EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 28 octobre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'examen du rapport de MM. Gérard Longuet et Thierry Foucaud, rapporteurs spéciaux sur la mission « Enseignement scolaire ».

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Le budget de la mission « Enseignement scolaire » est spectaculaire : 67 milliards d'euros en intégrant le versement au compte d'affectation spéciale « Pensions », 48 milliards d'euros hors contribution au CAS. Il pose la double question de sa soutenabilité par rapport à la loi de programmation des finances publiques et de la pertinence de la répartition des grandes masses entre l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire, dont le déséquilibre explique peut-être une partie des difficultés de notre pays en matière de formation.

S'agissant de la soutenabilité, la mission « Enseignement scolaire » dépasse régulièrement le plafond triennal fixé par les lois de programmation des finances publiques. En 2016, cet écart s'élèvera modestement à 132 millions d'euros. En 2014, alors que les crédits de la mission avaient été votés avec un dépassement de 210 millions d'euros, celui-ci s'est finalement élevé à 450 millions d'euros. Cet écart résulte notamment d'un glissement vieillissement-technicité (GVT) mal évalué, de nombreux enseignants ayant reporté leur départ à la retraite. Fin 2016, nous constaterons vraisemblablement un dépassement s'agissant des dépenses de personnel.

L'année 2016 sera une année que je qualifierais de « conservatrice ». Le schéma d'affectation des grandes masses n'évolue guère, comme si tout fonctionnait de manière satisfaisante. Les crédits du programme 140 « Enseignement scolaire public du premier degré » progressent de 400 millions d'euros, ce qui représente une augmentation d'environ 2 %. Cette évolution est positive s'agissant de notre point faible. Les crédits du programme 141 « Enseignement public du second degré » sont stables, hormis l'impact de l'acquisition de manuels conformes aux nouveaux programmes scolaires à la charge de l'État : 150 millions d'euros pour une première tranche en 2016, autant en 2017. Le programme 143 « Enseignement technique agricole » enregistre une progression de 0,70 % inférieure à celle constatée sur l'ensemble de la mission. Les dotations à l'enseignement privé évoluent de façon similaire à celles de l'enseignement public, même si les effectifs croissent plus rapidement que dans le public. La stabilité des crédits du programme 214, « Soutien de la politique de l'Éducation nationale », masque une évolution peu maîtrisée et préoccupante des dépenses consacrées aux grands chantiers informatiques.

La dépense en faveur de l'enseignement en France se situe dans la moyenne des pays de l'OCDE : elle est passée en trente ans de 5,7 % à 6 % du PIB, soit plus qu'en Allemagne et qu'en Italie, mais moins qu'aux États-Unis, en Finlande ou en Corée du Sud. En euros constants, du fait de l'augmentation du PIB, les dépenses totales sont passées de 66 milliards d'euros en 1980 à 129 milliards d'euros en 2014.

Plus préoccupants, les médiocres résultats aux enquêtes internationales s'expliquent en partie par les priorités inégales du ministère. La dépense française moyenne par élève du primaire atteint 83 % de la moyenne des pays de l'OCDE, contre 119 % pour un élève du secondaire : dans l'enseignement secondaire, il y a plus de programmes, plus de diversité, plus d'années d'enseignement et l'encadrement par élève est supérieur à la moyenne de l'OCDE : un enseignant pour 12,5 élèves en France contre un pour 13,5. Au contraire, ce taux est d'un pour 18,9 élèves dans l'enseignement primaire français, contre un pour 15,3 dans l'OCDE. Nous sommes donc confrontés à un problème d'affectation des moyens entre un primaire stratégique et un secondaire dispersé.

S'agissant des 55 000 créations de postes prévues dans l'éducation, les prévisions seront atteintes si le budget 2016 est voté et si le budget 2017 épouse la même ligne. Hormis le millier d'enseignants destinés à l'enseignement agricole, plus de la moitié des emplois - 26 000 - concernent des stagiaires. Il s'agit donc d'un exercice comptable. On se réjouit d'avoir 14 000 enseignants supplémentaires dans le primaire et 7 000 dans le secondaire ; ne faudrait-il pas transférer la totalité vers le primaire ? La création de 6 000 postes d'accompagnants est également prévue, qui ne seront pas nécessairement devant les élèves, sinon en doublon avec les enseignants.

Un tel effort quantitatif interdira l'évolution qualitative, qui serait nécessaire dans le secondaire notamment, où nous avons besoin de moins d'enseignants, mais de qualité et recrutés à un bon niveau. Un fort déséquilibre se fait jour entre le nombre de postes offerts aux concours, le nombre de candidats inscrits, le nombre de présents et le nombre d'admis, particulièrement en langues vivantes - notamment en anglais - en mathématiques, en lettres classiques, même si, semble-t-il, l'année 2015 est plus favorable. Quels enseignants voulons-nous, avec quelle carrière ? Le niveau des élèves à la sortie du secondaire ne peut que nous interpeller : nous savons les résultats des enquêtes Pisa et l'échec en première année de faculté montre que les mentions sont désormais le réel critère de valeur du baccalauréat.

Davantage de dépenses seront consacrées au numérique, dans le cadre du programme d'investissements d'avenir. Ne sont retracées dans ce budget que les seules dépenses consacrées à la formation des enseignants. L'articulation des projets ministériels avec les actions des collectivités territoriales reste à déterminer. Il en va de même pour la prise en charge des activités périscolaires qui restent à la charge des collectivités territoriales. Je regrette également le report des décisions sur les bourses de lycée qui laisse les familles dans l'incertitude.

Par ailleurs, ce ministère n'arrive pas à sortir de son projet de système d'information Sirhen (système d'information des ressources humaines de l'éducation nationale), dont le coût dépassera de 241 millions d'euros le budget initialement prévu.

Enfin, les opérateurs sont, dans une large mesure, exonérés des efforts demandés au ministère.

Ce budget est donc un budget de statu quo qui ne s'attaque en rien aux problèmes de l'enseignement scolaire. Si des chefs d'établissement s'engagent, des élus locaux sont partenaires, des familles s'impliquent, des mesures devraient également être prises telles que l'allègement du secondaire, le renforcement du primaire ou encore l'accompagnement de la diversité avec l'enseignement agricole, l'enseignement privé, l'apprentissage et l'autonomie des établissements.

Je proposerai donc l'adoption de ce budget sous réserve du vote de deux amendements que je présenterai.

M. Thierry Foucaud , rapporteur spécial . - Je partage l'analyse objective des chiffres réalisée par Gérard Longuet, et non son analyse du fond.

Avec plus de 67 milliards d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement, la mission « Enseignement scolaire » reste le premier budget de la France. Derrière des chiffres témoignant de l'effort de la Nation en faveur de la formation de la jeunesse, il convient de s'interroger sur la politique mise en oeuvre, sur sa pertinence et sur son adéquation aux besoins. Les crédits sont en augmentation de 0,6 % par rapport à 2015. Il reste des problèmes de mise en oeuvre du budget et de mise en place des effectifs. Je ne reviendrai pas sur les besoins de l'enseignement primaire. Dans le secondaire, les 7 000 créations de postes seront insuffisantes car il reste des classes surchargées à 30 élèves.

Le budget 2016 s'inscrit dans la continuité des derniers exercices qui revenaient sur les 80 000 suppressions de postes décidées par le précédent Gouvernement. Ces coupes drastiques avaient été incomprises par le corps enseignant, victime d'une « souffrance ordinaire » selon les mots de Brigitte Gonthier-Maurin dans son rapport de 2012 sur le métier d'enseignant. La politique de recrutements est nécessaire et répond à un véritable besoin. La critique récurrente des soi-disant surnombres dans l'éducation nationale est dépassée, les coupes franches dans les effectifs sous le précédent quinquennat y ayant plus que répondu. Faut-il, dès lors, supprimer des postes de remplaçants, au risque de se retrouver avec des classes sans enseignant ? Faut-il supprimer des postes de directeurs d'école ou d'accompagnants d'élèves handicapés ? Je ne le crois pas. Ceux qui appellent à diminuer les effectifs sont les premiers à critiquer la fermeture de classes dans leur commune, dans leur département ou dans leur région. Un raisonnement comptable vaudrait-il à Paris mais pas en province ? Comment expliquer l'existence de surnombres qu'aucun d'entre nous ne constaterait localement ?

Les créations de postes prévues dans le présent projet de loi de finances répondront aux besoins des élèves et des enseignants et contribueront à la réduction des inégalités sociales et à la résorption de la fracture territoriale. C'est pourquoi je me félicite que l'objectif de 55 000 créations de postes sur le quinquennat puisse être atteint, même si, comme le notent certains syndicats d'enseignants, on ne perçoit pas toujours sur le terrain l'effet de ces annonces.

L'effort budgétaire est significatif mais cessons de considérer la mission « Enseignement scolaire » comme une dépense : c'est plutôt un investissement de la Nation dans sa jeunesse.

Je ne crois pas que nous ayons trop d'enseignants. Notre situation budgétaire nous oblige à prendre en compte la quantité, mais ne perdons pas de vue la qualité, revendication portée par les enseignants eux-mêmes. Pour autant, l'augmentation des effectifs ne saurait répondre à tous les défis du système scolaire français. Le problème vient de la mise en oeuvre de cette politique de rétablissement des moyens humains depuis 2012. La réforme du recrutement des enseignants de 2010, qui avait fait disparaître l'année de stage en alternance, a été difficile pour de nombreux jeunes enseignants. La création des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (Espé) a permis la reconstitution d'une formation initiale demandée par les jeunes enseignants.

Pour autant, certains points demeurent en suspens. Les emplois d'avenir professeurs, qui seront progressivement remplacés par les contrats d'apprentis professeurs, permettent à des jeunes intéressés par les métiers de l'enseignement d'acquérir une première expérience même si, bien souvent, les travaux réalisés par ces jeunes le sont au détriment de leur formation. Il serait préférable d'instaurer une forme de pré-recrutement plutôt que d'avoir recours à ces étudiants qui ne doivent pas constituer un palliatif aux recrutements d'enseignants titulaires.

Des efforts de rémunération ont été consentis avec l'indemnité de suivi et d'accompagnement des élèves (ISAE) dans le premier degré ou la revalorisation des indemnités perçues par les enseignants des établissements relevant de l'éducation prioritaire. Cependant, comment se satisfaire d'une situation où le pouvoir d'achat des enseignants a diminué de 1 % en 2013 ? Nous avons besoin d'enseignants plus nombreux et mieux formés, mais il ne faut pas faire l'impasse sur l'amélioration de leurs conditions matérielles.

Je partage les propos de Gérard Longuet sur l'accompagnement de la réforme des rythmes scolaires. La diminution des crédits destinés au fonds de soutien au développement des activités périscolaires est regrettable dans un contexte de baisse des dotations aux collectivités et de surcoûts dus aux réformes du collège et des programmes.

L'an dernier, j'avais attiré votre attention sur le manque de formations ou d'entreprises volontaires pour que les jeunes, notamment dans l'enseignement technique agricole, puissent réaliser leur alternance, alors que certains métiers connaissent une pénurie de main-d'oeuvre. À l'inverse d'une surabondance d'options, nous constatons une inadéquation de l'offre de formation.

Ce budget n'est donc pas parfait mais certaines mesures vont dans le bon sens, bien que souvent insuffisantes ou inachevées. Sous le bénéfice de ces observations et sans préjuger des amendements qui seront présentés par Gérard Longuet, je vous propose de vous abstenir sur les crédits de la mission « Enseignement scolaire ».

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - L'amendement n° 1 vise à diminuer les effectifs du secondaire tout en préservant les moyens accordés au primaire. Il prévoit : au titre du programme 141 « Enseignement public du second degré », la suppression des 591 créations de postes d'enseignants stagiaires prévues en 2016 et le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, soit 3 640 postes non remplacés ; au titre du programme 139 « Enseignement privé du premier et du second degrés », le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux pour le seul second degré, soit 1 325 postes non remplacés ; au titre du programme 214 « Soutien de la politique de l'éducation nationale », le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, soit 308 postes non remplacés. En année pleine, cela représenterait une économie de près de 150 millions d'euros.

Il sera en outre demandé aux opérateurs de contribuer à l'effort de réduction des dépenses à hauteur de 15,5 millions d'euros (8,5 millions d'euros pour l'Onisep, grâce à la dématérialisation de la diffusion gratuite papier dont le coût est estimé par la Cour des comptes à 17 millions d'euros ; 11 % des dépenses de fonctionnement du réseau Canopé, soit 4 millions d'euros ; 3 millions d'euros, soit 10 % des dépenses de fonctionnement du Cned). Au total, cet amendement permettrait une économie de l'ordre de 165 millions d'euros en année pleine.

L'amendement n° 2 vise à interpeller la ministre sur le projet Sirhen - le Louvois de l'éducation nationale...

M. Claude Raynal . - Une référence malheureuse !

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Un audit de 2013 a réévalué la durée du projet à treize ans au lieu de sept ans et son coût à 321 millions d'euros au lieu de 80 millions d'euros. Cet amendement vise à obliger le ministère à nous indiquer quand et dans quelles conditions il entend sortir de ce labyrinthe ?

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Loin d'être l'opérateur de paye de toute l'éducation nationale, Sirhen ne concerne, à l'heure actuelle, que les administrateurs civils et les corps d'inspection ; 300 millions d'euros pour 4 000 personnes, cela paraît excessif ! Notre commission s'est émue des déboires de Louvois ou de l'opérateur national de paye, on ne peut donc que regretter que cela continue avec Sirhen.

Les années passent et se ressemblent, les constats s'amplifient ; la France consacre près de 70 milliards d'euros à l'éducation, premier budget national, part importante du PIB, mais elle recule d'année en année dans les classements Pisa. Les résultats sont-ils en adéquation avec les moyens ?

Je remercie le rapporteur spécial d'avoir insisté sur la différence entre l'enseignement primaire et l'enseignement secondaire. Les taux de réussite aux concours m'interpellent : 62 % des candidats ont été admis en lettres classiques : n'y aurait-il que des bons élèves ? En mathématiques, 48 % des candidats sont admis et 24 % des postes ne sont pas pourvus. C'est très inquiétant pour le métier d'enseignant ! L'éducation nationale est davantage dans une gestion de masse que dans une gestion fine de ses ressources humaines.

L'amendement consistant à rééquilibrer la dépense en faveur du primaire nous renvoie à la multiplication des options. Je me souviens d'avoir passé l'option menuiserie au baccalauréat. Pourquoi des options menuiserie, couture, macramé pour un bac général, ou une option surf en Île-de-France ? Derrière ces options, il y a des enseignants. La multiplication des options complexifie la gestion des ressources humaines. Il faudrait atteindre des ratios d'encadrement proches de ceux de l'Union européenne dans le primaire et avoir moins d'options dans le secondaire. Je soutiendrai l'amendement n° 1.

L'amendement n° 2 met l'accent sur les outils vieillissants de l'éducation nationale, alors que des outils internet sont demandés par les familles. Les centres d'information et d'orientation et l'Onisep travaillent encore sur des supports papier inadaptés.

M. Jean-Claude Carle , rapporteur pour avis au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication . - Je vous remercie d'accueillir dans votre classe studieuse un mauvais élève comme moi. Le budget s'inscrit dans la continuité, en constante augmentation depuis trente ans, sans les résultats escomptés. Nous sommes parmi les pays les plus inégalitaires : un fils d'ouvrier a dix-sept fois moins de chances de préparer une grande école qu'un fils d'enseignant ou de cadre supérieur. La moitié des 150 000 jeunes sortant chaque année du système sans diplôme a connu des difficultés entre le cours préparatoire et le CE2. L'apprentissage des fondamentaux entre quatre et sept ans doit être une priorité : l'avenir d'un jeune est quasiment scellé à son septième anniversaire. Il faut redéployer les moyens du secondaire vers le primaire, avec des enseignants formés aux pédagogies ayant fait leurs preuves et incités financièrement à venir devant les élèves en ayant le plus besoin. Selon la Cour des comptes, il est nécessaire de redéployer et simplifier l'offre de formation au lycée : le nombre de filières et d'options est trop important : un élève de seconde peut choisir entre 236 options différentes !

À la suite de la réforme des programmes, que le conseil supérieur de l'éducation a rejetée, l'État s'est engagé à prendre en charge le financement des manuels scolaires des collèges, mais pas ceux des écoles. Les communes le feront, alors qu'elles supportent déjà le surcoût des rythmes scolaires. Je proposerai certainement un amendement de redéploiement des crédits à partir de ceux consacrés à l'administration centrale, où des économies sont sans doute possibles.

Enfin, le projet Sirhen constitue effectivement une dérive inacceptable.

M. Roger Karoutchi . - Je souscris aux recommandations de notre rapporteur spécial. J'ai été nommé inspecteur général il y a dix-sept ans et lors de la première réunion, on nous a dit que le système scolaire ne fonctionnait pas et qu'il fallait le recentrer. Les rapports Pisa le démontrent, ce sont les pays qui se sont recentrés sur les fondamentaux qui progressent le plus vite. En revanche, ceux qui offrent de nombreuses options s'effondrent. Un enseignement collectif ne peut être un enseignement à la carte, individualisé.

Les gouvernements de gauche et de droite n'ont pas eu le courage de mettre un terme à cette dérive : il faut en revenir aux fondamentaux, notamment au niveau du secondaire. Notre système est trop diversifié, trop lourd et donc difficile à gérer. Ce n'est pas avec toujours plus d'enseignants et toujours plus de moyens qu'on changera ce système malade parce que sans objectifs ni lignes directrices.

M. Vincent Delahaye . - Nous le répétons d'année en année, nous devrions nous recentrer sur les fondamentaux et arrêter de nous disperser : il faut privilégier la qualité plutôt que la quantité. Avec les 60 000 postes supplémentaires, c'est la quantité qui l'a emporté. Je regrette que les documents budgétaires n'apportent pas de réponses aux questions que nous nous posons. Pourquoi ne connaissons-nous toujours pas le nombre d'élèves par niveau, le nombre de classes et celui d'enseignants ? Je ne sais même pas quelle est l'évolution du nombre d'élèves d'une année sur l'autre. Dans nos communes, c'est pourtant la première chose qui nous préoccupe.

J'ai l'impression de voter à l'aveugle le budget du « mammouth ». J'adopterai les amendements du rapporteur spécial, même si j'aimerais qu'ils aillent plus loin.

M. Marc Laménie . - Quel est le poids, dans ce budget, de l'administration centrale, des rectorats et des inspections d'académie ? Il y a du monde dans le grand ministère...

Les programmes font l'impasse sur le fonctionnement des institutions et sur le devoir de mémoire : c'est regrettable. Enfin, où en est-on de la médecine scolaire, dont l'importance semble se réduire d'année en année ?

M. Philippe Adnot . - Je suivrai les recommandations de notre rapporteur spécial. Je regrette que l'État retire des collèges tous les personnels qu'il mettait à disposition pour le suivi et la maintenance informatiques. J'ai prévenu la rectrice que mon département serait dans l'incapacité de remplacer ces personnels.

M. Éric Bocquet . - Nous nous félicitons des créations de postes après cinq années de suppressions massives : encore faut-il distinguer les annonces des créations effectives. Les taux d'encadrement ne sont pas neutres : ceux qui ont enseigné savent qu'une classe de 15 ou de 30 élèves, ce n'est pas la même chose.

La crise des recrutements est inquiétante : le métier n'est plus attractif pour diverses raisons, notamment financières. Un plan de recrutement est indispensable pour attirer les jeunes vers ce beau métier de plus en plus difficile à exercer.

L'enquête Pisa rappelle à juste titre le déterminisme entre la situation économique et sociale des familles et la performance des enfants. Nous déplorons la diminution des crédits du fonds de soutien aux activités périscolaires, alors que les communes ont joué le jeu en offrant des activités de qualité. L'école numérique ? Mais ce sont les collectivités qui investissent dans le matériel, notamment dans les écoles élémentaires. L'éducation nationale s'était engagée à former les enseignants à ce nouvel outil. Qu'en est-il ?

M. Francis Delattre . - L'appréciation des effectifs de l'éducation nationale varie selon que l'on est rue de Grenelle ou sur le terrain. Dans ma commune, toutes les classes comptent 30 élèves et les moyens sont loin d'être excessifs. Nous avons certainement beaucoup trop d'inspecteurs généraux...

M. Roger Karoutchi . - D'inspecteurs d'académie !

M. Francis Delattre . - ... et pas assez d'enseignants. Tous les ans, je bénis les directeurs d'école qui réussissent à faire des rentrées correctes avec des moyens très justes.

De plus en plus souvent, les maires de mon département sont saisis de demandes visant à permettre à des jeunes de quitter l'école sous prétexte qu'ils vont avoir chez eux une formation adéquate. C'est scandaleux, car il s'agit surtout de jeunes filles qui sortent du système scolaire sans que personne ne vérifie la réalité de l'enseignement à domicile. Il n'existe pas non plus de cours par correspondance : ces jeunes de 14-15 ans sont soustraites d'office de l'école, sans aucun contrôle. Je reçois pratiquement toutes les semaines des maires qui doivent signer de telles demandes d'exemptions qui se multiplient.

Mme Michèle André , présidente . - Merci d'attirer notre attention sur ce grave sujet.

M. Serge Dassault . - Pour favoriser la formation professionnelle et éviter que 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ni formation, supprimons le collège unique. Beaucoup d'élèves ne s'intéressent pas aux cours qui y sont dispensés. Il faudrait sélectionner les élèves à la sortie du primaire : le certificat d'études n'existe plus, ce que je déplore. Comme les redoublements ont été supprimés, ces jeunes passent de classe en classe sans acquérir aucune formation, ce qui explique en grande partie l'insécurité dans nos communes. Au lieu d'avoir été formés à un métier manuel, ces jeunes deviennent pour la plupart des délinquants.

M. Richard Yung . - Je serai plus nuancé que le rapporteur spécial sur cette approche quantitative. La situation est très différente en fonction des régions, certains rectorats manquant d'enseignants. À l'étranger, nous avons beaucoup de mal à recruter des enseignants français, parce que les recteurs bloquent le départ des professeurs de mathématiques, de physique, de langues vivantes. Le plan de recrutement de 14 000 postes pour le primaire et de 7 000 postes pour le secondaire répond en partie à ces préoccupations.

Le niveau de rémunération de nos enseignants ajoute à la difficulté : leur prestige social s'est amoindri et les salaires sont inférieurs à ceux pratiqués chez nos voisins, notamment en Allemagne.

Quant au qualitatif, la France en fait beaucoup trop : 216 options ! J'estime qu'il faut les ramener à 21 par exemple...

Mme Michèle André , présidente . - Laissons cela à la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

M. Richard Yung . - Les parents veulent toujours davantage d'options, ce qui entraîne des horaires surchargés, alors que dans d'autres pays, il y a trois à quatre heures d'enseignement le matin et l'après-midi est consacrée aux sports ou aux activités culturelles. Et pourtant ces enfants sont au moins aussi éveillés que les nôtres...

Je ne voterai pas le premier amendement sur les réductions de crédits, mais je suis assez tenté par le second. Si ces 44 millions d'euros sont supprimés, arrêtera-t-on de payer les fonctionnaires en question ? Les administrations françaises tentent de développer de grands programmes informatiques sans en avoir la compétence.

M. Michel Canevet . - Les amendements de notre rapporteur sont empreints de bon sens ; ils portent sur une centaine de millions d'euros alors que le budget augmente de 700 millions d'euros. J'espère que l'effort portera prioritairement sur l'enseignement primaire car l'apprentissage des fondamentaux est la priorité. Les chiffres donnés par notre rapporteur spécial sont éloquents lorsqu'on compare notre situation à celle de nos voisins. Quel est le nombre de postes qui ne sont pas affectés à l'encadrement des élèves ?

J'ai du mal à comprendre pourquoi les crédits alloués au fonds de soutien dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires diminuent alors que le nombre d'élèves reste stable. Ce fonds devra-t-il être abondé en cours d'année ?

Le nombre d'élèves de l'enseignement préélémentaire privé augmente alors qu'il diminue dans l'enseignement public. Pourtant, les crédits augmentent plus dans le public (+ 1,89 %) que dans le privé (+ 0,40 %). Le niveau d'encadrement sera-t-il maintenu dans le privé ?

La diminution du nombre de régions va-t-elle entraîner une réduction des crédits affectés à l'administration décentralisée de l'éducation nationale ?

M. Thierry Carcenac . - Je note que cette année, la rentrée s'est bien passée. Lorsque notre rapporteur nous dit qu'il s'agit d'un budget conservatoire, je m'en félicite, car cela augure bien de la rentrée prochaine.

Dans mon département, la densité de population en zone de montagne est de 17 habitants au kilomètre carré tandis qu'à proximité de Toulouse, la densité est très forte. Ne globalisons donc pas le nombre des enseignants. Notre collègue Alain Duran vient d'être nommé par le Gouvernement pour rédiger un rapport sur l'offre de formation différenciée en zone urbaine et en zone rurale et de montagne.

L'actuelle formation des maîtres va dans le bon sens, mais nous nous interrogeons sur la crise des recrutements et sur les rémunérations. Des agrégés enseignent dans des collèges de région parisienne : la politique de recrutement pourrait sans doute être revue.

Le plan numérique à l'école va commencer à porter ses fruits en 2016. Pour un euro dépensé par les départements, l'État contribuera à hauteur d'un euro mais prenons garde à la maintenance et au soutien aux établissements, comme l'a rappelé Philippe Adnot. La commission consultative sur l'évaluation des charges, que je préside, n'abordera pas ce sujet car il ne s'agit pas de transferts, ni de charges nouvelles. La question se pose néanmoins de l'accompagnement de l'extension évidente et nécessaire de ce plan .

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Thierry Foucaud et moi-même avons à coeur de mieux comprendre le fonctionnement de l'éducation nationale, même si nous n'en tirons pas les mêmes conclusions.

Je remercie le rapporteur général pour son soutien à mes amendements.

Jean-Claude Carle estime que la France est le pays le plus inégalitaire. Le problème de l'égalité est philosophique : beaucoup de parents ont des enfants pour qu'ils prolongent en mieux ce qu'ils sont. Il est logique que les parents responsables s'impliquent et il ne faut pas nous priver de leur bonne volonté. En revanche, nous devons sans doute nous substituer à ceux qui sont indifférents. La classe unique permettait aux enseignants de suivre les enfants. Ceux-ci passent désormais d'une classe à l'autre en changeant de professeurs. C'est un facteur de faiblesse car ils ne connaissent pas assez leurs élèves.

Je suis d'accord avec Jean-Claude Carle sur les apprentissages des fondamentaux, notamment de la lecture. Les nouveaux rythmes scolaires sont une charge pour les collectivités locales, charge qui n'est pas compensée et qui n'avait été demandée par personne.

Roger Karoutchi a parlé de la dispersion du secondaire : il faut accepter la diversité de notre pays, qu'elle soit démographique, géographique ou historique. Les régions industrielles ont de nombreux lycées professionnels qui sont l'héritage des centres d'enseignement technique lancés par les industriels et repris par l'éducation nationale. Nous allons vers l'unité, mais elle supposerait l'internat. Hélas, cette excellente solution fait l'objet du rejet des mères, qui ne sont d'ailleurs plus des mères mais des « mamans » comme des pères, qui sont devenus des « papas », qui ont peur de perdre leurs enfants. Je trouve cela navrant, mais il s'agit d'un fait de société contre lequel nous ne pouvons rien.

Je remercie Vincent Delahaye pour la précision de ses questions : il s'agit en effet d'un budget de statu quo. En revanche, nous disposons des tableaux récapitulatifs demandés : nous pourrons vous les communiquer. Les régions n'évoluent pas de la même façon et leur sociologie n'est pas la même.

Je découvre les demandes d'exonération de présence scolaire évoquées par Francis Delattre. Votre enracinement dans le Val-d'Oise vous rend familier de la diversité française actuelle.

Pour répondre à Marc Laménie, la médecine scolaire est en effet marginalisée. Cette médecine, exclusive il y a cinquante ans, est entrée en compétition avec une médecine de ville désormais très présente. Plus que le médecin, c'est l'infirmière qui est importante dans un établissement, car elle a un talent polyvalent.

Nous ne disposons pas de données exactes sur les enseignants qui ne sont pas devant les élèves : lorsque la droite est au pouvoir, elle s'efforce d'en réduire le nombre et quand la gauche arrive, elle crée des fonctions de soutien. Le balancier est reparti vers des enseignants qui ne sont pas à proprement parler devant des élèves, qui sont en doublon, ou ont une clientèle particulière dont le coût- rendement n'est pas établi - c'est le cas des Rased.

J'ai noté l'observation de Philippe Adnot sur le retrait des personnels d'État qui étaient mis à disposition des collèges pour la maintenance des outils informatiques. C'est contradictoire avec l'idée de former les enseignants aux techniques informatiques. Toutes les expériences étrangères montrent que l'informatique ne règle en rien les problèmes de la pédagogie, celle-ci restant adossée à la présence de l'enseignant et à sa relation avec les élèves.

Éric Bocquet a raison de distinguer les postes annoncés et les postes créés. J'en parle à la page 39 de mon rapport. En 2014, l'écart a été spectaculaire, la sous-consommation du plafond d'emplois s'étant élevée à 12 784 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Certes, on ne recrute pas les enseignants comme des laveurs de carreaux, mais il reste un écart significatif entre les emplois annoncés et ceux qui sont pourvus.

Je souscris à ce qui a été dit par Francis Delattre, l'inégalité territoriale est une réalité. Les statistiques globales montrent tout, sauf l'essentiel : c'est « la forme suprême du mensonge ». Il faut entrer dans le détail pour y voir clair. Vous avez 30 élèves par classe dans votre département pour une moyenne nationale de 12,5. Voilà pourquoi les élus doivent travailler avec les recteurs et les directeurs départementaux de l'éducation nationale. J'ai noté votre observation sur les jeunes filles retirées du système scolaire. J'interrogerai le ministère sur cette « évaporation ».

Pour répondre à Serge Dassault, René Haby ne voulait pas d'un collège vraiment unique. Tous les ministres, y compris Najat Vallaud-Belkacem, acceptent l'idée de la diversité. À l'intérieur du collège unique, il faut multiplier l'information professionnelle pour que les jeunes garçons veuillent devenir autre chose que pompier ou footballeur. Par exemple, sénateur ou constructeur d'aéroplane... Le moule unique est inacceptable, car contraire à la réalité. Ouvrons aux jeunes des fenêtres d'ambition et d'espoir.

Richard Yung ne veut pas opposer qualitatif à quantitatif, mais un recrutement de professeur vaut pour quarante ans... De même, les mesures catégorielles coûtent extrêmement cher. Je l'ai vécu au ministère de la défense : nous diminuions les effectifs et les mesures catégorielles augmentaient la masse salariale. Pour les matières comme les mathématiques et l'anglais, la concurrence du privé est incontestable et nous aurons beaucoup de mal à recruter.

Sur la question de Michel Canevet, nous ne connaissons pas le nombre d'enseignants qui ne sont pas devant les élèves. Nous préférons qu'ils soient dans les classes mais certaines fonctions transverses ne sont pas totalement inutiles. En revanche, il ne faut pas qu'elles soient une occasion de fuir l'élève, tentation d'un certain nombre d'enseignants.

La dotation consacrée au fonds de soutien au développement des activités périscolaires est totalement insuffisante. Quant à l'enseignement privé, le statu quo évite la réouverture d'une guerre, mais les parents choisissent. La demande la plus forte n'est pas dans des régions catholiques et conservatrices. En région parisienne, des familles issues de la diversité choisissent l'enseignement catholique, apostolique et romain parce qu'elles ont le sentiment que leurs enfants seront mieux encadrés.

La régionalisation sera un élément de réponse pour adapter les politiques d'éducation nationale aux territoires. La Meuse compte souvent moins de douze habitants au kilomètre carré. On maintient des établissements que la raison exigerait que l'on supprime. Telle est la vie française dans sa complexité.

Envoyer des agrégés en collège est en apparence anormal. Cela ne l'est pas complètement pour le bien des agrégés, ni pour le bien des élèves. Ce n'est quand même pas la règle dominante.

M. Thierry Foucaud , rapporteur spécial . - Il y a du bon et du moins bon dans ce budget. Qu'on n'aille pas dire cependant qu'il témoigne d'un effort significatif. Il augmente de + 0,6 % pour une inflation de 1 %, cette année. Comme tous les ans, on refait la politique de l'éducation nationale, chacun apportant sa pierre à l'édifice. Le budget de l'éducation nationale est de 67 milliards...

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - dont 20 milliards d'euros pour les retraites : engager, c'est aussi engager un retraité.

M. Thierry Foucaud , rapporteur spécial . - ... contre 40 milliards d'euros pour le pacte de responsabilité et de solidarité : l'éducation nationale ne coûte donc pas si cher.

Nous serons tous d'accord pour dire qu'il n'est pas normal que l'on continue à avoir trente élèves par classe dans un quartier où les populations souffrent. Il faut corriger cette situation, faute de quoi, notre politique sociale en faveur des quartiers ne pourra que se détériorer.

La question de l'apprentissage est posée tous les ans sans jamais qu'on la résolve. On manque de plombiers, de couvreurs... Des apprentis trouvent parfois un employeur sans avoir accès à la théorie ; parfois, c'est l'inverse. Si l'on continue ainsi, on ira dans le mur, car les chiffres resteront les mêmes. Voilà pourquoi j'ai proposé l'abstention.

Enfin, le numérique, qui est une question d'avenir, mobilise 24 millions d'euros pour assurer la formation des enseignants. Les collectivités se sont engagées dans ce programme tout comme elles l'ont fait pour les rythmes scolaires. Il faudrait tenir compte de leurs difficultés de financement et les aider sur ces deux domaines essentiels pour l'avenir.

Nous avons donc de bonnes causes à défendre en faveur de nos enfants et de la France.

M. Gérard Longuet , rapporteur spécial . - Pour répondre à Richard Yung, l'amendement relatif à Sirhen n'aura pas pour conséquence d'interrompre la paye des fonctionnaires. Cet amendement vise, si j'ose dire, à aider le ministre face à son administration. J'ai vécu ce genre de situation avec l'affaire Louvois. Un ministre est toujours bercé de l'illusion que les choses se règleront en trois mois. On connaît la suite...

M. Thierry Foucaud , rapporteur spécial . - Je suis évidemment opposé à l'amendement qui réduit les crédits consacrés à l'éducation nationale.

M. Jean-Claude Carle , rapporteur pour avis . - Malgré tous les moyens dont on nous parle, des classes restent chargées, à vingt-cinq ou trente élèves. D'un point de vue mathématique, il y a pourtant un enseignant pour quinze élèves. La contradiction tient à ce que le lycée est très consommateur en moyens humains. Il faudrait redéployer le personnel et surtout réduire les options qui ne sont pas indispensables. D'autant qu'on se sert souvent de ces options pour choisir les bonnes orientations.

L'inégalité vient souvent d'un manque d'accès à l'information. Il n'y a pas de bonne orientation sans bonne information. En 1998, j'ai été rapporteur d'une commission d'enquête sur la gestion des personnels de l'éducation nationale. On recensait alors 30 000 enseignants qui n'étaient pas devant les élèves, soit l'équivalent de l'académie de Grenoble ou d'une trente-et-unième académie virtuelle. Il n'est pas aberrant que tous les enseignants ne soient pas devant les élèves ; il est même souhaitable que certains d'entre eux aillent dans d'autres administrations, voire dans le monde économique. Ce qui l'est moins, c'est qu'un enseignant fasse toute sa carrière hors de l'éducation nationale. C'est un problème de ressources humaines.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Enseignement scolaire » ainsi modifiés.

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Réunie à nouveau le jeudi 19 novembre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a décidé de confirmer sa décision de proposer au Sénat d'adopter, avec modification, les crédits de la mission « Enseignement scolaire ».

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