EXAMEN EN COMMISSION

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à l'examen de l'avis de notre collègue Laurence Harribey sur le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » (PJJ) de la mission « Justice »

Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis du programme « Protection judiciaire de la jeunesse ». - Louis Vogel a indiqué lors de l'examen du précédent avis qu'il ne fallait pas désespérer, car notre travail a parfois un impact concret sur le Gouvernement. Notre garde des sceaux vient justement de faire une déclaration qui fait écho à ce que je vais proposer dans mon rapport ; j'y reviendrai.

La vigilance est plus que jamais de mise pour la protection judiciaire de la jeunesse, dont le ministre de la justice a souligné la « détresse » lors de son audition devant notre commission. Le programme « PJJ » peut être considéré comme le parent pauvre de la mission « Justice ». En effet, ses moyens stagnent et seuls 70 postes seront créés en 2026, ce qui est sans commune mesure avec l'évolution à la hausse des moyens dédiés aux autres programmes.

L'avis que je présente reflète cette situation. Cependant, tout en observant l'évidente dégradation des conditions dans lesquelles les mineurs délinquants sont pris en charge, j'ai pu constater qu'il y avait des raisons d'espérer une amélioration dans un avenir proche.

En premier lieu, je voudrais évoquer le climat social de la PJJ, qui est devenu très préoccupant. Les années précédentes, j'avais perçu de la colère chez les personnels du secteur public comme du secteur associatif. Aujourd'hui, ils sont en proie à un profond sentiment d'abattement, qui n'est pas dénué de fondement. Il provient notamment du manque de transparence de l'administration, puisque la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ) refuse de transmettre des éléments factuels de base aux syndicats et aux fédérations associatives. Ce sentiment d'abattement découle aussi et surtout d'une tendance délétère en matière de ressources humaines, puisque les postes créés ont été orientés vers les fonctions de support, au détriment des missions exercées au contact des mineurs.

Pour le seul milieu ouvert, l'inspection générale de la justice (IGJ) estime qu'il manque 322 postes, ce qui est considérable. Plus largement, alors que 600 postes ont été créés au sein de la PJJ depuis 2020, les effectifs des métiers du social, de l'insertion et de l'éducatif ont baissé de 53 équivalents temps plein travaillé (ETPT).

Cette situation est intenable et est de nature à créer une réelle souffrance chez les personnels de la PJJ. Toutefois, il y a des motifs d'optimisme. Ainsi, le nouveau directeur de la PJJ s'est engagé à affecter les 70 postes créés en 2026 au milieu ouvert et à examiner dans l'avenir un redéploiement de certains postes de conseillers techniques vers des missions de terrain, ce que demandent les organisations professionnelles.

En deuxième lieu, je souhaiterais mettre l'accent sur l'insuffisante diversification des parcours offerts aux mineurs délinquants. Nous avions déjà abordé ce sujet dans le cadre de notre mission d'information sur l'exécution des peines et je serai donc brève.

Premièrement, l'année 2025 confirme que les centres éducatifs fermés (CEF) ont un effet d'éviction au détriment des autres formes de placement. Ils ont été pensés pour une catégorie de jeunes délinquants ayant commis des faits plutôt graves et sont devenus une solution de placement par défaut, y compris pour les primo-délinquants. Entre 2023 et 2024, le nombre de journées de placement dans les établissements gérés conjointement par la PJJ et l'aide sociale à l'enfance (ASE) a drastiquement chuté puisqu'on compte près de 8 000 journées de moins, tandis que le nombre de journées passées en CEF augmentait de 7 300. Cette évolution ne se fait pas au profit des mineurs délinquants, puisque les placements en CEF ne sont efficaces que s'ils durent au moins quatre mois, à défaut de quoi ils favorisent la récidive. Or, au premier semestre 2025, la durée moyenne de placement s'établissait à 3,8 mois.

Là encore, l'avenir pourrait laisser espérer des améliorations, et j'en viens à la récente annonce du ministre de la justice, qui semble avoir compris notre message. En effet, après s'être dit « dubitatif » sur leur intérêt lors de son audition, il vient d'annoncer la fermeture des CEF et leur transformation en unités judiciaires à priorité éducative. Cette mesure, qui constitue une bonne nouvelle, prend en considération un certain nombre de rapports, dont ceux de la Cour des comptes, sur lesquels nous nous étions appuyés. Notre travail porte ses fruits et nous semblons nous diriger vers une adaptation des solutions en fonction du profil du mineur délinquant. À cet égard, il ne faut pas se leurrer : si la délinquance des mineurs n'augmente pas, les faits commis connaissent une aggravation et leurs auteurs sont de plus en plus jeunes. Cela ne signifie pas que la justice est laxiste, mais qu'il faut adapter nos outils et développer des approches spécifiques, notamment pour les petites mains du narcotrafic et les infractions à caractère sexuel. Il s'agit de mettre en place des solutions différenciées et des établissements dédiés, un peu comme ce que Louis Vogel a décrit pour les majeurs.

En troisième et dernier lieu, je m'intéresserai à l'évaluation de la performance de la PJJ. En France, nous sommes forts pour bâtir des politiques publiques, mais quasiment nuls pour les évaluer. J'ai beaucoup travaillé avec les Canadiens et nous avons de quoi apprendre en la matière, avant d'inventer des dispositifs nouveaux.

Le projet annuel de performances est marqué par une carence en indicateurs qualitatifs. Pire encore, les explications y sont standardisées. Certaines se répètent d'une année sur l'autre avec une déplaisante régularité, y compris sur certains sujets, pour lesquels les mêmes formules sont reprises pour la troisième année consécutive. J'appelle solennellement le ministère à rectifier le tir. En effet, non seulement les éléments sont imprécis, mais certaines formulations sont carrément trompeuses. Ainsi, on ne fait pas oeuvre de transparence lorsqu'on vante le « dynamisme » du partenariat entre la PJJ et les armées qui, en 2025, a concerné à peine plus de 100 jeunes sur les 150 000 mineurs suivis.

De plus, les indicateurs quantitatifs ne sont pas fiables, en raison notamment des difficultés rencontrées lors de la mise en place du système d'information Parcours. J'ai déjà fait référence l'an dernier au naufrage annoncé de ce déploiement. Les statistiques qu'il produit sont partielles et incorrectes. De plus, son coût atteint désormais la somme pharaonique de 23 millions d'euros alors que nous n'avons accompli que la moitié du processus et que les étapes les plus sensibles restent à venir.

Ce projet doit être suivi non par la DPJJ, mais par le secrétariat général du ministère, qui paraît mieux armé pour remettre le chantier sur les rails. Il me semble que le ministre en convient, puisque cette évolution est cohérente avec la réorganisation du ministère de la justice annoncée lors de son audition. Je me réjouis qu'un audit sur la mise en place de Parcours ait pu être mené par la direction interministérielle du numérique (Dinum) en 2025, qui a émis un avis favorable à la poursuite du projet, en préconisant une supervision renforcée. La DPJJ estime qu'il s'agit là d'une opération de la dernière chance.

Le manque de moyens disponibles sur le terrain nourrit une crise profonde et silencieuse. Les personnels de la PJJ souffrent.

Néanmoins, une prise de conscience se dessine au sein du ministère. Une autre approche émerge, et on le sent autant sur la question de la PJJ que sur celle de l'administration pénitentiaire. Compte tenu de ces perspectives d'avenir, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme. Cependant, je réitère cette mise en garde : la PJJ demeure le parent pauvre de la mission, ce que nous ne pouvons pas nous permettre ; derrière la délinquance des mineurs, il y a la délinquance des majeurs.

Mme Agnès Canayer. - D'abord, je voudrais évoquer la formation des personnels de la PJJ. Ces métiers connaissent des problèmes d'attractivité, souvent parce qu'il y a un décalage entre les formations théoriques et l'expérience quotidienne sur le terrain. La formation pour devenir éducateur compte 170 heures de cours sur la conduite des projets. Ainsi, les éducateurs sont davantage formés à coordonner les projets qu'à accompagner les mineurs.

Ensuite, on constate un problème de coordination entre les actions menées par les éducateurs de la PJJ et ceux de l'ASE. 10 % des jeunes sont accompagnés par les deux, cumulant des vulnérabilités liées à leur environnement familial et à la délinquance. Souvent, faute de temps et de moyens, l'accompagnement est davantage bricolé que coordonné. Nous avons du mal à offrir à ces enfants une véritable seconde chance.

M. Christophe Chaillou. - La PJJ est le parent pauvre de la mission « Justice » et un malaise profond est exprimé par les salariés, les associations et tous ceux qui traitent de cette réponse éducative essentielle, qui manque de moyens. Le climat social se dégrade et une forte crise d'attractivité sévit. Je rejoins Mme Canayer : le problème de la formation des personnels participe largement de cette crise.

Des moyens sont accordés et il faut saluer le fait que les nouveaux postes seront davantage dirigés vers l'action sociale que vers l'encadrement. Cependant, ces moyens restent largement insuffisants par rapport aux besoins et à la nécessité de diversifier les parcours. Aujourd'hui, la prise en charge de certains de ces jeunes n'est pas adaptée aux profils, qui sont de plus en plus complexes et violents. Je songe notamment aux mineurs auteurs d'infractions sexuelles.

La PJJ s'est longtemps cantonnée à une réponse pénale. Pourtant, ses priorités doivent être la prévention, la réinsertion, l'assurance d'un suivi individualisé et le renforcement des partenariats territoriaux. Au regard de ces priorités, l'allocation de nouveaux crédits, à la construction des CEF semblait inadaptée. L'annonce du ministre vient modifier ce constat. Cependant, il faut rester prudents en la matière puisqu'un certain nombre de projets ont déjà été engagés. Il faut saluer le pragmatisme du ministre, qui cherche à répondre aux difficultés et à certaines questions que nous lui avions posées, mais je resterai vigilant.

Compte tenu des difficultés du secteur et de l'absence de moyens adaptés, nous nous abstiendrons.

M. Guy Benarroche. - Je remercie la rapporteure d'avoir souligné deux éléments importants : la justice n'est pas laxiste et il n'y a pas plus de délinquance aujourd'hui qu'avant, même si celle-ci concerne des gens plus jeunes et qu'elle est plus violente. J'aimerais que tout le monde en tienne compte lors de l'étude de certaines propositions de loi, qui remettent en cause ces deux constats de base que tout le monde ici accepte.

À Marseille, j'ai visité l'établissement pénitentiaire pour mineurs et le CEF. D'abord, le taux de récidive est supérieur à 80 %, ce qui montre la faillite totale de ces deux solutions. Ensuite, concernant l'établissement pénitentiaire, plus de 85 % des mineurs étaient présents pour un motif lié au narcotrafic, ce qui doit représenter un élément essentiel de la réflexion à mener sur l'évolution des conditions de détention des mineurs condamnés.

Aucune solution ne sera trouvée si l'on ne s'attaque pas en amont à ce qui précède la commission de l'acte ayant entraîné la condamnation. Un travail de prévention, de réinsertion et de reconstruction doit être mené par l'ASE et la PJJ sur le terrain, où l'emprise du narcotrafic est suffisamment importante pour qu'un certain nombre de gens vulnérables et précaires, en particulier des mineurs, soient susceptibles d'entrer dans ces réseaux. Si des actions ne sont pas entreprises dans ces quartiers et ces lieux délaissés de nos villes et nos campagnes, nous n'y arriverons pas.

Enfin, d'autres solutions existent. Qu'en est-il des unités éducatives d'hébergement diversifié, des centres éducatifs renforcés et des unités éducatives d'hébergement collectif ? Certaines de ces structures ont-elles un bilan positif ?

M. Hussein Bourgi. - Permettez-moi de faire un pas de côté en témoignant du malaise persistant ressenti depuis plusieurs années par les autres acteurs de la chaîne judiciaire : les agents pénitentiaires, les agents du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) et les agents de la PJJ, trois métiers qui connaissent aujourd'hui une crise des vocations.

La semaine dernière, j'ai assisté à un conseil de juridiction au tribunal judiciaire de Montpellier et j'ai pu alors échanger avec les agents de la PJJ : ils sont tous en quête de sens, éprouvant un sentiment d'échec. L'augmentation de la récidive, de la délinquance, de l'insécurité conduisent ces agents, aussi admirables et engagés soient-ils, à douter d'eux-mêmes, un sentiment aggravé par la pression médiatique et politique quand un couac survient. Les interlocuteurs que j'ai rencontrés ont parfois le sentiment de faire de l'abattage et de la paperasse. Il importe de fixer des priorités dans la formation des agents, pour qu'ils sachent adapter leur prise en charge à la gravité du profil délinquant du mineur.

Se pose là la question des moyens alloués à la PJJ ; les fonctions support en consomment beaucoup. Or les agents qui ont des missions opérationnelles, y compris sur le terrain, ou d'accompagnement ont parfois le sentiment d'être livrés à eux-mêmes. Ils demandent des formations supplémentaires et auraient parfois besoin de travailler davantage en équipe.

Au final, il importe d'engager une véritable réflexion de fond sur les métiers de la justice dans toute leur diversité. N'oublions pas les maillons essentiels de la chaîne pénale. Cette question pourrait faire l'objet d'une mission d'information.

Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis. - Je vous remercie de vos réflexions.

Se pose effectivement un véritable problème d'attractivité ; les promotions de l'école nationale de protection judiciaire de la jeunesse ne sont pas complètes ; qui plus est, certains élèves abandonnent en cours de scolarité.

Je note de véritables progrès quant au contenu de la formation, avec des mises en situation plutôt qu'une formation théorique. J'en conviens, le retard est tel qu'il reste toutefois encore beaucoup à faire. J'ajoute qu'il faut renforcer la formation continue : elle est également importante, voire, parfois, plus importante, car les professionnels peuvent poser des questions pratiques auxquelles ils sont confrontés.

Je rebondis sur la question soulevée par Mme Canayer, que je n'ai pas abordée ici, mais sur laquelle j'attire l'attention dans mon rapport, à savoir celle des contractuels et des intérimaires, auxquels on recourt pour pallier les défaillances. L'émergence de sociétés d'intérim dans ce secteur est surprenante. Or un surveillant de supermarché et un surveillant intervenant dans un centre éducatif sont deux professions qui n'ont rien à voir !

Oui, la réponse pénale n'est pas la seule réponse, et ce point est, me semble-t-il, bien pris en compte. C'est l'articulation entre les différents métiers qui est défaillante, bien plus que la prise en compte des différents parcours des mineurs délinquants. Il est évident que les alternatives en milieu ouvert notamment ne sont pas assez nombreuses. Comme vous l'avez tous souligné, nous déplorons le manque de coordination entre la PJJ et l'ASE. J'ai vraiment le sentiment d'un travail en silo. Par exemple, j'ai constaté que des éducateurs en centres éducatifs renforcés ne savaient rien du parcours du jeune dont ils s'étaient occupés pendant plusieurs mois. Je pointe la défaillance du logiciel Parcours. Se pose encore ici un problème d'évaluation des politiques publiques.

Monsieur Benarroche, l'inspection générale de la justice a diligenté une mission d'évaluation des CEF. Là encore, nous manquons d'éléments concrets. Je retiens la proposition d'Hussein Bourgi, que j'avais moi-même formulée auprès de notre présidente, de poursuivre notre réflexion sur l'évaluation de ces politiques publiques. L'abandon des CEF témoigne d'une prise de conscience quant à leur efficacité. Nos rapports, ceux de la Cour des comptes et de l'inspection générale de la justice concourent à poser les questions pour nourrir le débat.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice ».

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