TITRE IV - DISPOSITIONS RELATIVES À LA NATIONALITÉ

Le titre IV du présent projet de loi renforce les conditions d'acquisition de la nationalité française par mariage où par naturalisation précédemment modifiées par la loi précitée du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.

Les dernières années ont été marquées par un accroissement des ressortissants étrangers acquérant la nationalité française . En 2004, ces acquisitions de nationalité ont concerné 165.121 personnes 129 ( * ) .

Nouveaux Français selon leur origine géographique
(Flux de 1999 à 2004, à l'exception des acquisitions non enregistrées)

1999

2000

2001

2002

2003

2004

EUROPE (HORS CEI)

23.932

22.085

17.909

17.146

18.953

20.593

Union européenne

17.547

14.948

12.267

11.642

12.444

13.470

Nouveaux Etats membres

1.527

1.539

1.236

1.146

1.381

1.421

Autre Europe

4.858

5.598

4.406

4.358

5.128

5.702

CEI

930

1.181

1.162

1.328

1.639

2.189

CEI d'Europe

795

1.000

969

1.114

1.315

1.761

CEI d'Asie

135

181

193

214

324

428

ASIE

25.418

27.859

22.325

21.747

22.661

27.332

Sud-Est asiatique

6.958

7.265

5.209

4.719

4.323

4.818

Autre Asie

18.460

20.594

17.116

17.028

18.338

22.514

AFRIQUE

80.404

84.112

74.941

76.410

89.196

106.500

Maghreb

66.508

68.185

60.671

59.634

68.532

82.402

Afrique subsaharienne

9.271

10.579

9.679

11.803

14.453

16.453

Autre Afrique

4.625

5.348

4.591

4.973

6.211

7.645

AMERIQUE

5.012

5.820

5.086

5.972

7.105

8.032

Amérique du Nord

989

1.048

944

916

1.050

1.197

Amérique Centrale et du Sud

4.023

4.772

4.142

5.056

6.055

6.835

OCEANIE

68

87

68

76

128

168

Non Ventilés et apatrides

671

312

140

155

248

307

ENSEMBLE

136.435

141.456

121.631

122.834

139.930

165.121

Sources : Ministère de l'emploi et de la cohésion sociale ; ministère de la justice.

Ces acquisitions de la nationalité française interviennent selon trois modalités distinctes : l'acquisition sans formalité, l'acquisition par déclaration et l'acquisition par décision de l'autorité publique. Cette dernière est prépondérante, avec 99.368 décrets de naturalisation pris en 2004.

Acquisitions de la nationalité française selon la modalité d'acquisition
(y compris les effets collectifs) - Flux de 1999 à 2004

1999

2000

2001

2002

2003

2004

ACQUISITIONS ENREGISTRÉES

136.435

141.456

121.631

122.834

139.930

165.121

Par décret

67.569

77.478

64.595

64.081

77.102

99.368

Naturalisations

59.836

68.750

57.627

56.942

67.326

87.497

Réintégrations

7.733

8.728

6.968

7.139

9.776

11.871

Par déclaration

68.866

63.978

57.036

58.753

62.828

65.753

Par mariage (1 )

24.091

26.057

23.994

26.351

30.922

34.440

Déclarations anticipées

42.433

35.883

31.071

30.282

29.419

29.872

Autres déclarations

2.342

2.038

1.971

2.121

2.487

1.441

ACQUISITIONS
SANS FORMALITÉ (3)

11.087

8.570

5.917

5.258

4.710

3.705

ENSEMBLE
DES ACQUISITIONS

147.522

150.026

127.548 (2)

128.092

144.640

168.826

Source : Ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et de logement et ministère de la justice.

(1) Depuis 2001, les données relatives aux déclarations par mariage incluent les « effets collectifs » liés à cette procédure. Avant cette date, la notion d'effets collectifs pour les acquisitions de nationalité par mariage n'était pas utilisée. Des mineurs étaient néanmoins comptabilisés au titre des « procédures résiduelles ».
(2) Sur les 127.548 acquisitions de nationalité en 2001, 121.631 ont été comptabilisées (64.595 par décret et 57.036 par déclaration) et 5.917 ont été estimées.

(3) Essentiellement, enfants nés en France et devenus français à 18 ans.

Les modifications apportées par les articles 59 à 63 ter visent à lutter contre les acquisitions de nationalité résultant de manoeuvres frauduleuses , en aménageant certaines dispositions du code civil et du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Article 59 (art. 21-2 du code civil)
Acquisition de la nationalité française à raison du mariage

Cet article tend à réécrire l'article 21-2 du code civil afin de renforcer les conditions de l'acquisition de la nationalité française à raison du mariage d'un ressortissant étranger avec un Français .

1. Les dispositions en vigueur

Issues de la loi du 26 novembre 2003, les dispositions de l'article 212 du code civil subordonnent l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger d'un Français à quatre conditions :

- une déclaration de nationalité effectuée « dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants » du code civil, c'est-à-dire, auprès du juge d'instance ou de l'autorité consulaire. Cette déclaration est enregistrée par le ministre chargé des naturalisations , sous réserve que la déclaration satisfasse aux conditions légales. En outre, un droit d'opposition est reconnu au ministère public, dans le délai d'un an si les conditions légales pour l'enregistrement n'étaient pas satisfaites 130 ( * ) , ou dans le délai de deux ans à compter de leur découverte en cas de mensonge ou de fraude 131 ( * ) .

Toutefois, la déclaration ne peut être présentée qu'après un délai de trois ans à compter du mariage si l'étranger, au moment de la déclaration, ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue en France pendant au moins un an à compter du mariage . Cette différence de traitement s'explique par le souci d'assurer une assimilation et une intégration réelle du conjoint dans la société française, ce qui résulte en particulier d'une durée minimum de résidence sur le territoire national ;

- une communauté de vie « tant affective que matérielle » entre les époux. Il s'agit de s'assurer de la réalité de la situation matrimoniale des intéressés.

Cette communauté ne doit, au jour de la déclaration, pas avoir cessé . Cependant, aux termes de la jurisprudence antérieure à 2003, il a été jugé que l'interruption de la vie commune suivie de sa reprise avant la déclaration ne fait pas perdre au conjoint de Français son droit à l'acquisition de la nationalité 132 ( * ) . En outre, il a été jugé que le seul dépôt d'une requête en divorce lors de la souscription de la déclaration n'implique pas la rupture de la vie commune 133 ( * ) .

La durée minimale de cette communauté de vie doit être, en principe, de deux ans . Cette exigence est issue de l'article 65 de la loi du 26 novembre 2003 qui a restauré le délai prévu initialement par la loi n°93-933 du 22 juillet 1993, ce dernier ayant été remplacé par un délai d'un an par la loi n° 98-170 du 16 mars 1998. Cette durée est portée à trois ans si le conjoint de Français ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue en France pendant au moins un an à compter du mariage ;

- la conservation par le conjoint français de la nationalité française . Un ressortissant français peut en effet perdre sa nationalité soit de manière volontaire 134 ( * ) , soit par suite de sa déchéance prononcée, dans des cas limitativement énumérés, par décret pris après avis conforme du Conseil d'Etat 135 ( * ) ;

- la connaissance suffisante, par le conjoint étranger, selon sa condition, de la langue française . Cette condition, introduite par la loi du 26 novembre 2003, permet de s'assurer de l'intégration véritable du conjoint de Français dans la société française. L'article 15 du décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 prévoit qu'un rapport d'enquête est établi en préfecture, une circulaire du 27 juillet 2005 relative aux déclarations souscrites à raison du mariage en précisant les modalités.

L'analyse du droit comparé fait apparaître que, malgré les conditions nouvelles introduites par la loi du 26 novembre 2003, l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger reste globalement plus aisée par rapport à la situation qui lui est reconnue dans les droits de plusieurs Etats membres de l'Union européenne.

Ainsi, selon une étude récemment menée par le service de législation comparée du Sénat, au Danemark, en Espagne, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, les étrangers conjoints de nationaux ne peuvent obtenir la nationalité du pays que dans les mêmes conditions que les autres étrangers. Aux Pays-Bas, ils doivent réussir l'épreuve de naturalisation, qui permet de tester leurs connaissances en matière linguistique ou sur les institutions politiques et sociales nationales. Il en va de même au Royaume-Uni, où la condition relative à la connaissance suffisante de la langue vient d'être étendue aux conjoints de ressortissants britanniques. Toutefois, dans ce cas, les durées minimales de séjour dans le pays sont raccourcies.

De ce point de vue, le droit français de la nationalité est assez proche de celui de l'Italie et du Portugal. La loi italienne prévoit que le conjoint étranger peut présenter une demande de naturalisation après qu'il a résidé au moins six mois de façon régulière dans le pays ou après trois ans de mariage s'il réside à l'étranger. La nationalité italienne ne peut être refusée que pour les raisons indiquées dans la loi, à savoir l'existence de condamnations pénales ou de risques pour la sécurité de la République.

Au Portugal, l'étranger marié à un citoyen portugais depuis trois ans peut acquérir la nationalité portugaise par simple déclaration enregistrée par les services de l'état civil, dès lors que la communauté de vie entre les époux n'a pas cessé. Toutefois, lorsque l'étranger ne remplit pas les conditions requises pour obtenir la nationalité portugaise, les services de l'état civil doivent prévenir le ministère public qui peut introduire une action en justice visant à s'opposer à l'acquisition de la nationalité pendant l'année qui suit l'enregistrement de la déclaration 136 ( * ) .

2. Le texte adopté par l'Assemblée nationale

Le présent article tend à renforcer les conditions requises pour acquérir, à raison du mariage, la nationalité française afin de contrer des détournements de procédure qui peuvent apparaître de plus en plus nombreux . Il a fait l'objet d'un amendement rédactionnel adopté par l'Assemblée nationale à l'initiative de sa commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement.

Les statistiques communiquées à votre rapporteur font apparaître une forte croissance des acquisitions de nationalité par déclaration consécutivement à un mariage entre un étranger et un Français. Cette évolution est particulièrement marquée pour certains pays .

Nombre d'accédants à la nationalité française à raison du mariage

Pays

Année 1999

Année 2004

Evolution

Algérie

4.638

7.389

+ 59,3 %

Maroc

3.375

5.832

+ 72,8 %

Tunisie

1.102

1.949

+ 76,8 %

Portugal

1.304

1.076

- 17,5 %

Madagascar

751

1.026

+ 36,6 %

Cameroun

506

871

+ 72,1 %

Sénégal

522

789

+ 51,1 %

Suisse

880

489

- 44,5 %

Turquie

357

748

+ 109,5 %

Côte d'Ivoire

443

706

+ 59,4 %

Source : 2ème rapport au Parlement sur les orientations de la politique de l'immigration
(février 2006)

Ainsi, entre 1994 et 2004, le nombre d'acquisitions de la nationalité à raison du mariage a connu une augmentation de 65,7 %, passant de 19.493 à 34.440 acquisitions . Si la progression semble avoir ralenti, elle reste forte pour la seule période 1999-2004, avec une augmentation de 34 %, bien que les conditions de délai et d'assimilation linguistique résultant de la loi précitée du 26 novembre 2003 aient conduit à une baisse relative.

Sans doute cette évolution est-elle en partie la conséquence de l'augmentation régulière et importante du nombre des mariages célébrés entre un ressortissant étranger en un Français. Sur quelque 270.000 mariages célébrés chaque année par les autorités françaises -qu'il s'agisse, sur le territoire national, des autorités de l'état civil, ou, à l'étranger, des autorités diplomatiques et consulaires françaises-, près de 90.000 constituent des mariages mixtes. Les travaux de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine, constituée par le Sénat en octobre 2005, ont ainsi permis de comptabiliser, en 2004, l'existence de 44.405 mariages célébrés à l'étranger et transcrits sur les registres de l'état civil français et de 42.900 mariages mixtes célébrés en France 137 ( * ) .

Toutefois, l' institution du mariage ne saurait être détournée de sa finalité qui est la vie maritale et il convient de prévenir les mariages qui n'auraient d'autre but que d'acquérir ou faire acquérir la nationalité française. Or, comme l'a souligné notre collègue député Thierry Mariani, dans son rapport sur l'application de la loi du 26 novembre 2003, malgré les dispositifs prévus par cette dernière, le mariage mixte est « devenu un moyen privilégié d'acquisition de la nationalité française » 138 ( * ) .

S'il convient de s'assurer de l'absence de fraude et de la réalité de l'intention matrimoniale des futurs époux, il ne faut pas pour autant mettre en doute systématiquement tout mariage mixte. Raisonner de la sorte serait, comme l'a souligné la commission d'enquête sur l'immigration clandestine, « remettre en cause les valeurs de la République et (...) compromettre l'intégration des étrangers en situation régulière . » 139 ( * )

De ce point de vue, le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture paraît assurer un équilibre satisfaisant entre une lutte résolue contre la fraude et le droit à l'acquisition de la nationalité française par le seul effet du mariage.

Procédant à une réécriture complète des deux premiers alinéas de l'article 21-2 du code civil, le présent article apporte des modifications ne remettant pas en cause l'économie du dispositif issu de la loi du 26 novembre 2003. Il vise avant tout à s'assurer de la réalité de la situation matrimoniale des époux.

Les modifications apportées consistent d'abord en un allongement général des délais actuellement définis pour le dépôt de la déclaration de nationalité et la communauté de vie des époux.

Dans le cas général, le délai actuellement prévu pour présenter une déclaration de nationalité et apprécier l'existence d'une communauté de vie serait porté de deux à quatre ans. De ce fait, la réalité de la situation matrimoniale serait véritablement assurée. Ce nouveau délai apparaît cohérent avec les dispositions de l'article 26 du présent projet de loi qui permettraient, dans un délai de quatre ans à compter du mariage, de retirer au conjoint de Français sa carte de résident en cas de rupture de la vie commune 140 ( * ) .

Par ailleurs, la communauté de vie devrait désormais ne pas avoir cessé entre les époux depuis le mariage . Cette nouvelle exigence remettrait en cause la jurisprudence antérieure qui avait reconnu que la communauté de vie pouvait avoir cessé pendant un temps et être reprise par la suite pourvu qu'elle existât à la date de la déclaration. En définitive, cette communauté de vie devrait donc être désormais ininterrompue depuis le mariage.

Dans le cas particulier de l'époux étranger qui ne justifierait pas d'une résidence ininterrompue en France , trois modifications serait apportées au texte initial du projet de loi.

D'une part, la résidence en France devrait désormais être à la fois ininterrompue et régulière . En l'état actuel du droit, la régularité du séjour de l'intéressé sur le territoire français n'est pas exigée à peine d'irrecevabilité de la déclaration de nationalité. Cette nouvelle exigence devrait conduire l'administration à refuser l'enregistrement des déclarations faite par un époux qui ne justifierait pas d'une régularité continue de son séjour depuis son mariage.

D'autre part, la durée de cette résidence serait portée d'un à trois ans.

Enfin, lorsque l'époux étranger ne peut justifier qu'il satisfait à la condition de résidence sur le territoire français, il ne pourrait dorénavant acquérir la nationalité que si la communauté de vie avec son conjoint français dure depuis au moins cinq ans . Cet allongement s'explique logiquement par le fait que le délai de droit commun a été porté à quatre ans.

Votre commission considère que ces mesures devraient permettre de limiter véritablement les détournements de la procédure du mariage aux fins de la seule acquisition de la nationalité. En outre, en renforçant les conditions d'acquisition de la nationalité française pour les conjoints de Français, elles complètent utilement le dispositif prévu par le projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages, adopté par l'Assemblée nationale, en première lecture, le 22 mars 2006 141 ( * ) , et renvoyé pour son examen au fond à votre commission.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 59 sans modification .

* 129 Exception faite des acquisitions de nationalité sans formalité des enfants nés en France de parents étrangers.

* 130 Délai qui serait porté à deux ans par l'article 60 du présent projet de loi.

* 131 Article 26-4 du code civil.

* 132 Cour de cassation, 1 ère ch. civile, 18 septembre 2002, Bull. civ. I, n° 205.

* 133 Cour de cassation, 1 ère ch. civile, 10 mars 1998, Bull. civ. I, n° 104.

* 134 Articles 23 et suivants du code civil.

* 135 Articles 25 et 25-1 du même code.

* 136 Pour le détail, voir « L'acquisition de la nationalité par le mariage », étude de législation comparée, n° LC 155, janvier 2006.

* 137 Rapport n° 300 (2005-2006), p. 30.

* 138 Rapport d'information n° 2922 (Assemblée nationale, XIIème lég.), p. 52.

* 139 Rapport n° 300 (2005-2006), p. 31.

* 140 Voir supra, le commentaire de l'article 26 du projet de loi.

* 141 Voir le texte n° 275 (Sénat, 2005-2006), transmis le 23 mars 2006.

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