EXAMEN EN COMMISSION

Mercredi 21 mai 2014

M. Philippe Kaltenbach , rapporteur . - La proposition de loi tendant à modifier le délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles, déposée par Mmes Dini et Jouanno et soutenue par le groupe centriste, aborde un sujet très sensible, qui soulève de nombreux débats.

Il est proposé de ne faire courir le délai de prescription des agressions sexuelles qu'à partir du moment où la victime est en mesure de révéler l'infraction dont elle a été victime. Ce dispositif s'inspire du régime jurisprudentiel applicable aux infractions occultes ou dissimulées, pour lesquelles le délai de prescription commence à courir « au jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ». Il fait écho à un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 18 décembre 2013, par lequel cette dernière a refusé d'appliquer ladite jurisprudence à des faits de viol commis dans l'enfance sur une personne qui, victime d'une amnésie traumatique consécutive, n'avait pris conscience de ces faits que trente-quatre ans plus tard.

Ce texte s'adresse prioritairement aux victimes ayant subi de telles violences lorsqu'elles étaient enfants, car le choc émotionnel subi, surtout lorsque les faits sont commis dans la durée par un parent ou par une personne ayant autorité sur l'enfant, un éducateur, par exemple, est de nature à provoquer un traumatisme profond pouvant aller jusqu'à l'amnésie : ce constat clinique, encore trop méconnu, est aujourd'hui bien documenté par les médecins.

Les délais de prescription en vigueur, bien que déjà dérogatoires au droit commun, peuvent encore apparaître inadaptés au cas de certaines victimes, ainsi que j'ai pu le constater au cours de mes auditions.

Si on le compare à celui d'autres pays européens, le dispositif français de répression des viols sur les mineurs est très complet. Cependant, beaucoup de violences demeurent invisibles : on recense 7 000 à 8 000 condamnations par an, alors que les faits constatés par la police et la gendarmerie sont au nombre de 22 000 à 23 000 chaque année, et que le taux de victimation établi par l'Insee fait apparaître des chiffres dix fois supérieurs encore - bien que ne soient sollicitées, dans ses enquêtes, ni les personnes vulnérables ni les mineurs. Les condamnations ne représentent donc que la partie émergée d'un iceberg de quelque 200 000 faits par an. On sait que l'inceste, en particulier, touche de nombreux enfants. L'un des objectifs de cette proposition de loi est de mettre sur ces faits un coup de projecteur, pour qu'une meilleure réponse soit apportée.

Les délais de prescription de droit commun sont de un an pour les contraventions, de trois ans pour les délits et de dix ans pour les crimes. Ils peuvent être plus courts - trois mois en matière de presse, six mois en matière électorale - ou plus longs - ils sont de vingt à trente ans en matière de crimes et délits de guerre, de terrorisme, de trafic de stupéfiants, d'eugénisme - tandis que les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles.

Dans le cas des violences sexuelles sur mineurs, le régime est également dérogatoire, et le délai ne court qu'à compter de la majorité de la victime. Depuis la fin des années 1980, six modifications législatives sont intervenues pour améliorer le dispositif et mieux tenir compte de la réalité ; depuis 2004, la prescription est de vingt ans à compter de la majorité de la victime, soit l'année de ses 38 ans.

Restent, cependant, de nombreuses victimes qui ne se rendent compte de la violence des faits qu'elles ont subis, voire qui ne prennent conscience d'avoir subi des violences, qu'une fois passé le délai de prescription. Lorsque, à 40 ans, elles veulent engager une démarche de reconstruction et porter plainte, elles s'aperçoivent qu'elles ne le peuvent plus, et s'estiment lésées. Or, si ce délai de vingt ans avait été retenu en 2004, c'était bien pour permettre à des personnes arrivées à l'âge adulte, et qui pouvaient avoir fondé une famille, de porter plainte. On sait que de tels crimes ont des effets dans la durée et provoquent de profonds traumatismes qui perdurent vingt ou trente ans après les faits. Je l'ai vérifié lors de mes auditions.

Je partage donc le constat des auteures de cette proposition de loi, qui estiment que le dispositif actuel n'est pas entièrement satisfaisant. Mais j'estime que celui qu'elles proposent soulève nombre de difficultés juridiques. La proposition de loi prévoit ainsi que le délai de prescription ne court « qu'à partir du jour où l'infraction apparaît à la victime dans des conditions lui permettant d'exercer l'action publique ».

M. Jean-Jacques Hyest . - Ce n'est pas la victime qui exerce l'action publique !

M. Philippe Kaltenbach , rapporteur . - En effet. J'ajoute que cette formulation porte le flou sur le point de départ du délai de prescription.

Il me paraît en effet délicat d'assimiler les violences sexuelles au régime des infractions occultes ou dissimulées, qui vise des infractions financières tel que l'abus de confiance ou l'abus de biens sociaux, et dans lequel le délai ne court, comme cela est logique, qu'à partir du moment où l'escroc, qui a dissimulé, est découvert. La Cour de cassation a du reste toujours refusé, pour l'instant, d'étendre ce régime à d'autres branches du droit. Dans un arrêt du 16 octobre 2013, elle a ainsi refusé de reporter le point de départ du délai de prescription à des faits d'infanticides multiples commis pourtant à l'insu de l'entourage de l'auteur des faits.

J'ajoute qu'au regard du principe de légalité des délits et des peines, cette proposition de loi encourt un risque d'inconstitutionnalité car elle ferait reposer le point de départ sur des éléments très subjectifs, liés au psychisme de la victime. L'incertitude qu'elle introduit quant au point de départ du délai de prescription pourrait être valablement contestée devant le Conseil constitutionnel. Même risque au regard du principe d'égalité des justiciables devant la loi, qui suppose que les auteurs d'une même infraction soient traités dans des conditions similaires, alors que les délais de prescription seraient ici à géométrie variable, selon l'évolution de la victime, et pourraient aller jusqu'à une imprescriptibilité de fait, la remémoration des violences pouvant être très tardive.

J'observe au passage qu'en supprimant, du même coup, la règle des vingt ans à compter de la majorité de la victime, on lâche la proie pour l'ombre. Il faudrait dans tous les cas que soit évaluée, sous le contrôle du juge, la réalité de l'amnésie traumatique, quel que soit l'âge de la victime. Tous les juristes que nous avons entendus s'y accordent : c'est rendre difficile et le travail des magistrats et la position des plaignants que d'introduire ainsi des éléments aussi subjectifs dans la loi.

Pour toutes ces raisons, et bien que je partage le constat des auteurs de cette proposition de loi, je ne puis adhérer au dispositif proposé.

J'avais initialement rédigé des amendements à ce texte, mais Mme Dini a souhaité que soit débattue en séance la proposition d'origine. C'est une coutume parlementaire dont je ne conteste pas la pertinence, même si notre président m'a fait valoir qu'il était arrivé que la commission des lois présente de tels textes amendés. Mme Dini travaille de longue date sur le sujet, elle a déjà déposé des amendements sur l'imprescriptibilité pour les agressions et atteintes sexuelles aggravées et je me rangerai à son souhait de débattre, en séance publique, de son texte. Je vous indique toutefois ici que mon idée était d'amender la proposition de loi en ajoutant dix années à la prescription actuelle des violences sexuelles sur mineurs car les experts s'accordent à constater que ces traumatismes se révèlent souvent après 40 ans. Cela irait dans le sens du voeu des auteurs de ce texte, tout en évitant le flou qu'il introduit dans la prescription. La tendance, en Europe, va vers un allongement des délais de prescription touchant à ces faits. Si dans les pays de common law , il n'y a pas de prescription, en Europe continentale, les délais vont de dix à trente ans. Nous pourrions aller à trente ans, comme en Allemagne. Cela permettrait à des personnes entrées dans l'âge adulte de se reconstruire. Même s'il est difficile de réunir des preuves trente ans après les faits, ces drames, on l'a vu avec l'affaire de l'École en bateau, peuvent trouver une solution juridique, parce que bien souvent les faits se répètent dans le temps et qu'en soulevant des faits de violence anciens, on fait émerger des violences plus récentes, grâce à quoi les prédateurs sexuels qui en sont à l'origine sont condamnés, et grâce à quoi, surtout, on arrive à les faire entrer dans un protocole de soins, car ce sont bien souvent de grand malades.

Il faudrait que la commission, d'ici la séance de la semaine prochaine, trouve une solution médiane qui prenne mieux en compte les violences sexuelles subies par des enfants, mais sans aller jusqu'à l'extension voulue par les auteurs de cette proposition de loi. En l'état, je vous propose un avis défavorable sur ce texte.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je comprends la démarche de notre rapporteur, mais elle n'est guère satisfaisante car la Constitution donne aux commissions le pouvoir d'amender les textes, sans restrictions, et qui vaut autant pour les propositions que pour les projets de loi.

J'ai rappelé ce principe dans la contribution que j'ai adressée à M. Jean-Pierre Bel dans le cadre de la réflexion qu'il a engagée sur l'organisation de nos travaux. Je lui ai également indiqué mon souhait de nous orienter vers une nouvelle répartition de l'ordre du jour du Parlement permettant de faire une plus grande place aux initiatives législatives d'origine parlementaire, quitte à diminuer le temps que nous passons en semaines de contrôle, dans des débats parfois bien... platoniques.

M. Jean-Pierre Michel . - Effectivement, il est désagréable, pour ne pas dire davantage, de voir les auteurs d'une proposition de loi signifier à leurs collègues qu'ils ne doivent pas y toucher en commission : à ce compte, mieux vaut que la commission ne s'en saisisse pas du tout !

Ensuite, on m'a fait comprendre, ici et là, que ce texte serait « féministe » et que s'y opposer serait une insulte faite aux femmes ; or, il n'y a pas que des jeunes filles qui sont victimes de violences sexuelles...

Les délais de prescription sont une affaire très sensible, qu'il faut articuler avec l'échelle des peines, Jean-Jacques Hyest nous l'a suffisamment répété pour que nous nous en souvenions. En l'espèce, on peut aujourd'hui se plaindre jusqu'à l'âge de 38 ans pour des faits intervenus lorsqu'on était mineur, cela paraît déjà bien. L'amendement déposé par Muguette Dini, en faisant courir le délai de prescription à partir du dépôt de plainte est, quant à lui, tout aussi inacceptable. Autant rendre ces faits imprescriptibles.

Autre chose, je ne voudrais pas qu'on ajoute systématiquement au traumatisme des victimes de viols, celui de la famille du présumé coupable. Lorsque quarante années ont passé, bien des choses ont changé : l'agresseur a pris de l'âge, il a peut-être fondé une famille, il n'a peut-être jamais agressé d'autres personnes ; mais le procès, aussi éloigné des faits, va bouleverser un ordre social qui s'est rétabli...

Il faut faire attention, enfin, à ne pas faire trop facilement naître pour les victimes l'espérance que quarante ans après les faits, un procès sera une chose aisée, que les preuves seront établies, qu'une décision juste sera rendue.

Pour toutes ces raisons, je voterai contre ce texte, même si je ne m'interdis pas de faire évoluer mon vote en séance publique, au vu des propositions que pourrait faire notre rapporteur.

M. Nicolas Alfonsi . - On voit se développer des délais de prescription « à la carte », au point qu'il y pourrait y avoir bientôt autant de délais que de types de crimes et délits... Or, la procédure pénale est un principe fondamental du droit, il faut être prudent.

L'analogie avec le délit d'abus de biens sociaux, ensuite, ne me paraît pas pertinente : dans l'abus de biens sociaux, le fautif connait les faits dès le départ, il organise l'abus, alors qu'ici, c'est un élément psychologique qui met à la disposition de la victime le choix du point de départ du délai de prescription. Je crois que ce serait là introduire un risque de désordre juridique important.

Mme Esther Benbassa . - Cette proposition de loi répond à un fait divers, celui où la victime d'un viol, sortie d'une amnésie de 32 années après une thérapie, a déposé plainte en 2011 pour des faits intervenus en 1977, donc pour des faits prescrits, ce que la Cour de cassation a confirmé. Les violences sexuelles sont un sujet particulièrement sensible, même si toutes les violences sont condamnables, mais nous sommes toujours gênés, au groupe écologiste, de voir des textes être proposés sous la pression de faits divers.

Ensuite, la gravité des agressions sexuelles ne justifie pas un droit d'exception et ce n'est pas un service à rendre aux victimes elles-mêmes que de leur faire espérer, plus de trente ans après les faits, une instruction conduite de façon normale, avec des preuves suffisamment établies et une décision de justice satisfaisante. Pourquoi un régime particulier pour les violences sexuelles et pas, par exemple, pour les meurtres, ou encore pour les infanticides ? L'établissement des règles de droit, surtout en matière pénale, demande une vue d'ensemble.

Pourquoi penser que la victime trouverait toujours réparation tant d'années après les faits ? Toute agression à caractère sexuel, un attouchement par exemple, continuerait d'être passible d'une poursuite parce que plusieurs dizaines d'années plus tard, une victime aurait eu un « flash » en reconnaissant son agresseur ? N'oublions pas aussi l'affaire d'Outreau, les dégâts que peuvent causer les errements de l'appareil judiciaire...

Sans méconnaître la bonne volonté des auteurs de cette proposition de loi, nous y voyons aussi la marque de lobbies défendant des thèses sécuritaires, contre lesquels nous combattons : le groupe écologiste s'abstiendra.

M. François Zocchetto . - Le propos du rapporteur nous confirme les difficultés d'améliorer la répression des crimes sexuels, ce que nous avons constaté les nombreuses fois où nous avons rouvert ce dossier. Le groupe UDI-UC s'est résolu à demander l'inscription de ce texte à l'ordre du jour, après un débat interne nourri, en étant bien conscient de ces difficultés. Plutôt que changer le délai de prescription pour un type d'infractions, mieux vaudrait effectivement reconsidérer l'ensemble des délais, pour tenir compte de l'allongement de la durée de la vie, tout comme de l'évolution des techniques d'investigation : le contexte a bien changé depuis l'époque où les délais actuels ont été fixés. Le nombre d'infractions sexuelles est considérable, nous savons tous les traumatismes qu'elles entrainent et le moins qu'on puisse dire, c'est que la justice ne répond pas bien aux attentes de la société en matière de répression de ces crimes et délits.

J'ai bien conscience que ce texte n'est effectivement pas recevable en l'état, et nous remercions le rapporteur pour sa courtoisie procédurale, qui permettra de débattre en séance de la proposition de loi telle qu'elle a été déposée. Je suis également favorable à la proposition de notre président, qui donnerait effectivement plus de temps pour l'examen des propositions de loi. Enfin, je suggère que nous rouvrions, à la commission, la réflexion sur les délais de prescription en matière pénale dans son ensemble.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - MM. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung ont, en 2007, consacré un rapport à ce sujet : nous pourrions lui donner une suite, avec une proposition de loi pour le volet pénal.

Mme Éliane Assassi . - Cette proposition de loi vise un vrai sujet et nous devons reconnaître la constance de Muguette Dini, qui avait déjà proposé un texte en 2012. Notre groupe, cependant, est partagé, entre ceux qui soulignent les difficultés probatoires, les risques de non-lieu, celui de voir des procédures très douloureuses ne jamais aboutir, et ceux qui n'en veulent pas moins allonger les délais de prescription, pour tenir compte des spécificités des infractions sexuelles. Il faut y travailler davantage.

M. Yves Détraigne . - Muguette Dini nous avait fait une proposition sur le sujet il y a deux ans, en proposant d'allonger le délai de prescription des agressions sexuelles, et nous avions alors décidé, à l'unanimité, qu'il valait mieux revoir l'ensemble des délais : pourquoi changer notre position ? Nous pourrions, effectivement, prendre pour base le rapport de 2007 de nos collègues Hyest, Portelli et Yung, pour une révision d'ensemble, bien plus cohérente.

M. Jean-René Lecerf . - On ne peut pas être insensible aux intentions des auteurs de ce texte, mais s'il était adopté, qu'adviendrait-il des condamnés les plus âgés, pour lesquels la prison n'est certainement pas adaptée ? Devra-t-on prévoir des maisons de retraite dans les prisons ?

Il ne faut pas oublier, non plus, l'urgence qu'il y a à lutter contre la récidive. À l'exception, peut-être, de la prison de Casabianda, qui accueille une majorité de délinquants sexuels, en particulier pour des violences sexuelles intrafamiliales, l'administration pénitentiaire ne fait pas assez de prévention de la récidive, par exemple des groupes de paroles ou des actions pour rétablir l'empathie, ce qui est très regrettable.

M. André Reichardt . - Si le délai de prescription court à compter du dépôt de la plainte, à quoi peut-il encore bien servir ? Une telle mesure ne bat-elle pas en brèche le principe d'égalité devant la loi, en faisant dépendre de la mémoire de la victime, les poursuites judiciaires elles-mêmes ?

Si je reste abasourdi, ensuite, devant le nombre d'infractions sexuelles, je ne vois pas bien en quoi l'allongement du délai de prescription les ferait diminuer. Il me semble plutôt que l'objet du texte, ici, est bien de répondre à un cas particulier, ce qui ne justifie pas à légiférer.

Enfin, je ne connaissais pas ce phénomène d'amnésie traumatique, mais si la mémoire a pu ainsi être bloquée pendant des décennies, comment accorder foi à ce dont la personne se souvient ensuite ? Quel rapport ces souvenirs lointains entretiennent-ils avec la réalité ? N'y a-t-il pas un risque d'erreurs considérables, même de bonne foi ?

Plutôt que de vouloir « rafistoler » ce texte au nom de ses bonnes intentions, je préfèrerais que nous réexaminions l'ensemble des délais de prescription en matière pénale.

M. Christophe Béchu . - Je crois que la comparaison avec l'abus de biens sociaux est malvenue et qu'elle affaiblit la démonstration : il y a bien un caractère clandestin, mais quel délit n'a pas ce caractère, quel auteur tiendrait-il à faire de la publicité sur le délit qu'il commet ?

Cependant, je ne veux pas laisser dire que ce texte serait une mauvaise chose pour les victimes : il leur donnerait la faculté de se plaindre, pas une obligation, ce n'est pas à nous de dire ce qu'il en adviendra. Même chose pour l'idée qu'il faudrait protéger l'ordre rétabli après des décennies d'impunité : n'est-ce pas plutôt un droit pour une victime qui resterait traumatisée que de vouloir rétablir un certain ordre, reconstruire sa vie, après avoir engagé une procédure si elle l'estime nécessaire ? Enfin, l'argument de l'âge des condamnés n'est certainement pas recevable : avec le vieillissement de la population, c'est probablement l'ensemble des prisonniers qui seront plus âgés en prison, ce n'est pas une raison pour les en exempter ; c'est au programme immobilier pénitentiaire de s'adapter, plutôt qu'à la loi pénale.

En revanche, je crois que le dépôt de plainte pour violences sexuelles constitue un véritable sujet : elles sont les seules violences où la victime peut être perçue et peut se percevoir comme responsable, au moins partiellement, de l'agression subie, où la victime peut être considérée comme coupable. Chacun sait qu'un certain climat se répand, fait d'insultes et de comportements agressifs envers les femmes au motif qu'elles s'habilleraient de manière provocatrice, et que ce climat entretient une réticence, voire des refus de déposer plainte. Cette singularité des violences sexuelles pourrait, elle, justifier un dispositif adapté.

Je me rallie à la proposition d'examiner l'ensemble des délais de prescription en matière pénale, il faut de la cohérence. Et contre les violences sexuelles, je préfèrerais une imprescriptibilité plutôt qu'un allongement du délai de prescription : le message politique serait plus fort.

M. Philippe Kaltenbach , rapporteur . - C'est effectivement par courtoisie et pour faire vivre le débat avec ses auteurs que je vous propose de laisser ce texte sans modification aller en séance, malgré ses défauts bien apparents.

Les victimes de violences sexuelles ne sont pas toutes des filles, les garçons en subissent également, je vous remercie de le rappeler, Monsieur Michel : si les victimes majeures sont très souvent des femmes, les garçons représentent une proportion non négligeable des victimes mineures d'agressions mais aussi de comportements pervers ...

Avec le temps qui passe, l'établissement des preuves devient effectivement plus difficile, en particulier pour les violences sexuelles. Cependant, les agresseurs peuvent être de véritables prédateurs sexuels, qui commettent des viols en série sur plusieurs générations, y compris au sein de leur propre famille : c'est une spécificité des violences sexuelles et il faut disposer des outils pour arrêter de tels comportements.

S'oriente-t-on vers des délais de prescription « à la carte » ? Je ne le souhaite pas et je crois, moi aussi, qu'il faut un cadre clair et global. Dans leur rapport de 2007, nos collègues Hyest, Portelli et Yung proposaient une réforme globale des délais, à 5 ans pour les délits et 15 ans pour les crimes.

On sait, effectivement, que le dépôt de plainte contre un viol intrafamilial peut prendre des années, que les victimes peuvent attendre jusqu'à la quarantaine, une fois qu'elles sont elles-mêmes devenues parents, pour se résoudre à porter plainte. Il est clair, également, que le dépôt d'une plainte ne conduit pas toujours à une condamnation, que le procès est généralement une épreuve pour tous, mais pourquoi en refuser la faculté aux victimes du seul fait qu'elles auraient laissé passer trop de temps pour se plaindre ? Pourquoi ne pas tenir compte des spécificités des violences sexuelles en la matière ? Lorsque l'agresseur s'est livré à une série de viols, le dépôt d'une plainte libère la parole, entraînant d'autres dépôts de plaintes, ce qui permet de reconstituer des faits, des parcours d'agresseurs qui sont peu inquiétés par des plaignants dispersés ; cependant, le délai de prescription empêche des plaintes pour des faits plus anciens et il oblige à une différence de traitement qui paraît choquante, on l'a vu dans l'affaire de l'École en bateau, par exemple.

Le rapport de 2007 n'a pas prospéré et, de par mes contacts à la Chancellerie, je sais qu'une réforme n'est pas à l'ordre du jour : je crains qu'on ne doive attendre bien longtemps avant de voir un projet de loi en la matière ; dès lors, pourquoi ne pas avancer sur ce sujet des violences sexuelles ? Des délais particuliers ont déjà été établis contre les propos racistes ou encore contre les actes terroristes, je crois souhaitable que nous le fassions également en matière de violences sexuelles. Cette proposition, du reste, est suffisamment ancienne - on en parlait dès la fin des années 1980 - pour que nous ne soyons pas taxés de laisser un fait divers dicter l'agenda parlementaire... Cette proposition de loi a le soutien d'associations humanistes, qui oeuvrent auprès des victimes.

Quelle place les personnes âgées peuvent-elles avoir en prison ? C'est un sujet en soi, il faut humaniser les conditions d'incarcération, mais ce n'est pas l'objet de ce texte et il ne doit pas en commander le contenu.

L'amnésie traumatique est un phénomène décrit par les médecins, elle touche particulièrement les victimes de viols pendant l'enfance qui, pour s'en protéger, oublient les violences qu'ils ont subies ; l'amnésie dure jusqu'à une certaine maturité, souvent dans la quarantaine, où ces victimes se souviennent tout à coup de ce qu'elles ont subi, parviennent à formuler ce qui s'est passé. Les preuves sont plus difficiles à apporter avec l'éloignement du temps, mais le dépôt de plainte peut servir à la victime aussi bien qu'à d'autres victimes plus récentes, on l'a vu, ici aussi, dans l'affaire de l'École en bateau.

Enfin, si cette proposition de loi n'épuise certainement pas le problème du traitement judiciaire des violences sexuelles, elle a le mérite de nourrir le débat sur ce sujet important, je crois que c'est aussi l'intention de ses auteurs.

C'est pourquoi, tout en vous proposant de rejeter ce texte dans sa rédaction actuelle, je crois que nous devons avancer sur ce sujet et tenter de trouver une solution, dont nous pourrons débattre en séance publique.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Passons à l'examen des amendements.

Article 3

M. Philippe Kaltenbach , rapporteur . - Par l'amendement n° 1, Mme Dini propose de faire courir le délai de prescription à partir du dépôt de plainte, ce qui revient à une imprescriptibilité de fait. Avis défavorable.

L'amendement n° 1 n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Michel . - Le groupe socialiste votera contre ce texte en l'état. Monsieur le Président, je suggère que notre commission organise un colloque avec pour sujet l'influence de la psychanalyse sur les règles de droit pénal.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - C'est un sujet certainement digne du plus grand intérêt, mais qui peut attendre la tenue des élections sénatoriales, vous en conviendrez...

La commission rejette l'ensemble du texte.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 3

Mme DINI

1

Départ du délai de prescription
au jour où la victime porte plainte.

Rejeté

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