ARTICLE 29

La sincérité des comptes de l'Etat

Commentaire : Le présent article consacre le principe de sincérité des comptes de l'Etat et prévoit le passage à une comptabilité en droits constatés pour leur reddition.

I. LA SINCÉRITÉ DES COMPTES DE L'ÉTAT

Le principe de sincérité s'applique aux évaluations des recettes et des dépenses de l'Etat en lois de finances. Ce principe vaut de manière relative, et vise à garantir l'exhaustivité et la lisibilité de la loi de finances, mais également que le gouvernement effectue de bonne foi les évaluations qu'elle contient. Le principe de sincérité trouve cependant une application pleine et entière lorsqu'il s'applique aux comptes de l'Etat : si la sincérité des lois de finances constitue une obligation de moyens, la sincérité des comptes constitue une obligation de résultat.

Une obligation de respect du principe de sincérité des comptes de l'Etat est inséparable du rapprochement des règles de la comptabilité de l'Etat et de celles applicables aux entreprises (dont, selon le quatrième alinéa du présent articles, elles ne peuvent se distinguer « qu'à raison des spécificités de l'action de l'Etat »), de la procédure d'établissement du référentiel comptable de l'Etat (prévue dans un article additionnel dont l'insertion vous a été proposée après l'article 26), de la présentation des changements de méthode et de règles comptable prévue par le 4° de l'article 46 de la présente proposition de loi organique et de la certification des comptes de l'Etat par la Cour des comptes prévue par le dernier alinéa du même article (qui indique que la Cour des comptes certifie la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes de l'Etat). L'ensemble de ce dispositif doit permettre une mise à niveau de la comptabilité de l'Etat ainsi qu'une plus grande transparence de ses comptes, en alignant ses pratiques sur celle du plan comptable général.

La définition de la comptabilité par le plan comptable général trouvera donc pleinement à s'appliquer à compter de l'entrée en vigueur de la présente proposition de loi organique : « la comptabilité est un système d'organisation de l'information financière permettant de saisir, classer enregistrer des données de base chiffrées et présenter des états reflétant une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entité à la date de la clôture.

La comptabilité permet d'effectuer des comparaisons périodiques et d'apprécier l'évolution de l'entité dans une perspective de continuité d'activité ».

Le premier alinéa du présent article s'inspire de la rédaction du quatrième alinéa de l'article 9 du code de commerce, qui prévoit que les comptes d'une entreprise doivent être réguliers, sincères et donner une image fidèle de son patrimoine, de sa situation financière et de son résultat. Cet alinéa confirme ainsi l'ancrage de la comptabilité de l'Etat dans le droit commun et rend possible la certification des comptes, à l'instar de ce qu'effectuent les commissaires aux comptes des entreprises, dont l'opinion s'exprime par « la certification sans réserve que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de l'entité ».

II. LE PASSAGE À UNE COMPTABILITÉ EN DROITS CONSTATÉS

Le deuxième alinéa du présent article prévoit le passage à une comptabilité en droits constatés, où les opérations sont enregistrées selon le principe de la constatation des droits et des obligations. Sur ce point, votre rapporteur exprime sa pleine et totale identité de vue avec le texte adopté par l'Assemblée nationale. Dans son rapport intitulé « Doter la France de sa nouvelle constitution financière » 81 ( * ) , votre rapporteur avait insisté sur l'ampleur du retard pris par l'Etat français en matière de comptabilité publique, tant par rapport aux autres Etats de l'OCDE 82 ( * ) que par rapport aux collectivités locales françaises, soulignant que comptabilité de l'Etat apparaissait comme la plus « fruste » de toutes celles appliquées par les administrations publiques françaises. Ces considérations étaient nourries notamment par le rapport de la « mission comptabilité patrimoniale » mise en place par notre collègue Jean Arthuis et dirigée par le responsable de l'Agence comptable centrale du Trésor, M. Jean-Jacques François 83 ( * ) , et par le rapport de la « mission comparative des systèmes de gestion de la performance et de leur articulation avec le budget de l'Etat », confié à M. Henri Guillaume, inspecteur général des finances, et remis au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en février 2000. Votre rapporteur avait ainsi mis en avant le fait que la comptabilité de l'Etat était considérablement sous-développée au regard de la comptabilité générale et des obligations qui en découlent pour les entreprises, et, dès lors qu'elle ne permettait qu'un suivi des recettes et des dépenses (sans fournir d'indications sur la situation patrimoniale de l'Etat ainsi que sur ses charges futures, éventuelles ou certaines), s'apparentait à une comptabilité « d'épicier ». De plus, il convient de souligner que les comptes de la Sécurité sociale seront désormais tenus en « droits constatés ». Le maintien d'une seule comptabilité de caisse pour l'Etat empêcherait donc le rapprochement entre ses comptes et ceux de la Sécurité sociale, que votre rapporteur souhaite voir facilité.

Votre rapporteur avait considéré que si la comptabilité d'exercice permettait d'obtenir une bonne appréciation de la situation financière de l'Etat, elle ne fournissait pas, en revanche, le support adapté du suivi de l'autorisation budgétaire donnée par le Parlement. Il s'accorde donc avec le texte adopté par l'Assemblée quant à la nécessité de conserver une comptabilité de caisse pour permettre un suivi précis de l'exécution des opérations de dépenses et de recettes.

Ainsi que l'indique notre collègue député Didier Migaud, « le système comptable de l'Etat serait réorganisé autour de sa comptabilité générale, de laquelle dériverait la comptabilité budgétaire. (...) Le passage à une comptabilité en droits constatés constitue un changement radical, compte tenu des modalités actuelles d'enregistrement des opérations comptables. La comptabilité de l'Etat devra prendre en compte l'ensemble des ressources et des charges constatées au cours d'un exercice donné, ce qui implique la constitution de provisions et la comptabilisation d'amortissements, qui affecteront le compte de résultat. Elle conduira à élaborer des états de synthèse annuels comme le compte de résultat et le bilan de l'Etat, les facteurs affectant la valeur de son passif et de son actif étant désormais pris en compte. » 84 ( * )

Lors d'une intervention en date du 18 décembre 2000 85 ( * ) , Jean Bassères, directeur général de la comptabilité publique rappelait que l'orientation vers une comptabilité en droits constatés supposait à titre principal deux évolutions :

« - d'une part, il s'agira d'enregistrer, conformément au principe de spécialisation des exercices, les opérations non plus au moment de leur dénouement en caisse mais de manière plus précise dès la constatation du caractère certain de la dette ou de la créance ;

- d'autre part, il conviendra de décrire complètement l'actif et le passif de l'Etat et d'introduire, via les amortissements et les provisions, des opérations de correction de valeur destinées à donner une image fidèle du patrimoine. »

Le troisième alinéa du présent article précise que les principes généraux de la comptabilité et du plan comptable de l'Etat ne se distinguent des règles applicables aux entreprises qu'à raison des spécificités de son action. Il s'agit de faire converger les systèmes comptables de l'Etat vers ceux du secteur privé, étant entendu que les règles applicables aux entreprises ne sont pas toutes transposables telles quelle à l'Etat. En effet, certains concepts du plan comptable général ont une pertinence limitée s'agissant de l'Etat, la comptabilité privée étant dédiée au suivi des activités de caractère marchand. Or, sauf pour une part marginale de ses activités, l'Etat ne vend pas des biens ou des services sur un marché, mais fournit, ou organise la fourniture par des tiers, de services collectifs dont la valeur ne peut se mesurer uniquement par un prix. Si les normes et les obligations de la comptabilité doivent pouvoir être appliquées à l'Etat afin de moderniser et d'encadrer son système comptable, il est en revanche indispensable que celles-ci puissent être adaptées en fonction des spécificités de l'action de l'Etat. Cette idée, qui figure dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, sera reprise par votre rapporteur sous réserve de quelques modifications rédactionnelles.

III. LE RÔLE DES COMPTABLES PUBLICS

Le dernier alinéa du présent article consacre le rôle des comptables publics, qui seront chargés de veiller à la sincérité des enregistrements comptables et au respect des procédures. Il convient d'insister sur l'évolution du rôle des comptables publics qu'impliquent les dispositions de la présente proposition de loi organique. La comptabilité d'exercice exige la tenue simultanée d'écritures comptables correspondant à plusieurs exercices budgétaires (s'agissant notamment de la comptabilisation des créances fiscales non recouvrées à la clôture de l'exercice). Les comptables publics seront également appelés à évaluer les risques associés à certaines opérations, afin de prendre en considération les charges calculées. Enfin, dans le cadre de l'obligation de mettre en oeuvre une comptabilité analytique par service, à laquelle est attachée votre rapporteur, les comptables publics auront un rôle important à jouer afin de définir le cadre et les conventions applicables à cette comptabilité particulière.

Lors d'une intervention en date du 18 décembre 2000 86 ( * ) , le directeur général de la comptabilité publique, Jean Bassères, indiquait que : « l es comptables publics devront devenir les garants du respect des principes du futur référentiel comptable de l'Etat, c'est-à-dire qu'ils devront s'assurer que l'information comptable est fiable, sincère, exhaustive et que tous les éléments de risques ont été portés à la connaissance des décideurs.

Ce rôle changera de nature : le recours aux progiciels intégrés et l'adoption de faits générateurs plus précoces conduiront à la fois à alléger les tâches matérielles et à donner aux comptables un rôle de validation d'opérations qui, à l'exception des plus complexes d'entre elles ou des mouvements financiers, seront initiés par les gestionnaires.

Ce nouveau rôle des comptables publics reste largement à définir. Pour donner à mes propos un caractère plus concret, je voudrais donner des exemples d'interventions nouvelles des comptables publics liées à l'application de deux principes de la comptabilité d'exercice : l'indépendance des exercices et le principe de prudence.

S'agissant du principe d'indépendance des exercices , le comptable public devra s'assurer que toutes les charges et produits afférents à l'exercice lui sont bien rattachés. Pour ce faire, on peut imaginer qu'il devra avoir accès aux applicatifs des gestionnaires, procéder éventuellement à des opérations de circularisation auprès des débiteurs ou créanciers, voire, lorsqu'il disposera d'éléments d'information suffisants, de demander à l'ordonnateur d'émettre des titres de recettes ou des mandats... soit autant de pratiques qui n'existent pas aujourd'hui.

S'agissant du principe de prudence , on pourrait concevoir que le comptable recherche avec l'ordonnateur les principaux risques susceptibles de se produire (tels que les litiges ou la mise en jeu d'une garantie de l'Etat...) afin de constituer une provision ou de faire figurer cette information dans l'annexe. De même, le comptable devrait pouvoir s'assurer de la bonne tenue des inventaires et vérifier l'application des règles de dépréciation des biens immobiliers et mobiliers (amortissement).

Il va de soi que ce nouveau rôle du comptable public devra être encadré et qu'il devra s'inscrire dans un climat de confiance avec les gestionnaires. De ce point de vue, je suis convaincu que l'avenir passe par une approche concertée, débouchant sur l'élaboration de guides de procédures et d'audit de process garants de leur correcte prise en compte.

Ce que nous devrons demain mettre en oeuvre, c'est un plan qualité, définissant les responsabilités opérationnelles des acteurs du processus comptable et nous permettant de nous rapprocher de la norme reconnue ISO 9001.

J'ajoute que, parallèlement à cette démarche, il me paraît indispensable que soit également rénové le rôle du comptable public en tant que payeur chargé du contrôle de la dépense. Il est nécessaire, en la matière, d'éviter les contrôles redondants, de centrer les interventions sur les enjeux les plus significatifs et de progresser vers la notion de contrôles hiérarchisés. Des réflexions sont en cours au sein du réseau du Trésor Public, elles devraient déboucher sur des propositions opérationnelles à la fin du premier trimestre. »

Votre rapporteur souscrit aux dispositions relatives à la comptabilité de l'Etat adoptées par l'Assemblée nationale, et dont le présent article constitue un élément centrale de la réforme. Il considère que la mise à niveau du système comptable de l'Etat et l'enrichissement de l'information comptable du Parlement constituent des facteurs essentiels de la réforme de l'Etat. C'est la raison pour laquelle il vous a proposé d'inscrire l'ensemble des dispositions relatives à la comptabilité de l'Etat dans un chapitre spécifique intitulé « Des comptes de l'Etat », afin que celles-ci aient la place qui leur revient dans la présente proposition de loi organique. Compte tenu de cette réorganisation du texte, il convient de supprimer le présent article.

Décision de la commission : votre commission vous propose de supprimer cet article.

* 81 Rapport n°37 au nom de la commission des finances, Sénat (2000-2001).

* 82 Organisation pour la coopération et le développement économique.

* 83 Rapport de la Mission comptabilité patrimoniale présenté à M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, et M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget, le 30 juin 1998.

* 84 Rapport au nom de la commission spéciale Assemblée nationale, n°2908 (XIème législature), p.177 et 178.

* 85 Intervention au 2 ème Forum international de la gestion publique, publiée dans la Revue du Trésor n° 3-4, mars-avril 2001.

* 86 Intervention au 2 ème Forum international de la gestion publique, publiée dans la Revue du Trésor n° 3-4, mars-avril 2001.

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