PREMIÈRE PARTIE : CONSTRUIRE UN OUTIL COHÉRENT, AU SERVICE DE LA POLITIQUE DE L'IMMIGRATION DE NOTRE PAYS

La mission « Immigration, asile et intégration » est composée de deux programmes, le programme 303 « Immigration et asile » et le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française ». Elle est à la fois :

- un vecteur pour la constitution d'un service public des étrangers cohérent , destinée à améliorer les conditions d'accueil et d'intégration des personnes étrangères que la France souhaite accueillir sur son territoire ;

- la déclinaison d'une stratégie fondamentalement européenne , telle que l'a défini le pacte européen sur l'immigration et l'asile adopté par le Conseil européen du 16 octobre 2008, à l'initiative de la France. De ce point de vue, ce pacte, tout comme la conférence ministérielle sur l'intégration les 3 et 4 novembre 2008 et la conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement du 25 novembre 2008 constituent d'importants succès de la Présidence française de l'Union européenne, à mettre au crédit du ministère ;

- l'application d'une politique souhaitée par le Président de la République , et précisée dans sa lettre de mission en date du 9 juillet 2007 au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire ;

- en matière d'intégration, l'expression d'une difficulté de périmètre administratif , entre la mise en oeuvre d'un premier accueil en faveur des personnes étrangères, en matière de droits et de devoirs, de logement, d'emploi, assuré par le ministère de l'immigration, et une politique plus transversale, « au long cours », d'insertion dans la société française, qui ne relève pas de la présente mission. Cette dernière politique, dite d'insertion et de lutte contre les discriminations, et ses outils de droit commun, n'est aujourd'hui pas spécifiquement tournée vers les personnes étrangères , incluses dans l'ensemble plus vaste des « personnes en difficulté sociale » et des « victimes d'exclusion ou de discriminations ».

I. DES OBJECTIFS POLITIQUES AMBITIEUX, UNE MISE EN oeUVRE ENCORE EN CHANTIER

Le projet annuel de performances annexé au projet de loi de finances pour 2009 détermine clairement les objectifs politiques assignés à la présente mission, dont la déclinaison passe parfois par la mise en oeuvre, encore inachevée, de dispositions juridiques.

A. UN CAP NATIONAL ET EUROPÉEN CLARIFIÉ

Le cap en matière d'immigration et d'asile est à la fois fixé dans un cadre national et européen, grâce, notamment, à l'adoption du pacte européen sur l'immigration et l'asile par le Conseil européen du 16 octobre 2008.

1. Une politique nationale autour de cinq axes stratégiques

La politique de l'immigration française se décline selon cinq axes stratégiques , énumérés dans cet ordre par le projet annuel de performances :

- maîtriser les flux migratoires en maintenant les efforts en faveur de la lutte contre l'immigration illégale, et notamment contre les filières qui exploitent les étrangers et leur détresse, contre le travail illégal et les fraudes ;

- poursuivre une politique volontariste afin de mieux organiser l'immigration légale et de rééquilibrer les flux migratoires, au profit de l'immigration professionnelle ;

- favoriser l'intégration à la communauté nationale de tous les immigrés légaux, qui y ont vocation, en agissant tant sur l'apprentissage du français que sur l'accès au logement et à l'emploi ;

- continuer de mener une politique respectueuse de notre tradition d'accueil des réfugiés politiques, l'asile demeurant pour la France un impératif juridique autant qu'une exigence morale ;

- contracter des accords relatifs à la gestion concertée des flux migratoires et au codéveloppement avec les pays d'origine.

2. Une action européenne par nature

Le pacte européen sur l'immigration et l'asile adopté par le Conseil européen du 16 octobre 2008 fixe lui, en parfaite cohérence avec les objectifs ci-dessus, une quintuple ambition aux Etats de l'Union européenne :

- organiser l'immigration légale en tenant compte des priorités, des besoins et des capacités d'accueil déterminés par chaque Etat membre, afin de favoriser l'intégration ;

- lutter contre l'immigration irrégulière, en faisant respecter sur l'ensemble de l'espace européen la règle selon laquelle un migrant en situation irrégulière a vocation soit à partir volontairement, soit à être reconduit dans son pays ;

- mieux protéger l'Europe en améliorant l'efficacité des contrôles aux frontières grâce à un recours volontariste aux technologies modernes comme la biométrie, des objectifs plus ambitieux pour l'agence Frontex et une plus grande coopération entre les Etats membres et les Etats limitrophes ;

- poser les fondements d'une Europe de l'asile, qui reste à bâtir, notamment en facilitant les échanges d'information et d'expérience entre les administrations nationales responsables de l'examen des demandes d'asile, grâce notamment à un bureau d'appui européen ;

- construire un partenariat avec les pays d'origine et de transit, au service de leur développement, favorisant ainsi la dimension économique de la migration en améliorant les possibilités pour les migrants de favoriser l'investissement productif dans leurs pays d'origine.

3. Les objectifs du projet annuel de performances constituent la déclinaison de ce cap politique national et européen

De manière cohérente, ces axes stratégiques font l'objet d'objectifs et d'indicateurs de performances dans les deux programmes de la présente mission. S'agissant du programme 303 « Immigration et asile », on compte 5 objectifs, déclinés en 10 indicateurs. En ce qui concerne le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française », on compte 2 objectifs et 2 indicateurs.

Les objectifs et indicateurs de performances de la présente mission

Programme « immigration et asile »

Programme « intégration et accès à la nationalité française »

Favoriser l'immigration du travail

Durée moyenne d'instruction des dossiers de recours hiérarchiques visant des décisions de refus d'autorisations de travail traités dans l'année

Pourcentage des étrangers admis au séjour au titre de l'immigration de travail (hors nouveaux Etats membres de l'UE

Améliorer la prise en charge sociale des demandeurs d'asile

Pourcentages d'hébergement en CADA des demandeurs d'asile en cours de procédure

Pourcentage des places de CADA occupées au 31 décembre par des demandeurs d'asile en cours de procédure

Garantir l'examen des demandes d'asile conformément aux textes en vigueur

Nombre, délai et coût de l'examen d'une demande d'asile par l'OFPRA

Renforcer la mobilisation des services de police et des unités de gendarmerie dans la lutte contre l'immigration irrégulière

Coût moyen d'une reconduite à la frontière

Nombre de mesures de reconduites effectives à la frontière

Nombre d'interpellations d' « aidants »

Nombre de personnes mises en cause pour infraction à la législation relative à l'entrée, au séjour ou à l'emploi des étrangers sans titre de travail

Optimiser les moyens de fonctionnement

Ratio d'efficience bureautique

Améliorer les conditions d'accueil et d'intégration des étrangers

Taux d'étrangers (non francophones) signataires du contrat accueil et intégration qui obtiennent le diplôme initial de langue française

Améliorer l'efficacité du traitement des dossiers de naturalisation

Nombre de dossiers de demande de naturalisation ayant fait l'objet d'une décision par équivalent temps plein travaillé d'agent instructeur

Source : projet annuel de performances pour 2009

De manière globale, sur ces indicateurs, il est possible de formuler les trois remarques suivantes :

- sur l'immigration économique :

Dans le projet de loi de finances pour 2008, notre collègue André Ferrand, alors rapporteur spécial de la présente mission, avait souhaité l'introduction d'un objectif, et d'un indicateur, correspondant à un axe fort du Président de la République, visant à augmenter la part de l'immigration économique jusqu'à 50 % des flux totaux d'immigration. Ce souhait a été entendu : au sein du programme 303 « Immigration et asile », figure désormais un indicateur relatif au « pourcentage des étrangers admis au séjour au titre de l'immigration de travail (hors nouveaux Etats membres de l'Union européenne » 1 ( * ) . Ce pourcentage, qui était de 10,4 % en 2006 et de 13,3 % en 2007, devrait atteindre 20 % en 2008 : il reste donc encore très en-deçà de la « cible » fixée pour 2012 à 50 %. Notre collègue André Ferrand a publié un récent rapport d'information2 ( * ) qui ouvre des pistes pour favoriser l'immigration de travail et dont les préconisations feront l'objet d'un suivi de la part de votre commission des finances .

Conformément à une politique qui vise à l'attractivité économique de notre pays, notre collègue s'interrogeait sur l'éventualité de la publication d'un indicateur relatif au nombre de cartes « compétences et talents », puisqu'un suivi interne à l'administration le permet. Pour 2008, M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale, et du développement solidaire, avait fixé un objectif de délivrance de 2.000 cartes, 1.000 par le biais des préfectures et 1.000 par le biais des ambassades. L'objectif a été décliné régionalement, et désormais aussi entre les différents postes à l'étranger. Selon les derniers chiffres obtenus par votre commission des finances, on comptait à la date du 30 septembre 2008 326 cartes délivrées par les préfectures ou les consulats .

Selon notre collègue, dans son rapport d'information précité, plusieurs raisons expliquent ce relatif insuccès :

« La première tient à un certain retard dans la mise en oeuvre de la carte, et à une promotion insuffisante, voire quasi-nulle à l'exception de certains consulats, réalisée par les postes à l'étranger . Or la répartition des objectifs entre préfectures et consulats (50-50) ne correspond pas au public cible de la carte, qui se trouve évidemment pour l'essentiel à l'étranger. C'est donc d'abord des ambassades que dépendra le succès de la carte. Force est de constater qu'elles n'ont pas encore complètement « joué le jeu », d'où l'organisation d'une réunion de sensibilisation d'une trentaine d'ambassadeurs le 2 juin 2008.

« La deuxième raison tient à la grande richesse des cartes existantes, et à la création concurrente, selon les préfectures, de cartes à destination des étudiants et des scientifiques.

« La troisième raison tient au caractère restrictif des critères d'attribution de la carte actuelle . Pas moins de 13 cas de figures précis sont prévus 3 ( * ) . Pour la carte « compétences et talents » n'a pas ainsi été retenue la procédure en vigueur dans d'autres pays anglo-saxons d'une sélection fondée sur un système « à points ». Surtout, les dispositions applicables aux ressortissants des pays de la zone de solidarité prioritaire sont aujourd'hui dissuasives : une durée de trois ans non renouvelable et la nécessité de présenter, à l'appui de la demande de la carte, un projet de codéveloppement . S'agissant du premier point, le ministère de l'immigration paraît conscient du problème, puisque les accords de gestion concertée des flux migratoires permettent de renouveler la carte au-delà des trois ans . S'agissant du deuxième point, il paraîtrait plus légitime de laisser de la liberté au talent étranger : celui-ci aura visiblement à coeur de porter un jour un projet de codéveloppement, mais il n'est pas évident que cela soit le cas dès son arrivée en France. En réalité, il n'est pas possible de mener deux politiques distinctes avec le même instrument : la carte « compétences et talents » est un outil d'attractivité, pas de codéveloppement. Ce sont les accords de gestion concertée des flux migratoires qui permettent d'éviter les éventuels « pillages des cerveaux ».

« D'ici la fin de l'année, si l'atonie dans la demande de la carte « compétences et talents » se confirmait, il conviendrait d'une part d'assouplir les critères d'attribution et d'autre part de « toiletter » le régime juridique applicable aux ressortissants des pays de la zone de solidarité prioritaire. »

- sur la qualité de l'accueil dans les consulats et les préfectures

La politique de l'immigration est une politique fondamentalement qualitative. Votre commission des finances avait, l'an passé, appelé de ses voeux la mise en place d'un indicateur qualitatif sur l'accueil dans les services des visas et des préfectures , sur la base d'enquêtes. Elle remarquait qu'une population qualifiée viendrait d'autant plus volontiers sur notre territoire si notre service public d'accueil des étrangers, qui souffre actuellement de la comparaison avec celui d'autres pays développés, était de qualité. On peut considérer que ces indicateurs ont vocation à figurer dans les projets annuels de performances « Action extérieure de l'Etat », pour les consulats et leurs services des visas, et « Administration générale et territoriale de l'Etat » pour les préfectures. Aucun d'indicateur qualitatif n'est proposé au sein de la dernière mission en ce qui concerne les services aux étrangers. Au sein de la mission « Action extérieure de l'Etat » figure désormais un indicateur de délai moyen d'obtention d'un visa de court séjour, ce qui constitue un élément appréciable.

Pour autant, le délai de traitement des visas de long séjour constitue un point noir dans les consulats . A Dakar, selon le ministère des affaires étrangères et européennes, plus de 1.300 dossiers de long séjour, notamment au titre du regroupement familial ou de l'asile étaient en cours d'instruction en juin 2008, dont 300 à 400 dossiers en attente, bien qu'ils aient fait l'objet d'un accord préfectoral au tire du regroupement familial. Les dossiers les plus anciens remontent à trois ans ou plus. Cet état de fait tient à la vérification systématique des actes d'état civil 4 ( * ) (plus de 2.500 levées d'actes en 2007 au service des visas), rendue longue et difficile depuis que les autorités sénégalaises n'autorisent plus la consultation directe de leurs registres. Ces délais extrêmement longs, alors qu'ils s'appliquent à des dossiers devant permettre aux étrangers de mener en France « une vie familiale normale », doivent conduire à une réelle mobilisation des services consulaires.

- sur les reconduites à la frontière :

La politique de reconduite à la frontière des personnes étrangères en situation irrégulière s'enrichit progressivement d'actions incitatives, notamment sur un plan financier, en faveur des retours volontaires. Ces retours volontaires représentent, en 2008, de l'ordre d'un tiers des reconduites à la frontière . Par rapport à ce que peut représenter l'enfermement en centre de rétention, et la reconduite forcée, la politique de retour volontaire paraît évidemment préférable, pour des raisons bien compréhensibles. Elle permet une réinstallation dans le pays d'origine dans de bien meilleures conditions. On a donc toutes raisons de souhaiter que cette action monte en puissance : il serait judicieux de se fixer des objectifs dans ce domaine , qui donneraient lieu à un sous-indicateur par rapport à l'indicateur « Nombre de mesures de reconduite effectives à la frontière ». Bien qu'incitative sur un plan financier, le coût budgétaire d'une telle politique est d'ailleurs sans commune mesure avec celui de la rétention administrative.

* 1 L'indicateur prend en compte l'immigration durable, et exclut donc du dénominateur les titres délivrés aux étudiants. Le numérateur prend lui en compte les premiers titres de séjour octroyés pour des raisons professionnelles ainsi que les changements de statut d'étudiant vers celui de salarié. L'indicateur ne peut mesurer l'accès à l'emploi des personnes admises au séjour pour d'autres raisons que le travail. Leur intégration professionnelle reste pourtant un défi à relever : ainsi, selon l'agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM), 61,4 % des signataires du contrat d'accueil et d'intégration en 2006 déclaraient avoir eu une activité professionnelle avant leur arrivée en France, mais 30,6 % seulement déclaraient en exercer une en France .

* 2 Rapport d'information n° 414 (2007-2008). « Immigration professionnelle : difficultés et enjeux d'une réforme ».

* 3 Ainsi, pour les sportifs, les critères sont les suivants : pour les sports olympiques individuels, le demandeur devra avoir été champion national dans son pays d'origine l'année sportive précédant la demande ou avoir participé comme membre titulaire aux championnats continentaux ou mondiaux. Pour les sports olympiques collectifs, le demandeur doit faire partie, d'une manière permanente, de l'équipe nationale. Pour les sports non olympiques, le demandeur doit faire partie, d'une manière permanente, de l'équipe nationale. Pour les entraîneurs et techniciens, le demandeur devra entraîner de manière permanente l'équipe nationale ou en 1 ère division. L'expression « de manière permanente » signifie pour la saison sportive précédente et celle en cours. La notoriété professionnelle particulière d'un sportif permet de déroger à ces règles.

* 4 Le pourcentage de fraude documentaire sur les dossiers détecté par le consulat général, selon le ministère des affaires étrangères et européennes, serait estimé à 30 %.

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