Article 152
(art. L. 653-5 nouveau du
code de commerce)
Cas généraux de faillite personnelle
Le présent article, modifié par l'Assemblée nationale, a pour objet d'actualiser les règles applicables aux cas généraux de faillite personnelle communs à toutes les personnes visées à l'article L. 653-1 (commerçants, artisans, agriculteurs, professionnels indépendants, dirigeants de personnes morales, représentants permanents de personnes morales).
1. Le droit en vigueur
Actuellement, l'article L. 625-5 du code de commerce définit les cas généraux de faillite personnelle applicables à toutes les personnes susceptibles d'être passibles de cette sanction. Il précise que cette mesure peut être prononcée par le tribunal « à toute époque de la procédure ».
Cinq hypothèses sont visées :
- l'exercice d'une activité artisanale, commerciale ou agricole ou d'une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale en violation d'une interdiction légale (1° de l'article L. 625-5) ;
- l'achat en vue d'une revente en dessous du cours ou l'emploi de moyens ruineux pour se procurer des fonds (2° de l'article L. 625-5) ;
- la prise d'engagements trop importants souscrits pour le compte d'autrui (3° de l'article L. 625-5) ;
- le paiement ou le fait d'avoir fait payer un créancier au préjudice des autres créanciers après la cessation des paiements et en connaissance de celle-ci (4° de l'article L. 625-5). Cette disposition vise à sanctionner la rupture d'égalité entre les créanciers délibérément recherchée au cours de la période suspecte (qui couvre le délai durant lequel le débiteur bien qu'en état de cessation des paiements n'a pas déposé le bilan). Elle poursuit le même objectif que les actions en nullité de la période suspecte destinées à assurer un équilibre entre les créanciers 347 ( * ) . Ce cas d'ouverture fait l'objet de critiques au motif qu'il crée une incertitude sur le sort des paiements conclus dans le cadre d'un accord de règlement amiable, la date de la cessation des paiements pouvant être reportée avant la conclusion de celui-ci 348 ( * ) ;
- l'omission de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai de quinze jours (5° de l'article L. 625-5). Il s'agit d'éviter qu'un retard ou l'absence de déclaration des paiements emporte des conséquences financières très lourdes pour l'entreprise et hypothèquent son redressement (augmentation du passif, salaires impayés, diminution de la trésorerie).
Soumise à des délais très brefs, cette obligation est, dans la pratique, difficile à respecter. De ce fait, ce cinquième cas d'ouverture de faillite personnelle pourrait en théorie s'appliquer à la quasi-totalité des débiteurs et des dirigeants de personnes morales. Telle est la raison pour laquelle les tribunaux, soucieux de ne pas pénaliser trop fortement les débiteurs, retiennent rarement cette faute isolément. En outre, la doctrine s'accorde à considérer que cette cause de faillite personnelle est une source d'insécurité juridique compte tenu de sa très large application dans le temps. En effet, la date de cessation des paiements est librement déterminée par les tribunaux qui considèrent que la date fixée par le jugement d'ouverture de la procédure collective n'a pas autorité de force jugée à l'égard d'une action aux fins de sanction professionnelle 349 ( * ) , le tribunal n'étant même pas tenu au respect du délai maximal de dix-huit mois antérieur au jugement d'ouverture pour fixer la date de cessation des paiements prévu à l'article L. 621-7 du code de commerce 350 ( * ) .
L'article L. 626-6 du code de commerce mentionne un sixième cas de faillite personnelle prononcée à titre de peine complémentaire par le juge répressif à l'encontre d'un débiteur coupable de banqueroute 351 ( * ) .
2. Les modifications proposées par le projet de loi
Outre la renumérotation de l'article L. 625-5 du code de commerce appelé à devenir l'article L. 653-5 et une coordination au premier alinéa avec la nouvelle numérotation des articles du livre VI du code de commerce, le présent article apporte plusieurs modifications au droit actuel.
Par cohérence avec l'instauration d'un régime de prescription (texte proposé pour l'article L. 653-1 par l'article 148 du projet de loi), la possibilité pour le tribunal de prononcer la faillite personnelle « à toute époque de la procédure » serait supprimée.
Les cas d'ouverture seraient actualisés .
Les trois premières hypothèses visées par le droit actuel seraient intégralement reprises (1° à 3° de l'article L. 653-5).
Dans sa rédaction initiale, le projet de loi prévoyait de compléter le quatrième cas d'ouverture de la faillite personnelle par une exception nouvelle au bénéfice des paiements effectués dans le cadre d'un accord amiable homologué par le jugement devenu définitif dans les conditions de l'article L. 611-8 dans sa rédaction issue de l'article 7 du présent projet de loi (4° de l'article L. 653-5). Cet ajout était destiné à sécuriser ces paiements pour éviter qu'ils puissent constituer une cause de faillite personnelle.
Sur la proposition de sa commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, l'Assemblée nationale, à juste titre, a supprimé cette exception en faisant valoir qu'elle n'avait pas d'intérêt compte tenu des nouvelles conditions d'homologation de l'accord de conciliation. En effet, aux termes du texte proposé pour l'article L. 611-8 par l'article 7 du présent projet de loi, il ne sera logiquement plus possible de reporter la cessation des paiements avant l'homologation de l'accord, ce qui rend inutile la modification prévue initialement.
Le cinquième cas d'ouverture de la faillite personnelle serait assoupli (5° de l'article L. 653-5) dans deux directions :
- le présent article tire les conséquences de l'allongement du délai de quinze à quarante-cinq jours de l'obligation de déclarer la cessation des paiements prévu par les articles 100 et 108 du projet de loi relatifs respectivement au redressement et à la liquidation. Ce délai correspond à la période durant laquelle l'entreprise peut échapper à la procédure collective et demander l'ouverture d'une conciliation, aux termes de l'article 5 du projet de loi ;
- une exception nouvelle à ce dispositif serait introduite au bénéfice de la conciliation , la faillite personnelle ne pouvant être prononcée à l'encontre d'un débiteur ayant demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation dans le délai susmentionné. Cette exclusion vaudrait quelle que soit l'issue de la conciliation.
Aucune exception n'est actuellement prévue en ce sens, compte tenu de l'impossibilité pour le règlement amiable d'intervenir en cas de cessation des paiements. Toutefois, en pratique, la situation peut être moins claire. En effet, comme il a été indiqué précédemment, le tribunal qui se prononce sur l'ouverture d'une procédure collective a la possibilité de reporter la date de cessation des paiements à tout moment y compris lors de la phase de règlement amiable. De même, le tribunal qui statue sur la sanction peut retenir une date de cessation des paiements différente de celle retenue dans le jugement d'ouverture et la reporter sans limitation.
Un sixième cas d'ouverture de la faillite personnelle, lié au précédent cas, était initialement mentionné par cet article (6° de l'article L. 653-5). Il visait l'absence de saisine du tribunal par le débiteur en vue de l'ouverture d'une procédure de redressement dans les huit jours de l' échec d'une procédure de conciliation . Cette disposition se justifie par le souci d'éviter que la conciliation permette au chef d'entreprise d'échapper aux sanctions lorsqu'une procédure de redressement serait engagée. Elle tendait à sanctionner le non-respect de l'obligation prévue par l'article L. 631-4 352 ( * ) dans sa rédaction issue de l'article 100 du projet de loi qui prévoyait initialement cette obligation de saisine du tribunal.
Sur la proposition de sa commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, l'Assemblée nationale a supprimé ce dispositif. Les députés ont, d'une part, jugé trop court le délai de l'obligation de déclaration de la cessation des paiements fixé à huit jours par l'article L. 631-4. D'autre part, M. Xavier de Roux, rapporteur, a fait valoir qu'un échec de la conciliation imposait d'agir rapidement pour sauver l'entreprise au moyen d'une procédure collective, ce qui l'a amené à proposer une saisine d'office par le tribunal pour demander l'ouverture d'une procédure de redressement . Il a donc estimé que l'intervention automatique du tribunal apparaissait « plus appropriée qu'une démarche du débiteur qui serait purement formelle » et qu'il convenait d'éviter de sanctionner trop durement un débiteur qui aurait oublié de procéder à la déclaration de cessation des paiements 353 ( * ) . Cette modification a rendu sans objet la sanction prévue au présent alinéa, qui a en conséquence été supprimée .
Votre commission vous propose un amendement pour prévoir au 6° de l'article L. 653-5 un nouveau cas d'ouverture , omis par le projet de loi initial, pour sanctionner le non-respect de l'obligation énoncée à l'article L. 640-4 dans sa rédaction issue de l'article 108 du projet de loi. Celui-ci impose en effet toujours au débiteur de demander l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire dans les huit jours de la notification de la décision constatant l'échec de la procédure de la conciliation si la cessation des paiements est avérée et que le redressement de l'entreprise est manifestement impossible . Il paraît important de sanctionner le non-respect de l'obligation de déclaration qui lui est imposée compte tenu des conséquences préjudiciables qu'il entraîne pour les créanciers.
Le présent article ajoute deux nouveaux cas d'ouverture pour sanctionner :
- l'entrave manifeste au bon déroulement de la procédure (7° de l'article L. 653-5). Comme l'indique l'exposé des motifs du projet de loi, « cette disposition tend à responsabiliser le chef d'entreprise » et à sanctionner le dirigeant ou le débiteur d'une « particulière mauvaise foi ». Ce cas d'ouverture, sous des modalités différentes, fait donc écho à une disposition relative à l'interdiction de gérer qui mentionne la mauvaise foi d'un débiteur comme cas d'ouverture de cette mesure 354 ( * ) et présente la particularité de sanctionner un comportement postérieur au jugement d'ouverture ;
- la dissimulation de documents comptables de la personne morale, l'absence de tenue de comptabilité, la tenue d'une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière (8° de l'article L. 653-5). Cette disposition, à la différence de la précédente, n'est pas inédite puisqu'elle s'inspire du droit actuel notamment s'agissant de l'ouverture de la procédure collective à titre de sanction 355 ( * ) et de la faillite personnelle prononcée à l'encontre des dirigeants sociaux et des personnes physiques artisans, agriculteurs et professionnels libéraux 356 ( * ) .
L'Assemblée nationale, sur proposition de sa commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, a complété cette dernière hypothèse pour préciser que l'absence de tenue d'une comptabilité constituait un fait passible de faillite personnelle à condition que les textes applicables l'exigent.
Votre commission vous soumet un amendement tendant à supprimer la référence à « la personne morale » s'agissant de la dissimulation de documents comptables qui a pour effet de limiter l'application de cette disposition aux seuls dirigeants de personnes morales alors que ce dispositif, d'une portée plus générale, concerne également les personnes physiques.
Elle vous propose d'adopter l'article 152 ainsi modifié .
* 347 Voir supra, le commentaire de l'article 104 du présent projet de loi.
* 348 Cour de cassation, ch. commerciale, 14 mai 2002.
* 349 Cour de cassation, ch. commerciale, 4 juillet 2000.
* 350 Cour de cassation, ch. commerciale, 20 octobre 1992.
* 351 Voir infra, le commentaire de l'article 161 du projet de loi.
* 352 Le projet de loi initial mentionnait par erreur le I de l'article L. 631-3.
* 353 Rapport A.N précité - p. 343.
* 354 Article L. 625-8 du code de commerce modifié par l'article 154 du projet de loi.
* 355 Visée à l'actuel article L. 624-5 du code de commerce.
* 356 Seulement s'agissant de l'absence de tenue de toute comptabilité conformément aux dispositions légales et de la dissimulation de tout ou partie de documents comptables.