D. LE TABOU FRANÇAIS DES « RÉGIMES SPÉCIAUX »
La
question des régimes spéciaux nécessite, à
l'évidence, une mention particulière dans le cadre de toute
analyse de la branche vieillesse. Il s'agit au demeurant d'un véritable
tabou français, puisqu'il avait suffi d'évoquer une
réforme du régime spécifique de la SNCF pour provoquer des
mouvements sociaux d'une ampleur considérable. Nous comprenons que le
Gouvernement ait choisi de disjoindre leur cas de celui de l'ensemble des
autres assurés sociaux afin de laisser, ici aussi, le temps de
dégager, si possible, un diagnostic partagé, grâce au
dialogue social.
Nous ne pouvons néanmoins que renouveler nos inquiétudes quant
aux perspectives financières alarmantes de ces régimes. Leur
pérennité n'est d'ores et déjà plus assurée,
et depuis longtemps, que par la mise à la contribution, sous toutes ses
formes, de la solidarité nationale.
a) Des origines anciennes
On peut
définir les régimes spéciaux comme des dispositifs prenant
en charge certains risques et notamment le risque vieillesse, qui sont
applicables aux assurés sociaux ne relevant pas du régime
agricole et qui accordent des avantages particuliers que l'on ne retrouve pas
dans le régime général. Ces régimes sont
visés aux articles L. 711-1 et R. 711-1 du code de la
sécurité sociale.
Ils ont une origine historique ancienne. Sans même remonter au
système de retraite créé par Colbert au profit des marins,
une mosaïque de régimes s'est progressivement constituée
depuis le XIX
e
siècle : Banque de France (1806),
Comédie Française (1812), Chemin de fer (1855), mines (1894). Ils
se sont développés sur une base proche du régime de
retraite de la fonction publique.
Malgré l'ambition universaliste de l'ordonnance du 4 octobre 1945, ces
régimes ont finalement alors été maintenus à cause
de trois facteurs essentiels. En premier lieu, en raison du niveau de
protection sociale supérieur à celui offert aux salariés
de droit commun, qui pèse naturellement toujours en faveur du statu quo.
La seconde raison, elle aussi toujours actuelle, réside dans le
caractère de bastion corporatiste de la plupart des grandes entreprises
nationales. Organisés sur une base professionnelle restreinte, ces
régimes ont la capacité d'exercer une pression très forte
sur la puissance publique. L'exemple type est celui de la SNCF, en 1995,
où l'opposition syndicale fut acharnée. La dernière raison
tiendrait à la pénibilité des travaux
réalisés, qui justifierait notamment un âge
particulièrement précoce de départ en retraite. Ce facteur
fait, en revanche, l'objet de critiques croissantes. Pourquoi le personnel
roulant de la SNCF bénéficierait-il aujourd'hui encore d'une
retraite à taux plein à l'âge de cinquante ans, alors que
leurs conditions de travail n'ont plus rien de comparables avec celles des
premières années du XX
e
siècle ?
Les régimes spéciaux accordent des avantages spécifiques
à leurs bénéficiaires et apparaissent, de ce fait, fort
coûteux. Compte tenu d'un rapport démographique
généralement défavorable, leur service n'est assuré
que par des transferts de l'État et la mise à contribution de la
solidarité nationale.On remarque à ce propos que dans tous les
cas le nombre de cotisants est ou bien sensiblement égal à celui
des retraités (de droits directs et de droits dérivés),
comme à la RATP et à EDF/GDF, ou bien encore même nettement
inférieur, comme à la SNCF ou pour le régime des mines.
Les principaux régimes spéciaux
Régime de prévoyance des marins français |
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Régime de sécurité sociale des mines |
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Régime de retraites de la sécurité nationale des chemins de fer (SNCF) |
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Régime de retraites de la régie autonome des transports parisiens (RATP) |
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Régime de retraites des agents soumis au statut national du personnel des industries électriques et gazières (EDF-GDF) |
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Régime de retraites de la Banque de France |
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Régime de retraites de l'Opéra, de l'Opéra comique et du Théâtre français |
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SNCF |
EDF /GDF |
RATP |
Mines |
|
Nombre de cotisants |
178.062 |
146.811 |
43.450 |
17.752 |
|
Nombre de retraités de droits directs |
193.000 |
105.835 |
30.282 |
221.768 |
|
Nombre de retraités de droits dérivés |
115.100 |
41.987 |
12.347 |
158.372 |
|
Masse des pensions (ME) |
4.558 |
3.179 |
4.103 |
2.400 |
Source : CCSS sept 2003
Les quatre principaux régimes spéciaux de retraite sont ceux de la SNCF, de la RATP, d'EDF/GDF et des mines. Ils totalisent en 2003 une masse de prestations versées de 10,8 milliards d'euros.