B. DES ÉTUDES RÉCENTES ONT AMENÉ LES AUTORITÉS À LANCER DE NOUVELLES EXPERTISES

1. Certaines études scientifiques remettent en cause la pertinence de l'approche sanitaire précédemment adoptée

a) Les effets potentiels du BPA sur l'homme

Dans le cadre de la mise en oeuvre de la nouvelle réglementation européenne 3 ( * ) relative aux produits chimiques, une nouvelle étude a été menée par les industriels. Elle s'intéresse notamment aux effets à faible dose et à long terme du BPA. Dans le même temps, de nombreuses études scientifiques ont été publiées sur cette question.

-  Le BPA appartient à la famille des perturbateurs endocriniens ; ce groupe de molécules, vaste et hétérogène, regroupe :

- des médicaments (hormones, distilbène...) ;

- des pesticides, herbicides, fongicides ou insecticides ;

- des plastiques ou plastifiants (BPA, phtalates...) ;

- divers produits ou composants chimiques (polychlorobiphényles [PCB], polybromobiphényles [PBB], dioxines...).

Les sources d'exposition sont diverses et nombreuses dans la vie quotidienne.

Ces perturbateurs ont la particularité d'être compris par le corps humain comme des hormones qui y sont naturellement présentes : soit ils les miment, soit ils bloquent certains récepteurs hormonaux.

Leurs effets toxiques pourraient avoir trois conséquences majeures :

- perturber le système reproductif . Plusieurs études épidémiologiques constatent une baisse importante de la fertilité. L'une d'elles, réalisée à Paris, montre par exemple une dégradation de la spermatogénèse : les spermatozoïdes se révèleraient moins « fonctionnels » et leur nombre moyen par homme serait en diminution de 40 % en vingt ans. Elle estime en outre que 15 % à 20 % d'une classe d'âge seraient désormais confrontés au risque de stérilité, en progression par rapport aux périodes précédentes. Une publication danoise aboutit aux mêmes conclusions.

Alors que, historiquement, on constatait un nombre plus élevé de naissances masculines que féminines, dont l'écart se trouvait ensuite compensé par une plus forte mortalité infantile masculine, les statistiques s'inversent aujourd'hui. On observe aussi une évolution de la distance ano-génitale des garçons, ce qui révèlerait des troubles de la reproduction. Enfin, une étude chez le lapin a montré une inhibition de l'érection du pénis, à faible dose d'injection de BPA ;

- développer le risque de cancers hormonodépendants . Les statistiques montrent une augmentation extrêmement importante du nombre de ces cancers (sein, prostate ou testicules) mais le faible nombre d'études ne permet pas encore de mesurer précisément le lien éventuel entre cette progression et les perturbateurs endocriniens ;

- modifier le métabolisme et le comportement . Plusieurs études sur l'animal évoquent des troubles neurocomportementaux en cas d'exposition au BPA, mais les effets sont qualifiés de « subtils » et ne permettent pas de tirer, à ce stade, des conclusions définitives.

-  Par ailleurs, une équipe de chercheurs de l'institut national de la recherche agronomique (Inra) de Toulouse a démontré, en décembre dernier, que « l'exposition au BPA a des conséquences sur la fonction intestinale du rat » et que « son appareil digestif est très sensible aux faibles doses de BPA [dès une dose dix fois inférieure à la dose journalière admissible définie par l'Afssa], affectant la perméabilité intestinale, la douleur viscérale et la réponse immunitaire à l'inflammation digestive » .

-  A la fin de 2006, un groupe de trente-huit scientifiques a publié, lors d'une conférence à Chapel Hill aux Etats-Unis, un article de consensus évoquant la suspicion de l'implication du BPA dans les grands problèmes de santé actuels.

-  En juin 2009, la société internationale d'endocrinologie a adopté une déclaration scientifique sur les perturbateurs endocriniens. Elle synthétise de nombreuses études réalisées sur cette question au cours des dernières années et met en évidence l'effet potentiel de ces molécules sur la reproduction masculine et féminine, le développement du cerveau, le cancer du cerveau, le cancer de la prostate, la neuro-endocrinologie, la thyroïde, le métabolisme, l'obésité et l'endocrinologie cardiovasculaire .

En ce qui concerne le BPA, la déclaration note par exemple qu'il serait lié, comme d'autres composés oestrogéniques, à une grande variété de dysfonctionnements endocriniens. L'exposition au BPA, particulièrement durant la phase de développement , augmenterait ainsi les risques de cancer du sein, d'obésité, de diabète et de désordres reproductifs et neuro-endocriniens.

Enfin, elle conclut que « des résultats d'études sur animaux, d'observations cliniques sur l'homme et d'études épidémiologiques convergent pour impliquer les perturbateurs endocriniens comme une inquiétude significative en termes de santé publique » .

On le voit, les études sur le BPA, qu'elles soient épidémiologiques, sur l'animal ou sur des cultures de cellules humaines, se sont récemment multipliées. Pour autant, si leur nombre ne peut à lui seul démontrer la véracité de la toxicité du BPA, il constitue un faisceau d'indices et un indicateur de l'intérêt que certains chercheurs portent aujourd'hui à ce produit.

b) La remise en cause de l'approche toxicologique classique pour évaluer l'impact sanitaire des perturbateurs endocriniens

L'approche toxicologique classique consiste à définir, pour un produit, une dose journalière que le corps humain peut ingérer puis éliminer sans effet nocif observable : cette dose peut être appelée « tolérable » (DJT) ou « admissible » (DJA). Elle est fondée sur des constatations expérimentales, auxquelles est toujours appliqué un coefficient de prudence élevé. On l'a vu, l'Efsa a fixé, en 2007, la DJA à 0,05 mg/kg de poids corporel pour le BPA.

Or, les perturbateurs endocriniens ne « s'attaquent » pas, comme un produit toxique, à l'organisme ; ils en modifient le fonctionnement normal. Dans ces conditions, est-il toujours pertinent de réfléchir en termes de dose « plafond » pour refléter leur impact sanitaire ? C'est justement ce que remettent en cause les récentes études scientifiques sur le BPA : elles analysent ses effets lorsque le dosage est faible, voire très faible, et évoquent des effets « subtils », dont les conséquences sont mesurables à moyen et long terme, plutôt qu'à court terme.

Extrait des conclusions de la déclaration adoptée lors de la réunion de scientifiques à Chapel Hill (Caroline du Nord, Etats-Unis), les 28-30 novembre 2006

« Le large éventail des effets négatifs des faibles doses de BPA sur des animaux de laboratoire, à la fois durant leur phase de développement et lorsqu'ils sont adultes, est une grande cause d'inquiétude au regard des effets négatifs potentiels similaires sur les humains. [...] Ces effets sont irréversibles et peuvent survenir à des faibles doses d'exposition durant de brèves périodes sensibles du développement [...]. Pour autant, cela ne diminue pas l'inquiétude pour l'exposition à l'âge adulte. [...] Ces constatations indiquent que les études sur l'animal, particulièrement celles pratiquées de manière toxicologique traditionnelle en utilisant de fortes doses de BPA, ne reflètent pas la situation pour les humains » .

Suivant la même démarche, un rapport 4 ( * ) sénatorial consacré aux risques et dangers pour la santé humaine de substances chimiques d'usage courant (éthers de glycol et polluants de l'air ambiant) notait également :

« Il apparaît de plus en plus évident que les perturbateurs endocriniens peuvent expliquer à la fois la croissance des atteintes à la reproduction et celle des cancers hormonodépendants. Leur mode d'action est encore l'objet de débats, mais il apparaît que leur action toxique ne suit pas obligatoirement le vieux principe de toxicologie « c'est la dose qui fait le poison » , puisqu'une action à faible dose peut avoir un impact plus fort qu'à forte dose et que l'impact combiné de perturbateurs endocriniens peut être plus fort que celui déduit d'une simple règle d'additivité de leurs effets respectifs. Par ailleurs, ces perturbateurs endocriniens peuvent avoir un impact autre qu'une atteinte à la reproduction ou l'apparition de cancers (par exemple, une entrave au bon développement neurologique par perturbation des hormones thyroïdiennes). »

Par ailleurs, les perturbateurs endocriniens auraient des effets chronobiologiques spécifiques : une même dose pourrait avoir des conséquences différentes selon le moment où elle est introduite dans le corps, ce qui les distingue clairement d'un additif alimentaire. Ainsi, tant la dose, que son moment et la durée d'exposition doivent être pris en compte pour mesurer l'impact sur l'homme.

En outre, ils n'agiraient pas de la même manière selon le stade de développement de la personne ( in utero , post-natal, enfance, puberté...) ; leurs effets diffèreraient selon l'état de maturation du système hormonal.

Enfin, certaines études ont mis en avant l'éventuelle « synergie » de ces produits : des doses apparemment anodines pourraient se révéler toxiques lorsqu'elles sont combinées. C'est ce que montre une étude danoise, qui associe trois molécules, chacune inoculée à une dose très inférieure à la dose journalière tolérable. Or, il est certain que les êtres humains sont, aujourd'hui, confrontés en permanence dans leur vie quotidienne à un ensemble de perturbateurs endocriniens.

En définitive, la gestion des risques ne doit pas uniquement passer par la définition d'une dose journalière tolérable ; elle doit aussi s'appuyer sur « le niveau de risque le plus bas que l'on peut raisonnablement atteindre », principe dit Alara selon son acronyme anglais ( « As Low As Reasonably Achievable » ).

Cette forme spécifique du principe de précaution a déjà été mise en place dans l'Union européenne pour un certain nombre de produits 5 ( * ) , pour lesquels les teneurs maximales sont fixées « au niveau le plus faible que permettent raisonnablement les bonnes pratiques de fabrication ou les bonnes pratiques agricoles » . Elle est également utilisée dans le Codex alimentarius , organisation chargée des questions de normes alimentaires par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).

Le gouvernement canadien recommande d'ailleurs le respect de ce principe, « dans le but de poursuivre les efforts déployés afin de limiter l'exposition au BPA contenu dans les produits d'emballage alimentaire pour les nourrissons et les nouveau-nés, et plus particulièrement par les préparations qui leurs sont destinées puisqu'elles peuvent être leur source unique d'alimentation » .

En France, la direction générale de la santé envisage également d'appliquer le principe de l'Alara en ce qui concerne le BPA.

* 3 Règlement n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, dit règlement Reach.

* 4 Rapport Sénat n° 176 (2007-2008) du 23 janvier 2008, de Marie-Christine Blandin, au nom de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

* 5 Règlement n° 1881/2006 du 19 décembre 2006 portant fixation de teneurs maximales pour certains contaminants dans les denrées alimentaires. Les produits concernés sont : les nitrates, les mycotoxines (aflatoxines, ochratoxine A, patuline et toxines du fusarium), les métaux lourds (plomb, cadmium, mercure, méthylmercure), le monochloro-propane-1, 2- diol (3-MCPD), les dioxines et les PCB de type dioxine, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), ainsi que l'étain inorganique.

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