II. L'INSUFFISANTE DIVERSIFICATION DES PARCOURS, OBSTACLE À UNE PRISE EN CHARGE ADAPTÉE DES MINEURS DÉLINQUANTS

Comme l'ont démontré les récents travaux de la commission des lois sur l'exécution des peines12(*), l'individualisation des parcours de peine est au coeur de l'efficacité de la lutte contre la récidive. Cet objectif n'est, de toute évidence, pas atteint pour les mineurs délinquants, soumis à des sanctions de plus en plus standardisées.

Dans un contexte où le nombre de places dans les structures de placement est largement insuffisant, ainsi que l'ont relevé non seulement les représentants des magistrats et des éducateurs mais aussi l'administration centrale elle-même, la nécessaire augmentation des capacités d'accueil des mineurs suppose que soit conduite une réflexion sur la diversification des prises en charge.

A. L'EFFET (PERSISTANT) D'ÉVICTION DES CEF SUR LES AUTRES FORMES DE PLACEMENT

De longue date et dans des cadres variés, la commission des lois a documenté l'effet d'éviction exercé par les centres éducatifs fermés (CEF) sur les autres formes de placement : théoriquement réservés aux mineurs multi-délinquants ou ayant commis des infractions d'une particulière gravité, les 57 centres existants (19 gérés par le secteur public et 38 par le SAH) sont en effet devenus une solution de placement par défaut.

Les travaux menés par la rapporteure montrent que ce phénomène s'inscrit désormais dans le temps long et que l'augmentation du nombre de places en CEF a de facto cannibalisé les autres offres de placement. Ce constat est désormais consensuel, l'IGJ elle-même pointant, dans son rapport sur la lutte contre la délinquance des mineurs, que « les créations de places en centre éducatif fermé sur la période 2010-2024 (+ 117) n'ont pas compensé la disparition des places en hébergement collectif (-238), qui font défaut aujourd'hui ». Cette insuffisance fait de la recherche d'un lieu d'accueil un véritable « parcours du combattant » pour les magistrats. De la même manière, les fédérations du Uniopss et Citoyens & justice ont mis en évidence, dans le SAH, une baisse du nombre des journées en établissements disposant d'une habilitation conjointe de la PJJ et de l'aide sociale à l'enfance (ASE) à due concurrence de l'augmentation des journées de placement en CEF (+ 7 307 journées dans les CEF et - 7 914 journées dans les établissements conjoints entre 2023 et 2024)13(*).

Cet effet d'éviction ne serait pas critiquable s'il s'opérait au profit des mineurs délinquants, grâce à une prise en charge plus « contenante » et donc plus efficace ; il faut cependant craindre qu'il se produise au détriment de leur réinsertion. Selon des statistiques rappelées par la mission d'information du Sénat sur l'exécution des peines14(*), les placements en CEF sont un facteur qui aggrave le risque de récidive dès lors que leur durée est inférieure à quatre mois. Or, on observe une baisse continue de la durée moyenne de placement depuis plusieurs années : au premier semestre 2025, cette durée s'établit à 3,8 mois, passant sous le « seuil » de prévention de la récidive ; en 2024, près de la moitié des placements ont même duré moins de trois mois.

Les éléments recueillis par la rapporteure démontrent, par ailleurs, que la DPJJ ne dispose pas des moyens techniques requis pour analyser le profil des mineurs placés en CEF. L'administration indique ainsi que la nature de l'affaire ayant justifié le placement n'est « pas renseignée dans trois quarts des cas » et qu'il est impossible, en l'état des applicatifs informatiques, d'isoler la proportion de mineurs primo-délinquants.

Ce diagnostic est largement partagé. La Cour des comptes a rendu public, en 2023, un rapport sévère sur les CEF et leur fonctionnement15(*). Non moins rigoureux est le rapport publié en 2025 par la mission thématique de l'IGJ consacrée à ces centres16(*), qui pointe de réelles lacunes en matière de ressources humaines (recours fréquent et non encadré à l'intérim du fait d'un fort taux d'absentéisme des agents), une sous-évaluation de la charge de travail des éducateurs et, surtout, l'existence de défaillances dans le suivi, notamment scolaire et médical, des mineurs placés.

Malgré le bilan a minima mitigé des CEF, et en dépit de l'absence d'évaluation préalable de l'offre existante de placements et des besoins réels de chaque territoire, le PLF pour 2026 prévoit de poursuivre le plan de construction de 22 nouveaux CEF, lancé en 2019 et depuis lors confronté à de lourdes difficultés financières et opérationnelles.

Point d'étape sur le programme de construction de nouveaux CEF

À la fin de l'année 2025, sept établissements seront déjà livrés et en fonctionnement, deux dans le SP, à Bergerac (24) et Rochefort (17) et 5 dans le secteur associatif habilité (SAH) à Épernay (51), Saint Nazaire (44), Montsinéry-Tonnegrande (973), Le Vernet (09) et Aiglun (04).

Un CEF associatif sera livré et entrera en fonctionnement au premier trimestre à Amillis (77).

Le chantier de construction d'un CEF associatif à Bléré (37), démarré en août 2025, se poursuivra en vue d'une livraison en 2027.

Quatre nouveaux établissements entreront en construction en 2026, à Liancourt (60) et à Lure (70) pour le SP et à Varennes-le-Grand (71) et Villeneuve-Loubet (06) pour le secteur associatif.

Enfin, un dernier projet de CEF associatif à Bellengreville (14) fait actuellement l'objet de discussions et d'études en vue de déposer une nouvelle demande de permis de construire répondant aux exigences de l'Architecte des Bâtiments de France (ABF). Un démarrage du chantier au second semestre 2026 est envisageable.

À ce jour, les prospections foncières se poursuivent pour les autres projets de CEF. [...]

Pour les projets en cours, précédemment mentionnés et actuellement en phase d'étude de conception, la DPJJ dispose d'ores et déjà d'une visibilité sur les coûts des emprises (acquisitions et contraintes d'aménagement) et a fixé un objectif de coût plafond à 7 M€.

Source : ministère de la justice.

Ce plan pourrait toutefois être remis en question, le Gouvernement paraissant avoir pris conscience qu'il est périlleux de construire de nouveaux CEF tant que les problèmes de fonctionnement des centres existants n'auront pas été résolus et, plus largement, tant que l'intérêt pour les mineurs délinquants de tels centres ne sera pas solidement établi. Au cours de son audition, le ministre de la justice Gérald Darmanin s'est ainsi déclaré « dubitatif » sur ces centres, affirmant que « la politique des CEF est peu efficace alors qu'elle reçoit beaucoup de moyens » et qu'il serait « favorable [à un] amendement [...] imposant un moratoire sur les CEF » si un tel amendement était déposé.

La rapporteure ne peut que se réjouir de cette prise de conscience, qui ne saurait manquer de se traduire en 2027 au plus tard par un redimensionnement du « plan CEF » ; elle appelle à un redéploiement des moyens financiers ainsi libérés, à court ou à moyen terme, vers l'augmentation du nombre de postes d'éducateurs sur le terrain.


* 12  Rapport d'information n° 2 (2025-2026), « L'exécution à la peine » de Laurence Harribey, Elsa Schalck et Dominique Vérien, déposé le 1er octobre 2025.

* 13 Cette situation est, au surplus, défavorable aux finances publiques, étant souligné qu'une journée en CEF associatif coûte 719 euros, contre 215 euros pour une journée de placement en établissement dit « conjoint ».

* 14 Rapport précité.

* 15 Cour des comptes, rapport sur les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs, octobre 2023.

* 16 Inspection générale de la justice, rapport de la mission d'appui relative à l'amélioration de la justice des mineurs : mieux lutter contre la délinquance, juillet 2025.

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