ARTICLE 15

Les annulations de crédits

Commentaire : le présent article tend à définir le régime juridique des annulations de crédits.

Le dispositif adopté à l'Assemblée nationale aux fins d'encadrer les pratiques de « régulation budgétaire » mises en oeuvre par les gouvernements a fait l'objet de « discussions approfondies avec le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et la secrétaire d'Etat au budget » 44 ( * ) .

Le texte auquel ces discussions ont abouti porte la marque d'intentions auxquelles votre rapporteur ne peut que souscrire. Cependant, quelques nuances semblent pouvoir lui être apportées dans la lettre, sans rien ôter à sa philosophie d'ensemble.

I. LE TEXTE ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Le présent article comporte, d'une part, l'énoncé des conditions dans lesquelles le pouvoir exécutif peut, priori motu , procéder à des annulations de crédits et, d'autre part, l'instauration d'un régime d'indisponibilité des crédits qui vient s'insérer dans le cours de la procédure législative.

A. LE RÉGIME DES ANNULATIONS DE CRÉDITS OPÉRÉES PAR VOIE ADMINISTRATIVE EST RESSERRÉ

Le régime des annulations de crédits opérées par voie administrative est « durci » par rapport au régime en vigueur résultant de l'article 13 de l'ordonnance organique.

Par rapport à son texte -« Tout crédit qui devient sans objet en cours d'année peut être annulé par arrêté du ministre des finances après accord du ministre intéressé » - , la disposition adoptée par l'Assemblée nationale diffère d'abord par des conditions formelles plus exigeantes.

L'acte d'annulation des crédits serait promu à un rang supérieur. Il passerait d'un simple arrêté du ministre des finances au rang de décret, qui suppose un arbitrage du Premier ministre.

Surtout, le Parlement ne serait plus tenu à l'écart des annulations. Ses commissions des finances seraient systématiquement tenues informées des projets du gouvernement, avant toute publication des décrets d'annulations de crédits.

S'agissant des conditions de fond mises à ces procédures, l'Assemblée nationale a fait le choix de conserver aux annulations de crédits leur objet actuel, qui est de sanctionner la caducité de l'objet du crédit annulé. En revanche, elle a introduit un plafond des annulations de crédits, qui est de 1,5 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année. Il est à souligner que ce plafond s'applique non seulement aux annulations de crédits réalisées dans le cadre du présent article, mais aussi aux annulations effectuées dans le cadre de la procédure des décrets d'avances et destinées à « gager » des ouvertures de crédits.

B. UN RÉGIME D'INDISPONIBILITÉ DES CRÉDITS INSÉRÉ DANS LE COURS DE LA PROCÉDURE BUDGÉTAIRE

Malgré une certaine incrédulité, l'Assemblée nationale a consenti à introduire un régime d'indisponibilité des crédits destiné à « sécuriser » les annulations de crédits présentées dans les lois de finances rectificatives.

Il s'est agi de faire droit à l'argumentaire du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie selon lequel les délais entre le dépôt d'un tel projet et son adoption risquent d'être mis à profit par les ministères pour consommer des crédits dont l'annulation, proposée dans le projet de loi de finances rectificative n'étant prononcée par la loi qu'après ces délais, n'aurait pas tout l'efficace souhaitable.

Ainsi, les propositions d'annulations de crédits formulées dans les projets de loi de finances rectificative rendraient lesdits crédits indisponibles jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi les contenant ou, à défaut, jusqu'à la décision du Conseil constitutionnel interdisant la mise en application de ces annulations.

II. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION

Votre rapporteur partage pleinement l'aversion de principe à l'égard des remises en cause administratives des votes du Parlement en matière de crédits, aversion que traduit le dispositif adopté par l'Assemblée nationale.

Cependant, il fonde ses appréciations sur la nécessaire conciliation que notre droit doit opérer entre la défense des exigences de la souveraineté parlementaire et d'une gestion efficace des finances publiques.

A. LES CONDITIONS MISES AUX ANNULATIONS DE CRÉDITS DOIVENT ÊTRE ADAPTÉES AUX RÉALITÉS

1. La référence à la notion de crédits devenus sans objet paraît quelque peu obsolète

L'ordonnance de 1959, en conditionnant les annulations administratives de crédits au constat d'une disparition de l'objet des crédits ainsi annulés, posait une condition très stricte. En pratique, cette rigueur s'est estompée et les gouvernements successifs ont usé de la faculté d'annuler des crédits en exécution à des fins différentes.

Il s'est, de fait, agi de dégager des économies jugées nécessaires pour tenir l'objectif de solde budgétaire déterminé par les lois de finances.

Il paraît souhaitable de reconnaître cette donnée et, donc, de réserver les annulations de crédits aux circonstances où il convient de prévenir une détérioration de l'équilibre budgétaire défini par les lois de finances.

Cela ne signifie évidemment pas que les crédits devenus sans objet devront être à toute force consommés. Cependant, outre que cette notion devient toute relative dans le cadre du nouveau système de fongibilité des crédits -un crédit dont l'objet initial disparaît peut, dans ce système, trouver un autre objet au gré des gestionnaires-, il paraît quelque peu excessif de limiter les annulations administratives des crédits devenus sans objet à 1,5 % des crédits ouverts en loi de finances.

Si le crédit est définitivement sans objet, le bon sens commande de ne le pas consommer et les rapports annuels de performances ainsi que les dispositions pertinentes de la loi de règlement en expliqueront les raisons.

2. L'application du plafond des annulations de crédits visées au présent article aux annulations effectuées dans le cadre du régime des décrets d'avances est contestable

Les modifications de crédits opérées par la voie des décrets d'avances visent à dégager des moyens nouveaux et urgents dans le respect de l'équilibre budgétaire défini par les lois de finances.

L'objet des annulations de crédits prévus au présent article est, quant à lui, de permettre le respect de cet équilibre.

Les deux procédures ayant des objets distincts, parfaitement légitimes l'un et l'autre dès lors que leur poursuite est encadrée, il paraît inopportun d'appliquer une confusion des conditions imposées dans le cadre de chacune de ces procédures.

C'est pourquoi votre rapporteur vous propose, après avoir défini un plafond propre aux ouvertures de crédits par décrets d'avances, de spécialiser le plafond de 1,5 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année, en en réservant l'application aux seules annulations de crédits visées au présent article.

B. LES INDISPONIBILITÉS DE CRÉDITS PRENANT D'AUTRES FORMES QUE CELLE D'ANNULATIONS FORMELLES DE CRÉDITS DOIVENT ETRE PRISES EN COMPTE

Dans la précédente version des propositions de l'Assemblée nationale, celle-ci avait souhaité couvrir les hypothèses de régulation budgétaire informelle, les contrats de gestion, gel, et autres instructions diverses de mises en réserve des crédits, en particulier les instructions données aux contrôleurs financiers.

Elle a finalement renoncé au régime, un temps envisagé, de suspension des crédits devant les difficultés techniques dont il supposait la résolution.

Votre rapporteur, qui en avait évoqué quelques unes, ne le regrette pas. Mais, il déplore que l'article issu de la première lecture de l'Assemblée nationale puisse déboucher sur le paradoxe d'exigences fortes mises aux annulations de crédits lorsqu'elles sont formalisées et de l'absence totale d'encadrement des pratiques informelles de gel de crédits.

C'est la raison pour laquelle votre rapporteur vous propose de les prendre en considération en posant, pour elles aussi, une obligation d'information du Parlement.

Certains prétendront sans doute que cette obligation pourra être aisément contournée. Ce n'est pas le sentiment de votre rapporteur qui rappelle qu'elle devra être satisfaite par toute personne concernée -y compris par les « ministères dépensiers »- et que les opérations de contrôle parlementaire pourront, le cas échéant, permettre de s'assurer de son respect.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.

* 44 Rapport de M. Didier Migaud, au nom de la commission spéciale, Assemblée nationale, n° 2908 (XIème législature) page 133.

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