EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi d'une proposition de loi relative à l'atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d'un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits, présentée par nos collègues MM. Jean-René Lecerf, Gilbert Barbier et Mme Christiane Demontès.

Ce texte reprend une partie des propositions à caractère législatif formulées par le groupe de travail de la commission des lois et de la commission des affaires sociales sur la prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions 1 ( * ) .

Il a pour point de départ un constat accablant : près de 10 % des personnes détenues souffriraient de troubles psychiatriques très graves .

Cette situation est paradoxale au regard de notre droit pénal qui prévoit, d'une part, l'irresponsabilité pénale (premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal) pour la personne « atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes » et, d'autre part, pour la personne « atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes » qui demeure punissable , la prise en compte , néanmoins, de cette circonstance lorsque la juridiction détermine la peine et en fixe le régime (deuxième alinéa de l'article 122-1 du code pénal).

La combinaison de ces deux dispositions aurait dû, en principe, interdire la condamnation de personnes atteintes de troubles très graves et réduire la durée de la peine prononcée pour les auteurs d'infractions souffrant de pathologies moins sévères.

Il semble, selon les témoignages nombreux et concordants recueillis par le groupe de travail, que la maladie mentale, lorsque la responsabilité pénale est admise, conduise à une aggravation de la peine, du moins pour les faits les plus graves.

En effet, pour les jurys d'assises en particulier, la maladie mentale joue souvent comme un indice de dangerosité supplémentaire. De plus, faute d'un nombre suffisant de structures psychiatriques adaptées, la prison apparaît comme le seul lieu garantissant tout à la fois la sécurité de la société et une prise en charge médicale.

Cette application du deuxième alinéa de l'article 122-1 n'en apparaît pas moins contraire aux intentions du législateur lors de l'adoption du nouveau code pénal. Elle conduit à une situation critiquable au moins à trois égards : la peine n'a guère de sens pour cette partie de la population pénale ; en outre, la prison, malgré les efforts accomplis pour garantir une meilleure prise en charge médicale, n'est pas un lieu de soins ; enfin, la durée de la sanction n'est nullement adaptée à l'évolution d'une pathologie et au temps nécessaire à son traitement : une personne considérée comme dangereuse au commencement de son incarcération peut l'être tout autant à sa libération. Ainsi comme le relevaient les auteurs du rapport du groupe de travail, la présence d'une forte proportion de personnes atteintes de troubles mentaux au sein des prisons françaises ne répond ni à nos valeurs humanistes, ni aux exigences de l'éthique médicale, ni à celles de la sécurité.

Pour votre commission, il est impératif de rompre avec une logique qui fait de la prison le lieu d'accueil privilégié des personnes atteintes de troubles mentaux ayant commis des infractions.

La présente proposition de loi tente de répondre à cette préoccupation : elle reconnaît de manière explicite l'altération du discernement comme un facteur d'atténuation de la peine tout en renforçant les garanties concernant l'obligation de soins pendant et après la détention .

Tout en cherchant ainsi un meilleur équilibre entre réponse pénale et prise en charge sanitaire, votre commission est pleinement consciente que cette initiative ne peut être que l'un des volets d'une meilleure prise en charge des personnes atteintes de troubles mentaux dans notre pays.

*

* *

I. LA MALADIE MENTALE : UNE CAUSE D'IRRESPONSABILITÉ PÉNALE OU DE RESPONSABILITÉ PÉNALE ATTÉNUÉE

Aux termes de l'article 64 du code pénal de 1810 il n'y avait « ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au moment de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister » 2 ( * ) .

L'ancien code pénal instaurait donc une alternative :

- soit le criminel est conscient de ses actes, et il en est alors déclaré coupable et responsable, et doit être puni en conséquence ;

- soit son état de démence est reconnu et, à la différence de ce qui prévalait sous l'Ancien régime, il ne peut être jugé . Toutefois, s'il constitue une menace pour l'ordre public ou la sûreté des personnes, il peut être remis à l'autorité administrative qui décide de son placement d'office dans un établissement pour aliénés.

L'article 64 du code pénal a fait rapidement l'objet de critiques et de contestations. Alors que son dispositif repose sur une distinction nette entre le criminel, d'un côté, et le malade mental, de l'autre. La notion de responsabilité est affectée par les évolutions de la psychiatrie qui mettent en évidence l'existence d'une gradation de la maladie mentale 3 ( * ) .

De fait, le droit pénal français a progressivement pris en compte la situation de ces « demi-fous », également qualifiés d'« anormaux mentaux ».

Tout d'abord, la loi du 25 juin 1824 puis celle du 28 avril 1832 ont ouvert la possibilité aux juges de reconnaître des circonstances atténuantes dans certains crimes et délits, et d'adapter, en conséquence, la peine aux circonstances de l'espèce et à la personnalité et aux motivations de l'accusé.

Par la suite, un arrêt de la Cour de cassation de 1885 a posé explicitement le principe de l'atténuation de la peine en cas d'altération du discernement . La Cour a considéré qu' « il n'y a pas violation de l'article 64 du code pénal dans un arrêt qui condamne un prévenu, tout en constatant, pour justifier la modération de la peine, qu'il ne jouit pas de la somme ordinaire de jugement que caractérise un complet discernement des choses, et qu'il y a en lui un certain défaut d'équilibre qui, sans annuler sa responsabilité, permet cependant de la considérer comme limitée » 4 ( * ) .

Enfin, le 20 décembre 1905, le garde des Sceaux Joseph Chaumié adresse aux parquets généraux une circulaire (dite « circulaire Chaumié ») qui pose le principe de l'atténuation de la peine pour les personnes reconnues responsables de leurs actes tout en présentant un trouble mental : « à côté des aliénés proprement dits, on rencontre des dégénérés, des individus sujets à des impulsions morbides momentanées ou atteints d'anomalies mentales assez marquées pour justifier, à leur égard, une certaine modération dans l'application des peines édictées par la loi. Il importe que l'expert soit mis en demeure d'indiquer avec la plus grande netteté possible, dans quelles mesures l'inculpé était, au moment de l'infraction, responsable de l'acte qui lui est imputé ». A cette fin, il est attendu du juge d'instruction qu'il demande systématiquement à l'expert, non seulement de se prononcer sur l'état de démence de l'inculpé au moment de l'acte (au sens de l'article 64 du code pénal), mais également de lui faire préciser « si l'examen psychiatrique et biologique ne révèle pas chez lui des anomalies mentales ou psychiques de nature à atténuer, dans une certaine mesure, sa responsabilité ».

A. L'INSCRIPTION DES NOTIONS D'ABOLITION ET D'ALTÉRATION DU DISCERNEMENT DANS LE CODE PÉNAL

Si l'article 122-1 du nouveau code pénal modernise les conditions dans lesquelles peut être reconnue l'irresponsabilité pénale d'un malade mental ayant commis une infraction, son dispositif s'inscrit dans la continuité des évolutions précédemment décrites.

L'article 122-1 dispose ainsi que « n'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.

« La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime » .

Cette nouvelle rédaction tend ainsi à remplacer les termes, juridiquement ambigus, « il n'y a ni crime ni délit » 5 ( * ) , par ceux prévoyant que le malade mental dont le discernement est aboli « n'est pas pénalement responsable » 6 ( * ) .

Sur le plan médical, cet article substitue par ailleurs à la notion de « démence », critiquée depuis longtemps au motif qu'elle n'inclut pas l'ensemble des troubles mentaux susceptibles d'affecter la capacité de discernement d'un individu, par ceux, scientifiquement plus précis et plus larges, de « trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli [le] discernement ou le contrôle [des] actes » 7 ( * ) .

Sur le fond, l'article 122-1 distingue désormais explicitement deux situations :

- l' irresponsabilité de la personne atteinte, au moment des faits, d'un trouble mental ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ;

- la responsabilité atténuée de la personne atteinte, au moment des faits, d'un trouble mental ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes. La juridiction doit tenir compte de cette circonstance pour la détermination du quantum et du régime de la peine.


* 1 Prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français, rapport d'information n° 434 au nom de la commission des affaires sociales et de la commission des lois par M. Gilbert Barbier, Mme Christiane Demontès, MM. Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel, Sénat, 2009-2010.

* 2 L'adoption de ces dispositions s'inscrit dans le contexte de la naissance de la psychiatrie. Pour Philippe Pinel comme pour Jean-Etienne Esquirol, son principal élève, si l'aliéné est responsable de son premier élan de folie et s'il peut toujours user partiellement de sa raison, il est avant tout un malade et ne peut être puni : toute déraison partielle doit entraîner l'irresponsabilité totale. Ces conceptions transparaissent d'ailleurs dans le code civil de 1804, dont l'article 489 disposait que « le majeur qui est dans un état d'imbécillité, de démence ou de fureur doit être interdit, même lorsque cet état présente des intervalles lucides ».

* 3 Laurence Guignard, « L'irresponsabilité pénale dans la première moitié du XIXe siècle, entre classicisme et défense sociale », Champ pénal, juillet 2005.

* 4 Bulletin des arrêts de la Cour de cassation rendus en matière criminelle, tome 90, n° 170, année 1885, 1887, page 285.

* 5 Cette rédaction pouvait en effet laisser entendre que l'infraction n'avait pas été matériellement

commise.

* 6 La jurisprudence et la doctrine admettaient que la démence exonérait également le délinquant en matière de contraventions. Voir Roger Merle et André Vitu, Traité de droit criminel, Problèmes généraux de la science criminelle. Droit pénal général, quatrième édition, 1981, page 714.

* 7 L'article 40 de l'avant-projet de code pénal de 1978 prévoyait déjà de substituer au terme de démence la référence à un « trouble psychique ayant aboli [le] discernement ou le contrôle de ses actes ».

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page