B. DES DIFFICULTÉS DE MOBILISATION DES ENVELOPPES EUROPÉENNES TRÈS PRÉOCCUPANTES

Le paiement des aides de la PAC 2015 n'a pas pu suivre le calendrier habituel. Ce décalage est principalement dû à la révision complète du référentiel des surfaces agricoles, imposée par la Commission européenne à la suite de l' audit sur l'application de la PAC en France des années 2008 à 2012 déjà mentionné, et qui s'est traduit par une correction financière de plus d'un milliard d'euros, intervenant en même temps que la mise en oeuvre de la réforme de la PAC.

On a déjà indiqué les surcoûts résultant du plan d'action établi afin de répondre aux exigences de la Commission européenne. Dans son détail, celui-ci a ainsi conduit les autorités françaises à engager la rénovation complète du Registre parcellaire graphique (RPG) , l'outil graphique servant à la déclaration des aides à la surface par les agriculteurs, et l'instruction et le contrôle de celles-ci par les services déconcentrés de l'État et l'Agence de services et de paiement (ASP), avec une photo-interprétation systématique de l'ensemble des photographies aériennes et la constitution d'une base de données graphiques répertoriant l'ensemble des surfaces non agricoles (SNA) situées au sein des îlots déclarés par les exploitants agricoles. Ceci a représenté un chantier considérable, désormais achevé, qui a nécessité :

- la photo-interprétation systématique de 26 millions d'hectares (confiée à l'Institut national de l'information géographique et forestière - IGN - pour un coût de 25 millions d'euros) ;

- la refonte du système de gestion des aides et le développement d'un système d'alerte et de contrôle embarqué complexe (une cinquantaine de types d'observations graphiques détectées par le système) ;

- la constitution d'une couche graphique comportant plus de 45 millions d'objet (notamment SNA et zones de densité homogène (ZDH)) avec le traitement très fin de 10 millions d'observations graphiques par les services instructeurs entre août 2015 et mars 2016. Aucun seuil n'a été mis en place pour que ce travail soit complet. Le croisement de cette base avec la déclaration des agriculteurs en 2015 pour constituer la base consolidée a généré un travail particulièrement conséquent des directions départementales des territoires (DDT) 35 ( * ) .

Par ailleurs, suite aux constats de la Commission européenne relatifs aux surfaces peu productives , les autorités françaises se sont engagées dans la mise en place d'un système de prorata de surface admissible pour les surfaces en prairie et pâturage permanents assorti d'un dispositif de visites de terrain afin de vérifier la qualité des prorata déclarés par les agriculteurs. Cette organisation a engendré 31 000 visites sur le terrain réalisées par des opérateurs de l'ASP de janvier à juillet 2016, renforcés par 250 agents supplémentaires.

L'achèvement de ces travaux de mise à jour du RPG, puis l'instruction complète des dossiers de demande d'aide conformément aux règles européennes sont un préalable incontournable avant de pouvoir payer les aides PAC 2015. C'est un point qui doit permettre de sécuriser les paiements tant pour l'année 2015, que sur la période 2015-2020. En effet, les droits à paiement de base, dont dépendent non seulement le régime de paiement de base mais également les autres régimes de paiements découplés (paiement redistributif, paiement vert, paiement Jeunes Agriculteurs), qui représentent en cumulé 85 % des paiements directs, sont créés pour toute la durée de la PAC actuelle, en nombre égal à la surface admissible 2015 de l'agriculteur finalisée après instruction.

Pour faire face au décalage du calendrier de paiement des aides PAC 2015, des « apports de trésorerie remboursables (ATR) » ont été mis en place. Ces aides exceptionnelles, entièrement financées par le budget de l'État pour la composante liée aux charges d'intérêt, ont pour objectif d'éviter les difficultés de trésorerie des agriculteurs en attendant le versement des aides PAC. Au 1 er décembre 2015, 6,8 milliards d'euros ont ainsi été versés, représentant un montant égal à 90 % des aides directes pour les agriculteurs qui en ont fait la demande. Cela couvrait les aides découplées (paiements directs de base (DPB), paiement vert, paiement redistributif et paiement additionnel pour les jeunes agriculteurs), les aides couplées pour les bovins et l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN).

Par ailleurs, le ministre de l'agriculture a décidé d'étendre ces ATR en mars 2016, de façon à couvrir l'intégralité des aides liées aux surfaces agricoles pour une enveloppe complémentaire de 500 millions d'euros.

Ont ainsi été couvertes les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), les aides à l'agriculture biologique (AB), l'aide à l'assurance récolte et toutes les aides couplées végétales.

Les aides couplées pour les ovins et les caprins ont été versées dans un calendrier habituel, en décembre 2015. Le solde des aides couplées pour les bovins (allaitants et laitiers) a été versé fin mai 2016.

Au total, au 30 juin 2016, sur les 8,5 milliards d'euros auxquels les agriculteurs peuvent prétendre, en tenant compte des ATR et des aides de la PAC déjà payées (ovins, caprins, bovins allaitants et bovins laitiers), 7,4 milliards d'euros ont été versés aux agriculteurs.

Le ministère argue du décalage intervenu dans le règlement des aides PAC de 2015 pour justifier le prolongement de la mise en oeuvre des ATR en 2016.

Vos rapporteurs spéciaux ont été informés que les demandes déposées à ce titre connaissaient une baisse très significative, le nombre des demandes passant de 38 500 en 2015 à environ 250 000.

Cette réduction n'a pas trouvé d'explication éclairante. Il ne faudrait pas qu'elle résulte d'un défaut d'information des bénéficiaires, qui doivent faire face à des coûts de trésorerie lorsqu'ils s'adressent aux circuits économiques hors système des ATR. Il ne faudrait pas non plus qu'elle résulte des difficultés subies lors de la mobilisation des ATR qui se traduisent par des délais pénalisants et particulièrement paradoxaux, s'agissant d'un financement de la trésorerie des agriculteurs.

Par ailleurs, la prolongation du régime de trésorerie n'apparaît pas seulement motivée par des effets de calendrier. Le maintien d'exigences communautaires non satisfaites semble en cause.

Il convient de redresser au plus vite les conditions de gestion des aides européennes.

Si le mécanisme des ATR ne pèse sur le budget qu'à travers le refinancement qu'il impose à l'État, il ne faut pas mésestimer un risque incomparablement plus grave qui se produirait si, au terme fixé par les autorités européennes, notre pays ne se trouvait pas en mesure de présenter les conditions demandées par elles. Il faudrait alors constater une charge budgétaire, qui serait proche chaque année de l'enveloppe annuelle revenant à la France au titre de la PAC.

Par ailleurs, il faut mentionner les effets de cette regrettable mauvaise gestion sur la trésorerie des exploitations et sur les charges de travail supplémentaires qu'elle implique pour les agriculteurs.

Les ATR sont des aides octroyées dans le respect des dispositions du règlement de minimis (règlement (EU) n° 1408/2013) : ils consistent en effet en des prêts de trésorerie à taux nul, et l'équivalent-subvention de minimis est constituée des intérêts non imputés à l'exploitant, calculés sur la base d'un taux d'intérêt représentatif des taux du marché, de 2,5 %. Ainsi, pour une aide de 1 000 euros octroyée le 1 er octobre 2015 et remboursée le 30 septembre 2016, l'équivalent-subvention est de 25,42 euros.

Cet équivalent-subvention vient s'imputer sous le plafond de minimis de l'exploitation, de 15 000 euros (avec application de la transparence pour les groupements agricoles d'exploitation en commun - GAEC - totaux), pour les aides de minimis octroyées pour l'exercice fiscal en cours et les deux derniers exercices fiscaux clos. Dans ces conditions, des exploitants agricoles, qui dépassent le seuil du mécanisme, seuil de plus en plus sollicité du fait des mesures d'urgence, subissent, de ce fait, des frais de trésorerie. Ceux-ci paraissent également s'appliquer aux bénéficiaires sous le seuil en raison des délais de versement des aides de trésorerie dénoncés régulièrement par de nombreux agriculteurs.

Par ailleurs, il convient de prendre la mesure d'un risque particulièrement grave auquel les mauvaises conditions de gestion des aides européennes exposent les agriculteurs français et qui dépasse de beaucoup, par ses enjeux, les lourds effets de trésorerie mentionnés.

Aux risques budgétaires impliqués, pour l'État, par les corrections appliquées à l'exécution des crédits agricoles par la France, il faut ajouter les risques économiques correspondant.

Traditionnellement, les autorités françaises ne recherchent pas auprès des bénéficiaires, non coupables de fraudes, les paiements irréguliers effectués à leur profit, jugeant que les bénéficiaires de ces versements sont indemnes de toute responsabilité dans les erreurs commises par l'administration. Néanmoins, il faut tenir compte d'un arrêt important de la Cour de justice de l'UE (CJUE) intervenu le 12 février 2015.

Faisant suite à une plainte déposée en 2002 par un opérateur français des Pyrénées-Orientales, la Commission européenne (CE) avait déclaré, le 28 janvier 2009, les aides nationales octroyées au secteur des fruits et légumes entre 1992 et 2002 (aides « Plans de campagne ») incompatibles avec le marché commun. La Commission européenne avait sommé les autorités françaises de procéder à la récupération de ces aides auprès des producteurs bénéficiaires. Un total de 195 millions d'euros est concerné par la procédure de recouvrement pour les aides versées entre les années 1998 et 2002.

Dans son arrêt de 2015, la CJUE a constaté le manquement des autorités françaises, celles-ci n'ayant pas pris à ses yeux toutes les mesures nécessaires pour récupérer les aides en cause. L'arrêt pointait également un défaut de justification de la part des autorités françaises concernant les montants d'aides qu'elles estimaient ne pas devoir récupérer.

Les difficultés graves d'apurement rencontrées par la France appellent la mise en oeuvre vigoureuse des mesures correctives mentionnées plus haut.


* 35 Au total, on indique que cet effort aurait mobilisé l'ensemble des équipes de l'ASP, des services instructeurs , ainsi que 350 agents supplémentaires en 2015 et 700 en 2016.

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