Liste des personnes entendues
par M. Patrice Gélard
Rapporteur de
la commission des Lois
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Direction des Affaires Civiles et du Sceau et cabinet du Garde
des Sceaux
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ANNEXE
2
Compte-rendu des auditions publiques
de la commission des Lois
(les
mercredi 10 et mardi 16 décembre 2003)
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Audition de M. Dominique PERBEN, garde des sceaux,
ministre de la
justice
Rappelant que la réforme du divorce s'inscrivait dans le
cadre de celle, plus large, du droit de la famille,
M. Dominique Perben,
garde des sceaux, ministre de la justice,
a annoncé, pour 2004, le
dépôt, au Parlement, de deux projets de loi, relatifs au droit des
successions et à la protection des majeurs vulnérables.
Il a indiqué que le projet de loi relatif au divorce visait à
adapter le dispositif issu de la loi du 11 juillet 1975 aux évolutions
de la société, tout en préservant l'équilibre entre
les parties dans la procédure.
Rappelant que le projet de loi faisait suite à un groupe de travail
réunissant universitaires, praticiens, magistrats et parlementaires, il
a souligné qu'avait été écartée
l'idée d'un divorce déjudiciarisé, qui n'apporterait pas
de garanties suffisantes.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice,
a
indiqué que le projet de loi avait pour objectifs de pacifier et
simplifier les procédures, tout en responsabilisant les époux.
Déplorant le recours trop fréquent au divorce pour faute pour des
raisons procédurales ou pécuniaires, il a précisé
que cette procédure était maintenue, mais serait modifiée,
afin de dissocier les conséquences du divorce et la répartition
des torts.
En outre, il a indiqué qu'un cas de divorce pour altération
définitive du lien conjugal serait substitué au divorce pour
rupture de la vie commune, et serait fondé sur une séparation de
deux années avant la requête en divorce ou après
l'ordonnance de non-conciliation. Il a estimé qu'un débat
pourrait s'engager lors de l'examen au Parlement s'agissant du point de
départ et de la durée de la séparation.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice,
a
souligné la nécessité d'apaiser les procédures de
divorce et de développer le conseil et l'accompagnement social,
notamment grâce à la médiation, rappelant la baisse parfois
dramatique du niveau de vie des époux du fait de la séparation.
Par ailleurs, il a rappelé que le projet de loi visait à
anticiper le règlement des opérations de liquidation du
régime matrimonial, sans toutefois lier liquidation et prononcé
du divorce, ce qui retarderait considérablement le divorce. Il a
indiqué que le juge pourrait désigner un notaire dès
l'audience de conciliation, et qu'une proposition de règlement des
intérêts pécuniaires devrait être jointe à
l'assignation en divorce.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice,
a ensuite
souligné la simplification du divorce par consentement mutuel,
désormais prononcé au terme d'une seule audience, le juge devant
garantir la liberté des consentements et l'équilibre des
conventions, et pouvant ordonner, le cas échéant, une
deuxième audience.
Il a en outre signalé que la procédure de divorce demandé
et accepté serait simplifiée, son formalisme excessif
étant unanimement critiqué, et que des passerelles entre
procédures seraient instaurées.
Il a ensuite indiqué que les parties pourraient également
présenter des conventions relatives aux enfants ou aux
conséquences du divorce, soumises à l'homologation du juge.
Puis
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice,
a
évoqué le nouveau dispositif visant à mieux
protéger l'époux victime de violences conjugales. Il a
précisé que la victime pourrait, avant toute procédure de
divorce, saisir le juge afin qu'il soit statué, de façon
contradictoire, sur la résidence séparée du couple, et
bénéficier d'une préférence pour le maintien au
domicile conjugal.
S'agissant de la prestation compensatoire, il a indiqué que le
dispositif issu de la loi du 30 juin 2000 serait maintenu, sous réserve
de quelques assouplissements, comme la possibilité de prononcer des
prestations mixtes, et serait étendu au divorce pour altération
définitive du lien conjugal.
Le ministre a par ailleurs souligné que lors du décès du
débiteur, la prestation compensatoire serait prélevée sur
l'actif successoral et dans les limites de celui-ci, un capital étant
substitué à la rente viagère. Il a estimé que le
dernier sujet de controverses était ainsi réglé.
M. Patrice Gélard, rapporteur,
a tout d'abord souhaité
interroger le ministre sur les modalités de la substitution automatique
d'un capital à la rente viagère au décès du
débiteur, indiquant que l'absence de définition d'une
méthode de calcul mathématique dans la loi actuelle avait
provoqué l'inquiétude tant des créanciers que des
débiteurs de prestation compensatoire.
Il a souhaité connaître le bilan de l'assouplissement des
possibilités de révision des prestations compensatoires servies
sous forme de rentes viagères depuis la loi du 30 juin 2000.
Il s'est en outre interrogé sur la pertinence du maintien de l'âge
requis pour le mariage pour les femmes à 15 ans, alors même que
celui-ci est de 18 ans pour les hommes. Il a rappelé que cette
différence, contraire à la parité, pouvait favoriser des
mariages forcés.
Enfin, il a souhaité aborder la question des droits à la retraite
des conjoints s'étant consacrés à l'éducation des
enfants et à la promotion de la carrière de leur époux et
divorçant après trente ans de mariage. Il a indiqué que la
loi allemande permettait dans ce cas d'attribuer la moitié de la
différence des droits à la retraite à un conjoint lors du
divorce.
Mme Janine Rozier, rapporteur de la délégation aux droits des
femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les
femmes,
a noté les avancées faites par le projet de loi
s'agissant de couples jeunes sans enfant. Elle a en revanche souligné la
situation critique des femmes demeurées trente ans à la maison
pour élever leurs enfants et s'occuper de leur foyer, soulignant
qu'elles se retrouvaient privées de sécurité sociale et
dans la quasi impossibilité de retrouver un emploi.
Rappelant que le divorce était souvent la première occasion de se
retrouver face à la justice, et que les époux étaient bien
souvent désemparés, elle a estimé nécessaire une
information sur le déroulement de la procédure.
M. Michel Dreyfus-Schmidt
a rappelé que le projet de loi avait
été rédigé sur la base du texte voté par le
Sénat en première lecture en 2002 lors de l'examen de la
proposition de loi de M. François Colcombet.
Il s'est félicité de l'exclusion de la déjudiciarisation.
Néanmoins, il s'est interrogé sur le maintien de la
possibilité en cas de demande conjointe d'avoir recours à un
avocat commun, estimant qu'un avocat ne pouvait défendre des
intérêts contradictoires, notamment en matière de
prestation compensatoire.
Il s'est en outre prononcé en faveur d'un divorce sans juge en l'absence
d'enfant et de biens immobiliers, lorsque les deux époux travaillent.
Estimant que le système de la pension alimentaire antérieur
à celui de la prestation compensatoire était très souple,
une révision pouvant intervenir à tout moment devant le juge
d'instance, M
. Michel Dreyfus-Schmidt
a déploré son
remplacement par un capital échelonné sur huit années.
S'agissant de la transmissibilité passive de la prestation
compensatoire, il a estimé que les héritiers devaient continuer
à verser la rente viagère ou refuser la succession, le droit
commun devant s'appliquer.
Il a enfin approuvé le principe d'une comparution unique pour le divorce
par demande conjointe.
Après avoir souligné les difficultés des femmes
élevant seules leurs enfants,
Mme Hélène Luc
a
approuvé la possibilité d'évincer le conjoint violent du
domicile conjugal, soulignant les carences de l'accueil des femmes victimes de
violences conjugales. Elle a cependant souhaité que soient
précisées les conditions financières de cette
éviction, l'époux devant continuer à contribuer aux
charges du ménage.
Elle a par ailleurs appelé à une meilleure information
délivrée par la Chancellerie sur les procédures de
divorce.
En réponse au rapporteur,
M. Dominique Perben, garde des sceaux,
ministre de la justice,
a indiqué que la substitution du capital
à la rente s'effectuerait en fonction de tables d'arrérages, et
ne serait pas l'occasion de procéder à une révision de la
rente.
Il a en outre indiqué qu'en 2002, 1.850 demandes de révision
avaient été introduites, contre 2.352 en 2001 et 1.261 en 2000,
dont 60 % avaient abouti à une révision totale ou partielle.
S'agissant de l'âge du mariage, il a indiqué que le projet de loi
ne traitait que du divorce.
Concernant les droits à la retraite, il a rappelé que les droits
à la retraite étaient pris en compte lors de la fixation de la
prestation compensatoire, et qu'une transposition du système allemand
aboutirait à une diminution des prestations compensatoires.
En réponse à Mme Janine Rozier,
M. Dominique Perben, garde des
sceaux, ministre de la justice,
a indiqué qu'il faisait confiance au
tissu associatif pour informer les citoyens, notamment sur les
conséquences matérielles et financières d'un divorce.
S'agissant de la proposition de M. Michel Dreyfus-Schmidt de prévoir un
avocat pour chaque époux, il a indiqué que le projet de loi ne la
retenait avant l'assignation que lors de l'acceptation du principe de la
rupture du mariage, afin d'éviter des pressions d'un conjoint sur
l'autre, alors même que cette acceptation n'est pas susceptible de
rétractation. Il a rappelé que les avocats eux-mêmes
n'avaient pas de position unanime à ce sujet et estimé qu'il
convenait de laisser le choix aux époux.
En réponse à
Mme Gisèle Printz
, qui s'interrogeait
sur les recours possibles en cas de non-paiement de la prestation
compensatoire, il a indiqué que les voies d'exécution classiques,
dont les saisies sur salaire, étaient applicables.
En réponse à
Mme Gisèle Gautier, présidente de
la délégation aux droits des femmes et à
l'égalité des chances entre les homme et les femmes
, qui
soulignait les risques pour la femme victime de violences conjugales de
demeurer à son domicile, son époux pouvant revenir et la
brutaliser à nouveau, le ministre a précisé qu'il ne
s'agissait là pour le juge que d'une possibilité et que la femme,
si elle le préférait, pourrait toujours quitter le domicile.
Il a enfin indiqué, en réponse à
Mme Janine Rozier,
rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à
l'égalité des chances entre les hommes et les femmes,
que le
barème des actes pour l'aide juridictionnelle avait été
révisé, dans le respect d'un équilibre global de
l'enveloppe budgétaire allouée, et que l'unité de base
avait augmenté de 2 % dans le projet de budget pour 2004.
A cet égard,
M. Michel Dreyfus-Schmidt
a soulevé le
problème des personnes surendettées ne pouvant y avoir
accès.
Audition de Mme Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ
,
Professeur à l'université de Lille
II
Présidente du groupe de travail
« Rénover le
droit de la famille »
_______
Monsieur le PRESIDENT
Mes chers collègues, si vous le voulez bien, nous allons commencer nos
travaux. Ces auditions auxquelles a été conviée la
délégation du Sénat aux droits des femmes et à
l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est ouverte
à la presse et au public. Elles feront l'objet d'un enregistrement
audiovisuel en vue de leur retransmission sur la chaîne parlementaire.
Je donne la parole à Madame Dekeuwer-Défossez.
Madame DEKEUWER-DEFOSSEZ
Merci Monsieur le Président.
Il m'est particulièrement agréable de venir aujourd'hui pour
saluer un projet de loi qui me paraît excellent. Bien évidemment,
des critiques seront à faire sur certains points, mais je crois que le
temps a fait son office. La question du divorce fait l'objet d'une
réflexion depuis de longues années. Plusieurs projets se sont
succédé. Celui-ci me semble tenir compte de tout ce qui a
été fait antérieurement. Il représente un
équilibre qui s'approche de la perfection. Ce projet reprend
schématiquement l'organisation actuelle des quatre causes de divorce. Ce
type d'organisation est spécifiquement français. Dans les pays
étrangers, seuls un ou deux types de divorce sont définis, en
règle générale. Ce n'est pas parce que notre
système est isolé qu'il est moins bon. Nous nous sommes
habitués à ces quatre types de divorce. La pratique les utilise
et personne ne comprendrait pourquoi ils seraient refondus en deux ou trois
cas. Ce projet permet à la fois de dédramatiser le divorce et de
responsabiliser les divorçants. Ceci n'est pas contradictoire : on
peut obliger chacun à assumer ses responsabilités, sans pour
autant mettre les débats sur les terrains de la culpabilité et de
la faute. Nous verrons comment la responsabilité parvient à
être détachée de la notion de faute. Toutefois, le projet
laisse une certaine place à la faute. Nous pouvons donc nous demander si
la faute, à qui une place minimale a été octroyée,
ne va pas à nouveau absorber le reste de la législation. Il
s'agit d'une grande interrogation sur laquelle je reviendrai plus tard.
Le divorce sur requête conjointe a été
simplifié : une seule comparution est prévue, une
deuxième comparution pouvant être exigée par le juge. Il
s'agit de permettre de résoudre rapidement la question du divorce dans
les cas simples, tout en conservant la possibilité de prendre plus de
temps lorsque cela est nécessaire. Ce choix incombe au juge.
Les innovations sont plus importantes concernant le divorce pour acceptation du
principe de la rupture du mariage. Dans le régime de la loi de 1975, ce
type de divorce avait échoué. Le projet consiste à donner
sa juste place à ce divorce, dans toutes les hypothèses où
les deux époux conviennent que la vie commune est devenue impossible,
sans plus d'entente, et, en particulier, sans être d'accord sur
l'ensemble des conséquences à tirer de ce constat. Le projet a
enlevé les éléments qui pouvaient paralyser l'accord,
concernant notamment la description des faits, la référence aux
torts, afin de pouvoir utiliser ce constat comme base pour le divorce. Le
projet a également clarifié le sens de ce divorce. Il n'est plus
un divorce sur double aveu ou même sur demande acceptée. C'est un
divorce pour simple acceptation du principe de la rupture du mariage. Je crois
que l'on peut définir ce divorce comme un divorce-résignation. Il
me semble d'ailleurs que ce terme a été employé par le
Doyen Carbonnier en parlant de ce divorce issu de la loi de 1975. La loi de
1975 n'en tirait cependant pas toutes les conséquences. Deux questions
subsistent.
Une fois l'accord donné, il est irrévocable. C'est un
régime strict, qui ne laisse place à aucun repentir, et qui
pourra parfois engendrer une certaine insatisfaction parmi les époux. Ce
sera notamment le cas de l'époux qui, après avoir accepté
le principe de rupture du mariage, découvrira qu'il avait des griefs
suffisants pour obtenir un divorce aux torts exclusifs. Le pari est de faire en
sorte que le divorce aux torts exclusifs ne procure plus d'avantages suffisants
pour que l'époux regrette d'avoir accepté le principe de la
rupture du mariage. Toutefois, l'interrogation subsiste.
Le projet présente une autre difficulté. Il prescrit que, si
l'acceptation a lieu au moment de l'audience de non-conciliation, elle doit se
faire avec l'assistance d'un avocat. Nous pouvons comprendre la raison de
mettre en place une telle règle : s'agissant d'un accord dont la
portée est très grande, un époux ne doit pas se laisser
aller à exprimer un accord qu'il pourrait ensuite regretter. Cette
règle pose néanmoins problème. Dans beaucoup de
situations, le défendeur ne souhaite pas constituer avocat, parce qu'il
ne désire pas divorcer, parce qu'il n'a pas de demande
particulière à exprimer et, si l'autre conjoint n'a pas
formulé de demande de prestation compensatoire, aucune défense
n'est à organiser. Le défendeur va néanmoins être
obligé de prendre un avocat dans le seul but de dire qu'il est d'accord.
Cette démarche ne sera pas toujours comprise. Elle pourra paralyser
certaines procédures et obliger les conjoints à se reporter sur
la faute ou sur la séparation de fait. Cette règle sera
défendue par la profession d'avocat et je ne dénie pas le
rôle de conseil que les avocats peuvent jouer. Mais je pense qu'elle
pourra être une cause de paralysie.
Le divorce pour altération définitive du lien conjugal est
l'innovation majeure du projet. Si cette forme du divorce se développe,
à terme, elle pourrait réduire à un rôle
résiduel le divorce pour faute. Il s'agit de savoir si, tel qu'il est
prévu, ce divorce sera conforme à ce qu'en attendent les
divorçants. Le délai de séparation de deux ans correspond
au délai communément pressenti. Des personnes demanderont, bien
sûr, un délai supérieur et d'autres, un délai
inférieur. L'articulation entre cette forme de divorce et le divorce
pour faute m'a semblée très bien faite. Il faut éviter que
la demande en divorce pour altération définitive des liens du
mariage ne paralyse le divorce pour faute ou n'empêche celui à qui
des fautes sont reprochées de contre-attaquer en invoquant à son
tour des fautes. Toutefois, une interrogation demeure : des critiques ne
seront-elles pas envisageables sur la disposition qui prévoit que,
lorsqu'un époux demande le divorce pour faute, l'autre peut se fonder
sur cette demande pour en déduire l'altération définitive
du lien conjugal ? Psychologiquement, cette disposition est
cohérente : lorsqu'un des époux demande un divorce pour
faute, la vie commune devient, de fait, intolérable. Mais n'est-ce pas
une atteinte au droit d'agir en justice ? En effet, il existe un risque
que la demande en divorce pour faute soit reprochée à celui qui
la formule. Personnellement, ce risque me paraît faible.
Néanmoins, je pense que c'est un point qui sera sujet à
débat.
Je souhaiterais revenir sur un autre point : le mode de calcul du
délai de deux ans.
Dans la mesure où la procédure
adoptée désormais ne permet de choisir le fondement du divorce
qu'au moment de l'assignation en divorce, il me semble que le délai de
deux ans aurait dû être compté à partir de
l'assignation en divorce
. Or, dans le texte, tel que je l'ai lu, il faut
compter un délai de deux ans avant la requête ou deux ans entre
l'ordonnance de non-conciliation et l'assignation. La deuxième formule
débouche sur un délai fort long et interdit de tenir compte d'une
séparation d'un an ou un an et demi, qui aurait pu être
déjà effective avant l'ordonnance de non-conciliation. Je
comprends la logique du projet : si un délai de deux ans avant
l'assignation est fixé, les avocats expliqueront à leurs clients
que, compte tenu des délais de procédure, la procédure
pourra être entamée au bout d'un an de séparation. Entre la
requête et l'assignation, le délai d'un an sera facilement obtenu.
Cette disposition comporte un risque de dévoiement. Le système
adopté me paraît paralysant : il oblige, contrairement
à la logique générale du projet, à attendre deux
ans avant la requête initiale en divorce. Je suis persuadée que ce
point fera l'objet de débat et je serais étonnée que la
disposition reste inchangée.
Monsieur GELARD
Je voudrais rassurer sans tarder notre collègue. Nous avons vu le
problème posé par cette disposition et nous avons
déposé un amendement pour faire en sorte que la date ne soit pas
celle indiquée dans le projet.
Madame DEKEUWER-DEFOSSEZ
Vous m'en voyez rassurée. Aucun régime particulier n'est
lié à cette demande unilatérale. Tous les
éléments concernant la rupture de la vie commune, le devoir de
secours sont abandonnés. Je pense que c'était la condition du
succès de ce divorce. De même, l'interdiction faite au demandeur,
au moyen d'une demande reconventionnelle pour faute, de formuler à son
tour des griefs contre le défendeur initial devenu demandeur
reconventionnel, est levée. L'ancien système, qui ne
prévoyait qu'une possibilité de divorce aux torts exclusifs du
demandeur, était, en effet, trop rigide. La possibilité de
l'octroi de dommages et intérêts tempère la
brutalité de ce divorce. La clause de dureté est reportée
sur les dommages et intérêts, ce qui paraît judicieux.
Le pari de la réforme tient aux modifications apportées au
divorce pour faute, notamment en ce qui concerne les conséquences
pécuniaires des griefs. De manière générale, le
texte essaie d'enlever tout attrait pour le divorce pour faute en supprimant la
plupart des avantages liés à l'obtention des torts exclusifs. La
radicalité de cette solution a été tempérée,
en laissant possible l'octroi de dommages et intérêts lié
aux torts exclusifs, mais seulement si les conséquences du divorce sont
d'une particulière gravité. La situation est délicate.
Reconnaître un divorce pour faute sans lui donner de conséquences
n'est pas envisageable. Par ailleurs, si trop d'avantages sont octroyés,
le nombre de demandes de divorce pour faute sera élevé. Il ne
sera pas simple de parvenir au juste milieu. Il ne faudrait pas que des
amendements viennent faire pencher la balance d'un côté ou d'un
autre. Il suffit, en effet, de peu de choses pour pervertir la philosophie de
ce divorce et refaire basculer l'ensemble du système vers la bataille
entre époux, tant déplorée dans le divorce pour faute.
Le fait d'enlever les violations renouvelées de l'article 242 ne me
paraît pas pertinent. Un travail s'est développé sur le
harcèlement moral. Dans la famille, il passe essentiellement par des
attaques verbales répétées, qui ne deviennent du
harcèlement que dans la mesure où elles sont renouvelées.
A cette objection contre la suppression de l'article 242, il est répondu
que, si les attaques sont renouvelées, elles deviennent graves. Je suis
d'accord, mais je pense que pour assurer la cohérence du système,
il faudrait indiquer que, dans le mariage, les comportements négatifs
quotidiens sont considérés comme étant aussi graves que
les fautes épisodiques.
Le projet simplifie les conséquences pécuniaires du divorce, mais
comporte encore quelques points sur lesquels des remarques peuvent être
faites. La suppression du lien entre la prestation compensatoire et la faute
est une grande simplification. Par ailleurs, une formule très pertinente
a été trouvée, qui permet au juge de ne pas allouer de
prestations compensatoires, si c'est contraire à l'équité
en cas de torts exclusifs ou de divorce demandé pour altération
du lien conjugal. Un équilibre, qui repose entièrement sur le
juge, est mis en place. C'est le juge qui a la charge de respecter
l'authenticité des situations de fait, sans donner une prime à
certaines formes de divorce. Ce projet fait donc confiance au juge. Je ne le
critiquerai pas pour cela. Mais la loi ne sera rien sans son application. Les
dommages et intérêts seront possibles. Le texte a fondu
subtilement dans le seul article 266 et dans une seule allocation pour dommages
et intérêts une responsabilité pour faute en cas de torts
exclusifs et une responsabilité sans faute en cas de demande pour
altération définitive du lien conjugal. Ces dispositions sont
bornées par l'exigence de conséquences d'une exceptionnelle
gravité. Ce système devrait pouvoir fonctionner et permettre une
certaine responsabilisation des conjoints, tout en évitant la
culpabilisation et la stigmatisation.
Le régime des libéralités est très simple. Les
donations de biens présents sont maintenues, ce qui me semble positif.
La révocation des libéralités pour ingratitude demeure
possible, comme c'est le cas pour d'autres types de donateurs et donataires. Si
un conjoint a tenté d'assassiner l'autre, la révocation de la
donation pourra être obtenue. Le système évolue donc vers
une simplification et il rétablit une certaine clarté. A l'heure
actuelle, en effet, les libéralités entre concubins sont
irrévocables, alors que les libéralités entre époux
sont révocables, ce qui n'est pas logique.
Le projet essaie d'avancer au maximum les règlements pécuniaires,
ce qui était souhaité. Une obligation de proposer, lors de
l'assignation en divorce, un règlement des intérêts
pécuniaires et patrimoniaux des époux est instaurée. Sur
cette question, je pense qu'il faut rester prudent. Dans l'immense
majorité des cas, cette obligation ne posera aucune difficulté
particulière. Mais dans un petit nombre de cas, en particulier lorsque
les deux époux ont des fortunes très dissemblables et lorsque
l'un des conjoints n'a que très peu d'indications sur la fortune de
l'autre ou sur le contenu de la communauté, l'obligation de
prévoir, lors de l'assignation en divorce, un règlement
pécuniaire peut être impossible à remplir. Prenons
l'exemple de l'épouse d'un chef d'entreprise. Si l'entreprise est
techniquement commune en biens, il n'est pas évident que la demanderesse
puisse proposer un programme crédible de partage. Le juge peut commettre
un notaire pour se faire communiquer les pièces et proposer un projet de
règlement. Mais même sur mandat judiciaire, le notaire ne pourra
pas toujours parvenir à accomplir sa mission. Des possibilités de
blocages sont donc envisageables sur ce point. Nous pouvons nous demander s'il
faut renoncer à une disposition qui est pertinente dans l'immense
majorité des cas parce qu'elle pose des problèmes dans un petit
nombre de situations. Je ne peux répondre à cette question. Je
pense qu'il faudrait interroger les avocats et les notaires pour savoir si,
dans certains cas, il ne faudrait pas prévoir des possibilités de
déblocage.
Une dernière interrogation subsiste sur le régime de la
prestation compensatoire. Je ne trouve pas ce régime satisfaisant, dans
la mesure où il reprend, en partie, le régime de la loi de 2000
qui comporte un certain nombre d'inconvénients. Des avancées
significatives sont faites, comme la possibilité de cumuler une rente et
un capital ou un abandon de bien et un capital. Mais le fond du problème
n'est pas encore réglé. La loi est contradictoire. D'un
côté, elle dit que des prestations compensatoires ne peuvent
être allouées sous forme de rente que si le
bénéficiaire est dans une situation catastrophique, qu'il est
incapable de subvenir à ses besoins et qu'il n'a pas d'autre
possibilité pour vivre. De l'autre, il est précisé que,
dans certaines circonstances, en particulier au moment du décès
du débiteur, la rente sera supprimée et remplacée par un
capital. Il faut résoudre cette contradiction en choisissant une des
deux options suivantes : soit la rente est indispensable à la
survie du créancier et cet état de fait n'est pas modifié
par le décès du débiteur ni par aucun
événement, soit la rente n'est pas indispensable à la
survie du créancier et, dans ce cas, son allocation n'est plus
justifiée. Le projet, tel qu'il est prévu, va créer des
situations de fait difficiles. La créancière qui verra sa rente
remplacée par un capital est, par hypothèse, une personne
âgée d'environ 70 à 75 ans. Si on ne donne plus à
cette personne les moyens de vivre, il faudra que ses propres enfants
l'entretiennent ou que la société lui verse le minimum
vieillesse. Si le projet consiste à supprimer la rente viagère au
moment où la créancière en a le plus besoin, je pense
qu'il vaut mieux décider, au départ, de ne pas lui en accorder
une. Si une personne de 50 à 55 ans ne se voit pas accorder de rente,
elle essaiera de trouver des ressources. Si une rente lui permet de vivre et
qu'elle en est privée à 70 ans, elle sera dans une situation
très difficile. Je pense qu'il faut se poser la question de savoir si
c'est au mari ou à la société tout entière
d'entretenir les divorcées d'un certain âge. La suppression de la
rente se traduira nécessairement par une augmentation des allocations
dues par la Collectivité. Dans certaines hypothèses, cette
augmentation ne sera pas fondée en justice. Ce discours est peu
formulé à l'heure actuelle. Les secondes épouses et leurs
enfants sont mieux organisés pour faire entendre leur voix que les
créancières âgées. Mais je pense que, si l'esprit de
la loi consiste à dire que les obligations d'entretien disparaissent
après le mariage, il faut renoncer définitivement à toute
sorte de rente viagère. Les bénéficiaires ne seront plus,
ainsi, dans une situation incertaine.
Je vous remercie de votre attention.
Monsieur le PRESIDENT
Je vous remercie pour votre exposé, Madame Dekeuwer-Défossez, je
donne la parole à Monsieur le Rapporteur.
Monsieur GELARD
Je remercie Françoise Dekeuwer-Défossez pour son exposé
limpide, qui soulève des problèmes qui étaient apparus
lors de nos précédentes auditions et d'autres que nous n'avions
pas envisagés. Votre suggestion sur les violations graves ou
renouvelées figurera dans nos propositions d'amendement. Vous avez eu
raison de dire que le texte n'était pas satisfaisant sur ce point.
J'émets, comme vous, des réserves à l'égard de la
prestation compensatoire. Nous n'avons pas encore trouvé de solution
satisfaisante sur ce sujet. La question du devenir des rentes viagères
des personnes malades ou hospitalisées pose également
problème. Le nouveau divorce pour rupture définitive du lien
conjugal, qui permet de mettre un terme au mariage en deux ans, ne règle
pas le problème du conjoint qui souffre de la maladie d'Alzheimer ou qui
est hospitalisé. Que faire face à une telle situation ? Nous
avons des propositions de la part des avocats. Mais ce problème reste
très difficile à résoudre. Une revalorisation de la
prestation compensatoire peut-elle être envisagée ? Que
pensez-vous de la liquidation de la prestation compensatoire au
décès du débiteur ? La mise en place d'une pension de
réversion est un élément qui permet de répondre
à des questions que vous avez soulevées. Le conjoint
créancier aura, avec la pension de réversion, des moyens plus
importants, qui n'avaient pas été envisagés auparavant.
Madame DEKEUWER-DEFOSSEZ
Quand les conjoints sont organisés, ils vident la succession. Il est
possible, avec l'assurance-vie, de faire disparaître les biens de la
succession, de telle sorte qu'il n'y ait plus d'argent pour payer un capital ou
une rente viagère. Je pense qu'il faudrait effectuer un contrôle
sur ce point. Des possibilités d'évasion considérables
existent. Nous devons faire un choix de société et savoir si le
conjoint divorcé et ses héritiers demeurent responsables du
premier conjoint vieillissant, qui peut devenir une charge
particulièrement lourde, ou si le divorce, une fois réglé,
ne doit pas déboucher sur une charge pour une famille qui n'est pas
celle du premier conjoint. Si la deuxième option est choisie, le
règlement compensatoire au moment du divorce doit être important.
Monsieur GELARD
Il ne faut pas oublier que, pour une multitude de couples, il n'y a pas de
fortune, d'un côté comme de l'autre. Nous évoquons les
problèmes de couples ayant un capital et un patrimoine, mais lorsque les
personnes qui divorcent touchent le SMIC ou le RMI, le problème ne se
pose pas.
Monsieur le PRESIDENT
Monsieur Dreyfus-Schmidt, vous avez la parole.
Monsieur DREYFUS-SCHMIDT
Je voudrais d'abord vous remercier, Monsieur le Président, de faire des
auditions publiques, enregistrées. C'est une habitude de la commission
des Lois en matière de divorce, puisque nous l'avions fait sur le projet
examiné avant les élections. Son rapporteur était Monsieur
Gélard. Dans les autres domaines, nous regrettons qu'il n'y ait pas
d'audition ou que le rapporteur n'en donne pas un compte-rendu et n'invite pas
ses collègues à assister à ses auditions.
Je voudrais maintenant revenir sur le fond du problème. Je remercie
Madame Dekeuwer-Défossez pour son exposé. Elle a
évoqué le divorce par consentement mutuel et a exprimé son
regret qu'une personne, qui est d'accord pour le divorce, soit obligée
de recourir à un avocat. Il me semble qu'une solution est envisageable.
Il y a un certain temps, il avait été question de supprimer le
recours au juge, le maire devant alors entériner le divorce. Nous y
avons renoncé, étant donné la diversité des
situations et la nécessité d'un contrôle. Le contrôle
peut être fait par l'avocat ou le juge. S'il n'y a pas d'enfant mineur et
s'il n'y a pas de bien immobilier, il pourrait être envisageable de ne
pas avoir recours au juge. C'est une proposition que je vous soumets. Dans les
autres cas, je voudrais souligner que j'ai du mal à admettre la
présence d'un seul avocat pour deux conjoints ayant des
intérêts contradictoires. Il n'est pas possible, dans de telles
circonstances, que l'avocat donne des conseils utiles sur le montant de la
prestation compensatoire, par exemple. Je pense qu'il faut que chacun des deux
époux ait son propre avocat.
A mes yeux, une rente viagère révisable qui peut être
suspendue ou supprimée est une pension alimentaire. J'ai toujours
regretté la création de la prestation compensatoire en
elle-même, qui a toujours été traitée comme une
pension alimentaire. La pension alimentaire pouvait être suspendue ou
révisée à tout moment, sur justification d'une diminution
de revenus, par exemple. La prestation compensatoire a donc été
mise en place. Mais dans la pratique, cette prestation est devenue une rente.
Que devient cette rente à la mort du débiteur ? Sauf
à renoncer à la succession, il est normal que ceux qui
héritent continuent à verser la rente au créancier. Un
problème se pose en matière de rente viagère. Ne peut-il
pas y avoir une obligation d'assurance vie ? La proposition radicale que
vous faites, Madame, le Professeur s'apparente à la politique du pire.
Une femme qui divorce à 55 ans ne peut pas trouver des ressources
facilement et tombera rapidement dans la misère. Vous avez raison de
souligner, Monsieur le Rapporteur, qu'il faut penser à la pension de
réversion et la déduire de la rente. Mais la solution ne
serait-elle pas une obligation d'assurance vie ?
Madame DEKEUWER-DEFOSSEZ
C'est une idée qui m'a déjà été
suggérée et que je trouve excellente. Dans ces cas-là, il
faudrait une obligation d'assurance. Cela engendrera un nouveau coût du
vivant du débiteur, mais la continuité serait ainsi
assurée à sa mort. Le droit français du divorce comporte
deux originalités : les quatre cas de divorce et la prestation
compensatoire. Dans beaucoup de pays, des systèmes de pensions
alimentaires sont en place. Le montant de ces dernières est plus ou
moins lié aux fautes des conjoints. En Allemagne, théoriquement,
le divorce n'est pas lié à la notion de faute, mais pratiquement,
pour calculer le montant de la pension alimentaire, les circonstances de la
rupture sont prises en compte. Si nous voulons conserver les rentes
viagères, il faut les assurer plutôt que les arrêter.
La question de la présence de l'avocat est particulièrement
délicate. Un magistrat, qui fait partie du groupe de travail sur la
famille que je préside, a attiré mon attention sur un
problème. Il m'a fait remarquer le nombre élevé de
procédures par défaut. Elle m'a expliqué que ces
procédures concernent souvent des hommes qui connaissent la
procédure, mais qui ne veulent pas payer un avocat pour se
défendre. Ils estiment le recours à un avocat trop coûteux
par rapport à l'intérêt qu'il peut présenter. Dans
la plupart de ces procédures, la femme a un emploi dont la
rémunération n'est pas élevée et
bénéficie ainsi de l'aide juridictionnelle. La femme intente donc
la procédure grâce à l'aide juridictionnelle. La situation
financière du mari, à peine supérieure au plafond, ne lui
permet pas de recourir à cette aide, sans pour autant qu'il dispose des
moyens suffisants pour payer un avocat. La loi devrait permettre de
résoudre ce problème. Nous pouvons nous demander si, pour les
divorces, il ne faudrait pas instaurer, comme dans les procédures
pénales, l'obligation pour chacun des deux conjoints d'avoir un avocat,
payé éventuellement par la société. Il existe un
réel problème d'accès au droit pour les défendeurs
dont les revenus sont à peine supérieurs au plafond.
Monsieur Le PRESIDENT
Je rappelle que nous avons cinq auditions. Je vous invite donc, mes chers
collègues à être brefs. Madame Rozier, avez-vous une
question à poser ?
Madame Janine ROZIER, rapporteur pour avis de la délégation
aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les
hommes et les femmes
Je voulais dire que je m'étais penché sur le problème en
tant que rapporteur de la délégation aux droits des femmes. Je me
demande ce qu'il advient du conjoint âgé, des femmes qui n'ont pas
travaillé pendant leurs trente années de mariage. Ces femmes ne
peuvent probablement pas retrouver un travail et sont dépendantes de
l'aide qui leur est octroyée.
Monsieur le PRESIDENT
Madame le Professeur vous a partiellement répondu. Madame
Dekeuwer-Défossez, je vous remercie.
Audition de Mme Andréanne SACAZE
Avocat
Vice-présidente de la
conférence des bâtonniers
_____
Monsieur
le PRESIDENT
Puis-je demander à Madame Sacaze de me rejoindre ? Madame Sacaze,
je vous donne la parole sans attendre.
Madame SACAZE
Merci, Monsieur le Président. Monsieur le Président, Mesdames les
Sénatrices et Messieurs les Sénateurs, je suis infiniment
honorée de pouvoir intervenir devant votre commission pour vous faire
part de quelques observations des praticiens du droit de la famille sur le
projet de loi portant réforme du divorce. Je tenais à vous
remercier de nous avoir permis, à nous, avocats, de pouvoir nous
exprimer devant vous.
Nous sommes tous ici convaincus que la famille est l'élément
naturel et fondamental de notre société. Il est tout aussi
naturel que le législateur soit particulièrement attentif sur les
textes qui vont régir les modalités de la rupture. Il faut
prendre en considération non seulement l'évolution des structures
familiales, en tenant compte des recompositions de familles, mais aussi
l'évolution des moeurs et des mentalités. Il faut
également souligner la nécessité d'une responsabilisation
du couple par rapport au mariage et à la rupture, et à
l'existence d'une solidarité, qui doit être conservée entre
les conjoints, malgré la rupture. C'est à partir de ce constat
que Monsieur le Garde des Sceaux, après avoir consulté des
parlementaires, des magistrats, des avocats, des notaires, des professeurs de
droit, a proposé un texte soumis à votre vote. Globalement, sous
réserve de certaines améliorations que nous souhaiterions voir
apporter, l'ensemble de notre profession est assez favorable à ce texte.
Nous avons organisé un colloque le 18 septembre 2003, au cours duquel de
nombreux avocats et magistrats ont centré les difficultés autour
de quatre points. 1) Dans le divorce par consentement mutuel : une ou deux
comparutions devant le juge sont prévues, ce qui peut être
discuté. 2) La présence ou non de l'avocat à tous les
stades de la procédure, quel que soit le type de procédure
choisi, pose problème. 3) Il faudrait également revenir sur la
question du délai, qui, dans le cadre de l'altération du lien
conjugal, pose un problème technique, en raison de notre actuel code de
procédure civile. 4) Enfin, la prestation compensatoire soulève
des difficultés. Nous sommes, avocats, extrêmement inquiets sur ce
dernier point.
Je voudrais aborder la question du divorce dit consensuel, c'est-à-dire
le cas d'un divorce par consentement mutuel ou de l'ancien divorce
demandé et accepté. 1) Dans le cadre du consentement mutuel,
une seule comparution devant le juge est prévue. Ceci signifie que
l'avocat ou les avocats vont préparer une convention définitive
de divorce qui réglera tous les problèmes inhérents
à la rupture. Ceci est très engageant pour les époux. Seul
le juge peut éventuellement demander à revoir la copie. Or, le
divorce par consentement mutuel est un contrat librement négocié
sous le contrôle d'un ou deux avocats et d'un magistrat, qui sont les
témoins de la volonté exprimée des parties. La
procédure se déroulera de la façon suivante : nous
allons guider les parties sur le plan juridique, le juge va contrôler que
l'équilibre est conservé dans la convention qui lui est
présentée et que les époux sont réellement
consentants. Or, le texte prévoit actuellement que seul le magistrat
aura la possibilité de faire revenir les parties devant lui, s'il
l'estime utile dans certaines circonstances. Ceci pose problème. La
majorité des personnes qui divorcent bénéficient de l'aide
juridictionnelle. Je rappelle que plus de 60 % des aides juridictionnelles
attribuées dans les Tribunaux de Grande Instance concernent les
procédures familiales. Les personnes qui bénéficient de
cette aide ont, le plus souvent, comme seul capital, le logement familial,
c'est-à-dire l'ancien domicile conjugal. Les époux n'ont d'autre
choix que de le vendre. Ils ont une promesse de vente, mais lorsqu'ils
comparaissent devant le juge, ils n'ont pas encore l'acte authentique de vente.
Comme ils seront divorcés, ils passeront dans un système
d'indivision qu'il faudra mettre en place devant un notaire jusqu'à la
vente. Cette démarche entraîne des frais supplémentaires
inutiles. Je pense qu'il s'agit là d'un exemple courant dans la
pratique. Dans cette hypothèse, les parties devraient pouvoir solliciter
un report du divorce auprès du juge. Il en va de même pour tester
les mesures mises en place pour les enfants. Si une médiation familiale
a été conventionnellement choisie par les parties, il faut
attendre son résultat. Les parties doivent donc avoir la liberté
de demander ou non une deuxième comparution.
Secondairement, la question du nombre d'avocats pose également un
problème délicat sur lequel votre commission devra se pencher. A
titre personnel, je suis favorable à la présence de deux avocats
dans le cadre d'un consentement mutuel. Nombreux sont ceux qui, parmi mes
confrères, ne partagent pas mon analyse. La profession est donc
partagée sur cette question. Ces confrères pensent que la
présence d'un seul avocat permet de faciliter le consentement mutuel,
d'accélérer le divorce pour permettre aux époux de
clarifier leur situation. D'autres, dont je fais partie, considèrent
qu'un avocat unique n'est pas une solution satisfaisante : lorsque des
problèmes sont à résoudre concernant les enfants, le
patrimoine, le calcul et les modalités de la rente (le consentement
mutuel est le seul cas où les parties peuvent décider d'une rente
viagère), l'avocat est l'arbitre au-dessus des parties. Comment peut-il
imposer telle ou telle décision ? Il est difficile de faire un
choix entre des propositions contradictoires. La négociation peut donc
déboucher sur un échec. Dans un tel cas, à la
déshérence psychologique dans laquelle se trouvent les parties,
à leur déshérence juridique (ils n'ont pas réussi
à trancher leurs problèmes), s'ajoute la difficulté de
chercher chacun un avocat pour redémarrer une procédure. Les
époux perdent ainsi du temps et doivent replonger dans leur
passé. Voilà pourquoi je suis favorable à la
présence de deux avocats. Cette difficulté existe
également dans les autres formes de divorce. Dans le cadre d'un divorce
demandé et accepté, compte tenu de l'irrévocabilité
de l'accord donné à la demande, le législateur a
souhaité préserver le défendeur pour qu'il comprenne
l'impact que peut avoir son accord. Je conçois que la présence de
deux avocats soit, à ce titre, obligatoire. Dans toutes les autres
procédures conflictuelles, il existe une opposition dès le
départ. Les époux ne se parlent plus ou ne se parlent que pour se
disputer. Tout se joue le jour de la conciliation où le juge
décide de la jouissance ou non gratuite du domicile conjugal, de la
répartition des dettes, du sort des enfants. Celui des conjoints qui est
gratifié de tous les maux n'est plus une bonne mère ou un bon
père. Le contentieux est très lourd. Comment le juge peut-il
travailler de manière constructive avec une personne en demande dont le
dossier sera très bien préparé et une personne en
défense qui n'a rien préparé et n'a pas communiqué
ses arguments à l'avocat du demandeur et qui est anéantie, ne
sachant que très mal expliquer ce qu'il souhaite pour son devenir et
celui de ses enfants ? Bien qu'étant qu'avocat de demandeur, j'ai
le sentiment que le procès est totalement inéquitable. L'avocat
aime débattre dans l'équilibre des forces, ce qui n'est pas le
cas dans une telle hypothèse. Mon travail me semble moins bien fait
lorsque je me trouve face à une personne seule, démunie. Comme
cela a déjà été dit, le nombre de jugements par
défaut est important. Suite à ces jugements, les personnes qui
n'avaient pas d'avocat font appel, dans la mesure où la prestation
compensatoire ou la pension alimentaire pour les enfants ne sont pas celles qui
étaient souhaitées. Ce recours aurait pu être
évité si la personne avait pu bénéficier avant des
conseils d'un avocat. Nous souhaitons donc la présence de deux avocats.
Cette mesure ne saurait être considérée comme
coûteuse pour la collectivité dans la mesure où, au moment
de l'assignation en divorce, l'avocat devient obligatoire. Il ne s'agit que de
décaler dans le temps l'octroi de l'aide juridictionnelle.
Je souhaiterais également évoquer le problème du
délai dans le cadre d'un divorce pour altération
définitive du lien conjugal. Je serais brève, puisque Monsieur
Gélard nous a précisé qu'une proposition d'amendement a
été faite. La difficulté était la suivante. Le
délai est fixé à deux ans avant ou deux ans à
compter de la saisine du juge. Des mesures provisoires, caduques au bout de six
mois, vont être prises. Si, sur les problèmes afférents aux
enfants, une loi nous permet de régler ces difficultés pour les
dix-huit mois complémentaires, il n'en est pas de même pour la
pension alimentaire pendant la durée de la procédure. Il fallait
donc que le tribunal soit saisi pour qu'un juge de la mise en l'état
puisse réguler ces difficultés de telle sorte que la durée
de séparation antérieure, peut-être inférieure
à deux ans, soit prise en compte, et fixer le délai
complémentaire. Je pense que cette solution est mieux adaptée.
Le point le plus important est la prestation compensatoire. Les avocats sont
inquiets, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, sur le devenir des femmes
qui ont aujourd'hui 50 ans et plus. Ces femmes se sont consacrées
à l'éducation et à l'entretien des enfants, elles ont
participé à la promotion professionnelle de leur conjoint, elles
sont restées au foyer d'un commun accord avec celui-ci. Le divorce
intervient 25 ans après leur mariage, alors que leurs enfants ont
quitté le domicile parental. Avant le texte du 30 juin 2000, la rente
était subsidiaire. Des adaptations étaient possibles. Les juges
sont, sans doute, allés trop loin : la rente, d'abord subsidiaire,
est passée au coeur du système. Nous pouvons nous demander si ce
n'est pas précisément parce que les juges se rendaient compte, au
cas par cas, qu'attribuer systématiquement un capital n'était pas
aisé. Le texte du 30 juin 2000 précise que le juge peut
« par décision spécialement motivée en raison de
l'âge ou de l'état de santé du créancier ne lui
permettant pas de subvenir à ses besoins, allouer une rente. »
Le juge doit motiver son choix, ce qui suppose que le créancier
démontre « qu'il est vieux, pauvre et
malade » ! Avec le nouveau texte, une nouvelle limitation est
introduite. Il faut constater qu'aucune amélioration notable de la
situation financière n'est envisageable. En pratique, la rente sera
supprimée. Face à la multitude des exceptions, des
différences de jurisprudence vont émerger. Les prestations
compensatoires ne seront pas les mêmes partout, l'analyse des exceptions
par les juges étant différente d'un lieu à l'autre. En
outre, des femmes ne disposeront que d'un très petit capital qui ne leur
permettra pas, malgré le placement de celui-ci, de vivre correctement.
Prenons l'exemple d'une femme à qui le mari abandonne le domicile
conjugal. Considérons que la maison vaut 150.000 euros. Le mari
abandonne sa part dans l'immeuble, l'ex-épouse se retrouve sans
ressources mensuelles, sans emploi, mais avec un immeuble qu'elle devra vendre
car elle ne peut l'entretenir. Le prix de vente servira alors d'une part
à acquérir l'appartement et le surplus sera placé. Dans
cette hypothèse, cette somme sera-t-elle suffisante pour lui permettre
de survivre ? Non. Si en revanche, on vend la maison, on partage le prix
et le mari verse chaque mois une rente, chacun peut se reloger et
l'ex-épouse bénéficie alors d'une rente pour vivre. C'est
la raison pour laquelle les juges et les avocats font en sorte que, en
complément, elle reçoit une petite somme mensuellement qui,
associée à différentes aides, lui permettront de vivre. A
condition que la loi nous y autorise, nous essayons de trouver des solutions
mieux adaptées aux cas que nous rencontrons. Par ailleurs, la
fiscalité soulève d'importantes difficultés. Lorsqu'un
capital est attribué et que les époux sont mariés sous le
régime séparatiste, l'abandon d'un bien en nature, malgré
l'article 280 du Code Civil qui considère que l'abandon fait partie de
la liquidation du régime matrimonial, n'est pas considéré
comme tel par le droit fiscal, pour lequel il s'agit d'une donation entre
époux. Pour garantir la cohérence du système, il faudrait
harmoniser la fiscalité avec le droit de la famille. Reste aussi le
problème de publicité foncière. Je voudrais vous donner
l'exemple d'une de mes clientes. Elle divorce par consentement mutuel. Dans le
cadre du partage effectué, le mari abandonne à sa femme, avec
laquelle il a été marié 35 ans, sa part dans un immeuble
locatif. L'immeuble comprend deux appartements au premier étage, des
magasins au rez-de-chaussée. L'épouse, qui n'avait jamais eu
d'activité salariée, avait donc un capital qui lui rapportait des
ressources mensuelles. Cinq ans après le divorce, elle reçoit la
visite d'un expert, chargé d'évaluer son immeuble. Elle se rend
compte que son ancien mari a fait de mauvaises affaires, qu'il a
été condamné par le tribunal de commerce à payer
des emprunts à la banque. La banque avait constitué une
hypothèque un mois avant le prononcé du divorce sur cet immeuble.
Une procédure de saisie immobilière avait été
engagée. Cette femme se trouve expulsée à 73 ans. Sa
situation est catastrophique à cause de celui qui n'a pas levé
l'état hypothécaire avant le divorce. En tant qu'avocats, nous
sommes confrontés à de telles situations, qui ne sont pas des
exceptions.
Je voulais revenir sur ces points. Je tiens à saluer le reste du texte.
Le législateur a vu avec justesse et pertinence des problèmes
intéressants dans la pratique, à savoir l'élargissement
des pouvoirs du juge conciliateur. Cela nous permettra de régler en
amont les difficultés inhérentes aux aspects financiers du
divorce et à la liquidation du régime matrimonial. Sous
réserve de quelques modifications, le texte permettra de divorcer dans
l'équité.
Monsieur le PRESIDENT
Merci beaucoup, Madame Sacaze. Etant donné que nous avons encore trois
auditions, je demanderais à mes collègues de poser des questions
brèves. Avez-vous des questions, Monsieur le Rapporteur ?
Monsieur GELARD
Je me suis entretenu à quatre reprises avec Maître Sacaze. Nous
avons discuté des questions qu'elle a soulevées.
Madame SACAZE
J'ai omis, dans mon exposé, de préciser que nous avions
suggéré, pour les personnes placées sous curatelle ou
tutelle au moment du prononcé du divorce, qu'il y ait une
possibilité de revoir à la hausse les prestations compensatoires
sous forme de rente. Ceci permettra que, si leur situation s'aggrave, ces
personnes puissent bénéficier d'une certaine solidarité,
même si le devoir de secours est supprimé. Nous avons
proposé un amendement sur ce point.
Monsieur le PRESIDENT
Monsieur Dreyfus-Schmidt.
Monsieur DREYFUS-SCHMIDT
Dans l'exemple que vous nous avez donné, n'y a-t-il pas une
responsabilité de l'avocat qui n'avait pas vérifié
l'état hypothécaire de l'immeuble ?
Madame SACAZE
Tout à fait. J'ai d'ailleurs assigné les professionnels en
justice, mais ce n'est pas une solution cohérente.
Monsieur DREYFUS-SCHMIDT
La production d'un état hypothécaire ne peut-elle pas être
rendue obligatoire par voie réglementaire, par exemple, au moment de la
production de la requête ?
Madame SACAZE
Je n'ai jamais omis de demander la publicité de l'état
hypothécaire et j'exige du notaire qu'il soit adjoint à l'acte,
mais ce serait très positif que ce soit obligatoire.
Monsieur le PRESIDENT
Madame Rozier.
Madame ROZIER
Je me place du point de vue des femmes. J'ai remarqué que, dans
90 % des cas, ce sont les femmes qui ont la garde des enfants. Je voudrais
maintenant revenir sur la question du nombre d'avocats. Les avocats ont un
rôle de soutien auprès des divorçants. Le soutien moral de
l'avocat est, par exemple, essentiel pour une femme qui se retrouve seule du
jour au lendemain avec deux enfants. Je suis donc favorable à ce qu'un
avocat conseille et soutienne chacun des deux époux.
Madame SACAZE
Il est évident que nous parvenons à désamorcer le conflit
quand les divorçants ont chacun leur avocat. Ils sont plus
apaisés lorsqu'ils arrivent devant le juge. Beaucoup d'accords sont
passés en amont avec les avocats et sont homologués. Le juge
n'intervient que sur les questions essentielles. Je pense également que
l'apaisement permet un travail constructif le jour de la conciliation. Il est
important que chacune des parties ait le sentiment d'être compris par la
personne qui l'accompagne dans ses démarches.
Monsieur le PRESIDENT
Merci pour votre intervention, Madame Sacaze.
Audition de M. Gilles CROISSANT
Vice-président aux affaires familiales du
TGI de Paris
_____
Monsieur
le PRESIDENT
Je suis désolé de vous avoir fait attendre, Monsieur Croissant.
Nous avons pris du retard. Vous avez la parole.
Monsieur CROISSANT
Le droit de la famille est un droit spécifique dépendant
étroitement de l'état des moeurs. Il revêt un aspect moral
et, parfois, religieux. « Le divorce est le sacrement de
l'adultère » écrivait Jean-François Guichard en
1797. C'est la partie du droit civil ayant fait l'objet du plus grand nombre de
modifications. C'est un droit qui incite à l'humilité : il
convient de relever l'incapacité de la règle de droit et du juge
à résoudre la totalité des conflits familiaux. Beaucoup de
justiciables ont des difficultés à accepter la décision du
juge. Le nombre de divorces est en augmentation. Vous connaissez les chiffres.
Cependant, le mariage résiste. Un humoriste a écrit, dans les
années 70, que « seuls les curés veulent se
marier ». La situation actuelle lui donne tort. Si le divorce est
défini comme un mode de dissolution du mariage, le mariage n'est pas
défini par le Code Civil. Il peut être considéré
comme un accord de volonté ou une institution. Pour le droit romain, le
mariage reposait sur une volonté continue. Chacun des époux
pouvait donc y mettre fin par une volonté unilatérale. Pour le
droit canon, le mariage est à la fois un contrat et un sacrement, ce qui
explique son indissolubilité. La législation sur le mariage a
changé au cours du temps : la loi de 1791 considère le
mariage comme un contrat civil, l'indissolubilité du mariage a
été réintroduite sous la Restauration et est
demeurée jusqu'en 1884. Je propose d'examiner dans un premier temps les
points du projet de loi qui suscitent l'adhésion puis ceux qui
soulèvent des questions.
L'adhésion est quasi unanime sur le constat et les principes du divorce.
Nous constatons une évolution des mentalités, accompagnée
par une autonomie économique des individus. La notion
d'égalité entre époux a été
consacrée : la notion de chef de famille a été abolie
par la loi du 4 juin 1970. Au Moyen Âge, l'espérance de vie
commune se situait entre 15 et 20 ans : l'engagement à vie n'est
donc pas comparable, à cette époque, à celui
d'aujourd'hui. La loi du 4 mars 2002 renforce le principe de
co-parentalité. Il existe un grand débat sur la résidence
des enfants. Dans 86,3 % des cas, la résidence est fixée
chez la mère. Mais le père ne la demande que dans 15 à
16 % des cas. La loi du 8 janvier 1993 prévoit la
possibilité d'entendre et de représenter l'enfant. La loi du 4
mars 2002 fait référence à l'intérêt de
l'enfant. Celui-ci n'est plus simplement l'objet du procès, il peut en
devenir l'acteur. Il faut insister sur l'importance, pour le juge aux affaires
familiales, de pouvoir entendre l'enfant lorsqu'il est confronté
à deux époux qui, partageant encore le même domicile, se
disputent la résidence des enfants et ont tous deux des attestations
soulignant qu'ils sont des parents remarquables. L'audition des enfants est
donc un outil pratique, même s'il peut, parfois, susciter des
interrogations. Les imperfections du système ont été mises
en évidence. Le divorce pour faute est axé sur la recherche des
responsabilités. C'est un divorce difficile, accompagné de
disputes, de mensonges, d'humiliation des époux. Les journaux intimes
sont exposés, des attestations sont produites par les familles, les
torts ont parfois un effet disproportionné sur les dommages et
intérêts et la prestation compensatoire. Le reproche concernant le
délai excessif de deux ans est parfaitement fondé dans la plupart
des cas. Mais le temps n'est pas toujours négatif. Avicenne
écrivait en l'an 1000, « Le temps fait oublier les douleurs,
éteint les vengeances, apaise la colère et étouffe la
haine ». C'est exact. Des procédures qui s'annoncent
extrêmement conflictuelles se terminent par l'application de
l'article 248-1 du Code Civil sur le tort partagé sans
énonciation des motifs, parce que les personnes ont tourné la
page et apaisé leur rancoeur. Je voudrais revenir sur un point :
comment le juge peut-il connaître la réalité de la vie
familiale ? L'utilisation d'attestations aboutit souvent à des
inégalités. Le conjoint isolé aura du mal à
produire des attestations. Il nous arrive donc de rendre des décisions
qui ne sont pas parfaites sur le plan de l'équité.
Le principe du maintien de la pluralité des divorces a été
discuté au sein du service des affaires familiales du TGI de Paris. Il a
été généralement salué. Le consentement
mutuel en une seule audition a été l'occasion d'un débat.
J'y reviendrai plus tard. Le divorce par acceptation du principe de rupture du
mariage ne pose pas de problème. Concernant l'altération
définitive du lien conjugal, le délai de deux ans ne semble pas
soulever de difficultés. La fin du devoir de secours, qui était
la cause essentielle du faible nombre de divorces pour rupture de la vie
commune, est de nature à régler cette difficulté.
Concernant le divorce pour faute, le fait qu'il n'est fait mention que de
violations graves me paraît une bonne chose. J'évoquerai plus tard
le recours à la médiation familiale. L'existence d'un tronc
commun, avec une option après l'ordonnance de non-conciliation, me
semble excellente. Il en va de même pour l'ensemble des mesures pouvant
être prises par l'ordonnance de non-conciliation, avec la
préparation de la liquidation du régime matrimonial. La recherche
de l'apaisement ne peut qu'être saluée avec la dissociation des
conséquences du divorce et de la répartition des torts au niveau
de la prestation compensatoire, de la donation, des dommages et
intérêts. L'idée de faciliter les accords avec des
homologations de conventions est excellente. L'objectif de favoriser le
règlement complet des conséquences du divorce au moment de son
prononcé, avec la possibilité de désigner un notaire
dès l'ordonnance de non-conciliation est positif. Il est
également positif qu'à peine d'irrecevabilité,
l'assignation doive comporter une proposition de règlement du
régime matrimonial. Après le divorce, les délais stricts
pour le règlement amiable (un an plus six mois) posent des
problèmes d'exécution. L'adaptation des règles sur la
prestation compensatoire est une bonne chose, notamment l'assouplissement des
modalités de versement, la possibilité de cumuler une rente
viagère et un capital, l'existence d'une homologation possible pour les
conventions, la fin de la transmissibilité pure et simple de la rente,
dans la limite de l'actif de la succession. Par ailleurs, un mécanisme
plus souple de révision est mis en place, notamment dans le cas d'un
avantage manifestement excessif. Concernant la responsabilisation de
l'époux défaillant, le maintien de la rente viagère
apparaît normal selon l'âge et l'état de santé. Je
souhaiterais revenir plus tard sur l'article 220-1 nouveau du Code Civil, qui
prévoit la résidence séparée et l'attribution de la
jouissance du domicile avant la procédure de divorce. Je n'ai pas
d'observation concernant le maintien de la séparation de corps et du
devoir de secours.
Certaines interrogations demeurent, qui appellent des suggestions. La question
du consentement mutuel en une audition a soulevé un débat
concernant le contrôle de l'équité de la convention. Dans
neuf cas sur dix, une audition est suffisante. Dans le dixième des cas
restants, des interrogations sur l'équité naissent. Nous avons eu
également un débat concernant l'avocat unique. Dans 90 % des
cas, il y a un véritable consentement mutuel. Mais le juge a parfois
l'impression que l'avocat défend davantage les intérêts de
l'un des deux époux. Actuellement, lors de la première audition,
le juge des affaires familiales demande, dans neuf cas sur dix, des
précisions sur certains points avant d'homologuer la convention
définitive. Comment faire s'il n'y a qu'une seule audition ?
Certains collègues auraient préféré un
système où deux auditions sont prévues, sauf si le juge
trouve la première audition suffisante. Pour que le principe de
l'audition unique soit maintenu, il faudrait peut-être que le juge, dans
sa convocation, puisse joindre une ordonnance dans laquelle il
énumère les points qu'il veut voir indiqués dans la
convention. Je soumets cette proposition à votre sagacité. Les
incapables n'auront plus de disposition particulière. Leur divorce sera
fondu dans le divorce pour altération définitive du lien
conjugal. Il faut peut-être mener une réflexion sur ce point.
Le recours à la médiation familiale donne des résultats
satisfaisants, en se fondant sur le principe d'une relation triangulaire entre
les deux époux et un tiers. Au tribunal de Paris, deux psychologues mis
à disposition par la direction de la protection judiciaire de la
jeunesse peuvent jouer ce rôle de tiers. Ce travail n'est pas
juridiquement une médiation, mais il débouche sur un accord
quasiment bouclé au moment de la comparution devant le juge. Cependant,
la médiation familiale se heurte à certaines limites. Le juge
doit prendre sa première décision au vu d'éléments
succincts et, la plupart du temps, contradictoires. La médiation
familiale ne donne lieu à un écrit que si elle est
couronnée de succès. Si la médiation aboutit à un
échec au bout de six mois, le juge n'est pas plus avancé à
ce moment pour prendre sa décision, notamment sur la résidence
des enfants. Si une enquête sociale ou un examen
médico-psychologique est établi, ce rapport peut servir de base
pour rendre la décision. Si le choix de la médiation familiale a
été fait et qu'elle échoue, le juge n'a aucun
élément sur lequel s'appuyer. Nous avons parfois l'impression
d'assister à la naissance d'un marché concurrentiel concernant la
médiation familiale.
Nous sommes souvent confrontés au problème de l'attribution de la
jouissance d'une résidence secondaire. La jurisprudence est
réservée sur cette question. Je voudrais évoquer la
recherche de la liquidation du régime matrimonial. De
précédents travaux parlementaires avaient envisagé de
subordonner le prononcé du divorce au règlement de la
liquidation. Dans les dossiers conflictuels, cette solution serait
catastrophique : elle ne ferait que retarder pendant plusieurs
années le prononcé du divorce. Il n'en est rien dans le projet de
loi. Il s'agit simplement d'incitations.
Concernant la prestation compensatoire, je voudrais souligner qu'il existe
toujours des épouses qui n'exercent pas d'activité
professionnelle. Nous constatons l'émergence de nouvelles
disparités. De nombreux couples partent à l'étranger. Dans
la plupart des cas, l'un des deux époux suit l'autre. Le départ
se fait souvent au détriment de la carrière de celui qui a suivi
son conjoint, ce qui entraîne des disparités.
Ma dernière remarque concerne l'article 220-1 nouveau, dans les cas de
violence, en particulier la question de l'attribution de la jouissance du
domicile conjugal sur simple requête. Je voudrais attirer votre attention
sur les dangers des mesures non contradictoires au vu d'éléments
souvent succincts. Ces mesures sont souvent assez mauvaises.
Pour conclure, je dirais que le divorce évolue vers une plus large
admission juridique, sociologique. Il est même parfois banalisé.
Une tendance à la simplification des procédures et à la
recherche de l'apaisement se développe. L'existence de procédures
simplifiées est de nature à amener de nombreux justiciables
à dépasser leur rancoeur. Il en est de même de la
dissociation entre les torts et les conséquences financières du
divorce. La loi et les pratiques judiciaires ne pourront pas gommer cette
réalité du consentement continu dans le mariage. Pour qu'il y ait
vie commune, il faut que les deux partenaires en aient envie.
Je suis à votre disposition pour les questions que vous voudriez me
poser.
Monsieur LE PRESIDENT
Merci, j'ai beaucoup apprécié la citation d'Avicenne. Je laisse
la parole à Monsieur le Rapporteur.
Monsieur GELARD
Je remercie Monsieur Croissant de son intervention qui a porté,
très largement, sur des règles de procédures civiles. Bien
qu'elles ne relèvent pas du législateur, elles permettent de
nourrir le débat. Je voudrais revenir sur l'éviction du conjoint
violent du domicile conjugal. Nous nous demandons s'il a sa place dans une loi
sur le divorce. En effet, il traite des violences en général. Ces
violences relèvent-elles du droit pénal ou civil ? Les
femmes battues veulent qu'un tel article figure dans la législation de
façon à permettre au juge de prendre des mesures urgentes. Au
cours de certaines auditions, il a été souligné que le
contradictoire pourrait gêner la demande. Le conjoint violent qui serait
présent au cours de l'audience risquerait de terroriser celui qui a pris
le courage de demander l'attribution du domicile conjugal ou d'en partir. Ce
problème est plus psychologique que juridique et relève plus du
droit pénal que civil.
Monsieur CROISSANT
On ne peut pas attendre du droit pénal qu'il règle tous les
problèmes. Le conjoint battu est dans une situation de détresse.
Mais mon expérience m'a montré que les décisions qui sont
prises de manière non contradictoire sont rarement bonnes.
Monsieur LE PRESIDENT
Monsieur Dreyfus-Schmidt.
Monsieur DREYFUS-SCHMIDT
Il est toujours possible à un conjoint de demander par une requête
non contradictoire à quitter le domicile conjugal. Il peut ensuite y
revenir rapidement après une décision définitive
contradictoire.
Monsieur CROISSANT
L'attribution du domicile conjugal est souvent un élément
essentiel du débat. Parfois, la jouissance du domicile conjugal est
attribuée à un conjoint, en sachant que l'autre n'arrivera pas
à se reloger. Il est donc condamné à la
précarité.
Monsieur le PRESIDENT
Je vous remercie.
Audition de M. François BOULANGER
Professeur de droit privé et de droit
international privé
à l'université de Paris VIII
_____
Monsieur
le PRESIDENT
Je vous donne la parole, Monsieur le Professeur.
Monsieur BOULANGER
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je
tiens à remercier la commission de m'auditionner sur ce projet de loi.
J'ai la tâche plus difficile que ceux que vous avez déjà
entendus puisqu'il m'est demandé de confronter le texte soumis à
votre vote à l'ensemble des législations européennes
actuelles. Il y a deux siècles, quand les rédacteurs du Code
Civil avaient entrepris la préparation des textes sur le divorce, des
modèles comparatifs existaient déjà. Un certain nombre de
pays, de culture juridique protestante, comme la Norvège, la
Suède ou la Prusse avaient déjà mis en place un pluralisme
juridique très grand. Les conditions procédurales étaient
strictes : dans les Etats nordiques, il fallait pratiquement une
autorisation de l'Exécutif pour divorcer. Toutefois, il y avait, dans
ces pays, beaucoup plus de causes de divorce que n'en retenait le Code de 1804.
Aujourd'hui, la proximité juridique avec les autres pays impose de
prendre en compte les législations étrangères sur le
divorce. Toutefois, le Doyen Carbonnier mettait en garde le législateur
français contre les risques d'un suivi trop fidèle de
modèles étrangers. Aujourd'hui, il est possible de dégager
quelques caractères communs entre les droits des pays européens.
L'accord se fait d'abord sur le caractère judiciaire du divorce. Le
divorce a fait l'objet de réformes dans de nombreux pays : en
Angleterre en 1973, en Belgique en 1974, en Allemagne en 1976, en Espagne en
1981, en Suisse avec la loi du 26 juin 1998. Si la Suisse ne fait pas partie de
l'Union Européenne, l'étude de son cas est intéressante.
Dans les pays européens, il faut souligner l'existence de deux
particularités qui ne rentrent pas dans le schéma
français. Ce sont celles des pays nordiques (Norvège et Danemark)
et celles de la Grande-Bretagne. Dans les pays nordiques, l'accent est mis sur
le caractère administratif du divorce. Les gouverneurs de provinces
disposent des pouvoirs les plus larges sur les principes de divorce et sur ses
suites. Les divorces sont réglés par un accord : il est rare
qu'un litige judiciaire s'élève. A ma connaissance, il n'y a
qu'en Suède qu'un débat judiciaire peut s'instaurer. Dans ces
Etats, le délai entre la séparation et le prononcé du
divorce est très court : il varie entre six mois et un an. En
Grande-Bretagne, le divorce était de nature judiciaire. Depuis 1973, il
est fondé sur le constat d'un échec irrémédiable du
mariage. Dans le texte de 1973, la constatation de l'échec est
subordonnée à la preuve d'un certain nombre de faits dont la
séparation, le comportement du défendeur. Le divorce a fait
l'objet d'une réforme en 1996. Le rôle du juge est réduit
au minimum. Le demandeur fait une déclaration sous serment qu'il existe
un cas de divorce, sans qu'aucune explication ne soit nécessaire. Que la
déclaration soit unilatérale ou bilatérale, elle donne
lieu à une période de réflexion qui varie entre six et
douze mois. Le droit anglais témoigne une certaine confiance envers les
médiateurs, une défiance envers les avocats et le rôle du
juge est restreint. Dès lors que les parties sont informées des
effets et des possibilités de médiation, elles doivent apporter
la preuve qu'elles ont passé elles-mêmes les arrangements
financiers et relatifs aux enfants. Ceci suffit au prononcé du divorce.
Il n'y a donc que très peu de débats contradictoires, une
confiance très grande est octroyée au demandeur. J'ajouterai
qu'il s'agit d'une médiation forcée. Si les époux ne
témoignent pas d'une volonté d'entente, le magistrat doit
prévenir que le défendeur aura à en supporter les
dépens. Une pression est donc exercée sur le défendeur.
Ces deux cas sont spécifiques et nous devons davantage accorder notre
attention aux pays dont la législation constitue le droit commun
continental. Le droit commun continental est fondé essentiellement sur
deux causes de divorce, qui figurent dans le projet de loi aux
côtés de deux autres causes. Il s'agit du divorce par consentement
mutuel et du divorce-rupture. Ceci ne signifie pas pour autant que le divorce
pour faute est écarté dans les autres législations
européennes. La conduite des intéressés est toujours prise
en considération. Le projet actuel, pour le divorce-rupture, se fonde
sur une durée de séparation de deux ans. Ce délai est le
même que dans le droit espagnol. La loi espagnole du 7 juillet 1981
prévoit deux causes de divorces : la cessation de vie commune avec
la nécessité de définir l'intention de celui qui a voulu
provoquer la rupture (il faut donc prouver qu'une des parties est à
l'origine de la séparation), la condamnation définitive, qui est
de caractère pénal, pour avoir attenté à la vie du
conjoint.
En dehors du cas de l'Espagne et de la Belgique, où la durée de
séparation est fixée à cinq ans, la plupart des droits
actuels, notamment les droits allemand et suisse, prévoient une
durée de séparation variable en fonction de l'idée de
présomption d'échec. La présomption d'échec est
plus ou moins longue selon si un époux acquiesce ou non. Les
délais sont distincts entre un divorce-rupture et un divorce où
un époux consentirait à reconnaître certains torts.
L'échec du mariage est défini dans l'article 1565 du Code Civil
allemand comme l'absence de communauté de vie sachant qu'aucune
perspective dé rétablissement de la vie commune n'est
envisageable. Deux présomptions d'échec sont définies
lorsque les époux sont séparés depuis trois ans (article
1566), lorsqu'ils sont séparés depuis un an et qu'un conjoint
acquiesce à la demande de l'autre. La notion de faute est
présente dans l'article 1565, le demandeur pouvant passer outre cette
exigence de délai minimum d'un an, dès lors qu'il prouve des
faits qui rendent le maintien de l'union impossible. Ces faits sont
généralement des violences ou des violations
répétées d'obligations conjugales. Dans le droit suisse,
les délais sont également variables. La loi suisse de 1998
prévoit quatre ans de séparation. Le délai est
inférieur si des motifs sérieux, non imputables à un
époux, rendent la continuation impossible.
Les droits continentaux accordent une large place à la volonté
commune. Le divorce par consentement mutuel existe en Belgique et en Allemagne.
Cette volonté commune ne permet pas le maintien de la communauté
domestique. Dans la loi grecque de 1983, la rupture est présumée
si les rapports sont troublés à tel point que la vie commune
devient intolérable. Cela concerne un certain nombre de cas dits
fautifs : bigamie, attentat à la vie du conjoint, abandon de
domicile.
Des différences importantes sont à noter concernant les effets du
divorce dans la plupart des pays européens par rapport au droit
français. La plupart des droits étrangers actuels ne
prévoient que de manière relativement exceptionnelle l'octroi
d'une prestation compensatoire. Le modèle français de prestation
compensatoire est donc une exception et n'existe qu'en Espagne. L'article 97 du
Code Civil espagnol évoque le déséquilibre
économique qui va entraîner une détérioration de la
situation du conjoint et prend en compte la situation antérieure
à la rupture pour rétablir l'équilibre. Une jurisprudence
a émergé de cette loi : il est très difficile de
revenir sur le montant de la prestation. Le montant de la prestation ne peut
être revu, en général, qu'à la baisse. La loi
espagnole comprend également une volonté de
non-transmissibilité de la prestation compensatoire : les
héritiers du créancier d'aliments n'ont pas à souffrir de
l'engagement personnel du créancier.
Les droits allemand et suisse prévoient la possibilité d'obtenir
des secours ou pensions, mais seulement dans la mesure où l'époux
qui en serait le bénéficiaire ne peut envisager une reprise
d'activité. C'est ce que précise l'article 1569 du Code Civil
allemand, qui ajoute qu'un refus d'entretien d'un époux dans le besoin
serait une injustice grave. Il s'agit d'une clause positive
d'équité qui impose de venir au secours du conjoint
démuni. Cette clause est également présente dans l'article
125 du Code Civil suisse. Dans ces deux pays, une contribution équitable
est due, uniquement si le conjoint ne peut pas exercer une activité
professionnelle en raison de son âge, de sa santé, ou de
l'entretien des enfants.
Dans un certain nombre d'Etats de la Communauté, l'égalité
des époux fait qu'ils sont considérés comme autonomes l'un
vis-à-vis de l'autre. En droit allemand comme en droit suisse, il existe
des clauses d'équité négative. En effet, dans certains
cas, il est justifié qu'il y ait une restriction ou une suppression des
versements entre époux, notamment si une infraction est commise, si le
créancier a créé son état de besoin ou s'il a
négligé ses devoirs familiaux. Nous voyons
réapparaître la notion de conduite fautive de l'un des
intéressés. Même si la faute ne constitue pas le fondement
de la demande en divorce, elle est prise en compte dans la détermination
du délai, comme je l'ai déjà souligné, et dans
l'exécution des prestations.
S'agissant du divorce sur requête conjointe, tous les droits
européens précisent que les époux doivent s'entendre
à l'avance sur les conséquences patrimoniales et
financières du divorce. A cet égard, je noterai la
particularité du droit anglais, qui ne prévoit aucune
intervention du juge avant que les époux n'aient organisé une
médiation. Les époux doivent subir une véritable audition
sur les conséquences personnelles et patrimoniales du divorce pour s'y
préparer.
Je suis assez sceptique sur deux points figurant dans le projet actuel. Dans
les causes de divorce, la violation des droits et des devoirs est
évoquée. Les juristes, ici présents, savent que la
jurisprudence de la Cour de Cassation a tendance, pendant le mariage, à
ne pas faire grand cas de la non-observation des articles 212 et suivants. Je
me demande si le texte ne gagnerait pas en précision sur la
définition de ce que peut être la violation des droits et devoirs
en définissant la notion de violence physique ou morale. Concernant
l'altération définitive du lien conjugal après deux ans de
rupture, je me demande si l'on pourra faire l'économie d'un débat
judiciaire sur l'époux qui peut être à l'origine de la
cessation de la vie commune ou de l'altération de la vie conjugale. Je
voudrais également aborder un troisième point. Le projet veut
octroyer une plus grande place au divorce pour rupture de la vie commune, ce
qui est positif. Jusque-là, le demandeur devait en supporter toutes les
charges et le devoir de secours était supprimé. Il fallait mettre
un terme à cette situation. Mais ne pensez-vous pas qu'en
généralisant la prestation compensatoire, il ne serait pas utile
de réintroduire les clauses d'équité dans le versement de
la prestation ? Nous revenons ainsi sur la question que je posais :
peut-on faire l'économie d'un débat sur celui qui provoquera la
rupture ? Ne faut-il pas, au contraire, en tirer certaines
conséquences patrimoniales ?
Je reste à votre disposition pour toutes les questions que vous voudriez
me poser.
Monsieur le PRESIDENT
Merci Monsieur le Professeur. Je donne la parole à Monsieur le
Rapporteur.
Monsieur GELARD
J'ai trouvé l'exposé de droit comparé de mon
collègue Boulanger très intéressant. Il me conforte dans
l'idée que le texte que nous avons n'est pas définitif : il
continuera à évoluer à la faveur des voies ouvertes par le
droit comparé. Je pense que les législations voisines pourront
réciproquement évoluer dans un autre sens. J'ai donc
trouvé cet exposé très riche, mais je n'ai pas de question
particulière à poser à Monsieur Boulanger.
Monsieur le PRESIDENT
Monsieur le Président Badinter.
Monsieur BADINTER
Je tiens à féliciter le professeur Boulanger. L'expérience
anglaise a retenu plus particulièrement mon attention. Dans le cadre de
la commission des Lois, je me demande si nous n'aurions pas
intérêt à approfondir la réflexion sur les
éléments présentés par le professeur Boulanger.
L'idée de responsabiliser avant ceux qui demandent le divorce pourrait
être reprise.
Monsieur GELARD
C'est une direction vers laquelle nous évoluons dans le cadre du divorce
par consentement mutuel. Nous ne sommes pas allés aussi loin que les
Britanniques. En France, des lobbies très importants souhaiteraient
qu'à terme, le divorce par consentement mutuel se fasse sans
l'intervention du juge. Je pense que la loi se situe à un niveau
intermédiaire, qui tient compte de l'opinion publique actuelle, mais qui
ouvre la voie à une évolution dans les prochaines années.
Monsieur Le PRESIDENT
Monsieur le Rapporteur, votre voisine, Madame Rozier voudrait avoir la parole.
Madame ROZIER
Monsieur Badinter parle de la responsabilisation des conjoints. Je me demande
s'il ne faudrait pas les responsabiliser au moment du mariage. Quand nous
célébrons un mariage en tant que maires, nous lisons de
façon lapidaire les quelques articles du Code civil qui doivent
régir le mariage. Nous le faisons avec componction. Mais, ce
jour-là, les mariés ne sont pas attentifs. Les mots n'ont donc
pas la portée qu'ils devraient avoir. Il faudrait donc peut-être
responsabiliser les personnes avant qu'elles ne se marient. Le maire ou
l'employé de l'Etat civil pourraient présenter aux futurs
conjoints les articles relatifs au mariage.
Monsieur BOULANGER
Vous le faites avec une interrogation écrite à la clé.
Madame ROZIER
Vous plaisantez, mais ma proposition est tout à fait sérieuse.
Quand vous signez un contrat de vente, le notaire vous explique ce que vous
allez faire et détaille les éléments du contrat. En vous
mariant, vous signez un contrat qui engage votre vie entière. Je pense
qu'il faudrait responsabiliser les futurs époux, leur expliquer ce
à quoi ils s'engagent.
Monsieur le PRESIDENT
Ma chère collègue, cet élément n'est pas en
relation avec le texte que nous examinons.
Madame ROZIER
Monsieur Badinter a parlé de responsabilisation. Je pense qu'elle
devrait être faite plus en amont.
Monsieur le PRESIDENT
Je rends la parole à Monsieur le Professeur.
Monsieur BOULANGER
Je vous remercie de votre observation, Madame. Je me permets de vous rappeler
que des textes récents ont augmenté le nombre de
précisions que doit fournir l'officier d'Etat civil lors de la
célébration du mariage. A propos de ce qu'a dit Monsieur
Badinter, je voudrais préciser que j'ai lu à ce sujet un article
de ma collègue Madame Meulders-Klein, comparatiste renommée. Elle
voyait, dans le système anglais, un bon et un mauvais côté.
Le système anglais a l'avantage de rendre obligatoire la
médiation et l'information préalable donnée aux
époux sur les suites du divorce. Le législateur anglais est
effrayé par l'augmentation des divorces, même si les chiffres
anglais sur le divorce n'atteignent pas ceux de la France. La France est, en
effet, un des pays d'Europe occidentale où le taux de divorce est le
plus élevé. Madame Meulders-Klein a souligné le
danger que les observations du défendeur soient systématiquement
négligées. Le droit anglais conduit à l'affirmation, par
le demandeur de l'échec du mariage. Les époux sont invités
à s'entendre, le défendeur étant condamné en cas
d'issue judiciaire au divorce. Le droit anglais a tendance à suivre la
même voie que le droit scandinave. Dans les pays scandinaves, les
débats portent essentiellement sur les enfants, la durée de
l'entretien est extrêmement restrictive pour un époux qui
solliciterait son entretien. Au Danemark et en Norvège, la
période d'entretien varie entre six mois et un an. Le conjoint a le
devoir d'être autonome après son divorce. J'ajouterai que la
plupart des droits européens préfèrent la rente
viagère : le versement d'un capital devient l'exception. La rente
viagère est limitée à la vie du créancier. A cet
égard, un certain particularisme français subsiste.
Monsieur le PRESIDENT
Merci Monsieur le Professeur. Je donne la parole à Madame Cerisier Ben
Guiga.
Madame CERISIER BEN GUIGA
Je voudrais signaler que vingt-six millions de citoyens européens ne
vivent pas dans leur pays, dont un million de Français. Le nombre de
mariages entre citoyens européens augmente. Nous constatons que ces
mariages donnent lieu à des divorces conflictuels, non seulement sur le
plan du patrimoine, mais également concernant la garde des enfants. Il
existe des différences de mentalité et des conflits de lois qui
ne sont pas réglés par les conventions internationales. Comment
faire en sorte que le doit interne soit mieux articulé avec le droit
international ? Je suis tout à fait d'accord avec ma
collègue : le mariage est sans doute le seul contrat à
être signé sans que son contenu ne soit connu, en particulier le
mariage international. Il existe une lacune qu'il faudra combler dans une autre
loi. Continuer à s'engager dans un mariage dont les conséquences
ne sont pas connues est grave pour les conjoints et pour leurs enfants. Je
pense que ce n'est pas l'officier d'Etat civil qui doit remédier
à ce problème : le médiateur familial peut
déjà prévenir les futurs époux.
Monsieur le PRESIDENT
Monsieur le Professeur.
Monsieur BOULANGER
Vous soulevez des problèmes complexes. Je me permets de vous rappeler
qu'il existe déjà une convention internationale de La Haye en
matière de régimes matrimoniaux. Cette convention a
été ratifiée par seulement trois Etats : la France,
le Luxembourg et les Pays-Bas. Nous sommes dans un domaine du droit patrimonial
de la famille où l'entente n'a pas pu se faire. La plupart des droits
européens considèrent qu'à défaut de
nationalité commune, les régimes matrimoniaux rentrent dans les
effets personnels du mariage. Il existe des conflits internationaux, mais,
jusqu'à présent, les conflits entre époux ont
été beaucoup plus fréquents concernant le sort des enfants
que les conséquences patrimoniales.
Madame CERISIER BEN GUIGA
Aucune structure d'arbitrage international n'existe sur ces points-là.
Monsieur le PRESIDENT
C'est un problème qui intéresse un autre texte, ma chère
collègue. Monsieur le Président Larché, vous vouliez la
parole.
Monsieur LARCHE
Monsieur le Président, je voudrais revenir sur une question de
vocabulaire. Le mariage n'est pas un contrat. C'est une institution. J'insiste
pour souligner que le mariage ne comporte aucun élément
contractuel. Si c'était un contrat, il ne serait pas nécessaire
d'admettre les causes de divorce pour faute. La seule raison qui nous permet de
nous opposer à une évolution vers une suppression de la cause
liée à la faute est la nature même du mariage.
Monsieur le PRESIDENT
Monsieur le Professeur.
Monsieur BOULANGER
Nous ne sommes pas, en effet, Monsieur le Président, en présence
d'un contrat. Le développement de l'union libre a d'inévitables
conséquences sur la conception du mariage. La conduite des époux
est prise en compte. Nous aboutissons finalement au constat qui était
à l'origine de la réforme protestante du XVIe siècle.
Calvin considérait, en effet, que le divorce était un
remède quand les époux ne pouvaient plus mutuellement se
supporter. Je ne suis pas sûr qu'en maintenant le divorce pour faute dans
sa formulation classique, qui fait référence à la
violation des devoirs et obligations du mariage, nous évitions le
contentieux qui existait déjà antérieurement et qui n'a
pas tout à fait disparu après la loi de 1975. Je suis
frappé par la formulation relativement abstraite du droit
français. Il y a, en France, plus que dans les autres pays
européens, une volonté de procéder par cas particuliers.
Monsieur le Président
Merci Monsieur le Professeur.
Audition de M. Alain BENABENT
Avocat à la Cour de cassation
Professeur
à l'université de Paris X
_____
Monsieur
le PRESIDENT
Je demanderai à Monsieur le Professeur Bénabent de venir nous
rejoindre. Monsieur le Professeur, vous avez la parole.
Monsieur BENABENT
Merci, Monsieur le Président. J'ai écouté ce qui a
été dit au cours des auditions précédentes de
manière à éviter d'inutiles répétitions et
à combler une partie du retard. Mes observations porteront d'abord sur
les cas, puis sur la procédure, sur les effets et enfin sur les
dispositions transitoires qui n'ont pas encore été
évoquées. Il s'agira d'observations ponctuelles. Je partage tout
à fait l'avis de Françoise Dekeuwer-Défossez : je
crois que, d'une manière générale, ce projet est
d'excellente facture. Sur la majeure partie des points, il a su tirer les
enseignements des débats qui ont lieu depuis plusieurs années. Il
suffit de quelques efforts à faire pour gommer les dernières
scories. Ce projet est un aboutissement après plusieurs années de
réflexion.
Le maintien des quatre causes de divorce a l'avantage de ne pas bousculer les
esprits. L'agencement de chacune d'entre elles mérite quelques
observations.
Je ne note pas de difficultés concernant le divorce par consentement
mutuel. Toutefois, je dois souligner que la suppression de la double
comparution me paraît très grave, dans ce type de divorce. Les
trois mois du délai de réflexion jouaient et jouent un rôle
fondamental. L'idée que l'on puisse, en une seule comparution,
régler la totalité des questions relatives au divorce, me
paraît peu réfléchie. Il vient de nous être fait part
de l'expérience anglaise : en Grande-Bretagne, il y a une
préparation préalable au divorce. L'intervalle de temps entre les
deux comparutions permettait cette préparation. Par ailleurs, il est
paradoxal alors qu'aujourd'hui, pour le moindre crédit à la
consommation ou le moindre achat, un droit de réflexion préalable
est prévu ainsi qu'un droit de repentir ultérieur, qu'aucun
délai de réflexion ne soit accordé aux conjoints pour leur
divorce. Cette situation est encore plus problématique lorsqu'il n'y a
qu'un seul avocat. Il n'est, en effet, pas certain que l'intérêt
ou le consentement de chacun ait été totalement
éclairé. Ceci concerne, plus particulièrement, deux
cas : l'avocat ne parvient pas à démêler la situation
ou il défend davantage les intérêts de l'un des
époux. Le maintien du consentement mutuel dans son état actuel
est un point positif, ce divorce donnant satisfaction. Vouloir
accélérer la procédure en supprimant le délai de
réflexion et la double comparution me paraît être une
erreur. Je regrette que, sur ce point, le consensus semble total et que
personne ne critique le projet. Il y aura des contentieux après divorce
d'autant plus graves que des consentements auront été plus ou
moins donnés sans véritable réflexion. Il ne faut pas
oublier que le divorce est une période trouble pour les deux
époux. Un des époux peut donner son consentement puis, deux mois
plus tard, se rendre compte que l'accord n'est pas tel qu'il l'aurait
souhaité. Je suis donc réticent à la suppression du
délai de réflexion et de la deuxième comparution, dont les
conséquences sont aggravées par la présence d'un seul
avocat.
Concernant le divorce pour faute, la correction de l'article 242 est inutile.
Il faut lui redonner son contenu initial. Je regrette personnellement que le
divorce pour faute soit maintenu. Je pense que, par son existence même,
il alimente des recherches agressives et une possibilité de contentieux
qui seraient éradiquées s'il était supprimé. Je
crois toutefois qu'à partir du moment où ses conséquences
sont diminuées, un progrès est déjà
réalisé. Les propos de Madame Dekeuver-Défossez sont tout
à fait justifiés, si ce n'est sur un point. Je voudrais revenir
sur l'articulation entre le divorce pour faute et le divorce pour
altération définitive du lien conjugal. L'article 246
précise que, si le juge est saisi sur les deux terrains, il doit d'abord
examiner le cas sur le terrain de la faute. Je trouve que la
légitimité de la prédominance du divorce pour faute dans
les cas où il existe également une altération
définitive du lien conjugal n'est pas justifiée. La
procédure, quelle qu'elle soit, conduira à un prononcé du
divorce. Est-ce la peine d'alimenter le conflit entre époux lorsque le
divorce peut être prononcé pour altération
définitive du lien conjugal ? L'article 246 me paraît donc
contestable.
Le divorce pour acceptation du principe de la rupture du mariage n'appelle pas
de commentaire particulier. Toutefois, les propos de Françoise
Dekeuwer-Défossez m'ont incité à développer une
hypothèse. Le défendeur peut, volontairement ou non, ne pas
comparaître. Il bloque ainsi la procédure. Ne peut-on pas
envisager, après plusieurs assignations, que le défaut de
comparution puisse équivaloir à une acceptation de
principe ? Françoise Dekeuwer-Défossez indiquait qu'un
blocage définitif de la procédure était possible. Une
telle mesure permettrait d'apporter une solution à ce blocage.
Le divorce pour altération du lien conjugal est rénové,
puisqu'il s'agit de l'ancien divorce pour rupture de la vie commune. Ce divorce
n'est pas véritablement transformé dans son esprit. Nous sommes
encore loin du cas du droit anglais évoqué par Monsieur
Boulanger. En droit anglais, la déclaration du demandeur, pourvu qu'elle
soit répétée et persistante, suffit à conduire au
prononcé du divorce. Dans le cas français, il existe encore une
cause de divorce avec une vérification faite par le juge et une
nécessité de séparation. Certains trouvent le délai
trop long, d'autres trop court. En soi, le délai n'a pas d'importance.
Il peut être fixé à deux ans. Mais sa comparaison avec la
rapidité manifeste du divorce par consentement mutuel est relativement
choquante. A l'heure actuelle, quelqu'un qui ne peut pas reprocher de faute
à son conjoint et qui n'a pas l'accord de son conjoint est obligé
de passer par cette procédure, qui reste peut-être trop lourde. En
effet, sa lourdeur va conduire le conjoint à extorquer le consentement
de l'autre. Ce consentement est d'autant plus facile à extorquer que le
divorce par consentement mutuel prévoir une comparution unique et un
seul avocat. Il faut trouver un équilibre entre les deux types de
divorce. S'il est admis que la procédure doit durer un certain temps,
parce qu'il s'agit d'une procédure grave, il faut admettre
également que deux ou trois mois de réflexion peuvent être
octroyés dans le cadre d'un divorce par consentement mutuel.
Je souhaiterais maintenant faire deux observations sur la procédure. Ma
première observation concerne l'avocat unique. Elle n'est pas
motivée par un éventuel corporatisme, étant donné
que je suis avocat à la Cour de cassation. Les propos qui ont
été tenus sur les dangers de la présence d'un seul avocat
me paraissent tout à fait pertinents. C'est pour des raisons
démagogiques et pour faire des économies, que le divorce est
ainsi facilité. Il est vrai que la plupart des personnes et, en
particulier, les jeunes considèrent que le divorce est coûteux
à cause des avocats. Dans ce cas, soit les avocats sont totalement
supprimés, soit chacun des deux époux a son propre avocat. Il
n'est pas possible pour un avocat d'être totalement impartial et il est
même des cas où il ne le peut pas, à l'égard de l'un
deux époux. C'est le cas de l'avocat qui est également l'avocat
de l'entreprise du mari. L'épouse n'a pas de véritable raison de
s'opposer au recours à cet avocat. Pourtant, l'avocat n'est pas
totalement libre pour rétablir un déséquilibre
éventuel. Ce cas est fréquent. Je propose donc qu'il n'y ait pas
d'avocats, si l'on veut jouer la carte démagogique en rendant le divorce
aussi gratuit que le mariage ou qu'il y en ait deux.
Monsieur DREYFUS-SCHMIDT
Il est possible de trouver une solution qui tient compte de vos deux
propositions.
Monsieur BENABENT
Ce système serait très compliqué. Je souhaiterais
maintenant faire une observation sur un point ponctuel, qui concerne la
procédure de divorce pour faute et les moyens de preuves. Le texte
consacre la jurisprudence sur l'interdiction de faire témoigner les
descendants. Je trouve ce point très positif. Toutefois, le texte
n'apporte pas de modification concernant l'admission des lettres, qui sont
écartées seulement si elles ont été
dérobées par fraude. Il est évident que lorsqu'une
personne produit une lettre, nous ne pouvons savoir comment elle a
été obtenue. Par nature, une lettre, un journal intime d'un
conjoint sont des éléments qui ne doivent pas parvenir entre les
mains de l'autre conjoint. Admettre de tels documents dans le débat sur
le divorce incite à leur recherche et à leur appréhension
dans des conditions douteuses. Une personne n'a pas, en effet, à ouvrir
ou à appréhender les lettres adressées à son
conjoint. Concernant les lettres d'un conjoint adressées à un
tiers, nous pouvons nous demander comment elles sont arrivées dans les
mains du conjoint. Il serait donc préférable de les
écarter.
En ce qui concerne les effets, il vous a été dit, dans les
auditions précédentes, que le projet de loi diminue l'impact des
torts. Par voie de conséquence, il diminue l'intérêt de
charger son conjoint. Toutefois, les torts ont deux conséquences.
L'article 266 prévoit des dommages et intérêts, qui sont
exceptionnels. Par ailleurs, il est possible de priver l'époux fautif
d'une prestation compensatoire. Je ne trouve pas que les dommages et
intérêts de l'article 266 soient un problème majeur :
la pratique judiciaire montre que ce texte est relativement peu utilisé.
L'octroi de dommages et intérêts ne dépend pas du
préjudice consécutif à la dissolution du mariage, qui
engendre une disparité entre époux. Ce préjudice
débouche sur la prestation compensatoire. Les dommages et
intérêts sont conditionnés par un préjudice
lié aux fautes directes d'un conjoint : un conjoint bat l'autre.
Mais ce point est déjà traité dans l'article 1382.
Peut-être faut-il rappeler dans la loi qu'à l'occasion du divorce,
la réparation des préjudices particuliers subis du fait des
fautes de l'un ou l'autre des conjoints peut être demandée. Il
n'est pas besoin de lier la réparation aux torts exclusifs. Des
préjudices peuvent être subis des deux côtés et
chacun peut demander la réparation des préjudices qu'il a subis.
Toutefois, comme je vous l'ai dit, l'article 266 est peu utilisé.
En revanche, la privation de la prestation compensatoire dans l'article 270
nouveau est une survie du droit actuel et pose problème. L'article 270-2
du projet précise « toutefois le juge peut refuser d'accorder
une telle prestation si l'équité le commande, soit en
considération du critère prévu à l'article 272,
soit lorsque le divorce est prononcé aux torts exclusifs de
l'époux qui demande le bénéfice de cette
prestation ». A partir du moment où un intérêt
matériel est attaché à la proclamation des torts de l'un
des époux, le débat sur la faute va être, de nouveau,
attisé. Le texte du projet n'a même plus le contrepoids qu'il a
dans le droit positif issu de la loi de 1975. En effet, l'article 280-1, qui
permettait au conjoint coupable de recevoir une indemnité exceptionnelle
s'il avait aidé l'autre à s'enrichir, disparaît. En outre,
la référence à l'équité est
problématique. Tous les textes dans lesquels l'équité est
évoquée sont abandonnés à une zone de non-droit par
la Cour de cassation. Lorsqu'il s'agit d'équité, le juge dispose
d'un pouvoir discrétionnaire. Quels que soient les
éléments avancés par le juge pour justifier sa conception
de l'équité, aucun contrôle ne sera effectué. Une
référence à l'équité dans un texte est un
abandon à un domaine non juridique. Cette référence n'a
pas de grande portée lorsqu'il s'agit d'éléments
relativement peu importants, comme la charge des dépens. Lorsqu'il
s'agit de la prestation compensatoire, qui va déterminer la
manière dont vont s'organiser les vies des époux dans les
années qui suivent le divorce, la référence à
l'équité pose problème. Je pense qu'il n'est pas
souhaitable qu'une référence à l'équité
puisse permettre de supprimer une prestation compensatoire. Une révision
devrait être opérée sur ce point du texte.
Monsieur GELARD
Mais il est déjà fait référence à
l'équité actuellement.
Monsieur BENABENT
L'article 280-1 rétablit un droit dans le cas où, parce qu'il est
exclusivement coupable, le conjoint n'a pas droit à la prestation
compensatoire. A titre exceptionnel, le droit à une indemnité
exceptionnelle est rétabli parce que le conjoint coupable a aidé
l'autre à s'enrichir. La privation de la prestation compensatoire pour
le conjoint fautif est une sorte de déchéance au sens technique
du terme : il est privé d'un droit. De manière
générale, une personne peut être privée d'un droit
si elle commet une faute. Que la déchéance, qui est une peine
privée, puisse dépendre non pas d'un cadre visé par le
législateur et contrôlé par le juge mais d'une
référence à l'équité me paraît
inquiétant. Françoise Dekeuwer-Défossez se demandait s'il
fallait maintenir la forme de la rente viagère pour la prestation
compensatoire. Si la rente viagère est maintenue, il ne faut pas qu'une
conversion de la rente en capital soit possible. Je suis très sensible
aux propos tenus par Françoise Dekeuwer-Défossez. Les raisons de
transformer une rente en capital sont toujours de mauvaises raisons et
aboutissent à une paupérisation inévitable du
créancier. Si la renté viagère est réservée
à des cas où elle est absolument indispensable, il n'y a pas de
raison de la modifier ensuite, y compris en cas de succession. C'est sans doute
le lobby des secondes épouses ou des héritiers qui veulent mettre
fin à la prestation. Les héritiers ont le choix entre accepter la
succession et verser la rente ou la refuser et ne plus être
héritiers. Les héritiers sont tenus par les rentes
viagères souscrites pour n'importe quel objet dans un contrat
d'acquisition. Il en va de même pour les rentes viagères de
prestations compensatoires. Libres aux héritiers de refuser
l'héritage pour ne pas payer la rente viagère.
Je voudrais revenir sur d'autres points, moins importants.
Dans l'article 274, il est prévu que les modalités du divorce
peuvent inclure l'attribution en pleine propriété de biens au
débiteur : la prestation prend donc la forme d'une attribution de
biens en pleine propriété. Ceci est admis pour l'usufruit depuis
1975. Mais ceci est grave pour la pleine propriété : c'est
un cas d'expropriation pour cause d'intérêts privés. Nous
pouvons comprendre les problèmes posés concernant les biens
familiaux hérités. Ce texte est certainement contraire à
Convention européenne des Droits de l'Homme, en particulier à
l'article 1 du protocole additionnel sur la protection du droit de
propriété. Je pense qu'il faut revenir sur le texte. S'il est
conservé, il faut, au moins, évaluer nécessairement les
biens en cause. Des biens risquent d'être attribués sans
même que leur équivalent monétaire ne soit pris en
considération, alors que l'attribution en nature a justement pour objet
de compenser une attribution en capital.
Toutes les autres dispositions sont excellentes, si ce n'est l'article 276-4.
Cet article envisage le cas où un capital est substitué à
une rente. Ce point a déjà été évoqué
et je suis d'accord avec ce qui a été dit : le principe
même de cette substitution pose problème. Donner à la place
d'une rente, qui permet au conjoint de vivre, un capital, qui ne lui permettra
pas de subsister est problématique. Je constate avec stupeur que,
lorsqu'une telle substitution est opérée, il est prévu que
« le montant du capital substitué prend notamment en compte
les sommes déjà versées ». Il s'agit sans doute
là d'une revendication des associations de débiteurs de
prestations compensatoires. Elle me paraît infondée. Une rente a
été versée pendant un certain temps. Elle est faite pour
être consommée, et non pour être capitalisée. Si un
capital est substitué à la rente et que les sommes
déjà versées sont imputées sur son montant, le
capital versé ne représentera plus l'équivalent de la
rente à venir. Cette disposition me semble mériter
réflexion.
Je souhaiterais maintenant revenir sur un point, qui est repris du texte
actuellement en vigueur. Il s'agit du bail forcé. La pratique montre que
le bail forcé n'est pas souvent utilisé. S'il n'est pas
utilisé, c'est qu'il vise un cas particulier, celui où le
logement de la famille appartient en propre à l'un des époux. Le
texte ne prévoit pas d'étendre cette clause. Je pense qu'il
serait pourtant intéressant de l'étendre. Il pourrait être
étendu aux cas où le logement n'appartient pas en propre à
un des époux, mais est en indivision. La femme peut ne pas être en
mesure de demander l'attribution préférentielle du logement, mais
il serait intéressant qu'elle garde la jouissance du logement
jusqu'à la majorité du dernier des enfants. Le bail forcé
devrait pouvoir être utilisé non seulement quand il s'agit d'un
bien propre à l'un des époux, mais également quand il
s'agit d'un bien indivis. Je me suis également demandé si le bail
forcé ne pouvait pas être étendu au logement secondaire de
la famille. La mère a besoin d'un lieu pour emmener les enfants en
vacances. Il est parfois inadapté de recourir à la lourdeur d'une
attribution préférentielle. Le caractère restrictif sur le
bail forcé ne me paraît pas justifié.
Les dispositions transitoires n'ont pas encore été
évoquées au cours des auditions. Ces dispositions passent souvent
au second plan. Pourtant, nous nous rendons compte que ces dispositions sont
matières à contentieux. Cela a pu être constaté avec
la loi du 30 juin 2000. Les dispositions transitoires sont
détaillées. Je ne pense pas qu'elles soient exemptes de source de
contentieux futurs. Garder le droit ancien pour toute une série de
procès pendant des années ne me paraît pas être une
bonne option. Il est dit que « du moment que l'assignation a
été délivrée avant l'entrée en vigueur de la
nouvelle loi, le procès sera jugé selon la loi
ancienne ». Le texte prévoit également que l'appel et
le pourvoi en cassation seront jugés selon la loi ancienne. Pendant des
années, un double système existera, ce qui n'est pas une bonne
chose. Si la loi nouvelle est meilleure, il faut l'appliquer sans attendre et
si elle est moins bonne, il ne faut pas la voter. Cet argument peut
paraître simpliste, mais il a des vertus.
Le texte prévoit la possibilité de réviser les rentes
viagères qui ont été attribuées avant la nouvelle
loi. Cette disposition vaut également pour les rentes viagères
qui seront attribuées par la suite. Le seul bon aspect de la loi de juin
2000 est qu'elle a permis de réviser des rentes qui étaient
devenues, avec le temps, totalement inadaptées. Mais je ne comprends pas
pourquoi la précision suivante est reprise : « La
révision ne peut avoir pour effet de porter la rente à un montant
supérieur à celui fixé initialement ». Cela
signifie que les éléments nouveaux sont considérés
à sens unique : s'ils vont dans le sens de la baisse, le montant de
la rente sera révisé, s'ils vont dans le sens de la hausse, le
montant de la rente reste inchangé. Ce point n'est pas logique. Soit il
est admis que la rente est forfaitaire et elle n'est pas modifiable, soit il
est considéré qu'elle est révisable, auquel cas elle peut
varier dans les deux sens. La pression de groupes manifestement à
l'origine de la loi du 30 juin 2000 se ressent encore dans le nouveau projet.
Cette mesure est-elle justifiée ? Poser la question est
peut-être déjà y répondre. Les propos qui ont
été tenus lors des précédentes auditions permettent
d'aller plus loin. Lorsque la révision de la rente est admise, son
montant doit pouvoir évoluer dans les deux sens, ainsi que sa
durée. Une rente peut être supprimée si le changement de
circonstances démontre qu'elle n'est plus justifiée. Il est donc
possible de raccourcir l'échéance prévue. Pourquoi ne
serait-il pas possible de l'allonger ? A l'heure actuelle, il n'est pas
possible de l'allonger.Un phénomène de cliquet agit de telle
sorte que la rente actuelle est révisable à la baisse, qu'il
s'agisse de son montant ou sa durée, mais jamais à la hausse. Le
projet de loi pourrait être l'occasion de rétablir un
équilibre.
Je vous ai présenté mes quelques observations. Elles sont
ponctuelles. Je reste à votre disposition, Monsieur le Président,
si vous avez des questions à poser.
Monsieur le PRESIDENT
Je vous remercie. Je donne la parole à Monsieur le Rapporteur.
Monsieur GELARD
J'ai pris bonne note des remarques faites par le Professeur Bénabent. Je
pense que la formule sur l'équité est logique et qu'elle doit
être conservée, sans quoi des situations particulières et
anormales aboutiraient à ce que quelqu'un joue sur le divorce pour
s'enrichir de façon scandaleuse. Sur le problème de la
révision à la baisse et non à la hausse, je voudrais
préciser que ce n'est pas une pension alimentaire qui est versée,
mais une indemnité fixée une fois pour toutes en fonction d'une
situation donnée. Lorsque la situation du bénéficiaire de
l'indemnité s'améliore considérablement, il n'y a aucune
raison de maintenir l'indemnité. Dans le sens inverse, nous pourrions
envisager que le débiteur s'enrichit. Toutefois, au moment de
l'enrichissement, il n'y a plus de lien entre le débiteur et son ancien
conjoint. Prévoir la revalorisation à la hausse pose donc
problème. Cependant, la revalorisation à la hausse se pose
davantage dans les cas où l'ancien conjoint est malade ou
hospitalisé.
Monsieur BENABENT
Je suis entièrement d'accord avec vous : il n'y a pas de raison de
faire participer un ancien conjoint à un nouvel enrichissement. En
revanche, l'aggravation de la situation du créancier permettrait
peut-être de justifier une hausse ou une prolongation de la rente. Nous
sommes confrontés à un choix de société : soit
une solidarité persiste entre les époux, soit une
solidarité nationale est mise en oeuvre.
Monsieur le PRESIDENT
Merci, Monsieur le Professeur. Y a-t-il encore des questions ? Voulez-vous
intervenir, Monsieur Courrière ?
Monsieur COURRIERE
J'aurais voulu dire ajouter quelques mots. Au cours des auditions, nous avons
parlé des notaires. J'ai été notaire et je remercie les
auditionnés, qui ont souligné que le notaire était un bon
conseiller lorsqu'il y avait un contrat. Un rôle de conseil pourrait
également être tenu par la mairie. Un délai est
prévu entre le moment où le mariage est décidé et
le moment où il est célébré. Le jour où les
futurs époux viennent demander les pièces nécessaires pour
le mariage, il pourrait leur être délivré un fascicule qui
donnerait des précisions sur le contenu de leur engagement et sur les
risques qu'ils encourent si le mariage débouche sur un divorce.
Pour ce qui est des successions, je suis d'accord avec Monsieur
Bénabent. Une succession peut être acceptée sous
bénéfice d'inventaire. Ainsi l'héritier ne
s'apercevra-t-il pas, après coup, qu'il doit payer une rente. La
contestation du paiement de cette rente ne me semble donc pas justifiée.
Je souhaiterais faire une troisième remarque. Les notaires ne sont
consultés qu'au moment de la liquidation des biens. Mais j'apprends que
l'on voudrait priver de subsides le premier conjoint divorcé au moment
où il en a le plus besoin. Il faudrait donc qu'il demande à la
société de le nourrir. Je trouve cette situation scandaleuse.
S'il a été considéré que la personne avait droit
à une certaine rente pour pouvoir vivre au moment de son divorce, il me
semble inimaginable que l'on puisse supprimer la rente au moment où elle
en a le plus besoin. Le texte pourrait prévoir que le montant de la
rente peut être revu, si la fortune de celui qui paie la rente ou de
celui qui la reçoit est modifiée, ainsi que si l'état de
santé du créancier est mauvais. Je trouve que le projet montre
que le lobby des secondes épouses et de leurs héritiers a
été efficace. Ce que je dis n'est peut-être pas très
moderne ou progressiste, mais je tiens à souligner que
l'équité me paraît toujours être la meilleure
solution pour le législateur.
Monsieur GELARD
Je souhaiterais répondre à mon collègue Courrière.
La prestation compensatoire ne doit pas être assimilée à
des dommages et intérêts. Elle est exclusivement faite pour
compenser les disparités de richesse entre époux au moment du
divorce. Quand les conjoints sont tous les deux pauvres, il n'y a pas de
prestation compensatoire. La prestation compensatoire ne saurait être
considérée comme un devoir d'aliments ou un devoir de payer des
dommages et intérêts à vie. Le problème se pose pour
une certaine catégorie de divorcés. Dans les cas où le
divorce a lieu après 30 ans de mariage et que l'un des conjoints s'est
sacrifié à la carrière de l'autre et à
l'éducation des enfants, le système de la prestation
compensatoire n'est pas satisfaisant. Je le reconnais. Le système de la
rente viagère ne l'est pas non plus. Pour ce cas de divorce, nous ne
sommes pas parvenus à mettre au point un système satisfaisant. Il
en va de même pour un autre divorce particulier : il s'agit des
divorces dus au fait que le conjoint est définitivement
hospitalisé et hors d'état d'avoir une vie normale. Le conjoint
malade n'a pas de couverture sociale, il n'a pas de quoi payer l'hôpital.
Nous cherchons des solutions pour ces deux cas de figure. En revanche,
lorsqu'un divorce intervient au bout de cinq ans de mariage et qu'il n'y a pas
d'enfant, il n'y a pas de la prestation compensatoire.
Monsieur le PRESIDENT
C'est le débat de la semaine prochaine.
Monsieur GELARD
Tout à fait. Je veux seulement signaler que nous avons dû mal
à résoudre un problème. Nous sommes confrontés
à des lobbies aux intérêts contradictoires : le lobby
des secondes épouses, celui des héritiers du débiteur,
celui de la première épouse... Nous touchons un problème
social, qui n'est peut-être pas résolu convenablement du point de
vue de la Sécurité Sociale et de la prise en charge d'un certain
nombre de situations.
Monsieur le PRESIDENT
Merci, mon
cher collègue. Monsieur le Professeur, je vous remercie.Votre
exposé était clair, rapide et synthétique.