'euros. Toutefois, la loi de finances initiale pour 2025 ayant elle-même été sous-budgétisée, elle ne peut servir de référentiel pertinent pour analyser le projet de budget pour 2026.

Rapporté à l'exécution de 2024, le projet de loi de finances pour 2026 concentre l'augmentation de ses crédits vers le logement adapté. Cette évolution est cohérente avec la montée en puissance du second plan « Logement d'abord », dont le volet insertion par le logement nécessite un accroissement du parc.

À l'inverse, l'objectif affiché de maintien du parc d'hébergement à 203 000 places ne pourra être tenu. À moyens constants et en comparant les autorisations d'engagement exécutées en 2024 à celles prévues pour 2026, les crédits dédiés à l'hébergement d'urgence diminuent de 103 millions d'euros. En intégrant l'inflation et le coût de la nouvelle convention, la sous-budgétisation s'élève à 119 millions d'euros.

Répartition des autorisations d'engagement de l'action 12 du programme 177
entre l'exécution 2024 et le projet de loi de finances pour 2026

(en millions d'euros)

Source : Commission des affaires sociales, d'après la LFGAC 2024 et le PLF 2026

Certes, les crédits des CHRS progressent de 24 millions d'euros, mais cette hausse résulte uniquement de la transformation de places d'hébergement d'urgence en places de CHRS. Elle ne compense donc pas la contraction des moyens de l'hébergement d'urgence, d'autant que le tarif d'une nuitée diffère fortement selon la structure : 22,11 euros pour l'hôtel, 29,01 euros pour un CHU et 43,05 euros pour un CHRS.

Concrètement, en conservant la répartition actuelle entre CHRS, hébergement d'urgence et hôtel, ce sont environ 10 000 places d'hébergement qui sont menacées. Accroître encore le recours à l'hôtel social n'est pas une option raisonnable : cette solution génère des coûts indirects importants à moyen terme et ne saurait constituer une réponse acceptable à la crise de l'hébergement.

B. SOUS-BUDGÉTISATION ET INSTABILITÉ POLITIQUE : VERS UN POINT DE NON RETOUR POUR LES ORGANISMES GESTIONNAIRES

Le programme 177 souffre d'une sous-budgétisation chronique, documentée par la Cour des comptes mais aussi un rapport conjoint des Inspections générales des finances, des affaires sociales et de l'administration. Leurs conclusions sont sans appel : le programme 177 n'est pas sujet à un dérapage budgétaire mais à une sous-estimation systématique des crédits nécessaires au maintien d'un parc d'hébergement à 203 000 places.

Dans le projet de loi de finances pour 2026, cette sous-budgétisation est estimée à 119 millions d'euros. Cumulée à la mise en réserve de 4 % des crédits au titre de la précaution, la sous-budgétisation a des effets néfastes pour le pilotage de la politique d'hébergement. Elle engendre notamment trois risques : un risque financier pour les organismes gestionnaires, un risque juridique pour les administrations et un risque social.

La sous-budgétisation du programme 177 entre 2019 et 2025

(en milliards d'euros)

Source : Commission des affaires sociales, d'après les LFI, LFFG, LFGAC

La sous-budgétisation chronique et la mise en réserve des crédits contribuent à dégrader la trésorerie des organismes gestionnaires, en raison d'un versement erratique des subventions. Celles-ci ne sont en effet pas décaissées de manière régulière sur l'année. Si l'exercice 2024 a bénéficié d'une répartition des crédits plus équilibrée, cette amélioration semble surtout traduire la volonté de l'État de « vider les rues » à l'approche des Jeux olympiques de Paris. En 2023, 47 % des subventions ont été versées au cours du dernier trimestre, ce qui est incompatible avec la gestion d'un parc d'hébergement dont les places sont garanties sur une base annuelle. Ces versements tardifs s'expliquent par la réticence des services déconcentrés à procéder aux paiements sans disposer d'une visibilité suffisante sur les crédits ouverts en loi de fin de gestion.

Répartition mensuelle des versements de subventions
aux organismes gestionnaires en 2023

Source : Commission des affaires sociales, d'après IGF, IGAS, IGA (2025)

D'un point de vue de l'efficacité de la dépense publique, l'irrégularité des versements conduit les organismes gestionnaires à mobiliser, dans l'urgence et en fin d'exercice, des places qui auraient pu être programmées en amont. Cette gestion contrainte les oblige à recourir à des nuitées réservées tardivement, souvent à un coût plus élevé, générant ainsi un surcroît de dépenses qui aurait pu être évité avec un lissage des crédits sur l'année.

Cette gestion crée un risque juridique pour la chaîne financière et comptable de l'État. Le maintien d'un objectif de parc à 203 000 places sans prévoir les crédits nécessaires dès la loi de finances initiale conduit les services de l'État à s'inscrire dans une forme de gestion de fait, couverte a posteriori par une loi de fin de gestion. En cas d'absence d'abondement, les services de l'État seraient possiblement tenus pour responsables devant les juridictions. Par ailleurs, ce fonctionnement participe à une fragilisation du contrôle de la dépense et à une sur-mobilisation des administrations en fin d'année.

Le contexte politique, quant à lui, crée un risque social via la fermeture de places d'hébergement faute de prévisibilité du contenu et de l'adoption d'un projet de loi de fin de gestion. Jusqu'à récemment, l'adoption quasi certaine du projet de loi de fin de gestion assurait une forme de sécurité ; chaque acteur savait qu'un abondement aurait lieu en fin d'année. Ce n'est plus le cas. L'instabilité gouvernementale impose de reprendre intégralement les négociations à chaque remaniement, tandis que l'absence de majorité met fin à la garantie d'adoption d'un projet de loi de finances de fin de gestion.

Dans ce contexte, aucun acteur ne peut raisonnablement maintenir les 203 000 places d'hébergement sans disposer des crédits correspondants en loi de finances initiale. Pour les organismes gestionnaires, le risque financier de ne pas être remboursés est trop important ; pour l'administration, persister dans cette pratique reviendrait à multiplier des situations de gestion de fait non couvertes. À défaut de correction budgétaire, l'État devra donc assumer politiquement la fermeture de places d'hébergement en pleine crise sociale et du logement.

Il apparaît donc nécessaire de rétablir les conditions d'une gestion saine du programme 177 en allouant, dès la loi de finances initiale, le montant adéquat au maintien d'un parc d'hébergement de 203 000 places. Afin d'atteindre cet objectif, le rapporteur propose à la commission d'adopter l'amendement  II-231 qui prévoit un abondement de 85 millions d'euros pour corriger la sous-budgétisation. Ce montant reste toutefois inférieur au besoin estimé à 119 millions d'euros, dans la mesure où le secteur est appelé à contribuer à l'effort de redressement des finances publiques. Cette approche vise, en pratique, à contenir la dépense du programme en réhaussant les crédits à un niveau minimal indispensable au maintien du parc.

Réunie le mercredi 26 novembre 2025 sous la présidence d'Alain Milon, la commission des affaires sociales a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Cohésion des territoires », programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ».

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 26 novembre 2025 sous la présidence de M. Alain Milon, vice-président, la commission des affaires sociales a examiné le rapport pour avis de Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis, sur le projet de loi de finances pour 2026 (programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires »).

M Alain Milon, président. - Nous terminons nos travaux avec l'examen de l'avis de Mme Sollogoub sur le programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires ».

Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ». - Le programme 177 s'avère un des piliers de la mission « Cohésion des territoires ». Au coeur de la politique d'accompagnement social et de réinsertion par le logement des personnes sans domicile, il représente le dernier filet de sécurité de la République ; celui qui tente de réparer l'humain lorsque toutes les autres politiques publiques ont échoué, et permet de redonner confiance, garantir la sécurité et offrir un toit.

Aujourd'hui, la responsabilité de ces dispositifs incombe principalement à l'État, à une exception près : la mise à l'abri des femmes enceintes et des mères isolées avec un enfant de moins de trois ans, qui relève de la compétence des départements. Pour le reste, le programme 177 repose sur un principe fondamental : un accueil inconditionnel, digne et adapté à toute personne dans le besoin.

Si les statistiques sur le sans-domicilisme se révèlent lacunaires, les baromètres des associations convergent vers deux constats : d'une part, une explosion du nombre de personnes sans domicile et, d'autre part, une diversification du public concerné.

Le nombre de personnes sans domicile est passé de 133 000 en 2012 à 350 000 en 2024. Le sans-domicilisme ne touche plus seulement des personnes marginalisées ; les familles et les femmes sont de plus en plus nombreuses, la part des familles avec enfants dans le public hébergé étant notamment passée de 21,5 % à 36 % en une décennie.

Je souhaite insister sur le sans-domicilisme des enfants. Il s'agit d'une tragédie silencieuse, probablement l'un des rares points capables de rassembler l'ensemble de l'échiquier politique.

Lors de la rentrée 2025, tandis que 70 000 enfants étaient hébergés, 2 159 enfants dormaient à la rue, dont 503 ayant moins de trois ans. Dormir à la rue ou dans un lieu d'hébergement est délétère pour la santé physique et mentale d'un enfant. Les données, bien qu'anciennes, sont accablantes : en 2013, 20 % des enfants hébergés présentaient des troubles de santé mentale, contre 8 % dans la population générale, et 81 % des enfants de moins de six ans présentaient un retard de développement cognitif. Ces effets sont cumulatifs : plus l'enfant grandit, plus l'exposition de l'enfant à la rue s'allonge, plus les retards s'aggravent.

Dans ce contexte, l'école fait office de point d'ancrage pour l'enfant, à la fois lieu de sociabilisation et archipel pour oublier les difficultés du quotidien. Ces enfants, comme on peut s'en douter, connaissent d'importantes difficultés scolaires. L'instabilité résidentielle contraint ces enfants à changer d'établissement, ou à supporter de longs trajets pour se rendre à l'école. En 2013, 10 % des enfants hébergés étaient déscolarisés ; pour les autres, les conditions d'études sont particulièrement difficiles : chambres exiguës, bruit permanent, manque de sommeil, impossibilité pour leurs parents de les accompagner dans leurs devoirs. Le résultat est le suivant : 16,4 % des enfants hébergés ont déjà redoublé, un taux qui monte à 25 % pour les plus de huit ans.

Derrière ces chiffres, il y a des destins brisés. Le sans-abrisme des enfants constitue une bombe à retardement, une grenade dégoupillée pour notre contrat social ; sa déflagration touchera toutes les sphères de la société, car des enfants détruits font rarement des citoyens apaisés.

Depuis 2018, les deux plans « Logement d'abord » ont produit des effets positifs. La logique de gestion « au thermomètre », avec une ouverture de places en urgence lors des épisodes de grand froid, a disparu. Elle a laissé place à une augmentation structurelle du nombre de places, ouvertes désormais toute l'année. Le parc s'établit ainsi à un niveau historiquement élevé, avec 203 000 places depuis 2020.

Il s'agit d'une avancée importante, mais celle-ci doit être nuancée. En effet, la part des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) diminue au moment même où l'accompagnement social renforcé qu'ils offrent est essentiel. Par ailleurs, le maintien du parc repose sur l'hébergement « intercalaire », soit une utilisation temporaire de bâtiments publics vacants, comme des écoles. Ces solutions ne sont pas pérennes, elles obligent les personnes hébergées à changer régulièrement de lieu, ce qui fragilise les parcours.

Une autre problématique, plus récente, est apparue : la financiarisation progressive de l'offre d'hôtel social. Certains grands groupes acquièrent désormais des établissements et se positionnent sur ce marché. À première vue, l'évolution présente des avantages, avec une rénovation de bâtiments parfois vétustes, une meilleure adaptation aux besoins de certains publics, et une professionnalisation du secteur. Cependant, elle comporte aussi un risque de concentration de l'offre entre les mains de quelques grands groupes qui disposeraient alors d'un pouvoir de négociation, voire d'imposition à la hausse des tarifs des nuitées hôtelières. Une analyse approfondie est indispensable pour dresser un état des lieux et, si nécessaire, réguler cette financiarisation.

Le deuxième volet des plans « Logement d'abord » concerne l'insertion par le logement. Il s'agit d'abord de tordre le cou à un cliché : non, on ne peut pas prédire la capacité d'un individu à la rue à gérer un logement. Une personne considérée comme marginale peut parfaitement s'insérer dans un logement, tandis qu'une autre personne, à la rue depuis moins longtemps, peut décompenser en retrouvant un logement. Les études statistiques sont claires : il n'y a ni fatalité ni déterminisme, seulement des êtres humains complexes dont le parcours et la personnalité peuvent conduire à réussir ou non cette transition.

Plusieurs dispositifs permettent cette insertion par le logement. L'intermédiation locative, véritable sas entre la rue et l'accès au logement, permet à un ménage sans domicile de louer un logement dans le parc privé via une association faisant office d'intermédiaire. Depuis 2018, le nombre de places en intermédiation locative est passé de 40 000 à 90 000.

Deuxième outil : l'attribution prioritaire de logements sociaux. Depuis 2018, 195 000 ménages sans domicile ont pu accéder à un logement social ; c'est l'une des voies les plus sûres pour envisager une sortie durable de la rue.

Enfin, je souhaite attirer votre attention sur un dernier dispositif d'accès au logement : les pensions de famille. Celles-ci constituent un fer de lance pour la réinsertion des personnes sans domicile parmi les plus éloignées du logement, souvent marquées par des passages longs et répétés dans la rue ou en hébergement.

Destinées à des personnes capables de vivre de manière autonome tout en partageant une vie collective, ces structures proposent un habitat mixte associant espaces privatifs et espaces communs, moyennant une redevance mensuelle. Elles offrent un accompagnement social et médical renforcé, notamment grâce à la présence quotidienne d'un hôte. Les résidents disposent d'un bail mensuel tacitement reconductible, sans limitation de durée, offrant ainsi un véritable chez-soi pérenne.

Malgré la volonté de l'État de développer ces structures, la création de nouvelles places peine à atteindre les objectifs affichés. Entre janvier 2023 et juin 2025, seules 3 058 places ont été ouvertes, soit 60 % de la cible. Les freins sont connus : fragilité du modèle économique, barrières administratives et, parfois aussi, réticence des collectivités territoriales. Cela est regrettable, car ces structures fonctionnent bien et permettent à ceux qui en bénéficient de reconstruire une vie après des années de rue.

En dépit de ces avancées, l'explosion du nombre de personnes sans domicile a conduit à une saturation du parc d'hébergement. Celle-ci a des conséquences directes sur les travailleurs sociaux, qui ont perdu le sens de leur métier, celui de l'accompagnement de toute personne dans le besoin. Faute de places ou de places adaptées, les organismes ont mis en place des critères de priorisation.

Aujourd'hui, à Paris, sont considérées comme prioritaires les seules femmes victimes de violences, les femmes enceintes de plus de huit mois et celles dont un enfant a moins de trois mois. Le taux de demandes non pourvues devrait dépasser les 60 % cette année. Par ailleurs, 70 % des ménages vivant à la rue n'appellent même plus le 115. Cette embolie de l'hébergement conduit à un fort turnover des travailleurs sociaux. Au niveau national, 49 % des écoutants avaient moins de trois ans d'ancienneté en 2021.

Concernant le budget, le projet de loi de finances (PLF) prévoit une augmentation de 110 millions d'euros des crédits dédiés au programme 177. Je salue le fait que l'État ne réalise pas d'économies sur l'hébergement et l'accompagnement des personnes sans domicile. Pour autant, comme le relèvent la Cour des comptes, mais aussi un rapport de l'inspection générale des finances (IGF), de l'inspection générale des affaires sociales (Igas) et de l'inspection générale de l'administration (IGA), ce programme souffre d'une véritable sous-budgétisation.

En loi de finances initiale (LFI), le Gouvernement sous-estime volontairement les crédits nécessaires au maintien d'un parc d'hébergement de 203 000 places. Disons-le clairement : il y a une insincérité budgétaire. Dans le PLF pour 2026, celle-ci se chiffre à 119 millions d'euros.

Cette sous-budgétisation entraîne un triple risque : financier, juridique et social. Concernant le risque financier, les associations sont contraintes d'avancer sur leur trésorerie les frais de gestion du parc. Les subventions sont versées de manière irrégulière, sur le dernier trimestre pour 47 % d'entre elles. Une raison à cela : les services de l'État attendent la garantie d'une loi de fin de gestion (LFG) pour verser leur dû aux associations.

Cette gestion crée un risque juridique pour la chaîne financière et comptable de l'État. Le maintien d'un objectif de parc à 203 000 places, sans prévoir les crédits nécessaires dès la LFI, conduit les services de l'État à une forme de gestion de fait, couverte a posteriori par une LFG. Or, en cas d'absence de LFG, les services de l'État pourraient être mis en cause devant les juridictions.

Enfin, le contexte politique crée un risque social, une partie du parc pouvant être contrainte de fermer, faute de prévisibilité. Jusqu'alors, l'adoption presque certaine d'un projet de loi de fin de gestion (PLFG) garantissait pour chaque acteur un abondement en fin d'année ; cela n'est plus le cas. L'instabilité gouvernementale impose de reprendre intégralement les négociations à chaque remaniement, tandis que l'absence de majorité met fin à la garantie d'adoption d'un PLFG.

Dans ces conditions, aucun acteur ne peut raisonnablement maintenir les 203 000 places d'hébergement sans disposer des crédits correspondants en LFI. Pour les organismes gestionnaires, le risque financier de ne pas être remboursés est trop important ; pour l'administration, persister dans cette pratique reviendrait à multiplier des situations de gestion de fait non couvertes. À défaut de correction budgétaire, l'État devra donc assumer politiquement la fermeture de places d'hébergement en pleine crise sociale du logement.

J'émets un avis favorable à l'adoption des crédits de ce programme. Cependant, par souci de sincérité budgétaire et d'efficience de la dépense publique, je propose un amendement de correction de la sous-budgétisation, à hauteur de 85 millions d'euros. Ce montant reste volontairement inférieur au besoin réel, estimé à 119 millions d'euros, car le secteur doit participer au redressement des finances publiques. Notre objectif est donc de fixer les crédits du programme sur un seuil minimal indispensable au maintien du parc. En somme, il s'agit de faire mieux avec moins.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Je suis accablée par ces chiffres désastreux. Je souhaite apporter un témoignage personnel. Étant très investie dans mon département sur le sujet du logement des jeunes, je peux témoigner de l'aide de l'État ; je pense notamment aux missions d'accompagnement vers l'emploi. Il ne s'agit pas seulement de trouver un logement, il faut accompagner les personnes. Mon association profite pleinement de la hausse régulière des crédits dédiés.

Je souhaite évoquer les nouvelles formes d'accompagnement des jeunes ; je pense notamment à l'hébergement temporaire chez l'habitant (HTH). Lorsque le parc public est saturé, les particuliers peuvent se mobiliser. Il s'agit d'être innovant pour répondre aux problématiques actuelles.

Faute de moyens, les départements diminuent les crédits sur l'accompagnement social lié au logement, ce qui n'est pas sans conséquences.

Mme Corinne Bourcier. - Il n'est pas normal pour un enfant de dormir dans la rue, et je remercie les associations qui travaillent au quotidien afin de pallier l'échec de l'État. Le sans-abrisme a des conséquences importantes sur l'avenir de ces enfants, sur la manière dont ils vont se construire. Se pose la question des financements. Les départements ne disposent plus de moyens, sachant qu'il faudrait des logements pérennes pour les enfants et les familles.

En conséquence, notre groupe est favorable à l'adoption de l'amendement et des crédits, certes insuffisants, du programme.

Mme Corinne Féret. - Nous partageons les propos sur le sans-abrisme des enfants. Qui pourrait se satisfaire d'une telle situation ? Mais il s'agit d'être un peu cohérent ; on ne peut pas déplorer cette situation et, quelques jours plus tôt, voter le gel des prestations sociales, familiales et de solidarité. On sait, en effet, que ce dernier aura des incidences sur les populations les plus fragiles, et particulièrement les enfants.

Mme la rapporteure a évoqué l'image d'une bombe à retardement. Cette situation n'est pas digne d'un pays moderne comme le nôtre. En conséquence, il s'agit d'augmenter les moyens sur le sujet.

Selon le ministère, les 120 millions d'euros qui manquaient à ce programme en 2025 seront intégrés dans le budget pour 2026. Il s'agit donc d'un budget insincère, qui répond aux besoins de 2025 et non à ceux de 2026.

Dans mon département, un nombre important de places a été supprimé en 2024. En dépit de l'enveloppe dédiée en 2025, et au regard de l'augmentation du coût des places, il n'est pas possible de revenir sur celles manquantes. De nombreuses personnes à la rue n'appellent même plus le 115, faute de places disponibles et de moyens suffisants.

En conséquence, nous nous opposons à l'adoption des crédits de ce programme.

Mme Anne Souyris. - Je suis surprise de constater que la financiarisation concerne également les hôtels sociaux. On sait que ces derniers sont plus onéreux que les foyers d'hébergement ; si la spéculation s'en mêle, cela va devenir difficile. Avez-vous des pistes à nous soumettre pour lutter contre ce processus ?

De plus en plus de familles se retrouvent à la rue, notamment avec des nourrissons. Le jour, elles se dirigent vers les protections maternelles et infantiles (PMI) et, le soir, elles se réfugient dans le métro. Il s'agit d'avoir une attention spécifique sur ce sujet.

Je veux bien que l'on essaie de faire mieux avec moins de moyens. Mais, Madame le rapporteur, pouvez-vous nous préciser comment ?

Mme Anne-Sophie Romagny. - Le constat est accablant, notamment concernant les enfants. Il est abject de parler de financiarisation sur un tel sujet.

Ma question porte sur l'écart entre le besoin, estimé à 119 millions d'euros, et l'enveloppe, fixée à 85 millions d'euros. J'entends bien que le tout le monde doive participer au redressement des finances publiques. Mais à quoi correspondent précisément ces 85 millions d'euros ? Comment s'arrête-t-on sur un tel montant ?

Mme Frédérique Puissat. - Cette mission s'avère à la croisée de plusieurs maux : une politique d'accueil migratoire sur laquelle nous avons des avis différents ; une justice qui protège moins, avec des femmes en danger et aussi des familles plus fragiles ; et enfin, des tensions manifestes sur la question du logement, qui abîment notre République.

Parmi ces tensions, je pense notamment aux nombreuses expulsions, aux occupations qui entraînent des désaccords entre les collectivités et les pouvoirs déconcentrés de l'État. Ces tensions sont également vives dans les assemblées départementales, avec des oppositions qui contestent les restrictions financières.

Je déplore que l'on s'abaisse à faire de la politique politicienne sur une telle mission. Nous suivrons l'avis de la rapporteure à la fois dans cette commission et, contrairement à l'an dernier où nous avions connu des ratés, en séance publique.

Mme Nadia Sollogoub, rapporteur pour avis. - Concernant l'accompagnement des jeunes, la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) effectue un travail remarquable, sachant les moyens dont elle dispose.

La recherche de nouvelles formes d'accompagnement est un sujet important. Je suis notamment sensible au dispositif des pensions de famille. Même si les objectifs ne sont pas atteints dès la première année, il s'agit d'accompagner toutes ces nouvelles formes en train d'émerger.

Plus que le volume, c'est le dysfonctionnement du budget que j'ai souhaité mettre en avant dans mon rapport. Dans un monde idéal, je demanderais des centaines de millions d'euros supplémentaires. L'an dernier, nous avions réussi à obtenir 30 millions d'euros supplémentaires, corrigeant très partiellement la sous-budgétisation pour 2025, qui était estimée à 250 millions d'euros. Le budget de ce programme souffre d'un manque de fonds dès le début de l'année. La LFG, votée hier seulement, a permis un abondement de 110 millions d'euros. Les associations avancent l'argent sans aucune visibilité, en croisant les doigts pour qu'un PLFG soit déposé et adopté, et ainsi obtenir un remboursement intégral des frais avancés.

Dans le projet de budget pour 2026, nous proposons de corriger cette sous-budgétisation. L'an dernier, nous avions réussi à débloquer 30 millions d'euros, principalement pour les femmes à la rue. Mais, la sous-budgétisation n'étant pas corrigée, ces 30 millions d'euros ont contribué à « combler le trou » de la sous-budgétisation, et le Gouvernement a respecté la volonté du Parlement de soutenir plus spécifiquement les petits enfants et les femmes à la rue. Soyons clairs : tant que la sous-budgétisation ne sera pas corrigée, aucune mesure nouvelle à destination de publics spécifiques, que ce soit les femmes ou les enfants, ne pourra voir le jour.

Cette année, la sous-budgétisation initiale est moins importante. Il manque « seulement » 119 millions d'euros, contre 250 millions d'euros l'an dernier. Dans le contexte budgétaire actuel, nous demandons 85 millions d'euros pour l'hébergement d'urgence. Ce montant de 85 millions d'euros correspond à un seuil minimal pour maintenir le parc d'hébergement à 203 000 places. Pour obtenir ce montant, nous sommes partis des 119 millions d'euros manquants, desquels nous avons retranché l'augmentation des crédits dédiés au CHRS, soit environ 30 millions d'euros.

Pour revenir sur le sujet des enfants, il s'agit d'aller vers un hébergement plus qualitatif.

Concernant la financiarisation, avant de proposer des mesures, il convient d'analyser ce phénomène émergent. Il serait utile d'engager une mission d'information sur le sans-abrisme. Il s'agit de ne pas occulter les aspects positifs, car cette financiarisation apporte aussi des améliorations dans la prise en charge. Récemment, nous avons visité un hôtel social repris par un grand groupe, et nous avons été surpris par la qualité des services et des prestations. Cependant, il faut encadrer et réguler pendant qu'il en est encore temps, et pour cela il nous faudra un état des lieux précis pour calibrer notre réponse.

Pour répondre sur la question de l'efficience de la dépense, le seul moyen de faire plus avec moins est de disposer d'un budget en début d'année permettant de réaliser des appels d'offres groupés. Quand on est contraint d'acheter des places en catastrophe en fin d'année, celles-ci sont plus chères. Si les crédits sont sécurisés en début d'année, les associations disposeront de marges de manoeuvre supplémentaires pour négocier des places d'hébergement de meilleure qualité et à moindre coût.

Dans la rue, loin des clichés, on trouve aussi des personnes en situation régulière qui travaillent et qui, dans l'attente de documents administratifs, se retrouvent en situation irrégulière. Ces personnes se retrouvent ensuite dans l'hébergement du fait de l'embolie des services déconcentrés de l'État. Je comprends les difficultés dans les préfectures, mais cela fait mal au coeur de voir des mamans avec des enfants dans la rue ou hébergés, alors même que ces personnes travaillent mais ne peuvent simplement pas avoir de logement faute de papiers.

L'amendement  II-231 prévoit une augmentation de 85 millions d'euros des crédits dédiés au programme. Il s'agit de sortir de la sous-budgétisation chronique, afin de redémarrer sur des bases plus saines.

L'amendement  II-231 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Cohésion des territoires », sous réserve de l'adoption de son amendement.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

· Édouard Gardella, sociologue spécialiste du sans-abrisme

· Unicef France

Julie Lignon, chargée de plaidoyer sur les questions de lutte contre la pauvreté

Mina Stahl, chargée de relations avec les pouvoirs publics

· Bruno Falissard, psychiatre de l'enfant et de l'adolescence

· Fondation pour le logement des défavorisés

Noria Derdek, chargée d'études

Éléonore Schmitt, chargée de plaidoyer

· Armée du salut

Claude Magdelonnette, directeur des activités inclusion sociale

Odile Grellet, directrice du secteur inclusion sociale pour la région Paris Île-de-France

· Emmaüs France

Lotfi Ouanezar, directeur général d'Emmaüs Solidarité

· Croix-Rouge française

Pierric Brondel, directeur adjoint Lutte contre les exclusions

· Samu social de Paris

Alain Christnacht, président du conseil d'administration

François Pouget, secrétaire général

· Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss)

Jeanne Dietrich, conseillère technique hébergement logement

· Fédération des acteurs de la solidarité

Marie Phiquepal, chargée de mission hébergement

· Collectif Les morts de la rue

Bérangère Grisoni, présidente

· Médecins du monde

Paul Alauzy, coordinateur de la veille sanitaire migrant.es et permanence psy

Cédric Genestier, médiateur en santé

Alexandre Baroin, médiateur en santé du programme « Pas de santé Sans Toit »

Séverine Beyer, référente santé environnement

· Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal)

Jérôme d'Harcourt, délégué interministériel

Valérie Saintoyant, directrice de la mission réfugiés et résorption des bidonvilles

Charles-Henri Bescond, directeur de la mission budgétaire

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjlf2026.html

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