EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Alors même qu'il constitue une infraction pénale, l'usage du cannabis s'est largement répandu auprès d'une large frange de la population française et des plus jeunes en particulier -plus du quart des Français déclaraient en 2005 avoir expérimenté cette substance. Il semble, paradoxalement, qu'une forme d'impunité découle d'un régime répressif si rigoureux qu'il n'est guère, en pratique, appliqué, du moins aux primo-usagers. En effet, aux termes de l'article L. 3421-1 du code de la santé publique, l'usage de stupéfiants, quel qu'il soit, est passible d'une peine délictuelle d'un an d'emprisonnement et de 3.750 euros d'amende.

Face à ce constat, la mission commune d'information de l'Assemblée nationale et du Sénat sur les toxicomanies co-présidée par MM. Serge Blisko et François Pillet, dans son rapport adopté le 29 juin 2011 1 ( * ) , a préconisé la création d'une peine d'amende de troisième classe sanctionnant le premier usage illicite constaté d'un stupéfiant. La présente proposition de loi présentée par M. Gilbert Barbier et plusieurs membres du groupe RDSE reprend cette proposition.

Ce texte ne constitue en aucune manière un premier pas vers la dépénalisation de l'usage des stupéfiants . Il vise, au contraire, à permettre une répression effective, parce que proportionnée , de comportements présentant un risque sérieux pour la santé.

La contraventionnalisation n'est pas une idée nouvelle. Ainsi, la commission d'enquête sénatoriale sur la politique nationale de lutte contre les drogues illicites avait recommandé en 2003 2 ( * ) d'instituer une contravention pour une première infraction d'usage simple 3 ( * ) .

Depuis lors, pourtant, le cadre législatif n'a pas évolué. Comme l'ont souligné certains des magistrats rencontrés par votre rapporteur, l'inadéquation des dispositions pénales conduit en réalité, dans une large majorité des cas, à l'absence de sanction à l'encontre des primo-usagers -les services de police anticipant même cette situation en renonçant à établir des procédures. Or l'exigence d'une réponse effective paraît déterminante pour la rupture des processus d'addiction.

Selon votre commission, la voie proposée par la proposition de loi devrait contribuer à restaurer la valeur de l'interdit et son caractère dissuasif.

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I. L'IMPUNITÉ DE FAIT DU PREMIER USAGE DE STUPÉFIANTS

A. UNE BANALISATION PRÉOCCUPANTE DE L'USAGE DU CANNABIS

Comme en témoignent les données réunies en 2005 par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), la diffusion de drogues tend à progresser dans la période récente.

Elle peut être appréhendée par le taux d'expérimentation de ces substances, c'est-à-dire le nombre de personnes rapporté à la population générale ayant consommé un stupéfiant au moins une fois au cours de leur vie.

L'héroïne, la cocaïne et les drogues de synthèse affectent encore un nombre limité de personnes. Néanmoins, à l'exception de l'héroïne dont le niveau d'expérimentation est stable (sauf pour les garçons de 17 ans où il atteint 1,4 % alors qu'il s'établit en moyenne à 0,9 % pour la tranche d'âge des 15-34 ans -0,7 % pour les 35-64 ans), leur diffusion s'est accrue :

- l'expérimentation de la cocaïne touche 2,6 % des personnes âgées de 15 à 64 ans, soit 1 million de personnes. Elle est passée de 1,2 % en 1992 à 3,8 % en 2005 parmi les 18-44 ans ;

- l'expérimentation de drogues de synthèse au premier rang desquelles l'ecstasy concerne 2 % des personnes âgées de 15 à 64 ans -soit 800.000 personnes (elle s'élève à 3,7 % dans la tranche d'âge 15-34 ans). Elle a plus que triplé entre 1995 et 2005.

La consommation régulière de cocaïne et de drogues de synthèse concernerait pour chacune de ces substances quelque 200.000 personnes.

La diffusion du cannabis est quant à elle d'une toute autre ampleur.

Selon l'OFDT, la France compterait :

- 12,4 millions d'expérimentateurs de cannabis (dont 3,9 millions de consommateurs dans l'année) ;

- 1,2 million de consommateurs réguliers (avec, en moyenne, 10 consommations de cannabis dans le mois).

Sans doute, comme l'a indiqué le directeur de l'OFDT devant la mission d'information commune sur les toxicomanies, la consommation du cannabis -de pair d'ailleurs avec celle du tabac- tendrait à s'infléchir après une stabilisation à un niveau élevé au cours des années 2002-2003.

Il n'en reste pas moins que l'usage du cannabis s'est largement banalisé, en particulier au sein d'une population jeune -ainsi 42,3 % des jeunes âgés de 17 ans déclaraient en 2008 avoir déjà consommé du cannabis 4 ( * ) .

Or si les méfaits des autres drogues sont généralement bien identifiés, ceux du cannabis sont sous-estimés quand ils ne sont pas purement et simplement niés.

Les interlocuteurs de votre rapporteur ont ainsi observé que le degré de toxicité du cannabis est aujourd'hui de dix à quinze fois plus élevé que celui du cannabis commercialisé voici une vingtaine d'années en raison d'une plus forte concentration de principe actif.

Le professeur Jean Costentin, membre de la commission sur les addictions de l'Académie nationale de médecine, a mis en évidence, lors de son audition par votre rapporteur, quatre effets principaux du cannabis :

- la dépendance d'abord. Elle n'apparaît pas immédiatement. En effet, les principes actifs du cannabis peuvent être conservés très longtemps par le corps : un fumeur peut attendre ainsi un certain délai avant d'éprouver le besoin de consommer de nouveau. Ce besoin réapparaîtra pourtant. Ainsi, utilisé comme anxiolytique, le cannabis a pour effet de rendre inopérantes les substances endogènes que sécrète l'organisme pour lutter contre l'anxiété. Aussi lorsque la réserve de principe actif sera épuisée, le sujet anxieux ne pourra obtenir un soulagement que par une dose encore plus importante de cannabis ;

- le lien entre le cannabis et des troubles graves et parfois irréversibles de la santé . Comme l'avait souligné la mission d'information sur la toxicomanie, « les effets néfastes des drogues sur l'organisme sont d'autant plus importants que la première expérimentation se fait jeune et qu'elle laisse place à une consommation régulière et soutenue » 5 ( * ) . En effet, il semble désormais démontré par plusieurs recherches convergentes qu'une consommation précoce de cannabis à des doses élevées à un âge -celui de l'adolescence- où la construction du système nerveux central n'est pas achevée, comporte de lourdes conséquences sur le développement psychique, la mémoire, les processus éducatifs et l'anxiété. Le professeur Jean Costentin a ainsi cité les conclusions de l'étude publiée en 1987 dans la revue scientifique The Lancet sur la base d'une cohorte de 50.000 conscrits en Suède, établissant le fait que d'avoir fumé plus de cinquante « joints » avant la conscription multiplie par six le risque de développer une schizophrénie ;

- la consommation de cannabis , elle-même favorisée par l'usage du tabac, peut aussi être une porte d'entrée vers d'autres substances toxiques aux effets redoutables comme l'héroïne. Les expérimentateurs de cette dernière drogue sont presque toujours passés préalablement par l'usage du cannabis ;

- enfin, les moyens de guérir l' accoutumance au cannabis demeurent limités . La prévention apparaît donc indispensable.


* 1 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-699-1-notice.html

* 2 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :
Tome 1 :
http://www.senat.fr/rap/r02-321-1/r02-321-1.html

Tome 2 : http://www.senat.fr/rap/r02-321-2/r02-321-2.html

* 3 M. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales avait déclaré devant la commission d'enquête : « il est nécessaire de mettre en place un dispositif réellement applicable par les policiers, les gendarmes et les magistrats (...) qui doit gommer la disposition la plus critiquable de la loi de 1970, à savoir la possibilité de prononcer une peine d'emprisonnement à l'encontre de simples usagers ».

* 4 Enquête déclarative ESCAPAD réalisée lors de la journée d'appel de préparation à la défense.

* 5 Rapport précité, p. 39.

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