TITRE III
DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE PÉNAL
ET LE CODE DE PROCÉDURE PÉNALE

Article 38
(art. 131-30, 131-30-1 nouveau, 131-30-2 nouveau, 213-2, 222-48, 414-6, 422-4, 431-19 et 442-12 du code de procédure pénale,
art. 78 de la loi n° 98-467 du 17 juin 1998)
Aménagements de peine et modifications des protections de certains étrangers en matière d'interdiction du territoire français

Cet article tend à :

- permettre aux étrangers faisant l'objet d'une interdiction du territoire français, prononcée à titre de peine complémentaire à une peine d'emprisonnement, de bénéficier de mesures d'aménagement de peine (paragraphe I du présent article) ;

- modifier, en matière d'interdiction du territoire français, les catégories d'étrangers bénéficiant d'une protection relative contre la peine et créer une protection absolue pour certains autres (paragraphe II du présent article) ;

- supprimer les exceptions actuellement existantes au principe de protection relative de certains étrangers en matière d'interdiction du territoire national (paragraphe III du présent article).

De même que les arrêtés d'expulsion, les peines d'interdiction du territoire français sont vivement critiquées lorsqu'elles sont appliquées à des personnes ayant des liens familiaux, sociaux, voire culturels particulièrement forts avec la France. La situation intenable des « double peine » et de leurs familles, frappées par l'une de ces mesures est désormais largement connue 333( * ) . En conséquence, le présent projet de loi engage une réforme de la législation des mesures d'éloignement 334( * ) dont le présent article, concernant les peines d'interdiction du territoire national, constitue l'élément central et majeur .

I. Le bénéfice de mesures d'aménagement de peine pour les étrangers condamnés à une peine complémentaire d'interdiction du territoire français

Jusqu'à présent, les étrangers condamnés à une peine d'emprisonnement et, à titre complémentaire, à une peine d'interdiction du territoire français, ne bénéficiaient pas d'aménagements de peine.
En effet, il n'était pas envisagé, après avoir condamné une personne à une peine complémentaire d'interdiction du territoire national, de la laisser vivre en dehors de la prison, sur le territoire français, même dans le cadre d'un aménagement de sa peine d'emprisonnement.

La chambre criminelle de la cour de cassation, dans un arrêt du 25 mars 1987 335( * ) , a exclu la possibilité d'aménagements de peine dans cette hypothèse, en se fondant sur le principe selon lequel « l'interdiction du territoire français prononcée à titre de peine complémentaire contre un étranger condamné en application de l'article L. 630-1 du Code de la santé publique implique celle de séjourner en France durant l'exécution de la peine principale, ailleurs que dans l'établissement où celle-ci est exécutée ».

Si la libération conditionnelle est néanmoins possible, en vertu de l'article 729-2 du code de procédure pénale, elle ne peut toutefois être décidée qu'aux fins d'exécution de la peine d'interdiction du territoire national . Dans cette hypothèse, la libération conditionnelle peut être décidée sans le consentement de l'intéressé 336( * ) .

L'impossibilité de prendre des mesures d'aménagements de peine pour les étrangers faisant l'objet d'une peine complémentaire d'interdiction du territoire français n'est pas sans présenter certains inconvénients. En effet, elle exclut toute possibilité de réinsertion , aspect pourtant essentiel de la sanction pénale. Comme l'indique le groupe de travail sur la « double peine », dans son rapport précité, « cette conséquence de la peine d'interdiction du territoire français - qui est très logique sur le plan juridique - constitue de facto un obstacle sérieux à la réinsertion des personnes condamnées. Ces mesures d'aménagement des peines sont en effet considérées comme des facteurs importants de réussite dans le processus de réinsertion des délinquants. C'est sans doute ce qui explique que, parfois, cette conséquence légale de la peine d'interdiction du territoire français n'est pas respectée. L'examen des dossiers signalés au ministère de l'intérieur entre décembre 2002 et mars 2003 a montré que certaines personnes condamnées à des peines complémentaires d'interdiction du territoire français ont bénéficié de mesures de cette nature durant leur détention. »

Les étrangers ayant des liens particuliers avec la France devraient désormais, même s'ils ont été condamnés à une peine complémentaire d'interdiction du territoire, bénéficier d'une possibilité de prouver que leur comportement a changé en prison. En effet, ils n'ont quasiment aucune chance de réinsertion dans leur pays d'origine s'ils n'en connaissent ni la langue, ni la culture, ou qu'ils n'y ont plus aucun proche 337( * ) . Par conséquent, afin de leur donner une chance de s'amender, et de se réinsérer, le projet de loi prévoit de revenir sur le droit actuellement en vigueur.

Conformément à la proposition n° 4 du groupe de travail sur la « double peine », le présent article pose le principe selon lequel la peine complémentaire d'interdiction du territoire français, tout en conservant son caractère dissuasif, ne ferait désormais plus obstacle à ce que la peine d'emprisonnement fasse l'objet d'aménagements de peine. De plus, il est précisé que ces mesures seraient prises dans la perspective de préparer une requête en relèvement de la peine d'interdiction du territoire français, ce qui justifie la recherche de réinsertion de ces délinquants étrangers.

Ces dispositions remplaceraient, à l'article 131-30 du code pénal, les actuels alinéas quatre à dix, relatifs à la protection relative de certaines catégories d'étrangers contre la peine d'interdiction du territoire national, qui feraient désormais l'objet d'un nouvel article 131-30-1.

Les mesures d'aménagements de peine prononcées par le juge d'application des peines, pourraient être des mesures de semi-liberté, de placement à l'extérieur, de placement sous surveillance électronique, ou encore de permissions de sortir. Elles profiteront principalement à ceux qui, sans pouvoir bénéficier des protections dont bénéficient certaines catégories d'étrangers contre les peines d'interdiction du territoire français, ont indéniablement des liens avec la France.

Poursuivant le même objectif de réinsertion, les articles 38 bis et 41 du projet de loi instaurent respectivement la possibilité de prononcer, avec une interdiction du territoire français, une peine de prison avec sursis et mise à l'épreuve ou une mesure de libération conditionnelle 338( * ) .

II. De nouvelles règles favorables à la protection de certains étrangers contre les peines d'interdiction du territoire

Le présent article tend à créer deux nouveaux articles 131-30-1 et 131-30-2 du code pénal. Le premier reprend et modifie les actuels alinéas quatre à dix de l'article 131-30 du code pénal, posant les catégories d'étrangers bénéficiant d'une protection relative contre les peines d'interdiction du territoire français. Le second prévoit la création d'une protection absolue contre ces mêmes mesures, pour certains étrangers ayant des liens particulièrement forts avec la France.

Ces dispositions constituent l'évolution majeure proposée par le projet de loi concernant la réforme de la législation sur la peine d'interdiction du territoire français.

• Le maintien d'une protection relative pour certaines catégories d'étrangers

Comme pour l'expulsion, le droit actuel régissant la peine d'interdiction du territoire prévoit déjà une protection relative pour certains catégories d'étrangers du fait des liens familiaux, sociaux, voire culturels qu'ils ont pu tisser en France . Celle-ci prend la forme d'une exigence de motivation « au regard de la gravité de l'infraction et de la situation personnelle et familiale » de ces étrangers, prévue à l'article 131-30 du code pénal.

Contrairement à celle prévue en matière d'expulsion 339( * ) , elle n'empêche pas le juge de prononcer cette peine.

Cette exigence de motivation , comme le précisera désormais le texte, n'est applicable qu'en matière correctionnelle , dans la mesure où les décisions des cours d'assises ne sont jamais motivées.

Le projet de loi prévoit que la peine devrait désormais être prononcée par cette « décision spécialement motivée » lorsqu' est en cause :

- l'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, s'il établit contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, depuis la naissance de l'enfant ou depuis un an en cas de reconnaissance postérieure ;

- l'étranger marié depuis au moins un an avec un conjoint de nationalité française à condition que le mariage soit antérieur aux faits ayant entraîné la condamnation, que la communauté de vie n'ait pas cessé et que le conjoint ait conservé la nationalité française ;

- l'étranger justifiant par tous moyens qu'il réside habituellement en France depuis plus de quinze ans, sauf s'il était titulaire pendant cette période d'une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » ;

- l'étranger résidant régulièrement depuis plus de dix ans en France, sauf s'il était titulaire pendant cette période d'une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » ;

- l'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égale ou supérieure à 20% ;

- l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sauf s'il peut effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays de renvoi.

Les catégories d'étrangers protégées par le nouvel article 131-30-1 du code pénal seraient quasiment identiques à celles prévues pour la protection relative de certaines catégories d'étrangers contre les arrêtés d'expulsion. Toutefois, la condition, déjà existante, selon laquelle l'étranger susceptible d'être condamné à une peine d'interdiction du territoire français ne peut invoquer son mariage que si celui-ci est antérieur aux faits ayant entraîné la condamnation, est maintenue alors qu'elle n'est pas exigée en matière de protection contre l'expulsion. En revanche, au présent article l'étranger doit toujours être marié depuis un an avec un ressortissant français, alors que pour l'expulsion, la durée nécessaire de mariage pour bénéficier de la protection est passée de un à deux ans, suite à un amendement adopté par l'Assemblée nationale 340( * ) .

Il est également à noter que la catégorie des étrangers justifiant qu'ils résident habituellement en France depuis qu'ils ont atteint au plus l'âge de dix ans serait exclue de la protection relative parce qu'elle bénéficierait désormais d'une protection absolue étendue aux étrangers arrivés jusqu'à l'âge de treize ans.

Le III du présent article du projet de loi propose également une modification du droit actuel relatif à la protection relative contre une peine d'interdiction du territoire national. Il prévoit en effet la suppression des infractions constituant actuellement des exceptions à l'obligation de motivation spéciale des condamnations prononçant cette peine à l'encontre de certains étrangers : crimes contre l'humanité (article 213-2 du code pénal), trafic de stupéfiants (article 222-48 du code pénal), la majorité des infractions constituant des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation (article 414-6 du code pénal), le terrorisme (article 422-4 du code pénal) la participation à un groupe de combat ou à un mouvement dissous (article 431-19 du code pénal) et la fausse monnaie (article 442-12 du code pénal).

L'Assemblée nationale a également ajouté à cette liste les infractions à la législation relative à l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction (art. 78 de la loi n°98-467 du 17 juin 1998 relative à l'application de la convention du 13 janvier 1993 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction).

Comme l'indique l'exposé des motifs du présent projet de loi, la suppression de ces exceptions s'explique par le fait que, héritage de législations antérieures où la protection prévue pour certains étrangers contre cette peine était absolue, « elles n'ont pas véritablement de sens s'agissant d'une simple exigence de motivation spéciale. »

• L'instauration d'une protection absolue pour certaines catégories d'étrangers

La loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991 renforçant la lutte contre le travail clandestin et la lutte contre l'organisation de l'entrée et du séjour irréguliers d'étrangers en France avait déjà instauré une protection absolue pour certaines catégories d'étrangers ayant des liens particuliers avec la France contre une peine d'interdiction du territoire français. Ainsi, cette peine n'était pas applicable pour les étrangers résidant habituellement en France depuis qu'ils ont atteint l'âge de dix ans, résidant régulièrement en France depuis plus de quinze ans, parent d'un enfant français résidant en France, à condition qu'ils exercent, même partiellement, l'autorité parentale ou subviennent effectivement à ses besoins, ou enfin à l'étranger marié depuis au moins six mois avec un ressortissant français, à condition que ce mariage soit antérieur aux faits ayant entraînés la condamnation, que la communauté de vie n'ait pas cessé et que le conjoint ait conservé sa nationalité française.

Cependant, la loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France, a modifié ces dispositions, en prévoyant que l'interdiction du territoire français pouvait désormais être prononcée contre ces étrangers protégés, mais uniquement par une « décision spécialement motivée ». Dès lors, la protection absolue n'est plus devenue que relative. Cette dernière n'est pas remise en cause par le présent projet de loi.

Deux propositions de loi 341( * ) ont envisagé l'instauration d'une protection absolue, afin de résoudre les situations douloureuses des « double peine » 342( * ) et de leurs familles : proposition de loi n° 380 (session 2002-2003) présentée par MM. Jean-Marc Ayrault, Christophe Caresche, Alain Vidalies et les membres du groupe socialiste visant à protéger certaines catégories d'étrangers, et proposition de loi n° 478 (session 2002-2003) présentée par M. Etienne Pinte, visant à réformer le prononcé des peines d'interdiction du territoire et les procédures d'expulsion.

Le présent article du projet de loi pose de nouveau le principe d'une protection absolue pour certaines catégories d'étrangers contre les peines d'interdiction du territoire , de même que pour les mesures d'expulsion et conformément à la proposition n° 13 du groupe de travail sur la « double peine ». Cette protection figurerait dans un nouvel article 131-30-2 du code pénal.

Même si cette protection n'est que quasi absolue en réalité, certaines exceptions étant prévues pour des infractions extrêmement graves, elle devrait désormais offrir à certains étrangers, du fait de leurs liens particulièrement intenses avec la France, la garantie de ne plus pouvoir faire l'objet d'une peine d'interdiction du territoire.

Comme pour les mesures d'expulsion, les catégories d'étrangers protégés par le présent dispositif ont été déterminées par la volonté, ainsi qu'exposé dans le rapport du groupe de travail sur la « double peine », de prendre en compte « deux types de situations : d'une part l'éloignement des étrangers qui sont en France depuis l'enfance, pour lesquels la « double peine » constitue un bannissement ; d'autre part, l'éloignement d'étrangers qui provoquerait l'éclatement de familles stables. » Elles sont d'ailleurs quasiment identiques à celles prévues en matière d'expulsion.

Ainsi, seraient concernés par une protection absolue :

- l'étranger résidant habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ;


- l'étranger résidant régulièrement en France depuis plus de vingt ans ;

- l'étranger résidant régulièrement en France depuis plus de dix ans et marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française ou avec un ressortissant étranger résidant habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans, à condition que le mariage soit antérieur aux faits ayant entraîné sa condamnation et que la communauté de vie n'ait pas cessé ;

- l'étranger résidant régulièrement en France depuis plus de dix ans , ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil, depuis la naissance de l'enfant ou depuis un an en cas de reconnaissance postérieure. La condition d'établissement d'une contribution effective à l'entretien et à l'éducation de l'enfant est issue d'un amendement présent par M. Etienne Pinte et adopté par l'Assemblée nationale pour les mêmes raisons qu'aux articles 7, 22, 24 et au II du présent article du projet de loi 343( * ) .

Comme en matière d'expulsion, certaines exceptions liées à la nature de l'infraction sont prévues. La liste des infractions retenues a été établie en fonction de leur gravité particulière au regard de la protection de l'ordre public et de la sûreté de l'Etat, et du fait que leur nature même permet de remettre en cause la sincérité de l'attachement de l'étranger à la France. Toutefois elle s'avère quelque peu différente de celle retenue pour la protection absolue contre les arrêtés d'expulsions 344( * ) .

Le projet de loi, pour fixer les exceptions à cette protection, suit la proposition faite par le groupe de travail sur la « double peine », en reprenant la liste déjà existante à l'actuel article 131-30 du code pénal en matière de protection relative.

Ainsi, la protection prévue au nouvel article 131-30-2 du code pénal ne s'appliquerait pas pour la grande majorité des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, les actes de terrorisme, les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous et les infractions à la législation sur la fausse monnaie.

De plus, le présent article prévoit également que l'étranger ne pourra pas bénéficier de la protection absolue contre une peine d'interdiction du territoire en se fondant sur son mariage avec un ressortissant français ou un étranger vivant en France depuis son enfance, ou sur le fait qu'il est père ou mère d'un enfant français, lorsque les faits à l'origine de sa condamnation ont été commis à l'encontre de son conjoint ou de ses enfants.

Votre commission vous soumet un amendement rédactionnel et vous propose d'adopter l'article 38 ainsi modifié.

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