EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 5 novembre 2014, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport M. François Marc, rapporteur spécial, sur la participation de la France au budget de l'Union européenne (article 30).

M. François Marc , rapporteur spécial . - La contribution française au budget communautaire prend la forme d'un prélèvement sur les recettes de l'État, voté chaque année en loi de finances. Mon propos mettra l'accent sur quelques faits marquants que j'ai souhaité porter à votre connaissance.

Quelques mots tout d'abord sur le niveau de ce prélèvement en 2014, avant de vous parler de son évaluation par le projet de loi de finances pour 2015. Il a récemment été indiqué qu'une économie d'un milliard d'euros pourrait être constatée pour la contribution française, en raison du fait que la part du revenu national brut (RNB) de la France dans le RNB total de l'Union européenne s'est réduite. Le Royaume-Uni a, quant à lui, fait savoir qu'il refuserait de payer les probables 2 milliards d'euros supplémentaires qu'il devra au budget communautaire en raison des corrections opérées suite à ses bonnes performances économiques.

Mais en réalité, l'exécution 2014 de notre prélèvement dépendra surtout des huit projets de budgets rectificatifs présentés en 2014, qui pourraient conduire à augmenter les crédits ouverts sur l'exercice et donc appelés sur les contributions nationales. Compte tenu de ce contexte, la prévision d'exécution pour 2014 est particulièrement difficile à formuler et il pourrait s'agir, in fine , d'une exécution proche de la prévision en loi de finances initiale pour 2014, soit 20,22 milliards d'euros.

Cette situation serait assez atypique car des écarts considérables sont d'ordinaire constatés entre la prévision et l'exécution du prélèvement. En 2013, en particulier, la sous-estimation du prélèvement révélait un écart d'environ 2 milliards d'euros en exécution, portant notre contribution pour 2013 à plus de 22,4 milliards d'euros. Quelle que soit l'issue de l'exécution pour 2014, je plaide pour que l'estimation du prélèvement soumise au vote du Parlement soit la plus précise et la plus fiable possible. Mais sans doute est-ce là un voeu pieux compte tenu des méthodes mises en oeuvre pour calculer ces contributions...

L'article 30 du projet de loi de finances pour 2015 évalue notre contribution à 21,04 milliards d'euros. Ce montant est d'ores et déjà incertain puisque le Gouvernement a expliqué que notre futur prélèvement pourrait se trouver réduit au regard des différentiels de croissance en Europe.

Dans le contexte économique difficile que nous traversons, l'Union européenne doit apporter des leviers indispensables au relèvement de notre croissance potentielle. J'attends dès lors du budget communautaire qu'il s'oriente dans cette direction et qu'il mette l'accent sur les dépenses de compétitivité. Dans son discours du 15 juillet 2014 devant le Parlement européen, Jean Claude Juncker, président de la Commission européenne, a annoncé son intention de demander un plan d'investissements de 300 milliards d'euros sur les trois prochaines années. Un tel plan paraît utile, mais des incertitudes pèsent sur les modalités de financement de ce plan, ainsi que sur son contenu effectif.

D'une part, un recours à des financements indirects, par l'intermédiaire de garanties et de crédits de la Banque européenne d'investissement (BEI), pourrait être l'un des fondements de ce dispositif. L'impact sur les finances publiques européennes et nationales reste pour l'instant très incertain. D'autre part, il n'est pas sûr que ce plan d'investissements soit prioritairement orienté en faveur des entreprises innovantes. Il peut être imaginé que le plan fasse l'objet d'une utilisation pour financer le « mécanisme pour l'interconnexion en Europe » (MIE), c'est-à-dire des projets d'aménagements d'infrastructures en matière de transport, d'énergie et de numérique. Une telle mission avait été assignée aux obligations pour projet (ou « project bonds »), ces fameux emprunts obligataires émis par des investisseurs privés avec la garantie de la BEI, par délégation de la Commission européenne. J'estime qu'au moment où les finances publiques doivent être assainies, ce qui est de nature à fragiliser le financement de projets d'investissement ambitieux, l'initiative du plan d'investissements de 300 milliards d'euros, même s'il se révèle être in fine la simple réactualisation des project bonds , peut contribuer, en mobilisant les financements privés, à répondre à l'objectif de soutien à la croissance en Europe.

Pour le reste, je me félicite que le cadre financier pluriannuel (CFP), également appelé « perspectives financières de l'Union européenne », ait prévu des instruments de flexibilité. J'en donnerai deux exemples. D'une part, le fonds européen d'ajustement à la mondialisation, plafonné à 162 millions d'euros par an, vise à faciliter la réintégration sur le marché du travail de personnes privées d'emploi. Ainsi, 918 000 euros doivent nous être accordés pour aider 760 travailleurs licenciés par l'entreprise GAD suite à la fermeture des sites de Lampaul-Guimiliau, Saint-Martin et Saint-Nazaire. D'autre part, la réserve de crise pour le secteur agricole, destinée à soutenir le secteur agricole en cas de crises affectant la production ou la distribution, avec un maximum de 400 millions d'euros par an, soutiendra en 2014 les secteurs agricoles européens frappés par l'embargo russe sur les produits alimentaires occidentaux. 324 millions d'euros devraient ainsi être destinés aux filières fruits et légumes et 20 millions d'euros pour la filière laitière.

J'en arrive maintenant à la question du stock de « restes à liquider » (RAL). Ces derniers correspondent aux engagements pris par l'Union européenne non encore couverts par des paiements. Ce stock de RAL est estimé à 233 milliards d'euros pour la fin 2015 et il est probable que les RAL continueront d'augmenter sans qu'aucune mesure ne soit prise pour contrer cette évolution. À ce sujet, il conviendrait d'interroger le Gouvernement en séance afin de connaître l'impact précis des RAL sur notre contribution nationale et de clarifier les mesures qui seront prises pour résoudre ce problème. Notez que ces RAL doivent être distingués des restes à payer (RAP), qui correspondent à des factures reportées d'une année sur l'autre. Leur montant a tendance à augmenter très nettement, ce qui pourrait être le signe que les États membres ne cherchent pas tant à être remboursés rapidement, qu'à éviter des dépenses. Tout ce qui est mis en paiement à partir du mois de novembre donne lieu à report sur l'exercice suivant, ce qui a un effet mécanique favorable pour chaque État qui se trouve dans cette situation. Pour la seule politique de cohésion, il s'agit en 2014 d'un niveau record de 23 milliards d'euros de restes à payer.

J'en viens maintenant à la négociation budgétaire communautaire pour le budget 2015, négociation qui est toujours en cours. Comme à l'accoutumée, l'avant-projet de budget a été présenté par la Commission européenne au printemps. La Commission a proposé une augmentation de 2,1 % des crédits d'engagement par rapport à 2014, soit un budget de 145,60 milliards d'euros. Les crédits de paiement affichent, quant à eux, une hausse de 4,9 % et s'élèvent à 142,14 milliards d'euros. Ce projet de la Commission a été revu à la baisse par le Conseil. Les coupes réalisées par le Conseil, 522 millions d'euros en crédits d'engagement et, surtout, 2,14 milliards d'euros en crédits de paiement, contredisent les priorités adoptées par l'Union européenne en matière de soutien à la croissance et à l'emploi dans la mesure où la rubrique consacrée aux dépenses de compétitivité est la plus durement affectée par ces coupes sombres. Enfin, le Parlement européen a voté en séance plénière, le 22 octobre 2014, un budget plus ambitieux qui porterait ces engagements à 146,35 milliards d'euros et le niveau des paiements à 146,42 milliards d'euros, soit une augmentation de 2,6 % des crédits d'engagement et de 8,1 % des crédits de paiement par rapport à 2014. Il va sans dire que la proposition d'augmentation des crédits formulée par nos collègues députés européens rendra difficiles les négociations entre les deux branches de l'autorité budgétaire, lors de la phase de conciliation prévue par le traité de Lisbonne qui devrait aboutir dans le courant du mois de novembre.

Avant d'en arriver à ma conclusion, je voudrais formuler quelques remarques sur l'évolution de notre solde net. La France devrait demeurer en 2015 le deuxième bénéficiaire et le deuxième contributeur au budget communautaire, étant précisé qu'il ne s'agit pas de montants identiques. Si l'on rapporte notre contribution aux dépenses, l'évolution de la situation ne peut manquer d'interroger, voire d'inquiéter. Notre solde net dépasse les 9 milliards d'euros par an depuis 2012. En disant cela, je n'ignore pas les limites inhérentes à la notion de solde net, qui ne retrace qu'imparfaitement les gains économiques, et en aucune façon les gains politiques que les États membres retirent de leur adhésion à l'Union européenne.

Pour conclure, je souhaite plaider en faveur d'une plus grande reconnaissance du rôle des Parlements nationaux. J'estime que nous devons notamment prendre toute notre place dans la Conférence interparlementaire sur la gouvernance économique et financière (GEF) de l'Union européenne, créée en 2013. Il est vrai qu'elle a de la peine à se mettre au travail de manière effective, comme l'a montré la réunion qui s'est tenue à Rome en septembre dernier, à laquelle a participé notre ancien collègue Claude Belot et dont notre présidente a rendu compte le 15 octobre dernier.

Voilà ce que l'on peut dire à ce stade sur la situation qui n'est pas encore tout à fait stabilisée puisque les concertations se poursuivent et la conciliation devrait aboutir fin novembre. Sous réserve de ces différentes observations, je recommande à la commission d'adopter sans modification l'article 30 du projet de loi de finances pour 2015, en vous suggérant de conserver la foi dans la construction européenne.

M. André Gattolin . - Évidemment les écologistes soutiendront ce budget. Nous avons même le sentiment que ces crédits sont un peu insuffisants au regard des objectifs assignés à l'Europe en matière de développement et de relance de l'économie. Je suis toujours étonné d'un point de vue comptable que, à travers l'article 30, on n'appréhende la dimension européenne que sous l'angle des 20 ou 21 milliards d'euros de dépenses. Il n'y a aucun retour dans nos comptes des apports, que ce soit au niveau des collectivités territoriales ou de l'État. Y compris dans les travaux du secrétariat général des affaires européennes, il n'y a pas de mise en bilan. On parle d'un solde net négatif de 9 milliards d'euros, mais il faudrait prendre en compte l'effet d'entraînement sur le budget et l'économie nationale. Les 11 ou 12 milliards d'euros qui reviennent à travers les fonds européens en France n'entrent pas dans la comptabilité de l'État. Même s'ils transitent de plus en plus souvent par les régions et l'aide territoriale, je trouve que cela procède d'une mauvaise pédagogie auprès de nos concitoyens pour montrer l'importance de l'Europe.

M. Yvon Collin . - Vous avez évoqué des crédits affectés par l'Europe à la filière fruits et légumes touchée particulièrement par la décision d'embargo russe. Vous avez cité un montant. Est-ce l'enveloppe globale européenne ou la part affectée à la filière française ?

M. Francis Delattre . - Notre rapporteur spécial paraît un peu sceptique quant aux 300 milliards d'euros que l'Europe envisage d'investir les trois prochaines années et à leur ciblage. On a entendu parler d'un chiffre assez réduit de l'ordre de 10 milliards d'euros pour la France. A-t-il des chiffres plus précis ? Par ailleurs, il nous a indiqué qu'il n'était pas vraiment envisagé d'investissements pour améliorer la compétitivité générale de la zone euro. A-t-il quelques exemples d'investissements ? En réalité, même en améliorant les infrastructures de déplacements urbains, on améliore la compétitivité générale du pays. Il n'y a pas que les nouvelles technologies, les infrastructures elles aussi sont utiles à la compétitivité d'une économie. Je pense qu'il faut encourager, sur des sujets comme celui-ci, la Banque centrale européenne à desserrer son étreinte pour relancer la croissance dans la zone euro.

Mme Fabienne Keller . - Beaucoup d'espoirs sont fondés aujourd'hui sur une possible reprise liée à ce plan d'investissements annoncé par le président de la Commission européenne. Pourriez-vous nous en préciser le montant, mais surtout dire quel en serait le mécanisme de financement ? Pour l'instant, il n'y a pas de financement autre que les contributions natioanles, ce qui créerait de la dette à hauteur de 300 milliards d'euros dans les États membres. Quels en seraient les effets par ricochet sur les économies européennes, et notamment sur l'économie française ?

M. Richard Yung . - Le rapporteur spécial peut-il nous en dire plus sur les discussions semble-t-il un peu tendues avec les Britanniques ? J'ai entendu dire que Madame Angela Merkel était très en colère et menaçait Monsieur David Cameron qui refuse de payer la part supplémentaire demandée à la Grande-Bretagne, malgré le mécanisme de la correction britannique ou « chèque britannique » qui existe depuis vingt ans. Par ailleurs, à quoi correspondent ces 233 milliards d'euros de restes à liquider ? Cette somme est quand même époustouflante !

M. François Marc , rapporteur spécial . - Il y a tout d'abord une interrogation sur le contenu des actions réalisées grâce aux fonds européens et André Gattolin regrettait le fait que les retours de la contribution européenne ne soient pas valorisés de manière forte. Cette question est totalement pertinente, mais je crains de ne pas pouvoir y répondre car avec cet article 30, nous sommes simplement confrontés à la décision sur le prélèvement et sur le financement que la France doit apporter à l'Union européenne. Ma note de présentation donne quelques indications sur les programmes et leurs évolutions. Mais il est vrai qu'il serait opportun, dans un but pédagogique pour mieux « vendre » à nos concitoyens l'intérêt à apporter cette somme considérable à l'Union européenne, de compléter l'information apportée.

Sur les montants d'enveloppes évoquées, il s'agit d'enveloppes plafond européennes. L'enveloppe de 400 millions d'euros sera partagée avec les Pays-Bas, le Danemark et plusieurs autres pays.

M. Yvon Collin . - C'est peu au regard des sinistres !

M. François Marc , rapporteur spécial . - Les sinistres sont conséquents. Le lait est concerné et aujourd'hui ce sont les producteurs de porc qui indiquent subir des dégâts plus considérables. Sur le plan d'investissements, je conviens que c'est une ambition généreuse et nécessaire que de vouloir lancer un plan d'investissements à l'échelle européenne. Certains d'entre nous l'appellent depuis longtemps de leurs voeux. Nous l'avions évoqué avec les project bonds il y a deux ans. Si l'on trouve une concrétisation, ce sera une bonne chose, mais il y a des incertitudes quant aux catégories d'investissements qui seraient privilégiées puisque les arbitrages au niveau européen n'ont pas encore été rendus. Je me suis interrogé sur le fait que la compétitivité, qui est notre préoccupation première aujourd'hui, ne soit pas forcément l'objectif prioritaire. Il y a beaucoup de décideurs publics en Europe qui pèsent pour que ce soit les infrastructures, notamment de transport, qui soient très largement privilégiées pour la mise en oeuvre de ces moyens. Je m'interrogeais sur le bien-fondé d'une telle orientation, même si je ne disconviens pas qu'il y a beaucoup à faire sur les infrastructures, sur le ferroviaire par exemple. La compétitivité et l'emploi étant la priorité numéro 1, mon souhait est que cet argent puisse aller vers des entreprises innovantes de secteurs de pointe où sans doute l'Europe a à rattraper quelques retards. La question sur le financement de ce plan est une bonne question. Peut-on craindre que cela charge à nouveau l'endettement ? C'est justement ce que l'on essaye d'éviter. L'ingéniosité des uns et des autres en Europe est mise à contribution pour permettre de trouver les formules qui, au travers de la BEI et de la garantie européenne, permettraient l'intervention d'acteurs privés ou de partenariats public-privé et ainsi de s'extraire de cette spirale de l'endettement systématique. Dans quelques mois, on peut imaginer qu'on aura trouvé la bonne solution et que ce plan pourra être activé, car il y a urgence. En tout cas, le souhaite partagé est d'éviter l'incidence sur l'endettement.

Où en sommes-nous des discussions avec les Britanniques ? Il y a aujourd'hui une interrogation générale en Europe sur les rabais nombreux qui ont été accordés et sur leur légitimation. Je pense par exemple aux fameux moins 25 % accordés à la Suède. Dans ce contexte, un groupe à haut niveau a été mis en place pour rechercher un compromis pour clarifier les contributions de chaque État et essayer de mettre à plat ce système de rabais qui continue à empoisonner l'atmosphère au sein de l'Union européenne. Cette instance a commencé à travailler et une proposition sur la reformulation du dispositif des contributions nationales est attendue au printemps 2015. Vous avez noté à quel point ce dispositif est assez boiteux. Il a évolué. À l'origine, les recettes de TVA en constituaient l'essentiel. Maintenant il est fondé à 74 % sur le revenu national brut (RNB). Tout le monde voudrait que l'Europe se dote d'une ressource propre conséquente qui soit prélevée sur l'ensemble de l'économie européenne. Mais aucun accord n'a encore été trouvé pour aller vers cette solution idéale qui nous permettrait de nous extraire de ces débats récurrents sur les contributions, qui créent un climat défavorable.

Quant aux 233 milliards de RAL, ils proviennent de l'accumulation dans le temps de tout ce qui a été promis et n'a pas été payé. Certains programmes européens financés par des fonds européens sont étalés sur de très nombreuses années. De plus, ils financent parfois des projets d'infrastructures qui nécessitent en amont de lever certains obstacles, ce qui ajoute des causes de retard. La situation est rendue encore plus compliquée par l'existence des huit projets de budgets rectificatifs en 2014, qui nécessitent d'affiner au fur et à mesure la contribution de chacun.

M. Daniel Raoul . - A-t-on une idée du niveau de RAL concernant la France ? A-t-on un tel retard sur les réalisations des projets qui ont été engagés ?

M. François Marc , rapporteur spécial . - Je n'ai pas le chiffre. J'essayerai de vous le communiquer ultérieurement.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter sans modification l'article 30.

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