B. LES LACUNES DANS LA DIVERSIFICATION DES PRISES EN CHARGE DES MINEURS DÉLINQUANTS
L'enjeu des CEF - qui ne concernent que 2,2 % de l'activité globale de la PJJ, selon l'IGJ - n'est cependant que la partie émergée de l'iceberg : plus structurelle est la question de la diversification des solutions de prise en charge des mineurs délinquants.
L'année 2025 et les projections permises par le PLF pour 2026 confirment la tendance, observée depuis plusieurs années, au « tassement » des formes de sanction. Alors que certaines solutions, qui ne conviennent pourtant pas à tous les profils, tendent à se généraliser (CEF et centres éducatifs renforcés - CER), les prises en charge les plus innovantes ou les plus ambitieuses subissent à l'inverse une diminution des crédits qui leur sont consacrés.
Cette évolution va à l'encontre des principes directeurs du code de la justice pénale des mineurs et de l'intention exprimée par le législateur lors de l'adoption de celui-ci. Elle se traduira en particulier, en 2026, par la baisse des places disponibles en médiation et en réparation pénale, et notamment par la fermeture de trois établissements de réparation pénale à Orléans, Poitiers et Boé, « du fait d'une chute d'activité constatée depuis plusieurs années », selon le projet annuel de performance, cette chute étant elle-même liée à un faible taux de prescription des mesures de réparation par les magistrats.
Pour le SAH, la prévision de charges pour 2026 marque une baisse nette des mesures prévues en réparation pénale et en médiation (7 920 mesures, contre 8 614 en 2025). Sur le temps long, la diminution présente un caractère massif : alors que les crédits consacrés à la réparation et à la médiation représentaient plus de 10 % des fonds alloués au SAH par la loi de finances initiale pour 2021, leur poids s'est trouvé divisé par trois depuis lors (3,4 % en 2025 et 3,2 % prévus pour 2026)17(*).
La rapporteure déplore cette situation, l'utilité de la réparation pénale pour les mineurs n'étant plus à démontrer, comme elle l'a constaté à l'occasion d'un déplacement à Saint-Denis en avril 2025.
La réparation pénale pour les
mineurs :
l'exemple de l'association Jean-Coxtet de
Saint-Denis
L'association Jean-Coxtet concentre ses activités en Île-de-France, où elle compte 36 établissements. Ses responsables ont indiqué rencontrer des problèmes considérables de recrutement et de « fidélisation » des équipes, notamment en raison d'une rémunération encadrée par convention et qui ne permet pas de faire face au coût de la vie en région parisienne.
S'agissant de la réparation pénale, la mesure suit un parcours précis, sur une période totale de trois à quatre mois :
- une première rencontre avec le mineur et un responsable légal permet d'identifier le profil, le contexte familial, l'acte commis par le jeune ;
- deux à trois entretiens individuels sont menés pour élaborer le projet de réparation afin de définir l'activité ou l'atelier qui sera réalisé ;
- l'activité de réparation est mise en oeuvre, en interne ou par le biais de tiers extérieurs (via des partenariats avec des associations, collectivités, etc.) ;
- un bilan est établi avec le responsable légal, puis un rapport est rédigé à destination du délégué au procureur (en cas d'alternatives aux poursuites) ou du juge des enfants (en cas de poursuites).
Pour ce qui concerne la mise en oeuvre des mesures de réparation, plusieurs difficultés ont été soulevées par les éducateurs et l'équipe encadrante :
- la brièveté du délai imparti : une période de trois à quatre mois ne peut être efficace qu'en cas d'accroche éducative rapide, alors même qu'il faut parfois plusieurs mois pour édifier un lien de confiance entre l'éducateur et le mineur ;
- la grande difficulté à trouver des partenariats, notamment depuis la pandémie de covid-19 mais aussi, plus récemment, sous l'effet d'une évolution de l'image du mineur délinquant qui effraie les entités extérieures ;
- un trop grand nombre de jeunes par encadrant (30 jeunes par éducateur en moyenne) ;
- des difficultés d'évaluation du dispositif en l'absence de visibilité sur le devenir des mineurs suivis après l'accomplissement de la mesure de réparation.
Source : commission des lois.
La PJJ souffre également de l'absence de « filières » permettant d'adapter la prise en charge au profil des mineurs ayant commis des infractions lourdes : tel est en particulier le cas pour les mineurs auteurs d'infractions à caractère sexuel (MAICS) et pour ceux qui sont impliqués dans des réseaux de narcotrafic, ces deux thèmes ayant fait l'objet de travaux sénatoriaux spécifiques18(*).
Les mineurs auteurs de violences sexuelles, tout d'abord, incarnent un enjeu majeur de politique pénale au vu de leur nombre sans cesse croissant : comme le rappelait la Haute assemblée dans le rapport (précité) de sa mission commune de contrôle sur la prévention de la récidive du viol, environ 25 % des personnes mises en cause pour des infractions sexuelles en 2023 étaient des mineurs, attestant d'une surreprésentation des plus jeunes dans cette forme de délinquance. Ce constat est appuyé par l'IGJ qui, dans son rapport sur la lutte contre la délinquance des mineurs, souligne que « 50,3 % des mineurs mis en cause, sur les quatre premiers mois de 2025, le sont pour des affaires de violences sexuelles, leur nombre est en constante augmentation depuis 2016 ».
La mission du Sénat et l'inspection convergent, de même, pour observer qu'aucune prise en charge adaptée n'est offerte à ces mineurs, en dépit du risque réel de récidive ou de réitération de l'infraction en l'absence de suivi médical pertinent. L'IGJ note ainsi, face à la « massification » des infractions sexuelles commises par des mineurs, que « les réponses spécifiques restent insuffisantes face à l'ampleur de la problématique » : elle recommande dès lors « une prise en charge collective éducative et thérapeutique pour les mineurs auteurs de violences sexuelles », celle-ci faisant aujourd'hui défaut dans les structures où sont généralement placés ou incarcérés les MAICS.
La DPJJ prévoit de « publier début 2026 un guide de prise en charge des mineurs auteurs d'infraction à caractère sexuel afin d'apporter aux professionnels de terrain du SP et du SAH des éléments de connaissance relatifs aux problématiques de ce public et de proposer des modalités de prise en charge et des outils adaptés ». La rapporteure se réjouit de cette première étape. Nécessaire mais non suffisante, cette initiative doit s'accompagner de directives claires et de moyens suffisants pour accompagner les MAICS vers le soin.
Selon la DPJJ, les infractions liées aux stupéfiants étaient en 2024 le deuxième motif de prise en charge des mineurs, derrière les violences. Or, le bilan n'est pas meilleur en matière de narcotrafic et, plus globalement, de criminalité organisée.
Le projet annuel de performances du programme 182 pour 2026 présente, certes, comme premier objectif stratégique de la PJJ la « prioris[ation de] la lutte contre la criminalité organisée et l'emprise des réseaux sur les mineurs » ; cependant, les seules actions citées sont l'organisation d'un colloque à Marseille en juin 2025 ayant abouti à la signature d'un protocole « visant à renforcer la coordination judiciaire et éducative face au développement des recrutements de jeunes vulnérables via les réseaux sociaux ». Pour importante que ce soit la lutte contre l'ubérisation de l'embauche des « petites mains », ce protocole ne saurait constituer à lui seul une politique publique.
Au-delà des éléments qui figurent dans le projet annuel de performances, la rapporteure a recueilli au cours de ses auditions plusieurs informations :
- des CEF ressources « trafic de stupéfiants » vont être identifiés dans chaque DIR afin d'assurer l'éloignement des mineurs les plus impliqués, de les mettre à l'abri des pressions exercées par les réseaux et de garantir une « contenance éducative » renforcée. Des équipes dédiées seront formées à compter de janvier 2026 et apporteront un appui technique aux autres structures ;
- une recherche nationale est en cours pour mieux comprendre les profils et caractéristiques des jeunes concernés, l'évolution du phénomène et ses impacts sur les prises en charge ;
- des expérimentations sont en cours sur des mesures de réparation innovantes destinées aux « guetteurs », notamment à Marseille, et sur un protocole judiciaire et éducatif visant à améliorer la coordination entre les parquets et les services éducatifs pour les jeunes poursuivis dans des territoires éloignés de leur lieu de domiciliation (ce qui est notamment le cas pour les « jobbeurs » recrutés par le biais des réseaux sociaux).
Opportunes, ces initiatives doivent être renforcées et amplifiées afin d'éviter que les mineurs suivis par la PJJ, particulièrement vulnérables, ne soient recrutés ou repris par les réseaux de narcotrafic. L'identification de quelques CEF dans chacune des neuf directions interrégionales risque, en effet, de ne pas être à la hauteur des enjeux, étant rappelé que les centres ont une capacité de douze places et que le nombre de mineurs impliqués dans les trafics est tout aussi important en « stock » qu'en « flux ». La rapporteure appelle ainsi à une sensibilisation de tous les éducateurs19(*) aux caractéristiques des réseaux de criminalité organisée : une telle formation serait à l'évidence d'une grande utilité, la mise en oeuvre de solutions ponctuelles (CEF « fléchés », recrutement de conseillers techniques « narcotrafic » dans les directions territoriales...) n'étant pas susceptible de combler les immenses besoins qui s'expriment sur le terrain.
* 17 Dans le même intervalle, les CEF passaient de 27 à 32 % des crédits du SAH.
* 18 En témoignent les rapports de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France ( n° 588, 2023-2024) et de la mission commune de contrôle sur la prévention de la récidive du viol et des autres agressions sexuelles ( n° 650, 2024-2025), qui comportent tous deux des développements spécifiquement consacrés aux mineurs.
* 19 La DPJJ a annoncé l'organisation de formations portées par l'ENPJJ et ses pôles territoriaux, mais ne semble pas envisager à ce jour d'aller vers la sensibilisation de l'ensemble des personnels au contact des mineurs.