EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er (art. L. 4622-2 et L. 4622-4 ; art. L. 4622-8 à L. 4622-10 [nouveaux] ; art. L. 4622-15 [nouveau] ; art. L. 4624-3 [nouveau] ; art. L. 4644-1 [nouveau] du code du travail) - Missions et organisation des services de santé au travail

Objet : Cet article définit les missions des services de santé au travail et réforme leur organisation.

I - Le dispositif proposé

1) Le droit en vigueur

La loi n° 46-2195 du 11 octobre 1946 relative à l'organisation des services médicaux du travail a créé l'obligation, pour un certain nombre d'entreprises, de créer des « services médicaux du travail », assurés par des médecins qui prennent le nom de « médecins du travail » et dont « le rôle exclusivement préventif consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant les conditions d'hygiène du travail, les risques de contagion et l'état de santé des travailleurs ».

En 2002, la loi de modernisation sociale 10 ( * ) en a engagé la réforme :

- la protection statutaire des médecins du travail a été renforcée, notamment en conditionnant un éventuel licenciement à l'autorisation de l'inspection du travail ;

- pour faire face - déjà - à la crise démographique, une procédure de reconversion des médecins généralistes ou exerçant d'autres spécialités a été créée ;

- les services médicaux du travail ont été renommés « services de santé au travail » et ils font appel à des ressources spécialisées afin d'assurer la mise en oeuvre des compétences médicales, techniques et d'organisation nécessaires à la prévention des risques professionnels et à l'amélioration des conditions de travail.

Cette dernière modification reflète la place croissante des professions non médicales dans la prévention des risques de santé au travail. En effet, si les professions paramédicales, au premier rang desquelles les infirmiers, jouent un rôle ancien auprès des médecins du travail, depuis les années soixante-dix de nombreuses autres professions ont également été sollicitées pour agir au sein des entreprises : il peut s'agir de psychologues, d'assistants sociaux, d'ergonomes, mais aussi de professionnels plus spécialisés en fonction des différents secteurs d'activité économique concernés et des risques inhérents (exposition au bruit, aux rayonnements ionisants, à des produits chimiques ou nucléaires...). Leur rôle en matière de prévention des risques professionnels a été consacré par la directive européenne du 12 juin 1989 11 ( * ) concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

Un arrêté du ministre du travail en date du 24 décembre 2003 12 ( * ) évoque précisément dans son titre « une obligation de pluridisciplinarité » pour décrire l'interaction nécessaire entre les services de santé au travail et les intervenants extérieurs.

Services de santé autonomes ou services de santé interentreprises

Les articles D. 4622-1 et suivants du code du travail prévoient deux formes d'organisation pour les services de santé au travail.

Les services dits « autonomes » , qu'ils soient d'entreprise, d'établissement, interétablissements (en cas de pluralité d'établissements) ou commun aux entreprises constituant une unité économique et sociale.

Ces services sont internes à une entreprise ou à un regroupement d'entreprises d'une même zone géographique. Ils sont administrés par l'employeur sous la surveillance du comité d'entreprise ou du comité d'établissement.

La mise en place d'un service de santé d'entreprise ou d'établissement est obligatoire lorsque l'effectif de salariés concernés est supérieur à 2 200 ou que le nombre d'examens médicaux pratiqués est supérieur à 2 134. Il peut être mis en place dès 412,5 salariés ou 401 examens.

Un service de santé interétablissements peut être créé entre plusieurs établissements d'une même entreprise lorsque le nombre de salariés concernés dépasse 412,5 ou le nombre d'examens 401.

Un service de santé commun à des entreprises distinctes constituant une unité économique et sociale peut être créé lorsque le nombre de salariés dépasse 1 650 ou le nombre d'examen 1 600.

Les services interentreprises.

Organismes à but non lucratif , ils ont pour objet exclusif la pratique de la médecine du travail. Ils sont structurés en un ou plusieurs secteurs géographiques et parfois professionnels. Ils sont administrés par un président , sous la surveillance d'un comité interentreprises ou d'une commission de contrôle, où les représentants des salariés sont majoritaires.

Les entreprises ou établissements qui ne relèvent pas d'un service de santé « autonome » organisent ou adhèrent à un service de santé interentreprises.

2) Le dispositif proposé pour approfondir la réforme de 2002

La définition des missions des services de santé au travail

Aujourd'hui, le code du travail ne confie des missions qu'aux seuls médecins du travail, dans les termes mêmes de la loi de 1946 ; l'article L. 4622-3 prévoit ainsi que « le rôle du médecin du travail est exclusivement préventif. Il consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant leurs conditions d'hygiène au travail, les risques de contagion et leur état de santé ».

Le du paragraphe I propose une nouvelle rédaction de l'article L. 4622-2 afin d'attribuer spécifiquement des missions aux services de santé au travail et définir un cadre d'intervention commun à l'ensemble des acteurs, sans modifier les missions historiquement attribuées aux médecins du travail.

En cohérence avec la loi de 1946 et la mission confiée aux médecins du travail, cet article rappelle d'abord que « les services de santé au travail ont pour mission exclusive d'éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ». Il décline ensuite cette mission selon quatre axes relatifs à la prévention des risques :

- conduire des actions en vue de la préservation de la santé physique et mentale des travailleurs ;

- fournir des conseils pour éviter ou diminuer les risques professionnels, améliorer les conditions de travail, prévenir ou réduire la pénibilité et contribuer au maintien dans l'emploi ;

- surveiller l'état de santé des travailleurs ;

- contribuer à la traçabilité des expositions professionnelles et à la veille sanitaire.

Le 1° modifie également l'article L. 4622-4 , qui avait permis, depuis 2002, le développement de la pluridisciplinarité en prévoyant que les services de santé au travail font appel à des compétences spécialisées dans différents domaines de la prévention et des conditions de travail. Cette notion sera dorénavant inscrite à d'autres endroits du code du travail et il ne semble pas utile de la laisser à cette place. Dans ces conditions, la nouvelle rédaction proposée pour cet article précise que les missions des services de santé « autonomes » sont exercées par les médecins du travail , qui agissent en toute indépendance et en coordination avec les employeurs, les membres du CHSCT ou les délégués du personnel et les intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP). La mention des employeurs correspond à l'obligation de résultat qui leur incombe en matière de sécurité et de santé de leurs salariés.

Le renumérote, sans changement, l'article L. 4622-8 en L. 4622-15, en raison d'articles intercalés. Cet article prévoit notamment que des décrets déterminent les conditions d'organisation et de fonctionnement des services de santé au travail.

Les services de santé au travail interentreprises

Le propose une réforme ambitieuse des services interentreprises, fondée sur le développement de la pluridisciplinarité.

Ainsi, le nouvel article L. 4622-8 prévoit que, dans ces services, les missions sont assurées par une équipe pluridisciplinaire comprenant des médecins du travail, des IPRP et des infirmiers, auxquels viennent éventuellement s'ajouter des assistants et des professionnels recrutés après avis des médecins du travail. La place des médecins du travail reste naturellement centrale : il est précisé qu'ils « animent l'équipe pluridisciplinaire ».

Le nouvel article L. 4622-9 propose que les services interentreprises comprennent un service social ou coordonnent leurs actions avec celles des services sociaux du travail externes. L'existence d'un service social du travail dont la mission, définie par l'article L. 4631-2 du code du travail, est de « suivre et faciliter la vie personnelle des travailleurs [...] sur les lieux mêmes du travail » est obligatoire dans les établissements de plus de deux cent cinquante salariés (article L. 4631-1).

Le nouvel article L. 4622-10 crée les outils de coordination entre les services de santé au travail interentreprises et les différents acteurs publics compétents. Ainsi, sans préjudice de leurs missions générales, les missions de ces services seront précisées, en fonction des réalités locales, par un contrat d'objectifs et de moyens conclu avec l'Etat et les organismes de sécurité sociale concernés, après avis des organisations syndicales et patronales et des agences régionales de santé. Des actions conjointes ou complémentaires menées par ces divers organes peuvent également y être précisées.

Il ressort cependant des échanges entre le ministère du travail et votre rapporteur que ces contrats ne pourront pas faire obstacle à l'action des équipes des services de santé interentreprises sur des thématiques extérieures au champ de la convention. Ainsi, s'ils doivent permettre la mobilisation des équipes sur des sujets dont l'importance fait l'objet d'un constat partagé, ils ne pourront servir en aucune façon à restreindre l'action des services de santé au travail, qui resteront libres de prendre des initiatives.

Les actions et moyens des membres des équipes de santé au travail

Le modifie l'intitulé du chapitre IV du titre II du livre VI de la quatrième partie du code « Actions du médecin du travail » pour l'élargir : « Actions et moyens des membres des équipes de santé au travail ».

Le insère un nouvel article L. 4624-3 ; il prévoit que des décrets en Conseil d'Etat précisent les modalités d'action des personnels concourant aux services de santé au travail ainsi que les conditions d'application de l'article L. 4624-1, qui habilite le médecin du travail à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes de travail.

L'aide à l'employeur pour la gestion de la santé et de la sécurité au travail

Le insère, dans le titre du code relatif aux « institutions concourant à l'organisation de la prévention », un chapitre nouveau « Aide à l'employeur pour la gestion de la santé et de la sécurité au travail ». Il se compose d'un article unique L. 4644-1 , selon lequel l'employeur désigne un ou plusieurs salariés compétents pour s'occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels . En l'absence de compétences internes, l'employeur s'adresse aux IPRP du service de santé interentreprises auquel il adhère ou à des IPRP indépendants. Il peut également solliciter les organismes de sécurité sociale ou professionnels compétents en la matière.

Cet article conjugue des dispositions en vigueur, notamment celles de l'article L. 4622-4 actuel, et les pratiques existantes. Il est en effet usuel pour les employeurs de recruter des salariés pour leurs services de prévention internes, plus particulièrement dans les grandes entreprises, ou de faire appel aux compétences des IPRP des services interentreprises. Les garanties d'indépendance en matière de recrutement qui figurent également au sein du nouvel article sont reprises de l'article L. 4622-4 actuel.

Enfin, les modalités d'application de l'article seront déterminées par décret et l'article n'entrera en vigueur qu'à la date de publication de ces décrets.

Mesures transitoires pour les personnes habilitées comme IPRP

A l'origine de la reconnaissance de la pluridisciplinarité, l'article L. 4622-4 actuel prévoit la possibilité, pour les services de santé au travail, de recourir à des personnes aux compétences reconnues en matière de prévention des risques professionnels. La partie réglementaire du code du travail 13 ( * ) organise les missions, les conditions d'intervention et la procédure d'habilitation de ces intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP).

Or, cette procédure d'habilitation, lourde, n'a pas permis le développement attendu de la profession : près de 4 300 personnes physiques ont été habilitées depuis 2004, dont 37 % travailleraient en service de santé interentreprises, 29 % au sein d'une entreprise et 26 % dans un cabinet conseil ou comme expert indépendant. Environ 250 personnes morales l'ont également été. Le nouvel article L. 4644-1 prévoit un « enregistrement » des IPRP auprès de l'autorité administrative ; la procédure sera précisée par voie réglementaire.

Le paragraphe II fixe en conséquence une période de transition, afin de ne pas pénaliser les personnes qui ont eu recours à la procédure d'habilitation avant la date d'entrée en vigueur de la présente loi : cette habilitation sera valide, au titre du nouvel enregistrement, pendant une période de trois ans à compter de la publication de la loi.

Fréquence des examens médicaux

Hormis les salariés faisant l'objet d'une surveillance médicale renforcée (personnes affectées à certains travaux, travailleurs handicapés, femmes enceintes...), tout salarié bénéficie 14 ( * ) :

- d'un examen médical avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai, ainsi que d'un examen de reprise de travail après certaines absences ;

- d'examens périodiques. De 1946 au 1 er août 2004, le salarié devait, en théorie, bénéficier d'un examen annuel ; depuis 2004, la périodicité est passée à vingt-quatre mois ;

- d'un examen à sa demande ou à celle de son employeur.

Même modifiée depuis 2004 seulement, la régularité bisannuelle des examens périodiques ne semble pas toujours adaptée aux nouvelles conditions de travail. Par exemple, il serait certainement pertinent de la moduler selon le secteur d'activité ou le type de poste occupé. Dans l'attente d'une réflexion plus approfondie sur cette question, le paragraphe III fixe là aussi une période de transition : dix-huit mois après la publication de la loi, les clauses des accords collectifs comportant des obligations en matière d'examens médicaux différentes de celles prévues par le code seront caduques.

II - Le texte adopté par la commission

Consciente de la crise profonde de la médecine du travail en France, votre commission soutient la réforme de son organisation et l'approfondissement de ses missions.

Elle relève avec satisfaction que la mission spécifique des médecins du travail, fixée à l'article L. 4622-3, n'est pas modifiée par la proposition de loi. Il convient d'attribuer, en sus, des missions précises aux services de santé eux-mêmes, en raison de la nécessité d'élargir le champ des mesures à prendre pour améliorer les conditions de travail : il ne s'agit plus uniquement de surveiller l'hygiène au travail. La définition des actions des services de santé permet en conséquence d'apporter des précisions à même de répondre aux nouveaux enjeux de la santé au travail : santé mentale, pénibilité, maintien dans l'emploi, traçabilité des expositions professionnelles...

Naturellement, l'exercice des missions des services de santé au travail interentreprises par une équipe pluridisciplinaire , et non plus par les seuls médecins, constitue un changement majeur , mais il s'agit de prendre enfin en compte l'évolution de l'économie française et des maladies ou risques professionnels qu'on y rencontre dorénavant. Qui plus est, le temps médical doit être concentré sur les priorités et les personnes ou entreprises qui en ont le plus besoin. Il faut éviter le saupoudrage des interventions, que les médecins sont aujourd'hui obligés de pratiquer en raison de l'inadéquation des capacités humaines aux obligations légales. Enfin, pour « éviter l'altération de la santé des travailleurs », il est essentiel de reconnaître plus largement la qualification de professionnels spécialisés dans d'autres matières que médicales.

Par ailleurs, les nouveaux contrats d'objectifs et de moyens, entendus de manière souple et véritablement partenariale, sont une avancée importante pour coordonner les actions et réaffirmer que la santé au travail est partie prenante de la santé publique. De ce point de vue, il est également intéressant que la proposition de loi inscrive la veille sanitaire dans les missions des services de santé au travail.

La pluridisciplinarité constitue une avancée majeure de la proposition. Pour autant, elle ne doit pas peser trop lourdement sur les entreprises, notamment les plus petites d'entre elles. Ainsi, le nouvel article L. 4644-1, qui demande à l'employeur de désigner un ou des salariés compétents en matière de prévention des risques, devra être appliqué avec tact et mesure par l'autorité administrative. Si certaines branches professionnelles, comme celle du bâtiment, sont très organisées en matière de conditions de travail, elles ne pourront cependant pas répondre à un afflux de demandes.

Dans le même esprit, alléger la procédure pour obtenir la qualification d'IPRP, tout en conservant un niveau de compétence élevé, est un élément positif.

A l'initiative de son rapporteur, votre commission a adopté huit amendements de précision pour :

- prévoir que les services de santé au travail conseillent les employeurs et les salariés dans la prévention de la consommation d'alcool et de drogues sur le lieu de travail ;

- conforter la pluridisciplinarité dans les services de santé au travail dits « autonomes » ;

- lever d'éventuelles ambiguïtés sur l'articulation entre les missions générales des services de santé au travail et le contrat d'objectifs et de moyens conclu avec l'Etat et les caisses de sécurité sociale ;

- prendre en compte l'adoption en loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 du principe d'une convention entre les services de santé au travail et les caisses de sécurité sociale en vue d'engager des actions conjointes ou complémentaires dans leurs domaines de compétences ;

- renvoyer à un décret les modalités d'application du contrat d'objectifs et de moyens ;

- élargir le renvoi à des décrets en Conseil d'Etat ;

- mieux organiser la désignation par l'employeur de personnes compétentes en matière de prévention des risques professionnels et supprimer une restriction superflue relative aux IPRP ;

- ne pas inscrire dans le code du travail une disposition qui n'y a pas sa place (date d'entrée en vigueur de l'article L. 4644-1).

Elle a également adopté un amendement présenté par Bruno Gilles pour prévoir que les missions des services de santé sont assurés par « les médecins de travail et une équipe pluridisciplinaire », plutôt que par « une équipe pluridisciplinaire » ; en outre, au lieu d' « animer » l'équipe, les médecins la « coordonnent » et « prescrivent ses interventions ».

Votre commission a adopté cet article ainsi modifié.


* 10 Loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, article 193.

* 11 Directive 89/391/CEE du Conseil.

* 12 Arrêté du 24 décembre 2003 relatif à la mise en oeuvre de l'obligation de pluridisciplinarité dans les services de santé au travail.

* 13 Articles R. 4623-26 et suivants.

* 14 Articles R. 4624-10 et suivants.

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