b) Redéfinir la compensation généralisée
La
compensation demande à un ensemble de régimes de
transférer à d'autres des sommes très
élevées au titre de la solidarité, alors même que
les règles de cotisations et de prestations de ces régimes sont
totalement différentes. Il y a là une incohérence
potentiellement porteuse d'injustice qui appelle deux actions : organiser
une convergence entre les régimes, au nom de la justice sociale ;
accorder à la commission de compensation des moyens accrus pour
expertiser et améliorer ces mécanismes de compensation.
L'origine du mécanisme de compensation
Le système français de sécurité sociale est
caractérisé par un grand nombre de régimes
organisés sur le principe de la répartition au sein d'un groupe
socioprofessionnel. Ces régimes, créés à des
époques différentes, ont chacun leurs spécificités.
Leur démographie varie sensiblement, leurs moyens financiers
également. Ces derniers sont d'autant plus élevés que le
nombre de cotisants est supérieur au nombre de retraités et que
le salaire moyen du groupe sur lequel sont assises les cotisations est
important.
Aussi est-il apparu juste, à défaut de la création du
régime « unique » souhaité en 1945,
d'instaurer un mécanisme de solidarité entre les régimes.
La loi du 24 décembre 1974 a instauré un système
de compensation généralisée. Son objet est
d'empêcher que certains régimes n'encourent la faillite ou ne
soient dans l'obligation de mettre en oeuvre des mesures d'économie
sévères pour atteindre un équilibre interne manifestement
hors de leur portée. A ce jeu de compensation entre régimes
- qui est établie au titre des trois risques
11(
*
)
-, certains sont contributeurs nets
et d'autres bénéficiaires nets.
Comme les régimes ne fonctionnent pas selon des règles
similaires, il serait inéquitable de répartir les transferts de
compensation en se limitant à redistribuer aux uns les excédents
des autres. Aussi, le troisième alinéa de
l'article L. 134-1 du code de la sécurité sociale
précise les objectifs des mécanismes de compensation :
«
La compensation tend à remédier aux
inégalités provenant des déséquilibres
démographiques et des disparités de capacités
contributives entre les différents régimes
».
Il s'agit de déterminer la situation des différents
régimes si on leur appliquait les caractéristiques d'un
régime fictif qui servirait une prestation dite « de
référence ». Seuls les régimes de
sécurité sociale dont l'effectif des actifs cotisants et des
retraités titulaires de droits propres âgés de
65 ans
12(
*
)
ou plus
dépasse au total 20.000 personnes participent à cette
compensation.
Les modalités de la compensation
généralisée
Le dispositif comporte deux étapes :
- une compensation entre régimes de salariés, où les
capacités contributives des régimes sont prises en compte puisque
les cotisations du régime fictif sont assises sur les masses
salariales ;
- une compensation entre les régimes de salariés (ceux-ci
étant agrégés dans un seul régime global) et les
régimes de non-salariés. Celle-ci repose sur l'application d'un
régime fictif, mais la cotisation est uniforme par cotisant et non
proportionnelle aux masses salariales.
A l'origine, la prestation de référence retenue fut celle du
régime des exploitants agricoles en tant que prestation moyenne la plus
basse servie par les régimes en présence. Pour les exercices
1993, 1994 et 1998, elle céda la place à celle de l'ORGANIC, puis
à celle de la CAVIMAC en 1999, puis à nouveau à celle
l'ORGANIC à compter de 2000.
La compensation généralisée vieillesse
(en millions d'euros)
|
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
REGIMES CONTRIBUTEURS |
|
|
|
|
|
|
Régime général |
1.721,9 |
1.745,1 |
1.882,7 |
2.100,7 |
2.886,0 |
2.848,7 |
Fonctionnaires |
1.795,2 |
1.825,5 |
1.804,7 |
1.741,1 |
1.502,4 |
1.537,5 |
CNRACL |
1.484,1 |
1.493,0 |
1.513,0 |
1.559,1 |
1.395,7 |
1.426,8 |
SNCF |
|
11,1 |
17,2 |
3,6 |
|
|
RATP |
27,4 |
27,9 |
28,7 |
29,5 |
25,2 |
25,3 |
EGF |
114,4 |
118,5 |
116,9 |
103,4 |
80,4 |
75,2 |
Banque de France |
5,8 |
5,4 |
5,0 |
5,0 |
3,7 |
3,7 |
CNAVPL |
392,1 |
398,1 |
405,2 |
406,7 |
318,5 |
332,9 |
CNBF |
43,9 |
47,2 |
51,1 |
54,7 |
48,5 |
52,7 |
TOTAL en euros |
5 . 584,9 |
5 . 671,7 |
5 . 824,5 |
6.003,8 |
6.260,4 |
6302.8 |
REGIMES BENEFICIAIRES |
|
|
|
|
|
|
BAPSA (exploitants agricoles) |
3.981,0 |
4.046,9 |
4.149,0 |
4.228,0 |
4.294,7 |
4.295,1 |
ORGANIC |
732,1 |
745,5 |
783,8 |
834,6 |
946,6 |
955,2 |
CANCAVA |
299,9 |
320,5 |
324,3 |
361,2 |
436,5 |
472,9 |
CANSSM (mines) |
320,5 |
319,3 |
317,8 |
324,5 |
310,4 |
307,9 |
CAVIMAC |
171,4 |
173,4 |
175,8 |
178,0 |
177,1 |
175,8 |
ENIM |
49,7 |
51,4 |
54,3 |
55,5 |
57,6 |
59,6 |
SNCF |
19,4 |
|
|
|
5,4 |
1,5 |
FSPOIE |
8,3 |
12,2 |
16,4 |
18,0 |
23,6 |
24,3 |
CRPCEN |
2,6 |
2,5 |
3,1 |
3,8 |
8,6 |
10,5 |
TOTAL |
5.584,9 |
5.671,7 |
5.824,5 |
6003.6 |
6.260,5 |
6.302,8 |
Source : d'après le PLF pour 2004, annexe E.
La réforme de la compensation est
indispensable,
mais elle soulève des questions techniques difficiles.
Les mécanismes de compensation atteignent aujourd'hui leurs limites,
excellemment décrites par un rapport de MM. Yves Ullmo et Louis-Paul
Pelé, remis en septembre 2001 au Conseil d'orientation des retraites.
Les difficultés statistiques du calcul de la compensation
Afin de
calculer les sommes dues par chaque régime au titre de la compensation
généralisée vieillesse, un double calcul est
effectué nécessitant de connaître
précisément :
- le décompte des effectifs cotisants,
- la masse salariale.
Les Sources statistiques sont toutefois importantes :
- la CNAVTS ne fournit pas elle-même ses effectifs cotisants.
Ceux-ci sont déterminés par l'INSEE dont les évaluations
ne sont actualisées qu'au gré des recensements. Ainsi,
l'évaluation des effectifs cotisants de la CNAVTS a été
brusquement réévaluée de 600.000 personnes en 2002.
- la masse salariale relative au calcul de la compensation des
fonctionnaires est fournie par la direction du budget sans que cette
donnée puisse faire l'objet d'une expertise contradictoire.
Le système est devenu tout d'abord trop complexe
. Comme on l'a
vu, il repose sur des règles différentes entre la compensation
généralisée et la compensation spécifique
également appelée « surcompensation ». La
référence à une « prestation
minimale » a été, dans les faits,
écartée : la Direction du budget a proposé d'exclure
les petits régimes de la détermination de cette prestation. Il
est certain que la référence au régime
« atypique » de la CAVIMAC n'était pas
peut-être pertinente. Cependant, les manipulations de variables
permettent d'une année sur l'autre des écarts importants,
créditant l'idée chez les régimes débiteurs, pas
toujours inexacte, que la compensation n'est qu'un savant habillage d'une
« ponction ».
Le système est ensuite devenu inéquitable
. Certains
régimes créditeurs peuvent devoir financer pour les
retraités des autres régimes, par l'intermédiaire de la
compensation, des prestations supérieures à celles qu'ils versent
à leurs propres retraités. Les avantages familiaux pris en charge
par le Fonds de solidarité vieillesse sont intégrés dans
la prestation de référence. Lorsqu'un régime
bénéficie de la compensation, et reçoit un transfert du
FSV au titre des majorations familiales, ces majorations lui sont en quelque
sorte remboursées deux fois.
Enfin, le système est devenu totalement illisible
. Des
régimes « contributeurs » de la compensation
généralisée sont
« bénéficiaires » de la compensation
spécifique
13(
*
)
. Les
différents mécanismes de plafonnement de la contribution des
régimes, en ce qui concerne la compensation spécifique, n'ont pas
correctement fonctionné. En effet, ils ne prenaient pas en compte la
progression des transferts dus au titre de la compensation
généralisée. La situation de la CNRACL, seul régime
de retraite officiellement
déficitaire
, et obligée de
recourir à l'emprunt, alors qu'il s'agit d'un régime
structurellement
excédentaire
, illustre au plus haut chef les
limites des mécanismes de compensation.
Les solutions possibles
Votre rapporteur constate qu'il existe trois possibilités de
réforme.
- le scénario radical consisterait à supprimer tout
mécanisme de compensation entre les régimes ;
- le scénario minimal consisterait à tenter de
définir des règles stables et des mécanismes de
plafonnement, évitant que les régimes soient trop lourdement
ponctionnés. Ce scénario minimal aboutirait inévitablement
à une complication encore plus grande du système de
compensation ;
- le scénario médian nécessite de réformer la
compensation généralisée et de supprimer la compensation
spécifique (surcompensation). C'est le chemin qui a été
choisi par le Gouvernement dans le cadre de la loi du 21 août 2003.
En définitive, l'enjeu principal n'est pas technique ou même
financier. Compte tenu des masses financières en jeu, du
caractère décisif pour un grand nombre de régimes des
contributions versées ou perçues, et des défauts du
système actuel, l'enjeu semble être bien davantage politique et
pédagogique. Il s'agit, pour le citoyen, le Parlement et les
décideurs publics, de rendre les calculs lisibles et transparents.