B. L'IMPASSE DU MODÈLE D'ALLOCATION DES MOYENS APPELLE DES EVOLUTIONS
1. Une nouvelle mobilisation de la trésorerie des établissements, motivée par une analyse contestable de leur situation financière
a) Pour la quatrième année consécutive, de nouveaux transferts de charges aux opérateurs
Avec un montant global prévu de 14,7 milliards d'euros, contre 14,5 en 2025, la subvention pour charge de services publics (SCSP) sera reconduite à l'identique pour la plupart des établissements. Comme au cours des trois derniers exercices budgétaires, ils devront cependant absorber plusieurs mesures conduisant à une augmentation de leurs dépenses :
- l'augmentation de 4 points du taux de contribution au CAS « Pensions » ne sera compensée qu'à hauteur de 80,9 millions d'euros, pour une dépense supplémentaire estimée à 200 millions d'euros. La même augmentation l'an passé avait finalement fait l'objet d'une compensation intégrale par le gouvernement en cours d'examen du PLF pour 2025 ;
- le financement de la protection sociale complémentaire (PSC), qui entrera en vigueur entre le 1er mai et le 31 décembre 2026 selon la date arrêtée par chaque conseil d'administration, est entièrement laissé à la charge des établissements. La dépense associée est estimée à 50,9 millions d'euros sur sept mois et à 76,3 millions d'euros sur 12 mois ;
- les crédits immobiliers sont en baisse de 24 millions d'euros, alors que le périmètre couvert est en augmentation. L'action 14 intègre en effet un transfert des opérations de logement étudiant non encore engagées dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER), aujourd'hui retracées par le programme 231 (soit 18 millions d'euros en AE et 2 millions d'euros en CP). Selon la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (Dgesip), ce regroupement permettra aux établissements de disposer d'une vision intégrée de leurs opérations immobilières, et donc de déployer « davantage de souplesse en gestion » - le cas échéant en « [procédant] à l'avance des dépenses ».
Ces dépenses nouvelles s'ajoutent aux 220 millions d'euros de mesures salariales non compensées dans les lois de finances pour 2023 et 2024. En s'accumulant et en se soclant au fil de l'année, ces transferts de charges altèrent la capacité des établissements à ancrer leurs budgets dans une projection pluriannuelle. France Universités indique ainsi que l'absorption de ces mesures nouvelles se fera, pour la plupart des établissements, au prix d'un recul de leur investissement et d'un ajustement de leur offre de formation.
b) Une divergence d'analyse persistante sur la situation financière des établissements
Le MESR indique que ces mesures ont été décidées au regard de la situation financière jugée favorable des établissements, qui leur permettrait d'assumer un « effort de responsabilité » en mobilisant leurs « réserves disponibles ». Le ministre avance les chiffres de 5,6 milliards d'euros de trésorerie brute, dont 1 milliard immédiatement mobilisable, c'est-à-dire ne correspondant ni à des recettes fléchées dans le cadre d'appels à projets, ni à des opérations pluriannuelles autofinancées.
Le rapporteur ne partage pas cette analyse de la situation financière des établissements.
Il estime tout d'abord que l'estimation de la trésorerie doit être regardée avec prudence :
- la fiabilité de ces chiffres est sujette à caution : outre que le chiffre de 1 milliard d'euros de trésorerie immédiatement mobilisable est issu d'une enquête conduite auprès d'un échantillon des opérateurs du programme (135 sur 160), ces éléments sont issus de données comptables dont le manque de fiabilité est régulièrement pointé par l'État. Dans ses travaux précités sur la stratégie universitaire de l'État, la commission a par ailleurs émis des réserves sur la référence à la notion de trésorerie « libre d'emploi », qui ne correspond à aucune notion juridique ;
- la référence à un niveau de trésorerie agrégé n'est pas pertinente : le montant global de trésorerie immédiatement mobilisable correspond à un niveau moyen de 7,4 millions d'euros pour chacun des 135 établissements concernés.
Le rapporteur estime ensuite que la dégradation manifeste de la situation financière des opérateurs du programme 150 ne permet pas de procéder à de nouvelles mesures de mobilisation de leur trésorerie. Deux indicateurs témoignent de cette évolution : le résultat consolidé de ces opérateurs est devenu déficitaire en 2024, tandis que leur capacité d'autofinancement (CAF) s'est réduite des deux tiers depuis 2021. Dans son rapport précité, la commission a dans le même sens considéré que les conditions actuelles de leur pilotage financier ne permettaient pas de réduire les marges de sécurité des établissements.
Dans la ligne de ses recommandations sur la stratégie universitaire de l'État, la commission estime que la charge financière des mesures salariales et sociales décidées par l'État ne doit pas être supportée par les établissements d'enseignement supérieur, dont les marges de manoeuvre financières sont insuffisantes.
Elle a adopté un amendement n° II-1427 visant à réduire de moitié la dépense supplémentaire résultant pour les établissements de la non compensation intégrale par l'État de l'augmentation du taux de cotisation au CAS « Pensions ».
Des orientations budgétaires en contradiction avec les récentes recommandations de la commission sur la stratégie universitaire de l'État
Les orientations retenues sur le programme 150 sont en contradiction avec les préconisations adoptées par la commission au terme des travaux de Laurence Garnier et Pierre Antoine Levi sur la stratégie universitaire de l'État.
Tout en affirmant la nécessité pour les opérateurs du programme de contribuer au redressement des finances publiques, et en relevant que le soutien financier de l'État aux établissements est en hausse sur la dernière décennie, ces travaux pointent les insuffisances cumulées du processus d'allocation de la SCSP. En l'absence de modèle de répartition, il caractérise par son illisibilité et son opacité ; opéré sur la base d'équilibres historiques, il aboutit à de fortes disparités dans le financement d'établissements comparables. La non compensation répétée des dépenses nouvelles décidées par l'État a par ailleurs un effet déstabilisateur sur les budgets des établissements.
Soulignant la fragilisation financière de ces établissements et l'existence d'un climat de défiance avec l'État, la commission a par ailleurs considéré que les conditions d'une mobilisation accrue de leur trésorerie n'étaient pas réunies.
Elle a recommandé un renforcement de la transparence et de la prévisibilité de l'allocation des moyens, notamment par la prise en charge par l'État des mesures salariales nationales. Elle a également préconisé l'ouverture d'une réflexion sur un rehaussement national des droits d'inscription, de manière progressive avec les revenus, en coordination avec une réforme des bourses, et sans réduire le financement de l'État.
2. Des évolutions encore embryonnaires de la structure des ressources des établissements
a) Un déploiement des Comp à 100 % marqué par plusieurs inconnues
L'année 2026 marquera l'entrée en vigueur des premiers Comp à 100 % dans les dix universités préfiguratrices, puis leur généralisation à l'ensemble des établissements. Outre les 44,5 millions d'euros prévus sur l'enveloppe de la LPR, l'action 15 « Pilotage et support du programme » intègre 56 millions d'euros de moyens nouveaux (+ 3 %) destinés à renforcer les effectifs des rectorats.
Le rapporteur estime que la passation de contrats portant sur l'ensemble du modèle économique des établissements est intéressante en ce qu'elle pourrait permettre de procéder enfin à l'indispensable remise à plat du modèle d'allocation des moyens aux établissements.
Les éléments fournis par le gouvernement laissent cependant penser que les orientations prises ne permettront pas d'avancer dans cette direction. Le MESR entretient en effet une certaine confusion quant à l'objectif poursuivi, évoquant à la fois la contractualisation « au premier euro » et portant « sur l'ensemble de la stratégie » des établissements. Il paraît désormais clair que la base de départ des discussions demeurera la SCSP historiquement construite.
Le rapporteur relève toutefois avec satisfaction que, conformément aux recommandations de la commission des finances du Sénat dans son rapport de juin 2025 sur le financement à la performance des établissements, les indicateurs associés aux Comp, actuellement trop nombreux pour être opérants, font l'objet d'un travail de redéfinition et d'harmonisation visant à parvenir à une dizaine d'indicateurs partagés.
b) Une indispensable augmentation des droits d'inscription, sous certaines conditions
Dans le contexte budgétaire, la situation financière des établissements, conjuguée à l'ampleur des défis à relever, notamment en matière immobilière, appelle un renforcement de leurs ressources propres. La commission des finances du Sénat a adopté un amendement visant à augmenter les droits d'inscription perçus par les établissements, en affirmant dans la loi le principe de leur progressivité avec les revenus des familles et en renvoyant la fixation de leur montant au décret.
Le rapporteur souscrit à cette orientation : le montant des droits d'inscription, qui ne représente que 2,7 % des ressources moyennes des établissements, est sans rapport avec le coût réel de la formation universitaire, est susceptible d'exercer un « signal prix » négatif, et ne permet pas de corriger les inégalités socio-économiques dans le parcours universitaire.
Il estime cependant que leur augmentation ne peut être décidée dans la précipitation. Elle suppose la réunion de plusieurs conditions, parmi lesquelles la mise en oeuvre de la seconde phase de la réforme des bourses et son application sous la forme de recettes additionnelles pour les établissements, sans remise en cause du montant actuel de leur SCSP.
Il rappelle par ailleurs que les établissements disposent déjà de plusieurs leviers susceptibles d'être mieux mobilisés pour augmenter leurs ressources issues des droits d'inscription :
- la modulation à la hausse les droits d'inscription des étudiants extracommunautaires, afin de recentrer les exonérations sur les profils qui en ont le plus besoin ou correspondant aux priorités stratégiques du programme « Bienvenue en France ». En 2023, 92 % des 103 200 étudiants éligibles se sont vu appliquer une exonération totale ou partielle de ces droits ;
- le développement des diplômes d'établissements, dont la mise en place est prévue par l'article L. 613-2 du code de l'éducation, et pour lesquels les établissements ont la possibilité de fixer librement les droits correspondants (CE 19 mars 2001, req. n° 192 203). Si la Dgesip ne dispose pas d'indicateurs relatifs au nombre de diplômes ainsi mis en place, ni au nombre d'étudiants concernés, elle indique que le montant des droits perçus dans ce cadre a augmenté de 16,5 % entre 2022 et 2024, passant de 705 à 821 millions d'euros.
Le rapporteur estime que la situation financière des établissements, conjuguée à l'ampleur des défis à relever, requiert la mobilisation de nouvelles ressources, parmi lesquelles l'augmentation des droits d'inscription universitaires.
Cette augmentation ne peut se faire dans la précipitation. Elle doit être associée à la seconde phase de la réforme des bourses, et doit être calibrée de manière à permettre aux établissements de dégager des ressources additionnelles, sans recul de la SCSP.
Les établissements doivent dès aujourd'hui mieux appliquer la modulation tarifaire pour les étudiants extracommunautaires.
