B. L'INQUIÉTANT SENTIMENT DE DÉLAISSEMENT DES AGENTS ET DES ASSOCIATIONS
Sans surprise, la situation dégradée de la PJJ a des conséquences directes sur le climat social. Dans le secteur public comme dans le secteur associatif habilité (SAH), le désespoir des personnels est alarmant. L'insuffisance des moyens matériels et humains est à l'évidence au coeur de cette crise profonde et, désormais, patente ; mais à ces facteurs, déjà commentés, s'ajoutent des difficultés spécifiques à chaque secteur.
S'agissant du secteur public, les agents ont le sentiment de n'être ni associés sur les réflexions en cours, ni même véritablement consultés sur les réformes menées par leur administration. En témoigne notamment la tardiveté de l'évaluation de l'impact du code de la justice pénale des mineurs (CJPM) sur les missions de milieu ouvert, pourtant réclamée de longue date par les personnels. Les résultats de cette évaluation, menée sous l'appellation « Repenser le milieu ouvert », n'ont pas donné lieu à des avancées tangibles : tout au plus cette initiative est-elle venue confirmer l'« accroissement de la charge de travail des professionnels en milieu ouvert »9(*), sans que le ministère aille au-delà de l'annonce d'un « travail », dont la nature n'est pas précisée, en 2026.
La profondeur de la crise du secteur public est également attestée par les difficultés rencontrées en matière de recrutement. Les postes d'éducateurs offerts au concours, dont le volume est pourtant relativement stable (autour de 130 à 150 postes par an), ne peuvent plus être pourvus depuis 2023, faute de candidats : selon l'école nationale de la PJJ (ENPJJ), seuls 101 postes sur 150 ont pu être pourvus en 2023, et 111 sur 157 en 2024.
S'agissant du SAH, d'autres difficultés sont apparues ou se sont aggravées au cours de l'année 2025.
La première tient à l'absence de prise en compte du secteur dans les réflexions structurantes menées par la DPJJ. C'est ainsi, à titre d'illustration, que les fédérations associatives n'ont pas été associées à l'initiative précitée « Repenser le milieu ouvert » alors même qu'au 1er juillet 2025, le SAH assurait la gestion de 102 services territoriaux éducatifs de milieu ouvert, eux-mêmes en charge d'environ 400 établissements et structures sur l'ensemble du territoire. Le SAH n'est pas davantage entendu en matière de ressources humaines, y compris lorsque ses demandes visent à limiter des surcoûts évitables et à éviter les ruptures de suivi : en témoigne le refus de l'administration de prévoir des crédits dédiés à la création de « pôles de remplacement » visant à pallier l'absence momentanée des éducateurs pour privilégier le recours à l'intérim, désormais intégré au budget primitif comme une dépense prévisible.
La seconde difficulté concerne la déclinaison territoriale de la charte d'engagements mutuels qui lie le SAH à la PJJ et constitue le document de référence grâce auquel doit être assurée la complémentarité entre les associations et le secteur public. Les auditions de la rapporteure ont montré qu'en dépit de la qualité du dialogue mené à l'échelle nationale, les relations entre les secteurs dans certaines directions interrégionales (DIR) étaient empreintes de défiance et de rivalité, au préjudice des mineurs suivis. Les associations entendues ont ainsi donné des exemples d'ordonnances non transmises dans les temps, de rendez-vous communs non tenus ou inexistants, ou encore de blocages institutionnels au niveau des services ou des directions territoriales. De manière préoccupante, il apparaît que les services de plusieurs DIR ont pu reprocher à des associations d'avoir émis des signalements auprès de leur fédération, ces alertes ayant ensuite été transmises à la DPJJ : une telle situation ne saurait se justifier.
Enfin, et même si ces chiffres doivent être pris avec prudence tant les coûts de prise en charge peuvent varier en fonction de la nature de mesure mise en oeuvre et du profil des mineurs délinquants, une comparaison sur dix ans fait apparaître un traitement financier divergent entre le SAH et le service public, au détriment du premier : non seulement le ratio entre les crédits alloués et le nombre de jeunes suivis montre que les montants accordés au service public sont structurellement plus importants que pour le SAH, mais surtout la différence entre les ratios se creuse de manière préoccupante depuis trois ans.
La rapporteure appelle le ministère à analyser ces chiffres pour mettre au jour les éventuels facteurs objectifs qui expliquent cette divergence et, dans un second temps, à examiner les voies et moyens d'une réévaluation à la hausse des crédits accordés au SAH.
La crise de la PJJ est, enfin, aggravée dans les deux secteurs par un facteur commun : l'insuffisance des moyens, qui n'ont pas augmenté à due concurrence des besoins, n'a pas été compensée par un assouplissement de la prise en charge des mineurs délinquants. En particulier :
- la priorité n'a pas été donnée au développement des solutions de placement les moins onéreuses, venant « tasser » les moyens au profit des centres éducatifs fermés : ce point fera l'objet de développements dédiés10(*) ;
- l'action des éducateurs n'a pas été modulée en fonction des profils des mineurs : c'est ainsi que, comme le relève l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, l'obligation faite aux éducateurs de conduire des mesures d'investigation pour évaluer la situation de tous les mineurs délinquants doit s'accompagner soit de moyens complémentaires pour permettre aux agents de faire face aux flux, soit de consignes claires les autorisant à adapter l'intensité des investigations aux facteurs de risque que présente chaque mineur ;
- enfin et surtout, la « rénovation des pratiques professionnelles des éducateurs », sur laquelle le ministère annonce que des réflexions sont en cours pour la troisième année consécutive sans avancer aucune piste concrète en la matière, demeure à l'état gazeux11(*). Or, et comme le relevait la rapporteure dans son précédent avis budgétaire, aucune solution pérenne à la crise de la PJJ ne pourra être trouvée sans simplification du travail des éducateurs et sans efforts des magistrats pour tenir compte des contraintes induites par le nouveau code pour la PJJ, par exemple en regroupant plus fréquemment les dossiers pour concentrer dans le temps la présence des éducateurs dans les juridictions.
* 9 Projet annuel de performances pour le programme 182, projet de loi de finances pour 2026.
* 10 Voir infra, partie II.
* 11 Le projet annuel de performances (PAP) pour 2026 indique à cet égard qu'« Un bilan de la réforme [i.e. la mise en place du code de la justice pénale des mineurs] a été réalisé en 2023. S'il est globalement positif, une évolution des pratiques professionnelles reste d'actualité ». Le PAP pour 2024 indiquait déjà que les objectifs poursuivis par la réforme « dépend[ai]ent [des] pratiques professionnelles » des éducateurs et que la DPJJ comptait en tirer des conséquences sur l'organisation des services.
