III. UN INDISPENSABLE RÉGULATION PAR LA QUALITÉ DE TOUTES LES FORMATIONS BÉNÉFICIANT DE FINANCEMENTS PUBLICS

A. LE SYSTÈME ACTUEL ASSOCIE UNE SURRÉGULATION DES ÉTABLISSEMENTS PRIVÉS D'INTÉRÊT GÉNÉRAL À UNE ABSENCE DE CONTRÔLE DU PRIVÉ LUCRATIF

1. La spectaculaire croissance de l'apprentissage bénéficie sans contrôle aux établissements privés à but lucratif

Le nombre d'apprentis dans l'enseignement supérieur a connu une croissance spectaculaire depuis la réforme de 2018, passant de 180 000 en 2018 à 635 925 en 2023 - soit une croissance de 253 % en cinq ans. Selon la revue des dépenses publiques d'apprentissage et de formation professionnelle réalisée en mars 2024 par l'inspection générale des finances (IGF) et l'inspection générale des affaires sociales (Igas), cette croissance est principalement portée par les écoles de commerce et les « autres formations privées », dont le nombre d'apprentis a respectivement augmenté de 112 % et de 141 % entre 2020 et 2022 (contre 21 % dans les écoles d'ingénieur).

Cette évolution a donné lieu à une dépense publique de 6,5 milliards d'euros entre 2020 et 2023.

Quelques ajustements ont été opérés ces dernières années sur les aides publiques à l'apprentissage. Ils portent principalement sur les niveaux de prise en charge (NPEC) des contrats, qui fondent le financement par les opérateurs de compétences (Opco) des établissements ayant le statut de centre de formation des apprentis (CFA). Après une réduction de 10 % des NPEC et leur plafonnement en 2024, l'article 192 de la loi de finances pour 2025 a prévu, à compter du 1er juillet 2025, une participation obligatoire de l'employeur au NPEC, à hauteur de 750 euros pour tout recrutement d'apprenti en master ou en doctorat. Les effets de ces évolutions sont encore limités : la Dgesip observe une diminution de 7 à 14 % du nombre de contrats signés en 2025. Ils devraient être plus marqués en 2026, le ministère comme les établissements anticipant le désengagement de certaines entreprises ainsi que des négociations plus importantes sur les niveaux de prise en charge.

Ces mesures d'économie, qui touchent les établissements de manière indistincte, ne permettent pas de répondre aux enjeux du secteur de l'enseignement supérieur. Alors que l'apprentissage constitue une modalité décisive de la poursuite d'un parcours de formation, notamment pour les étudiants les plus modestes, la régulation des financements associés doit permettre de les flécher vers les formations de qualité.

L'actuel cadre de contrôle des formations en apprentissage apparaît à ce titre insuffisant. Si le principe d'un contrôle pédagogique est prévu par l'article L. 6211-2 du code du travail, il s'applique uniquement aux formations conduisant à l'obtention d'un diplôme, et non à une certification professionnelle inscrite aux répertoires nationaux (RNCP). L'encadrement réglementaire est par ailleurs centré sur la lutte contre la fraude :

- la charte pour un accompagnement responsable et de qualité des apprentis des établissements d'enseignement supérieur, publiée en 2023 par le MESR, a défini une liste d'engagements des acteurs de l'apprentissage ;

- un décret n° 2025-500 du 6 juin 2025 a durci les conditions d'enregistrement des certifications RNCP ainsi que les exigences pédagogiques applicables aux organismes de formation. Des pouvoirs renforcés de contrôle et de sanction ont par ailleurs été confiés à France compétences ;

- le plan interministériel sur l'amélioration de la qualité, le contrôle et la lutte contre la fraude dans la formation professionnelle du 24 juillet 202 donne notamment lieu à une intensification des contrôles menés par les rectorats sur les formations préparant au BTS ;

- une réflexion associant le MESRE et le ministère du Travail est enfin en cours pour renforcer le versant pédagogique de la certification Qualiopi, sans résultat concret à ce jour.

Ces mesures ne suffisent pas à limiter le développement d'établissements privés à vocation commerciale, dont le modèle de formation repose souvent sur la délivrance de titres RNCP plutôt que de diplômes nationaux, et le modèle économique sur la captation des financements publics de l'apprentissage. Ces fonds sont ainsi dévoyés au profit d'établissements à l'environnement pédagogique très insuffisant, associant un faible taux d'enseignants permanents à une proportion importante de cours à distance, et aux pratiques commerciales trompeuses.

2. L'enseignement privé de qualité est soumis à de fortes contraintes pour des contreparties limitées

Cette insuffisance de régulation tranche avec le traitement des établissements privés délivrant des diplômes nationaux, qui rencontrent des difficultés nouvelles. Alors que la concurrence s'accroît au sein d'une offre devenue pléthorique, y compris à l'étranger, certains établissements peinent désormais à remplir leurs capacités d'accueil, alors que l'inflexion de la démographie étudiante ne se fait pas encore sentir.

Évolution de la démographie étudiante :
la croissance se poursuit, une stagnation attendue à partir de 2028

À la rentrée 2024, 3 012 800 étudiants étaient inscrits dans un établissement d'enseignement supérieur (+ 1,4 % par rapport à 2023). Selon la Dgesip, cette progression (+ 47 700 étudiants) est portée par l'augmentation du nombre de bacheliers et par une nouvelle hausse du taux de poursuite d'études, en particulier en STS, CPGE et master. La procédure Parcoursup 2025 a accueilli un nombre record de candidats, en particulier des lycéens professionnels (+ 11 %) ou étudiants en réorientation (+ 8,3 %).

À court terme, ces dynamiques se prolongeraient, avant une atténuation progressive du rythme de croissance des effectifs à partir de 2025, pour atteindre un palier autour de 3,1 millions d'étudiants en 2028. Au-delà, les projections suggèrent une stagnation, voire une légère baisse des effectifs, sous l'effet d'une diminution du nombre de bacheliers du fait de la démographie.

Le nombre d'étudiants inscrits dans un parcours universitaire devrait être stable durant les trois prochaines rentrées, après une faible hausse pour l'année universitaire 2025-2026 (+ 0,5 %).

Les acteurs de l'enseignement privé entendus attribuent ce phénomène à la concurrence des « officines », qui ne sont pas soumises aux contraintes des établissements délivrant des diplômes nationaux et accessibles via Parcoursup. Les établissements les plus pénalisés sont ceux du « milieu du tableau », qui ne recrutent pas au niveau d'excellence des grandes écoles et dont le modèle économique est contraint par ces exigences de qualité. Le parcours d'accréditation nécessaire à la mise en place d'un diplôme, ainsi que la nécessité de disposer d'une équipe pédagogique permanente, les rend en particulier moins agiles.

Dans ce contexte, certains d'entre eux choisissent de cesser la délivrance de diplômes nationaux pour se tourner vers les titres RNCP, tandis que la présence sur Parcoursup peut être perçue comme un désavantage concurrentiel face à des formations fondant un argumentaire commercial sur l'évitement de la plateforme.

Le statut d'établissement d'enseignement supérieur d'intérêt général (Eespig), qui associe de fortes contraintes de fonctionnement à des contreparties de plus en plus faibles, tend parallèlement perdre en attractivité. Outre que la dotation par étudiant qui leur est allouée a fortement baissé au cours des dernières années (- 28 % entre 2014 et 2024), ces établissements, qui concourent pourtant au service public de l'enseignement supérieur, ne bénéficient pas de la possibilité d'accueillir des boursiers sur critères sociaux, ni des aides à la mobilité internationale. Des écoles envisagent d'abandonner ce statut pour s'adosser à des groupements privés lucratifs.

La recomposition en cours du paysage de l'enseignement supérieur ne pourra être analysée que lorsque les insuffisances des formations assurées par les établissements privés lucratifs auront produit leurs effets sur quelques cohortes d'étudiants. Cette évolution n'en reste pas moins inquiétante non seulement pour le devenir professionnel des étudiants, mais aussi du point de vue de la nécessité de conserver une offre de formation de bon niveau technique pour répondre aux besoins de notre souveraineté industrielle. Les possibles conséquences de ces évolutions sur l'ensemble de l'écosystème de l'enseignement supérieur, à commencer par les classes préparatoires, devront par ailleurs être surveillées.

Ces différents enjeux devront être pris en compte lors de l'examen du projet de loi relatif à la régulation de l'enseignement supérieur privé. Le rapporteur estime que le fléchage des financements de l'apprentissage constitue le premier levier à mobiliser.

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