EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 26 NOVEMBRE 2025

Mme Cécile Cukierman, rapporteure pour avis de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ». - La mission « Administration générale et territoriale de l'État » présente une évolution budgétaire en apparence favorable pour l'année 2026. Les autorisations d'engagement (AE) progressent de 7 % et les crédits de paiement (CP) de 3,4 %. De prime abord, cette progression pourrait laisser croire à un renforcement de l'action de l'État dans les territoires. Toutefois, elle est absorbée pour l'essentiel par les échéances électorales de 2026, qui concentrent à elles seules près de 60 % de la hausse des dépenses. La croissance est donc plus conjoncturelle que structurelle.

Le programme 232 « Vie politique » voit ainsi ses crédits tripler pour permettre l'organisation des élections municipales et sénatoriales. Le coût moyen du scrutin par électeur est lui aussi en hausse : il atteindra 4 euros pour les municipales alors qu'il s'élevait à 3,35 euros en 2020. Cette augmentation tient pour l'essentiel à la flambée des tarifs postaux, qui ont progressé de 90 % en six ans. En 2026, la propagande électorale constituera donc le premier poste de dépenses des élections municipales, concentrant 52 % des coûts.

Concernant le reste des dépenses, je souhaite attirer votre attention sur les frais d'assemblée électorale versés aux communes, qui ne couvrent que 6 % du total des dépenses effectives. Je le déplore une nouvelle fois : aucune initiative n'a été prise pour réexaminer les barèmes applicables depuis 2006. Ces montants sont désormais déconnectés des dépenses réellement supportées par les communes. J'invite donc le ministère à engager une évaluation précise de ces coûts.

Le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » continue de constituer la variable d'ajustement interne du ministère. Les écarts avec la trajectoire de la loi du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) se creusent. Ainsi, en 2026, le montant des CP est 17 % en deçà des prévisions, ce qui confirme un décrochage déjà observé les années précédentes. Cette dynamique se traduit notamment par une contraction de 21 % des dépenses d'intervention, en particulier dans le domaine de la vidéoprotection.

Le programme 354 « Administration territoriale de l'État » (ATE), coeur opérationnel de la mission, connaît cette année une progression modérée de ses crédits, de l'ordre de 2,4 %. Cette évolution résulte principalement d'une augmentation des dépenses d'investissement destinée à répondre à l'obsolescence du parc informatique.

Concernant les moyens humains, une vigilance particulière demeure nécessaire. Après une décennie de contraction ayant conduit à une diminution de 14 % des effectifs, la dynamique de redressement amorcée en 2023 se confirme, avec la création de 50 emplois supplémentaires en 2026. Si cette évolution va dans le bon sens, elle s'inscrit plutôt dans une logique réparatrice. En effet, elle vise à combler les fragilités accumulées, tant bien que mal et de façon limitée, plutôt qu'à impulser un mouvement de renforcement en profondeur de l'action territoriale, comme le laisse entendre le discours ministériel. Pourtant, les besoins sont urgents, notamment dans les services dédiés aux étrangers, où les délais de traitement des demandes de titres de séjour ont augmenté de 27 % en un an.

L'exercice 2025 l'a démontré avec force : le schéma d'emploi, fixé à zéro, n'a pu résister à la pression des besoins opérationnels. Face à la situation critique de certains services, 101 équivalents temps plein (ETP) ont dû être réaffectés en urgence, au détriment d'autres programmes. Une telle gestion, purement réactive, ne peut constituer une stratégie durable pour l'État territorial.

La question de l'attractivité de l'administration déconcentrée demeure également préoccupante. Ainsi, trois quarts des préfectures présentent un taux de vacance de postes supérieur à 3 %. De plus, l'emploi se précarise : le recours aux contractuels atteint désormais 16 % des effectifs de l'ATE. Ce pourcentage est particulièrement élevé dans les services dédiés aux étrangers, où il atteint 39 %, et dans les centres d'expertise et de ressources des titres (CERT), où il est de 26 %. Ce phénomène traduit à la fois la contrainte du schéma d'emploi et des conditions de travail dégradées, qui ont des conséquences sur l'attractivité des postes.

Ces constats sont largement partagés par les représentants des organisations syndicales et du corps préfectoral que j'ai pu entendre. Certains préfets ont décrit une dégradation progressive des moyens matériels,
qu'il s'agisse des équipements informatiques ou de l'action sociale, allant jusqu'à évoquer une « paupérisation » des services déconcentrés.

Cette réalité matérielle s'accompagne d'un malaise diffus parmi les agents. Selon le baromètre social 2024 de l'ATE, l'état d'esprit des agents obtient une note moyenne de 5,9 sur 10, contre 6,6 sur 10 dans l'ensemble de la fonction publique. À cela s'ajoute une inflation normative soutenue, parfois accompagnée d'injonctions contradictoires. Ainsi, une attachée d'administration en préfecture, entendue en tant que représentante syndicale, expliquait que les agents de son service ont été fortement mobilisés pour inciter les communes à déposer des dossiers au titre du fonds vert, avant que la mesure ne soit finalement abandonnée.

C'est dans ce contexte que j'ai souhaité consacrer une partie de mes travaux à l'examen du bilan des secrétariats généraux communs départementaux (SGCD). Pour rappel, ces structures ont été conçues afin de mutualiser les fonctions support des préfectures et des directions départementales interministérielles (DDI).

Leur mise en place, intervenue en 2021, s'est déroulée selon un calendrier particulièrement contraint. Un an plus tard, le bilan était sans ambiguïté : 14 % de postes vacants, une performance en recul soulignée par plusieurs rapports d'inspection et des équipes profondément déstabilisées. Cependant, près de cinq ans après leur création, on commence à observer une forme de stabilisation : le taux de vacance est repassé sous la barre des 5 % et la technicité des équipes progresse.

Ces évolutions constituent de réels signaux positifs, mais ne sauraient masquer les fragilités persistantes, notamment dans le domaine des ressources humaines. En la matière, la convergence dans le domaine de la gestion, qui doit s'opérer entre les cinq ministères concernés, reste largement inaboutie. À titre d'exemple, les agents des SGCD doivent composer avec cinq systèmes d'information différents. Une interface commune est attendue de longue date pour simplifier la collecte de données ; elle ne sera pleinement opérationnelle qu'à la fin de l'année 2025, voire au début de l'année suivante.

Ces limites de gestion se doublent d'un enjeu de proximité, plus humain encore. Beaucoup d'agents des DDI ont vu disparaître leurs interlocuteurs du quotidien, dont 70 % sont désormais installés dans les bâtiments des préfectures, loin des métiers qu'ils sont censés soutenir. Dans ce contexte, une meilleure identification des interlocuteurs et une présence régulière de ces derniers sur l'ensemble des sites semblent encore nécessaires.

En définitive, si le schéma d'emplois demeure le pivot du renforcement de l'ATE, il faut aussi mener une réflexion plus large en matière de moyens humains. Un renforcement pleinement abouti de l'ATE suppose un effort de consolidation des compétences des agents, afin de conforter leur expertise, de renforcer l'attractivité des postes et de stabiliser les équipes. Or la formation continue, qui devrait être un levier majeur, demeure largement sous-dimensionnée.

Certes, le projet de loi de finances (PLF) pour 2026 prévoit une hausse de près de 5 % des crédits destinés à la formation des agents du ministère et de l'ATE, ce qui peut sembler encourageant à première vue. Cependant, il s'agit en réalité d'un simple ajustement technique destiné à absorber la hausse des coûts logistiques. Cette progression ne répond en rien à la contraction d'un tiers du nombre de journées de formation depuis 2024. C'est pourquoi un effort doit être entrepris afin de renforcer l'offre de formation, laquelle doit dépasser l'unique accompagnement des prises de poste, pour redevenir un véritable outil de professionnalisation et de sécurisation des parcours des agents de l'État territorial.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, les moyens prévus pour 2026 restent trop limités au regard des fragilités de l'ATE. Néanmoins, dans un contexte budgétaire particulièrement contraint, il convient de souligner l'effort engagé pour maintenir une trajectoire ascendante des crédits et un schéma d'emploi positif. À titre personnel, j'aurais émis un avis de sagesse sur l'adoption des crédits. Cependant, sachant que la majorité d'entre vous soutient cette adoption, je propose d'émettre un avis favorable, avec la prudence et la réserve qui s'imposent. Nous savons combien l'ATE est indispensable dans nos départements.

M. Éric Kerrouche. - Effectivement, le réarmement de la mission reste fragile, les moyens budgétaires demeurant insuffisants. La prévention de la délinquance est relativement désarmée, les missions de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) sont sous-financées à moyen terme et la contractualisation comme l'externalisation rampantes de certaines missions fragilisent leur santé financière et opérationnelle.

L'augmentation des effectifs du programme 354 ne comble pas les déficits cumulés sur dix ans et répare à peine des situations difficiles. De plus, de nouvelles difficultés se précisent pour les services des étrangers, puisque la condition de maîtrise de la langue française pour l'obtention de la carte de séjour entrera en vigueur en janvier 2026. Le budget de l'ANTS est, quant à lui, confronté à un problème de soutenabilité.

Concernant le programme « Vie politique », les dépenses liées à l'organisation des élections municipales et sénatoriales sont en hausse et le coût de la propagande explose. Je le rappelle : le remboursement de l'État se fait sur la base de 44,73 euros par bureau de vote et de 0,10 euro par électeur inscrit. Ces sommes n'ayant pas été révisées depuis 2006, seulement 15 % des dépenses liées aux élections sont remboursées aux communes.

Pour tenir compte à la fois de la situation budgétaire dans laquelle nous nous trouvons et du réarmement seulement palliatif du programme 354, notre groupe s'abstiendra.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

Partager cette page