EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 21 novembre 2001 sous la présidence de M. François Trucy, secrétaire, la commission des finances procédé à l'examen des crédits des affaires étrangères .

En préambule, M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial , a considéré que l'examen du budget des affaires étrangères ne pouvait se faire indépendamment du contexte international.

A cet égard, M. Jacques Chaumont a considéré que, certes imprévisibles dans leur dimension et leur mode d'expression, les événements du 11 septembre l'étaient moins si l'on analysait les différents facteurs ayant pu y conduire. Il a rappelé que les quatre cinquièmes de la population mondiale ne vivaient pas dans un pays démocratique et développé, ce qui revenait à constater que la notion de démocratie développée n'avait de valeur que pour un cinquième seulement des habitants de la planète, démographiquement au moins minoritaires.

Il a indiqué que, de fait, la prise en compte concrète des questions de développement et la nécessité de « lutter contre la pauvreté » figuraient désormais au rang des « stratégies » de la lutte contre le terrorisme.

Rappelant que telles étaient désormais l'analyse unanime faite aux Nations unies et la position officielle des Etats-Unis comme le discours tenu, depuis longtemps cette fois, par les plus hautes autorités de l'Etat français, M. Jacques Chaumont a rappelé les termes de l'intervention effectuée par le Président de la République le 16 novembre dernier : « Si elles sont fortes, les démocraties doivent aussi se montrer généreuses. Le terrorisme n'exprime aucune cause, et aucune cause ne le justifie. Mais comment ne pas voir que la misère, le désespoir ou l'humiliation peuvent offrir un terrain propice... La France doit intensifier ses efforts pour réduire le fossé qui se creuse entre les pays qui bénéficient des fruits du développement et une part de l'humanité qui s'enfonce dans la pauvreté ».

D'emblée, M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial, a considéré que l'examen du budget 2002 des affaires étrangères l'amenait à conclure, pour le déplorer, que celui-ci ne répondait guère aux problèmes posés, et ne correspondait pas davantage au discours tenu.

Rappelant que les trois domaines privilégiés d'intervention retenus pour lutter contre le terrorisme par les Nations unies -dont la France présidait actuellement le Conseil de sécurité- étaient les opérations militaires, l'assèchement des ressources financières du terrorisme et le financement du développement, M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial , a estimé que ces trois domaines étaient précisément ceux qui faisaient l'objet d'une impasse budgétaire en 2002.

S'agissant d'abord du financement des opérations de maintien de la paix, M. Jacques Chaumont a indiqué que, fin 2001, la France se retrouvait débitrice de près d'un milliard de francs sur les seules opérations en cours, ce qui conduisait d'ailleurs à une demande d'ouverture de crédits dans le collectif de fin d'année, à hauteur de 925 millions de francs. De fait, il a estimé que dès lors que le budget 2002 ne prévoit que la stricte reconduction en francs courants du montant initial des crédits 2001, il se traduisait donc d'entrée de jeu par une impasse de même montant. Le Conseil de sécurité venant de décider, par la résolution 13-78 du 15 novembre dernier, du principe de l'envoi d'une force en Afghanistan, M. Jacques Chaumont s'est interrogé sur les conditions de financement de la contribution française à cette nouvelle opération, rappelant que le taux de contribution de la France était fixé à 8,2 % du total depuis décembre 2000.

Soulignant ensuite la diminution de plus de 6 % des crédits de coopération militaire, qui supportent à eux seuls la quasi-totalité des économies demandées au budget des affaires étrangères, et ont été amputés de 100 millions de francs depuis 1999, M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial, a relevé que les moyens supprimés auraient sans doute été précieux dans le cadre de l'acquisition locale de renseignements et de la vigilance nécessaire à une lutte efficace et « sur le terrain » contre le terrorisme.

M. Jacques Chaumont a ensuite évoqué la sensible diminution des crédits plus spécifiquement consacrés à l'aide au développement, renvoyant, à ce sujet, à l'analyse détaillée présentée par M. Michel Charasse, rapporteur spécial des crédits d'aide publique au développement.

Relevant ensuite l'absence de mesures nouvelles pour l'aide humanitaire, le transport de l'aide alimentaire, et l'aide aux sorties de crise, ainsi que l'apport dérisoire consenti en direction des contributions volontaires aux fonds et organismes onusiens chargés du développement, M. Jacques Chaumont a estimé que la position de la France était en totale contradiction avec sa posture de membre permanent du Conseil de sécurité. Indiquant que la France se situait désormais en deçà du dixième rang des contributeurs, il a estimé que les efforts consentis, à partir de 1999, limités et dégressifs, ne suffisaient en rien à modifier cette situation dès lors que, parallèlement, le Royaume-Uni et les pays nordiques notamment renforçaient considérablement leur effort.

Evoquant ses entretiens à New-York début novembre dans le cadre de l'Assemblée générale des Nations unies, M. Jacques Chaumont s'est déclaré consterné d'avoir appris que lorsque le HCR lançait une opération particulière pour les réfugiés afghans, la France ne figurait pas au rang des vingt pays ayant apporté leur contribution, dont le Chili et la République Tchèque.

Abordant ensuite rapidement les priorités retenues par le budget 2002 - réseau des établissements culturels, audiovisuel extérieur, accueil des étudiants étrangers, appui aux organisations de solidarité internationale et à la coopération internationale, conditions de vie des Français à l'étranger, et lancement d'un important programme immobilier en Algérie-, M. Jacques Chaumont a estimé que, certes réels, les efforts consentis devaient néanmoins être relativisés.

Evoquant d'abord le réseau des établissements culturels et de recherche, dont les moyens sont renforcés en 2002 par une mesure nouvelle de 20 millions de francs, destinée pour moitié à l'amélioration de la situation des recrutés locaux, M. Jacques Chaumont a estimé que la nécessaire réforme du réseau, annoncée depuis plusieurs exercices, et passant notamment par la professionnalisation accrue des personnels, la mise en place d'outils d'évaluation et le recentrage sur les missions culturelles et scientifiques, ne paraissait toujours pas concrétisée.

Rappelant que l'audiovisuel public extérieur bénéficiait de 30 millions de francs de crédits supplémentaires, dont 23 affectés à TV5, M. Jacques Chaumont a considéré que la part des crédits d'intervention consacrée à l'audiovisuel au sein du ministère -soit 5 % environ du total des crédits d'intervention- demeurait insuffisante, au regard des besoins et de l'influence potentielle de ce vecteur contemporain. Il a notamment déploré le niveau dérisoire de l'enveloppe consacrée à la présence française sur les bouquets satellitaires et à l'exportation des programmes.

Saluant la volonté de renforcer l'accueil d'étudiants étrangers, M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial , a estimé que la mise en place du programme de bourses « Major », financé par une mesure nouvelle de 15 millions de francs, devrait impérativement, pour être pleinement efficace, s'accompagner d'une sensible amélioration des conditions d'accueil, d'installation, d'hébergement et d'accompagnement des étudiants étrangers en France, actuellement très en deçà du niveau atteint par le système américain ou même canadien.

Evoquant les mesures nouvelles consacrées à l'assistance aux Français de l'étranger, M. Jacques Chaumont a précisé que leur montant global était inférieur de moitié à celui enregistré en 2001, et déploré qu'en particulier les crédits affectés à la sécurité ne bénéficient d'aucune mesure nouvelle, et demeurent fixés à 5 millions, soit la moitié du niveau atteint en 1998.

Saluant la mesure destinée à globaliser au sein d'une enveloppe unifiée les moyens généraux de fonctionnement des postes à l'étranger et la rémunération des recrutés locaux, M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial , a toutefois relevé que cette démarche ne suffirait pas à remédier à la paupérisation évidente de la situation des recrutés locaux, dont les effectifs représentent l'équivalent de 60 % des effectifs du ministère à l'étranger.

Abordant ensuite l'enveloppe de crédits immobiliers envisagée pour l'exercice 2002, M. Jacques Chaumont a relevé que les projets algériens (rénovation du lycée Ben Aknoun, construction de logements dans le parc Peltzer, rénovation du consulat général d'Oran, construction du consulat général d'Annaba) préemptaient le tiers de l'enveloppe globale (soit plus de 200 millions de francs), sans qu'aucun moyen nouveau de fonctionnement et de sécurité correspondant ne figure pour autant au budget 2002.

M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial , s'est enfin inquiété de la détérioration considérable de la situation financière du réseau de l'enseignement français à l'étranger.

Il a précisé que la majoration de la subvention consentie pour 2002, inférieure à 22 millions de francs, finançait la moitié seulement des augmentations de charges liées à l'indice de la fonction publique et au taux de change, correspondait aux deux tiers de la demande faite en matière de bourses, ne permettait aucun financement du plan de juin 2000 destiné à améliorer le système de rémunération des résidents, laissait entièrement de côté la question des charges correspondant à la réouverture du lycée Ben Aknoun d'Alger, et ne tenait aucun compte enfin des nécessaires travaux immobiliers sur les établissements conventionnés, dont il continuait pourtant de constater l'urgence au cours des missions effectuées sur le terrain, au regard du seul respect des normes minimales de sécurité. Estimant qu'au total, l'« impasse » correspondant à ces besoins pouvait être évaluée à 140 millions de francs, M. Jacques Chaumont a considéré que le Fonds de réserve de l'AEFE, qui se situait confortablement à plus de 300 millions de francs en 2000, serait très vraisemblablement complètement asséché au cours de l'exercice 2002, fragilisant ainsi considérablement la situation de l'AEFE.

Concluant, M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial , a estimé qu'en ne répondant aucunement aux enjeux brutalement mis en exergue par les attentats du 11 septembre, et ne correspondant en aucune façon au discours tenu par les plus hautes autorités de l'Etat, et notamment par les ministres chargés des affaires étrangères, le budget des affaires étrangères proposé au Parlement pour 2002 ne pouvait être approuvé.

M. Yves Fréville a souhaité obtenir des précisions sur le rattachement des crédits afférents à l'aide publique au développement précédemment inscrits sur le budget des charges communes.

M. Claude Lise a souhaité faire part de la désapprobation des élus des départements français d'Amérique (DFA) face à l'opposition qu'aurait manifesté le Chef de l'Etat à la formule visant à offrir aux exécutifs régionaux un siège de membre associé au sein de l'Association des Etats de la Caraïbe.

M. François Trucy, président, s'est interrogé sur le calibrage du réseau français à l'étranger, relevant que, outre 273 postes diplomatiques, la France comptait 255 postes dépendant du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, et 277 postes relevant des différents ministères techniques (agriculture, anciens combattants, emploi et solidarité, mer, aviation civile, aménagement du territoire).

En réponse aux intervenants, M. Jacques Chaumont a précisé que la contribution française au Fonds européen de développement (FED) serait rattachée au budget des affaires étrangères à compter de 2002, pour un montant représentant 23,8 milliards de francs en autorisations de programme (correspondant à la contribution au 9 e FED, non encore en vigueur) et 1,43 milliard de francs en crédits de paiement. Les crédits destinés à financer la participation de la France à divers fonds et banques de développement (notamment l'Association internationale de développement -AID- et le Fonds pour l'environnement mondial) figuraient au budget du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

S'agissant du calibrage du réseau français, M. Jacques Chaumont, rapporteur spécial , a relevé que le quart des crédits d'action extérieure de la France était désormais consacré aux « coûts d'animation des services », soulignant que si, au cours de la législature, les crédits globalement consacrés à l'action extérieure de la France avaient régressé, en valeur absolue comme en pourcentage du produit intérieur brut, leur coût administratif de gestion s'était sensiblement alourdi. Rappelant que le réseau diplomatique français était le deuxième au monde après le réseau américain, il s'est demandé si ce seul critère suffisait encore à mesurer la présence d'un pays sur la scène internationale.

Concluant, M. François Trucy, président, a fait part des observations de M. Alain Lambert, président de la commission, tendant à faire part d'un avis très défavorable sur les crédits des affaires étrangères, compte tenu des analyses menées par les deux rapporteurs spéciaux, MM. Jacques Chaumont et Michel Charasse. M. Alain Lambert a notamment estimé que, privilégiant des considérations de court terme, en accordant la priorité aux moyens de fonctionnement des services, le Gouvernement était conduit à sacrifier les moyens d'intervention de l'Etat, et les missions régaliennes qui devraient être les siennes en priorité.

La commission a alors décidé de proposer au Sénat de rejeter les crédits du budget des affaires étrangères .

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