EXAMEN EN COMMISSION
MARDI 2 DÉCEMBRE 2025
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M. Laurent Lafon, président. - Nous passons à l'examen des crédits relatifs à la recherche.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure pour avis sur les crédits relatifs à la recherche. - Avant de vous présenter le budget pour 2026 de la recherche, je souhaite revenir sur l'année 2025, qui a été marquée par la revoyure, au printemps dernier, de la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur (LPR).
Prévue à l'article 3 de la loi, cette revoyure, qui doit intervenir au moins tous les trois ans, consiste en une actualisation permettant de vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés par la LPR, ses réalisations et les moyens consacrés.
Alors qu'elle aurait dû avoir lieu en 2023, elle a été sans cesse reportée par les ministres successifs, malgré les appels réguliers de notre commission à respecter l'échéance des trois ans. Le premier de ces appels a été lancé dès juillet 2022 par Laure Darcos et Stéphane Piednoir, dans leur rapport d'information sur la mise en oeuvre de la LPR. Plusieurs ont suivi, à l'occasion de chaque exercice budgétaire.
C'est finalement le ministre Philippe Baptiste qui a décidé d'activer la revoyure au début de cette année, initiative qui doit être mise à son crédit. Cependant, la méthode choisie, celle d'un « événement interne » selon l'expression du ministère, réunissant les acteurs de l'enseignement supérieur de la recherche autour de débats thématiques, n'est pas satisfaisante.
Ne pas associer le Parlement au bilan d'étape d'une loi de programmation relève presque de la faute politique ! Certes, le ministre nous a dit, il y a quelques semaines lors de son audition, sa disponibilité pour nous rendre compte de cet événement interne, mais cela arrive trop tard puisque nous examinons aujourd'hui un budget censé concrétiser la sixième « marche » de la LPR.
Une revoyure en bonne et due forme, associant le Parlement, le ministère et les acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR) nous aurait permis de réfléchir collectivement aux moyens que l'État, contraint à des arbitrages pour redresser ses comptes, est prêt à consacrer à un secteur crucial pour l'avenir du pays et qui nécessite un investissement sur le temps long.
Nous voici donc devant un projet de budget pour 2026 de la recherche qui enregistre une très légère augmentation - cela doit être souligné alors que d'autres budgets sont en baisse -, mais dans une proportion bien inférieure à l'annuité programmée.
Stéphane Piednoir nous a expliqué le montant et l'affectation des crédits ouverts sur le programme 150 « Formations supérieures et recherche universitaire » au titre de la LPR.
Sur le programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires », qui est le principal support de financement de la recherche publique, l'apport de moyens nouveaux est de 44,3 millions d'euros, soit une différence de près de 317 millions d'euros par rapport à la programmation.
Cet apport est principalement consacré à la poursuite de la revalorisation des métiers de la recherche, mais sur un périmètre de mesures très restreint. Seront ainsi financés l'année prochaine le repyramidage des emplois de la filière des ingénieurs et techniciens de recherche et la revalorisation de la rémunération des contrats doctoraux. En revanche, d'autres mesures de ressources humaines, comme la poursuite de la revalorisation du régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs, sont mises à l'arrêt.
Le ministère m'a par ailleurs confirmé qu'une enveloppe de 11,9 millions d'euros était bien prévue pour le déploiement des chaires de professeur junior, dispositif apprécié des opérateurs de recherche pour recruter des profils scientifiques spécifiques.
Au total, le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 ne concrétise donc, sur les programmes 150 et 172, qu'un quart, voire un cinquième de la sixième « marche », selon que l'on y intègre ou non le montant consacré aux nouveaux contrats d'objectifs, de moyens et de performance (Comp) des établissements d'enseignement supérieur.
Ce non-respect de la trajectoire budgétaire, pour la deuxième année consécutive et dans une proportion plus marquée, constitue, à mes yeux, une dangereuse remise en cause de la dynamique de réinvestissement que la LPR avait réussi à enclencher durant les premières années de la programmation.
Même si le nécessaire redressement de nos comptes publics impose de faire des choix et de partager les efforts, la recherche ne doit pas servir de variable d'ajustement, à l'heure où la France doit plus que jamais assurer sa souveraineté dans ce domaine.
Cette sous-exécution de la LPR est aggravée par le fait que l'Agence nationale de la recherche (ANR), dont notre commission avait veillé à accroître sensiblement les moyens d'intervention pendant les premières années de la programmation, est aujourd'hui financièrement fragilisée.
Sa situation mérite quelques explications qui sont nécessaires à la bonne compréhension du problème.
La gestion des appels à projets de recherche entraîne mécaniquement un écart entre les autorisations d'engagement (AE) et les crédits de paiement (CP) : les premières servent à lancer l'appel à projets et à lui donner une visibilité pluriannuelle, tandis que les seconds permettent de financer les porteurs de projets au fur et à mesure de leur avancement.
Avec le déploiement de la trajectoire prévue par la LPR, les AE de l'ANR ont été substantiellement supérieures à ses CP de 2021 à 2024, de l'ordre de 280 millions d'euros par an en moyenne. L'Agence se retrouve aujourd'hui avec un niveau de CP insuffisant pour couvrir les décaissements liés aux projets qu'elle s'est déjà engagée à financer.
Face à cette difficulté, sur laquelle la présidente de l'ANR m'avait déjà alertée l'année dernière, des mesures de lissage, consistant en des décalages de versement aux porteurs de projets, ont été mises en place.
Avec le PLF 2026, l'ANR se retrouve confrontée au même problème : l'enveloppe de CP prévue, en augmentation de 20 millions d'euros par rapport à 2025, ne permet toujours pas de couvrir ses engagements passés. L'Agence chiffre en effet son besoin en ressources à 70 millions d'euros, soit une différence de 50 millions d'euros.
L'ANR semble exclure de nouvelles mesures de lissage, estimant être allée au maximum de ce qu'elle pouvait faire, sans porter préjudice aux porteurs de projets. Elle indique également que, dès 2027, le niveau de sa trésorerie ne sera plus suffisant. En conséquence, la seule solution viable consiste à augmenter le niveau de ses CP, scénario qui se heurte toutefois aux contraintes budgétaires.
Ce sujet de la mise à niveau des CP, qui concerne les appels à projets passés, pose également la question de la poursuite de la dynamique des AE, dont dépendent les futurs appels à projets. Faut-il freiner cette dynamique afin de limiter, à l'avenir, le besoin de CP, mais au risque de porter atteinte aux résultats obtenus grâce à la LPR quant au taux de succès des appels à projets ? Ce taux, qui était de 19,2 % avant la LPR, a connu une progression significative jusqu'en 2023, année où il a atteint 25,2 %.
Le niveau du taux de succès a aussi des répercussions sur celui du préciput, cet abondement financier versé par l'ANR en complément du financement des projets de recherche.
L'évolution du taux de succès dépend mécaniquement du niveau des AE : leur diminution entraîne de facto un recul du taux de succès, sans baisse simultanée du nombre de projets déposés ou du coût moyen des projets, qui sont des variables dites « libres » sur lesquelles l'ANR n'a pas ou peu prise. Celle-ci indique qu'une baisse de 40 millions d'euros de ses AE se traduit par une baisse de l'ordre de 1 % du taux de succès.
En loi de finances pour 2025, le volume des AE de l'ANR a été réduit de 90 millions d'euros. Une nouvelle diminution, à hauteur 70 millions d'euros, est prévue dans le PLF 2026.
Ces baisses vont inévitablement entraîner un recul du taux de succès, déjà perceptible cette année puisqu'il atteindrait moins de 23 %, contre 24,2 % en 2024. Ce repli est néanmoins jugé « acceptable » par l'ANR, car il permettra à la France de rester dans les standards internationaux.
En revanche, une baisse plus significative pourrait faire repasser le taux de succès sous la barre des 20 %, soit le taux d'avant la LPR, et provoquer un nouveau décrochage de la recherche française.
J'évoque ce scénario plus maximaliste, car c'est celui qui est proposé dans l'amendement adopté par nos collègues de la commission des finances et visant à annuler 150 millions d'euros d'AE et 30 millions de CP sur le budget de l'ANR. Notre commission ne peut raisonnablement pas soutenir une telle initiative, qui nous éloignerait encore plus de l'objectif, toujours loin d'être atteint, d'un effort national de recherche au moins égal à 3 % du PIB.
Ce projet de budget est aussi marqué par une nouvelle mise à contribution des opérateurs de recherche pour le financement de mesures salariales ou sociales décidées par l'État.
Les opérateurs devront ainsi prendre en charge une hausse de 68 millions d'euros de leur contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », dont seulement 16 millions d'euros leur seront compensés. S'y ajoutera un surcoût de 62,5 millions d'euros au titre de la protection sociale complémentaire (PSC), pour laquelle aucune compensation n'est prévue.
Ces dépenses nouvelles viennent en plus des mesures dites « Guerini » de 2023 et 2024, compensées à hauteur de 45 millions d'euros pour un surcoût de 100 millions, et d'une première mesure CAS « Pensions », non compensée pour les organismes de recherche - à l'inverse des universités.
Pour absorber ces charges nouvelles qui s'accumulent au fil des ans, les opérateurs de recherche procèdent à des prélèvements sur leur trésorerie libre d'emploi qui, à force, s'assèche. Dès 2026, certains pourraient être contraints de recourir à des mesures d'économies affectant directement leurs activités de recherche : baisse des dotations de base des laboratoires, réduction des campagnes d'emploi et des campagnes d'équipement. Ce scénario a notamment été évoqué par le président de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) lors de sa récente audition.
Si l'ensemble des opérateurs de recherche n'est sans doute pas dans une situation financière aussi critique que celle que connaissent les universités, j'alerte tout de même sur le fait que le caractère répété et cumulatif de ces transferts de charges pourrait, à plus ou moins brève échéance selon les organismes, altérer leur capacité à exercer leurs missions.
Dans le contexte du nécessaire redressement de nos comptes publics, je vous propose de donner un avis favorable à ce projet de budget, assorti des points de vigilance que j'ai mentionnés.
Je précise que, dans mon rapport écrit, j'ai aussi souhaité aborder deux thématiques, non strictement budgétaires, mais sur lesquelles il me paraissait important de faire un point d'étape : d'une part, les deux chantiers structurels en cours dans le secteur de la recherche - le déploiement des agences de programmes et la démarche de simplification -, d'autre part, les effets directs et indirects sur notre recherche des menaces qui pèsent sur la science américaine, avec notamment l'enjeu autour de l'hébergement des données scientifiques.
M. David Ros. - Merci de la précision de votre rapport et de celui de Stéphane Piednoir, étant observé que vos travaux sont étroitement liés dans leur objet.
L'état difficile de l'université emporte assurément des conséquences sur la recherche, l'université ayant pour double mission l'enseignement supérieur et la recherche. S'y ajoutent la non-compensation de la contribution des organismes de recherche au CAS « Pensions » - ces organismes sont du reste souvent les partenaires des universités pour le fonctionnement des unités mixtes de recherche (UMR) -, la situation complexe de l'ANR et une sixième « marche » ratée de la LPR, qui évoque davantage une descente qu'une ascension.
Certes, la revalorisation du doctorat est mise en avant, mais elle reste très inférieure à ce que prévoyait la LPR et à ce qui se fait ailleurs en Europe ou aux États-Unis. L'enjeu est celui de la reconnaissance du diplôme national de doctorat non seulement par les décideurs publics, ainsi que le mettait en avant le rapport d'information sur les relations stratégiques entre l'État et les universités de nos collègues Laurence Garnier et Pierre-Antoine Levi, mais également dans le monde privé. Le dispositif « jeunes docteurs » du crédit d'impôt recherche (CIR), favorisant la reconnaissance des docteurs en entreprise, a par exemple été supprimé par la loi de finances de 2025. Autant d'éléments qui mettent à mal la recherche, en dépit de l'importance qu'elle revêt pour notre pays, sa souveraineté et son avenir.
Le budget pour 2026 a été qualifié de budget d'attente ; cependant, les moments de vérité sont nécessaires et il faut réagir. Si je partage les constats de nos deux rapporteurs pour avis sur les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur », j'en arrive à une conclusion diamétralement opposée à la leur : ce budget ne correspond pas aux ambitions affichées pour notre pays et l'avis du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER) sera donc défavorable.
M. Pierre Ouzoulias. - Je partage l'expression de mon collègue sur la qualité de ce rapport : vous avez, en très peu de temps, acquis une connaissance fine du budget, pourtant extrêmement complexe, de la recherche.
Max Brisson, à la suite de la présentation du rapport pour avis de Stéphane Piednoir, faisait état d'une dissension gauche-droite sur le rôle de la recherche. Elle n'a pas toujours existé et il fut une période où nous partagions les mêmes objectifs dans ce domaine. Permettez-moi de citer le général de Gaulle : « Sans la science et les savants, un pays comme la France ne serait plus qu'un paysage et des souvenirs », « La France ne peut être la France sans la grandeur ; or celle-ci, au XXe siècle, se fonde d'abord sur la science et sur la technique ». N'avons-nous pas aujourd'hui abandonné cette vue très progressiste d'une science au service tant de la souveraineté que du développement humain ? Et n'est-ce pas sous cet angle que quelque chose s'est cassé ?
On finit par considérer que la science et la connaissance ne servent pas à l'évolution de notre société. C'est un mal typiquement français : quand on franchit le Rhin, un fonds spécial de 500 milliards d'euros, qualifié de « bazooka budgétaire », doit permettre de porter la part du budget de la recherche et de la connaissance de 3,07 % à 3,5 % du PIB de l'Allemagne. Dans le même temps, en France, nous acceptons une baisse continue de cette part, ramenée aujourd'hui à quelque 2,14 % de notre PIB.
L'Allemagne consacre notamment des crédits très importants à l'accueil des chercheurs étrangers, dans un contexte, semblable au nôtre, de crise démographique majeure. D'autres pays font le même constat de la nécessité d'attirer des chercheurs étrangers : l'Arabie saoudite, par exemple, offre aux chercheurs un salaire moyen mensuel équivalent à 6 000 euros. L'université du Roi-Saoud (King Saud University, KSU), qu'une délégation de notre commission a visitée, bénéficie, du reste, d'équipements sans commune mesure avec ceux dont nous disposons en France.
Cette forme de précarisation de l'ESR que nous subissons me devient insupportable.
Le constat est également accablant au sujet de l'ANR. Notre collègue rapporteur spécial de la commission des finances Jean-François Rapin considère qu'il faut en diminuer le budget, afin de contraindre les chercheurs à solliciter les crédits européens. Or ils ne pourront le faire, tant la bureaucratie européenne excède leur capacité administrative, tandis que l'ANR a énormément progressé dans ce domaine.
Les universités connaissent aujourd'hui des difficultés telles pour gérer les crédits de la recherche qu'elles demandent de plus en plus à leurs chercheurs fonctionnaires de se constituer en autoentrepreneurs, afin de les rémunérer de leurs travaux sur factures. Nous en arrivons à des situations totalement ubuesques !
M. Max Brisson. - Les conclusions des deux rapports sur les crédits de l'enseignement supérieur et ceux de la recherche pour 2026 ont pu sembler contradictoires avec les exposés qui les ont précédées, mais les rapporteurs s'en sont expliqués.
Cependant, n'est-il tout de même pas choquant d'abandonner la LPR en catimini ? Notre pays connaît certes une situation financière difficile, mais, en consacrant 2,3 % de son PIB à la recherche, contre 3,5 % en Allemagne ou en Suède, j'ai l'impression que la sixième « marche » y est prise en descendant. Et, plutôt que de dire le contraire de ce que l'on est train de faire, cela mériterait au moins un débat.
Enfin, l'amendement de la commission des finances relatif à l'ANR et à sa mécanique spécifique des AE et des CP, inscrite dans le temps - celui des programmes de recherche -, ne nous ramène-t-il pas, pour sa part, tout simplement à zéro, c'est-à-dire à la situation qui prévalait avant la LPR ?
Mme Laure Darcos. - Je suis dépitée : cette LPR, nous ne l'avions acceptée pour une période de dix ans, quand nous la voulions pour sept ans, qu'afin de concentrer les efforts sur l'ANR, avec le doublement de ses moyens dès les deux premières années. En 2017, le taux de succès des appels à projets de l'ANR n'excédait pas 12 % à 13 %. On donne un coup d'arrêt brutal à la progression rassurante, en comparaison de nos voisins européens ou d'États d'autres continents, de notre recherche au cours des dernières années.
J'ai eu l'occasion de le dire à Claire Giry, la présidente-directrice générale de l'ANR : il est sans doute reproché à l'Agence de n'avoir pas pu, deux années de suite, décaisser davantage de CP, et notre commission des finances, toujours à la recherche d'économies, en a retenu l'existence d'une trésorerie d'un niveau exceptionnellement élevé. Dans le champ qui est le sien, l'ANR porte quatre projets sur cinq : il lui faut par conséquent, à l'instar du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou, dans un autre domaine, du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), disposer d'une trésorerie importante.
Nous allons nous battre pour essayer de défendre ses crédits, mais je suis inquiète et quelque peu pessimiste quant à l'issue. Il nous faudra de nouveau nous mobiliser. Le seul point positif consiste actuellement dans le dispositif des chaires de professeur junior.
Mme Mathilde Ollivier. - La rapporteure a fait une analyse critique de l'absence de suivi des engagements pris dans le cadre de la LPR. En 2025, pour les programmes 150 et 172, seul un tiers de l'effort prévu par la LPR a été financé. En 2026, seul un quart du montant supplémentaire programmé serait atteint. Ainsi, année après année, les financements dédiés aux engagements pris sont de plus en plus insuffisants.
La France a du retard en matière de recherche et de développement. La part de la recherche dans le PIB stagne à 2,19 %, en deçà de la moyenne des pays de l'OCDE. En février 2025, le Collège des sociétés savantes académiques de France a mené une étude. Dans ce cadre, plus de 2 200 scientifiques ont été interrogés sur la recherche française et leur diagnostic est sévère : seuls 15 % d'entre eux estiment que le système actuel de financement de la recherche publique est satisfaisant. Il s'agit d'un signal d'alarme important. En effet, les chercheurs sont mobiles, explorent la possibilité de travailler dans des centres de recherche qui leur offrent des conditions matérielles intéressantes et leur permettent de développer des projets. Si nous décrochons sur ce point, nous pourrions perdre une partie de l'excellence construite en France.
J'en viens à l'idée que les centres de recherche et les universités devraient davantage se tourner vers les financements européens. Des présidents d'université nous ont confié que certaines équipes de recherche demandent à leurs chercheurs de ne plus tenter d'obtenir ces crédits parce qu'ils n'ont plus le personnel nécessaire pour encadrer ces projets. Il y a donc une dissonance entre ce qu'on demande aux chercheurs et la réalité qui est la leur.
Enfin, en la matière, il faudrait clarifier certaines choses. En effet, nous reprochons à certaines universités de ne pas suffisamment tenter d'obtenir des crédits européens, mais, dans certains cas, des projets sont attribués à des chercheurs du CNRS hébergés par des universités.
Nous donnerons un avis défavorable à l'adoption de ces crédits.
M. Jean Hingray. - La dynamique de la recherche semble toujours effective puisque les crédits qui lui sont dédiés atteignent 12,6 milliards d'euros en CP.
Toutefois, certains secteurs stratégiques sont étonnamment sous-dotés, notamment ceux de l'aéronautique civile et de l'énergie nucléaire. L'amendement de Stéphane Piednoir ne devrait pas améliorer cette situation.
Par ailleurs, les partenariats entre les entreprises et les partenaires institutionnels européens connaissent un net recul, ce qui est inquiétant. Il faudrait obtenir davantage de crédits européens, notamment du programme Horizon Europe.
L'amendement de M. Rapin pose question. Comme nous l'enseignait Maurice Thorez : « S'il est important de bien conduire un mouvement revendicatif, il faut aussi savoir le terminer ».
Mme Laurence Garnier. - Le taux de succès des appels à projets de l'ANR s'élève à 23 %, ce qui reste acceptable selon Claire Giry, présidente-directrice générale de l'Agence. Il est important que ce curseur soit fixé au plus juste. Le taux doit rester attractif pour les chercheurs, afin de permettre d'attirer les meilleurs, tout en n'étant pas trop élevé, ce qui pourrait conduire à sélectionner des projets qui ne seraient pas suffisamment qualitatifs.
Par ailleurs, il est nécessaire de prendre en compte la pluriannualité de ces appels à projets, qui a un effet miroir sur la trésorerie de nos universités. Selon ces dernières, le coût réel des projets accueillis est supérieur aux crédits octroyés par l'ANR, en raison de charges diverses. Selon l'ANR, ce problème serait réglé grâce au préciput. Il serait intéressant de dénouer cette dissension entre les acteurs. Nous devons y voir clair afin d'utiliser au plus juste les crédits publics affectés à la recherche.
Enfin, le financement de la recherche correspond à 2,2 % du PIB, ce qui est mieux qu'en Espagne et en Italie, qui connaissent des taux d'environ 1,5 %, mais ce qui est moins bien qu'au Royaume-Uni et en Allemagne, où ce pourcentage s'élève respectivement à 3 % et à 3,5 %. Cependant, dans ces pays qui font mieux que nous, la recherche privée est dynamique et les crédits publics sont comparables. La recherche de crédits privés constitue un enjeu sur lequel il faut nous pencher, pour que les entreprises françaises alimentent la dynamique de la recherche, en complément de la recherche publique.
Mme Karine Daniel. - Je voudrais préciser que d'autres lignes budgétaires affectent aussi le fonctionnement des universités en la matière ; je songe notamment aux crédits du plan France 2030, mais aussi à ceux qui font fonctionner les instituts de recherche technologique (IRT) et les instituts hospitalo-universitaires (IHU). Il faudra aussi nous mobiliser quand ils seront examinés en séance.
M. Laurent Lafon, président. - Effectivement, ces crédits n'appartenant pas au périmètre couvert par notre commission, nous n'avons pas à nous prononcer dessus. Il faudra être vigilants en séance.
M. Stéphane Piednoir. - Comme l'a dit Laure Darcos, nous nous sommes un peu fait berner en cédant sur la durée prise en compte par la LPR. Si nous nous en étions tenus à une durée de sept ans, l'application toucherait à son terme et l'impact des réductions budgétaires serait sans doute moins important. Pour l'enseignement supérieur et la recherche, il manque 370 millions d'euros par rapport à ce que prévoyait la loi.
La création de l'ANR avait vocation à augmenter le taux de succès des appels à projets et à accompagner l'augmentation du préciput. Ces deux objectifs ont globalement été atteints. Cependant, il nous faut interroger notre modèle de recherche.
D'abord, le professeur de mathématiques que je suis ne parvient pas à comprendre le décalage entre les CP et les AE. On vote des AE élevées et puis, à un moment, le couperet tombe : les CP ne sont pas disponibles et les projets ne sont pas financés. C'est ce que pointe Jean-François Rapin dans l'objet de son amendement.
Ensuite, malgré les efforts fournis, la France connaît un net recul en ce qui concerne sa contribution aux publications mondiales. À cet égard, un besoin de simplification se fait entendre. Depuis l'étranger, notre système est incompréhensible. Il y a eu des tentatives de clarification, mais les tutelles restent trop nombreuses sur de trop nombreux projets. Il faut simplifier et donner de la lisibilité au système.
Enfin, un effort doit être fourni, au sein des organismes de recherche et des universités publiques, pour engager des partenariats avec le secteur privé. En la matière, nous avons affaire à des blocages idéologiques, qui doivent être dépassés pour que nous enclenchions une dynamique et puissions atteindre peu à peu les objectifs définis par la stratégie de Lisbonne.
Mme Alexandra Borchio Fontimp, rapporteure pour avis. - Laure Darcos et David Ros, d'abord, je vous remercie pour l'engagement et la fidélité dont vous avez fait preuve lors des auditions que nous avons menées. Ensuite, je partage votre position, notamment sur le CAS « Pensions ».
Concernant le manque d'attractivité évoqué par Pierre Ouzoulias et Mathilde Ollivier, une conférence s'est tenue au printemps dernier, Choose Europe for Science, financée par France 2030. Nous ne pourrons jamais offrir les mêmes conditions matérielles en France que dans certains pays. Cependant, nous comptons des organismes de recherche et des établissements de grande qualité, qui sont reconnus. J'espère que le programme Choose France for Science portera ses fruits et que nous pourrons accueillir, dans les meilleures conditions possibles, les chercheurs qui ne s'épanouiraient plus dans leur pays.
Je ne peux que m'associer aux propos de Max Brisson sur l'amendement portant sur l'ANR, qui constitue un abandon de la LPR et un retour en arrière.
En ce qui concerne le taux de succès de l'ANR, je partage la vision de Laurence Garnier : il faut trouver un juste milieu. Le bon curseur représente la clé de l'équilibre, de la raison et de la responsabilité.
Enfin, j'avais déjà évoqué le rapprochement du public et du privé l'an dernier, lors de la présentation de mon rapport. Il faut nous inspirer des modèles des pays voisins. Le ministre a évoqué des mesures à prendre, mais nous sommes toujours dans l'attente de leur concrétisation.
Nous avons entamé des négociations avec l'auteur de l'amendement que nous avons évoqué.
J'essaierai de rendre compte de chacune de vos interventions en séance, afin de pouvoir peser au nom de notre commission.
M. Laurent Lafon, président. - En séance, nos votes seront importants puisqu'ils pourront peser en faveur ou en défaveur de tel ou tel amendement.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la recherche au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».