C. UNE ACTION MINISTÉRIELLE TROP ÉCLATÉE

Ces dernières années, la politique du ministère de la Culture en matière de création artistique a surtout consisté en un lancement successif de plans thématiques (« théâtres en région », « auteurs », « festivals », « cabaret », « Mieux produire, mieux diffuser », « Culture et ruralité », « liberté de création et de diffusion artistiques »...) et d'outils divers (par exemple, le fonds d'innovation territoriale).

La rapporteure estime que cette action ministérielle fragmentée s'apparente plus à de l'affichage et à du saupoudrage de crédits qu'à une politique publique cohérente et structurante, faisant l'objet d'un financement lisible et ambitieux.

Avec cet empilement de dispositifs, les acteurs de la création font état d'un triple manque :

- un manque de lisibilité sur les conditions d'accès aux mesures qu'ils contiennent et sur les modalités d'attribution des crédits dédiés, la souplesse de gestion laissée aux Drac ayant pour corollaire une certaine opacité dans leur répartition selon les territoires et selon les structures ;

- un manque de visibilité, faute de garantie sur le financement pluriannuel de ces dispositifs ;

- un manque de confiance en la parole de l'État qui, contraint budgétairement, a tendance à procéder par « stop and go », suscitant l'incompréhension et le découragement des acteurs culturels.

· Le plan « Mieux produire, mieux diffuser »

240 structures bénéficiaires en 2024, 336 en 2025, dont 1/3 en zone rurale

Lancé en 2024, le plan « Mieux produire, mieux diffuser » vise à répondre aux difficultés structurelles du secteur de la création artistique, qui pâtit globalement d'un excès de productions insuffisamment diffusées. Il entend, d'une part, aider les structures à reconstituer leurs marges artistiques, d'autre part, refonder le système de production et de diffusion en développant les collaborations et les mutualisations. Le dispositif repose sur un effet de levier : les crédits consacrés par l'État sont délégués aux Drac qui les répartissent entre les structures labellisées ou conventionnées, lesquelles s'engagent dans la mise en oeuvre du plan, à la condition de bénéficier d'un soutien complémentaire des collectivités territoriales (principe du financement « 1 euro État, 1 euro collectivités »).

- La rapporteure souligne le caractère quelque peu paradoxal de la démarche de l'État qui, d'un côté, met en place un dispositif reposant sur la participation financière paritaire du ministère et des collectivités, de l'autre, ponctionne les recettes de ces dernières, donc réduit leurs marges d'intervention. Si l'État prévoit de contribuer à hauteur de 15 millions d'euros en 2026, la capacité d'engagement des collectivités territoriales pour l'année prochaine est très incertaine, rendant imprévisibles le niveau de financement des projets déjà en cours et le nombre de structures qui pourraient être nouvellement bénéficiaires.

- Des inquiétudes lui sont également remontées sur le manque de transparence des critères de sélection des structures bénéficiaires et sur la logique de rentabilité qui sous-tend certains des projets retenus. Pour ces raisons, et parce que le plan « Mieux produire, mieux diffuser » est présenté par le ministère comme une politique structurante pour le secteur, la rapporteure appelle à une évaluation objective de son pilotage et de ses résultats.

· Le plan « Culture et ruralité »

Faisant suite à la concertation nationale organisée au printemps 2024 par le ministère de la Culture et intitulée « Printemps de la ruralité », le plan « Culture et ruralité » vise à renforcer la place de la culture dans les territoires ruraux et à améliorer l'accès de leurs habitants à l'offre culturelle.

Articulé autour de quatre axes principaux et comprenant 23 mesures, le plan « Culture et ruralité » a été doté de 20,5 M€ en 2024 et d'un peu plus de 40 M€ en 2025.

Sur ces montants, le programme « Création » a bénéficié chaque année de 5,1 M€ pour : le développement et le renforcement du réseau des artothèques dans les territoires, l'aide aux cafés, mairies et lieux polyvalents en zone rurale à rémunérer les artistes employés pour des spectacles, le soutien aux festivals dans les territoires ruraux.

Des mesures complémentaires du plan, portées par d'autres programmes budgétaires, ont également concerné le secteur de la création : soutien aux résidences d'artistes en milieu rural (2,3 M€ sur deux ans), aux « villages en fête » et aux actions menées dans le cadre des plans « fanfare » et « arts et traditions populaires » (2 M€ sur deux ans), financement de six scènes culturelles de proximité, appui aux circuits de cinéma itinérants et aux festivals locaux.

Selon le ministère, « le calendrier 2026 du plan doit encore être défini, ainsi que les modalités de mise en oeuvre des mesures qui pourront être financées ».

- Si ce plan a le mérite de mettre un coup de projecteur sur les dynamiques artistiques et culturelles à l'oeuvre dans les territoires ruraux, trop souvent reléguées au second plan, voire ignorées, la rapporteure juge l'approche qui est faite de la culture en milieu rural assez réductrice puisque celle-ci est abordée essentiellement sous le prisme de la festivité villageoise.

- Sur le terrain, elle constate que l'existence du plan n'est pas toujours bien connue des élus locaux, alors que les nouveaux « référents ruralité » des Drac sont censés être leurs interlocuteurs privilégiés. Des acteurs culturels l'ont par ailleurs alertée sur le fait que, dans certains territoires, le plan sert de nouvel affichage à des aides préexistantes.

- Sur son économie générale, la rapporteure estime qu'il aurait été plus utile de mener une réflexion globale sur le refinancement de la création et la répartition territoriale des crédits déconcentrés plutôt que d'élaborer un nième dispositif sans réelle colonne vertébrale.

· Le fond d'innovation territoriale (FIT)

Le FIT a été mis en place en 2022 pour soutenir, dans la limite de trois ans, des projets culturels innovants, ancrés dans les territoires et engagés dans une dynamique de participation des citoyens. La gestion du fonds s'appuie sur les Drac, qui sont invitées chaque année à identifier des projets répondant aux critères d'éligibilité définis. Depuis le lancement du dispositif, 261 projets ont été soutenus pour une enveloppe initiale de 4,2 M€, portée à 5 M€ en 2023 et 2024.

En février 2025, l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) a été missionnée pour dresser un bilan des trois premières années de déploiement du FIT, afin d'éclairer la décision du ministère sur sa reconduction et ses éventuelles évolutions.

Le rapport de l'IGAC pointe la singularité du FIT qui, par sa dimension territoriale et son ouverture à l'expérimentation, ne trouve pas d'équivalent dans les dispositifs actuels de soutien du ministère. La méthodologie employée est présentée comme novatrice du fait du non-recours à l'appel à projet, de la pluri annualité qui rompt avec la multiplication des dispositifs ponctuels, de l'originalité d'une démarche partant du terrain, de l'absence de cahier des charges qui a conféré au FIT une grande plasticité. Le rapport constate des impacts positifs sur les projets soutenus, leurs porteurs et les territoires bénéficiaires. L'analyse des 261 projets fait ressortir une implantation principalement en zone rurale, des typologies variées, avec des projets le plus souvent pluridisciplinaires, majoritairement portés par des acteurs culturels, mais abordant largement des thématiques hors du champ culturel, des partenariats privilégiés avec le bloc communal.

Le rapport note toutefois des critères d'éligibilité variables entre 2022 et 2024 et la mise en oeuvre de stratégies diverses d'une Drac à l'autre, du fait de la grande autonomie qui leur a été laissée.

Au final, l'IGAC estime souhaitable de maintenir le dispositif, tout en le faisant évoluer pour en améliorer le fonctionnement et l'efficacité.

- La rapporteure se félicite de l'évaluation du FIT par l'IGAC qu'elle avait appelé de ses voeux l'année dernière et qui confirme le point de vigilance qu'elle avait émis sur les disparités territoriales dans la gestion du fonds. Elle souhaite que cette démarche d'évaluation soit étendue aux autres dispositifs de soutien à la création mis en place par le ministère.

- Selon les informations transmises par celui-ci, le FIT devrait être pérennisé dans les années à venir, avec une capacité de financement de nouveaux projets toutefois réduite à 1,2 M€ par an, en sus de la reconduction des projets financés les années antérieures dans la limite de trois ans. En 2026, les services déconcentrés seront invités à identifier ces nouveaux projets sur la base d'un document de cadrage détaillant les objectifs et les critères d'éligibilité du fonds, établis au regard des recommandations du rapport d'inspection. En vue de l'élaboration de ce document, la rapporteure appelle le ministère à mieux conditionner le bénéfice du FIT au caractère véritablement innovant des projets soutenus.

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