EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 14 février 2018, la commission a examiné le rapport et le texte de la commission sur la proposition de résolution européenne sur les directives de négociation en vue d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et l'Australie, d'une part, et la Nouvelle-Zélande, d'autre part.

Mme Sophie Primas , présidente . - Nous allons passer à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de résolution européenne sur les directives de négociation en vue d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

Mme Anne-Marie Bertrand , rapporteur . - En septembre 2017, la Commission européenne a présenté deux recommandations au Conseil en vue d'autoriser l'ouverture de négociations commerciales avec l'Australie et avec la Nouvelle-Zélande. Cela a conduit nos collègues Pascal Allizard et Didier Marie à déposer une proposition de résolution européenne traitant des enjeux soulevés par ces négociations. Cette proposition a été adoptée à l'unanimité par la commission des affaires européennes le 18 janvier dernier. En application de l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, notre commission est amenée à se prononcer à son tour sur ce texte. Je précise par ailleurs que cette proposition de résolution fera l'objet d'un examen en séance publique le 21 février.

Je tiens en premier lieu à saluer l'initiative de nos collègues Allizard et Marie, ainsi que la qualité du travail qu'ils ont réalisé. L'annonce de l'ouverture des négociations commerciales avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande est en effet importante à double titre.

Premièrement, la négociation de ces accords soulève un certain nombre d'enjeux économiques importants. La libéralisation des échanges avec ces deux pays pourrait ouvrir aux entreprises françaises et européennes de nouvelles opportunités commerciales. Elle permettra aussi d'ancrer ces deux pays dans un système commercial fondé sur des règles. Alors que le cadre multilatéral se porte mal, l'enjeu de faire de l'Union européenne le moteur et le point d'agrégation d'un commerce mondial respectueux des règles est un enjeu stratégique. Mais il faut bien entendu rester vigilant et défendre nos intérêts sans naïveté. En particulier, il est clair que nos filières bovine, ovine, laitière et sucrière, déjà fragilisées, ne devront pas être impactées négativement par un éventuel accord. Tout cela justifie évidemment que le Sénat s'intéresse de près à la manière dont ces accords vont être négociés.

La proposition de résolution demande que ces produits sensibles, en particulier les produits de l'élevage ou les sucres spéciaux, fassent l'objet de contingents limités. Elle demande également qu'ils puissent bénéficier de mesures de sauvegarde spécifiques et effectives mises en oeuvre sans délai si les prix connaissent des variations à la baisse excédant un certain seuil. Il me semble que nous ne pouvons que soutenir de telles recommandations. Je proposerai deux amendements en vue de donner encore plus de poids à ces dispositions.

Au-delà des enjeux spécifiques à ces deux accords commerciaux, je vois un second motif pour nous intéresser à l'annonce de l'ouverture prochaine des négociations avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande : cette annonce prend place à un moment charnière dans l'histoire de la politique commerciale européenne. Elle intervient en effet après l'échec du TTIP et l'accouchement difficile du CETA, au terme d'une séquence de plusieurs années marquée par la montée des critiques et des inquiétudes à l'encontre des accords commerciaux de nouvelle génération.

La Commission européenne s'est beaucoup vue reprocher d'ignorer, ou en tout cas de minorer, les risques « démocratiques » liés à la conclusion des accords de nouvelle génération. Dans la mesure où ces accords poursuivent un objectif de réduction des différences réglementaires englobant les domaines de l'environnement, de la santé et de la protection des consommateurs, il faut en effet être certain que la convergence règlementaire qu'on recherche respectera bien les préférences collectives nationales et qu'elle ne comporte pas un risque de limitation abusive du droit des États à légiférer. De même, la mise en place de mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États ne doit pas permettre à des firmes de contester le droit des États à conduire des politiques publiques. L'enjeu est de protéger les investisseurs contre les actions abusives des États, mais aussi, et c'est plus nouveau, de protéger les États contre les recours abusifs des investisseurs. Or, les tribunaux arbitraux, qui étaient jusqu'à présent l'outil traditionnel de règlements de ces différends dans le cadre d'accords commerciaux bilatéraux, offraient des garanties démocratiques trop fragiles, en raison notamment de l'opacité des mécanismes de décision et de l'impossibilité de faire appel des décisions.

On a également reproché à la Commission européenne d'avoir une politique commerciale déséquilibrée, qui ne prend pas suffisamment en compte une exigence de réciprocité de la part des partenaires. Cette question de la réciprocité concerne particulièrement l'ouverture des marchés publics, mais aussi la question des procédures et des normes sanitaires et phytosanitaires.

Une troisième série de critiques concerne l'insuffisante prise en compte des impacts négatifs de la libéralisation des échanges. Même si un accord commercial produit globalement des effets positifs sur l'économie de l'Union, il peut en effet avoir des impacts économiques asymétriques sur certains secteurs ou certains territoires fragiles. C'est typiquement le cas de certaines filières agricoles qui sont tenues de respecter chez nous des exigences environnementales, sanitaires et sociales parmi les plus élevées du monde et qui, de ce fait, ne sont pas toujours en état de combattre à armes égales avec les concurrents des pays tiers. Une libéralisation non maîtrisée des échanges dans ces filières risque alors de se faire au prix de leur fragilisation ou d'une pression à la baisse sur les normes sociales, environnementales ou sanitaires, ce qui n'est pas souhaité par la population.

Enfin, la dernière grande critique adressée à la Commission porte sur l'opacité entourant la manière dont elle a conduit jusqu'à récemment les négociations commerciales. Cette opacité concerne la définition du champ et des objectifs de la négociation ; ce qu'on appelle le mandat de négociation. Elle concerne également les impacts économiques, sociaux et environnementaux, le déroulement et le progrès des négociations et même le contenu final des accords conclus, puisque leur publication pouvait parfois se faire avec beaucoup de retard.

Toutes ces critiques ont conduit les opinions publiques et les pouvoirs publics nationaux à demander une inflexion de la politique commerciale européenne. La France est depuis le début en pointe dans le combat.

Je rappelle en particulier que le Sénat, à l'initiative de sa commission des affaires européennes, a adopté depuis 2013 plusieurs résolutions européennes concernant les accords commerciaux. La dernière en date est celle du 21 janvier 2017. Ces différentes résolutions, adoptées sur la base d'un large accord transpartisan, définissent une ligne constante qui insiste tout particulièrement sur les points suivants : l'objectif de transparence dans l'évaluation des impacts, dans la définition de mandats de négociation et dans le déroulement et les progrès des négociations ; la notion de réciprocité, notamment dans l'ouverture des marchés publics ; la nécessité de créer des mécanismes de règlements des différends transparents, qui respectent le droit des États à réglementer ; la nécessité d'inscrire dans les accords commerciaux des dispositions qui préservent les intérêts offensifs et défensifs de la France en matière agricole, notamment en ce qui concerne la défense des filières sensibles, la reconnaissance et la défense des préférences collectives françaises en matière alimentaire et environnementale, ou encore la défense du système des indications géographiques.

Sur tous ces points, cette proposition de résolution s'inscrit dans la droite ligne des précédentes.

Il est important par ailleurs de noter que, sur ces sujets commerciaux, quelles que soient les majorités au pouvoir, la voix du Sénat a toujours été concordante avec celle du Gouvernement. Il est important en effet que la France parle d'une seule voix. C'est encore le cas aujourd'hui. De façon manifeste, cette proposition de résolution reprend plusieurs points majeurs du plan d'action relatif à la mise en oeuvre du CETA adopté le 25 octobre 2017 par le Gouvernement dans le prolongement du rapport Schubert.

Je rappelle que l'axe 3 de ce plan d'action prévoit notamment de mieux analyser l'impact ex-ante et ex-post des accords de libre-échange sur le développement durable. Il souligne qu'il faut pour cela disposer d'études d'impact différenciant les effets des accords selon les secteurs et les pays.

Ce plan prévoit aussi d'enrichir les chapitres des accords relatifs au développement durable. Cela passe en particulier par l'inscription systématique dans ces accords du respect effectif du principe de précaution, de la citation systématique et explicite de l'Accord de Paris, de l'affirmation de la capacité des États à réguler pour des objectifs légitimes de politique publique notamment dans le domaine sanitaire et de la protection des consommateurs.

Ensuite, ce plan décline les enjeux relatifs au développement durable y compris dans les chapitres des accords ne traitant pas spécifiquement du développement durable. En particulier, le plan demande d'introduire systématiquement dans les accords un mécanisme d'interprétation conjointe liant le tribunal d'investissement et permettant ainsi aux États de défendre leur droit à réguler dans le champ environnemental en cas de contentieux investisseur-État.

Le plan renforce aussi le caractère contraignant et la mise en oeuvre effective des chapitres des accords relatifs au développement durable. Pour cela, il propose de rendre les dispositions environnementales opposables devant le mécanisme interétatique de règlement des différends des accords, de sorte que l'Union puisse par exemple suspendre des préférences tarifaires quand le non-respect de ces dispositions remet en cause l'équilibre des conditions de concurrence et entraîne un préjudice commercial pour les producteurs européens. Le plan propose également de demander des engagements précis en matière de ratification et de mise en oeuvre des conventions de l'Organisation internationale du travail.

Le plan accompagne enfin les secteurs et les territoires qui souffrent des effets de la libéralisation du commerce. Il appelle à mobiliser le Fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEAM). Je ne suis pas certaine que cet outil possède un potentiel adapté aux enjeux, mais l'important est d'affirmer le principe d'un mécanisme correctif des effets négatifs de la libéralisation des échanges, ce qui pour l'instant est totalement étranger au champ de la politique commerciale européenne.

Cette proposition de résolution reprend donc nombre de ces positions du plan d'action relatif à la mise en oeuvre du CETA. On peut s'en féliciter car ce sont des propositions ambitieuses. Tous les États membres n'ont pas des positions aussi offensives que nous en la matière. Néanmoins, la France, qui a souvent été pionnière, par exemple sur la question de la transparence ou des mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États, a déjà vu plusieurs de ses attentes satisfaites. Elle doit donc continuer à mettre l'Union européenne sous pression pour faire avancer ses vues. Le combat n'est pas gagné, mais il est gagnable. Il faudra se montrer résolus et convaincants auprès de nos partenaires en exploitant les opportunités ouvertes par le contexte actuel.

Nous devons profiter du fait que la Commission européenne est soucieuse de restaurer le consentement des peuples et des États membres au projet européen d'ouverture des marchés. En octobre 2015, elle a déjà proposé une nouvelle stratégie de commerce et d'investissement pour l'Union, intitulée : « Le commerce pour tous : vers une politique de commerce et d'investissement plus responsable ». Cette stratégie mettait en particulier l'accent sur la transparence et sur le respect des valeurs, en affirmant que les accords commerciaux doivent préserver le modèle social et réglementaire européen et servir de leviers pour la promotion des valeurs européennes dans le monde, comme le développement durable, les droits de l'homme ou le commerce équitable.

Cela a abouti à quelques mesures concrètes, quoiqu'encore modestes, dans le domaine de la transparence. La Commission rend désormais public le texte initial des projets de chapitres qu'elle met sur la table de négociation. Elle publie également des supports d'information accessibles qui éclairent les enjeux des négociations. Après chaque round de négociation, elle publie un rapport sur les avancées de la négociation obtenues pendant ce round. Elle s'est aussi engagée à publier dans les plus brefs délais, après leur conclusion, le texte définitif des accords. Enfin, elle s'est engagée à accorder une attention accrue à l'évaluation des impacts des accords commerciaux.

Plus récemment, en septembre dernier, la Commission a rendu public un nouveau paquet « commerce » qui entend mettre en place « une politique commerciale équilibrée et novatrice ». Le président Jean-Claude Juncker a déclaré à cette occasion : « Je voudrais que nous renforcions encore notre programme commercial. L'Europe est ouverte au commerce, oui. Mais réciprocité il doit y avoir. Il faudra que nous obtenions autant que ce que nous donnons ».

Dans ce paquet « commerce », la Commission européenne a annoncé en particulier de nouvelles mesures pour plus de transparence. Elle a décidé que seraient désormais systématiquement publiées toutes ses recommandations concernant des directives de négociation en vue de la conclusion d'accords commerciaux, ce qu'on appelle les « mandats de négociation ». Cette décision générale a trouvé une première application immédiate avec la publication des projets de mandats pour la négociation d'accords commerciaux avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. C'est une avancée considérable. De même, la commission a publié des études d'impact ex-ante approfondies, malheureusement seulement en langue anglaise.

Dans le même sens, la Commission a annoncé la création d'un groupe consultatif sur les accords commerciaux de l'Union. Réunissant syndicats, organisations d'employeurs, organisations de consommateurs et autres organisations non gouvernementales, ce groupe aura pour fonction de favoriser le dialogue avec la société civile.

Enfin, sur la question du règlement des différends entre investisseurs et États, le paquet « commerce » de septembre 2017 comprend une recommandation au Conseil en vue de lancer les négociations pour aboutir à la mise en place de ce tribunal multilatéral qui devra être permanent, indépendant, prévisible car doté d'une jurisprudence cohérente et qui permette enfin de faire appel des décisions.

La proposition de résolution prend acte de cette décision de la Commission européenne, mais elle demande que, dans l'attente de la mise en place du tribunal multilatéral, soient conclus des accords séparés et concomitants instituant un système juridictionnel des investissements sur le modèle du CETA. Elle recommande également de créer un pont juridique entre le règlement des différends en matière d'investissement et le chapitre « développement durable » des futurs accords -pont juridique qui pourrait prendre la forme d'un mécanisme d'interprétation conjointe garantissant le droit des États à réguler dans le domaine du développement durable. Nous devons soutenir cette demande, car il est important de créer un système juridictionnel transparent dans l'attente de la mise en place effective du tribunal multilatéral.

Au total, cette proposition de résolution me paraît à la fois complète et pertinente dans le fond comme dans la forme. J'appelle évidemment la commission des affaires économiques à l'approuver Je vous proposerai simplement d'adopter deux amendements visant à renforcer le dispositif proposé, notamment en introduisant dans le texte l'idée d'une évaluation de l'impact s'appuyant sur la notion d'enveloppe globale.

Mme Sophie Primas , présidente . - Merci pour ce rapport. Je salue la présence de Didier Marie, co-auteur de cette PPRE et de notre ancien Président Jean-Paul Emorine.

M. Didier Marie , co-auteur de la proposition de résolution . - Merci de votre invitation. Je salue la convergence d'analyse entre votre commission et celle des affaires européennes. Je me félicite de la plus grande transparence dans la préparation et l'élaboration de ces négociations pour les nouveaux accords commerciaux. L'opinion publique et certains États membres, dont la France, ont fait pression pour en obtenir davantage. Les Parlements nationaux peuvent désormais adresser leurs remarques à la Commission, comme nous le faisons aujourd'hui. Pour autant, l'Union européenne a tout loisir de prendre en considération, ou non, les remarques formulées. Les Parlement nationaux doivent travailler ensemble pour renforcer ces mandats de négociation.

Face à l'inertie de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), à la montée du protectionnisme américain et à l'offensive importante de la Chine en direction des États du Pacifique, nous avons tout intérêt à multiplier les accords bilatéraux. Nous demandons seulement que l'Union européenne se dote d'une vision globale et d'une stratégie commerciale d'ensemble qui s'appuient sur l'analyse des accords passés et sur l'évaluation des impacts par pays et par filière, en veillant aux éventuelles interférences entre les différents accords.

Cette PPRE rappelle notre position constante : une plus grande transparence des négociations, du mandat jusqu'à la conclusion ; une évaluation et un suivi des accords passés et en cours ; une gestion appropriée des impacts négatifs pour l'Union européenne avec la refonte du fonds européen d'ajustement à la mondialisation qui, aujourd'hui, ne remplit pas son rôle. Enfin, nous demandons la mobilisation des fonds structurels et de cohésion par région et par filières touchées, en particulier pour le secteur agricole.

Cette PPRE trace les lignes rouges : le règlement des conflits doit être négocié concomitamment en attendant la mise en oeuvre d'un tribunal arbitral international ; les secteurs sensibles doivent être protégés en réduisant les exportations vers l'Union européenne de produits agricoles comme les produits laitiers, la viande ovine et bovine, les sucres spéciaux qui concernent plus particulièrement les territoires ultramarins. Un plan de mesure de sauvegarde doit être mis en place et protéger les indications géographiques. Enfin, les principes du développement durable doivent avoir force exécutoire.

L'Australie et la Nouvelle-Zélande n'ont pas ratifié toutes les normes de l'OMC, notamment ce qui concerne le travail des enfants et le syndicalisme. Dans les faits, ces pays les respectent, mais il serait préférable qu'ils signent l'intégralité de ces accords.

M. Jean-Paul Émorine . - Merci de cette invitation. Depuis que Laurent Fabius a eu dans son portefeuille le commerce extérieur, je suis chargé de suivre tout ce qui ressort de l'économie à la commission des affaires étrangères à laquelle j'appartiens désormais.

Lors des négociations internationales, il faut avoir à l'esprit la place respective de notre pays, de l'Union européenne et de l'agriculture mondiale. La moyenne des exploitations agricoles en France s'élève à 80 hectares alors qu'elle se monte à 3 000 hectares en Australie. J'ai rapporté il y a quelques années un texte sur la fièvre aphteuse : la France avait connu deux cas, ce qui avait bloqué sa production et ses exportations. Au Brésil, la fièvre aphteuse est endémique...

Attention aux indications géographiques : tout le monde peut se targuer d'en avoir une ! Il faut instaurer des indications géographiques protégées, qui sont une sous-catégorie des AOP. Avec les indications géographiques simples, il suffit qu'un produit passe par un territoire pour qu'il puisse en porter le nom.

En tant que Bourguignon, je puis vous assurer qu'il a fallu 18 ans pour que le Charolais de Bourgogne bénéficie d'une indication géographique protégée.

Nos PME à l'export pèsent peu par rapport à des entreprises australiennes ou néo-zélandaises. En France, 98 % de nos PME exportent mais elles ne représentent que 15 % de nos 650 milliards de produits exportés. La réciprocité des règles est donc indispensable.

Mme Sophie Primas , présidente . - Ce sentiment est partagé par tous.

M. Michel Magras . - Merci pour la qualité de cette PPRE. Les résolutions du Sénat peuvent être efficaces : notre résolution sur les accords avec le Vietnam a permis de réduire les importations de sucre roux de ce pays de 20 000 à 400 tonnes, ce qui a préservé La Réunion. De même, une décision récente a été transmise au président du Sénat sur l'adaptation des normes européennes à l'outremer.

Comment être vigilants ? C'est le Gouvernement, et non le Parlement, qui donne mandat aux négociateurs. Il faudrait des études d'impact spécifiques pour les outremers dans le cadre des accords avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

En outre, le président Emorine a bien fait d'attirer notre attention sur le respect des clauses de réciprocité. Je peux en témoigner.

Enfin, je m'étonne que les textes continuent à être publiés en anglais alors que la France et l'Allemagne sont les deux principaux pays européens.

M. Pierre Louault . - L'Europe découvre les échanges internationaux sans comprendre que les grands pays libéraux appliquent des clauses protectrices. L'agriculture européenne et surtout française ont perdu de leur compétitivité face aux importations de pays tiers. Celles-ci devraient respecter les mêmes normes qu'en Europe. Au lieu d'interdire le glyphosate, nous ferions bien mieux d'imposer des normes de résidu de cette substance, ce qui permettrait de barrer l'accès à tous les produits importés qui en comporteraient.

Nous nous ouvrons au marché mondial sans imposer de contraintes : c'est très dangereux. Les normes doivent être les mêmes pour tous.

M. Franck Montaugé . - Notre balance commerciale est de plus en plus déficitaire. Quels sont les objectifs de nos Gouvernements en la matière ? Je souscris bien sûr aux études d'impact filière par filière, mais il sera difficile que cet accord soit gagnant-gagnant pour toutes les filières. Je suis en particulier très inquiet pour l'agriculture : certaines productions vont certainement être affectées. Comment faire pour résister ?

M. Joël Labbé . - La transparence est une bonne chose, mais les Parlements nationaux pourront-ils ratifier les accords ? Sans doute pas, alors que les peuples réclament plus de démocratie.

Comment sauvegarder notre modèle agricole ? L'OMC ne joue pas son rôle alors que les règles du commerce international continuent à évoluer.

Enfin, rappelons-nous que la planète est en situation d'urgence.

M. Robert Navarro . - Dans les années 2000, la Commission européenne n'était pas attentive aux souhaits des États et des Parlements. Heureusement, cela a changé.

L'OMC étant aux abonnés absents, nous avons intérêt à négocier des accords équilibrés avec des blocs de pays. Mieux vaut quelques règles qu'aucune. La Commission européenne doit écouter l'Allemagne et la France pour défendre les intérêts des pays membres, à commencer par les nôtres.

Les filières en danger devront être protégées par l'Europe : à nous de faire entendre raison à la Commission.

Je voterai bien évidemment cette PPRE.

M. Alain Chatillon . - Je suis très inquiet. Une entreprise serait gérée comme l'Europe, cela ferait belle lurette qu'elle aurait mis la clé sous la porte. Plutôt que de rédiger de longs rapports, disons ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Notre commerce extérieur s'effondre, nos entreprises et nos agriculteurs souffrent. Dans le Tarn, le premier producteur de lait était à Mazamet : il a disparu. Même chose pour Graulhet qui transformait le cuir. Nommons des représentants européens compétents pour négocier ces accords.

M. Daniel Gremillet . - Le Sénat se doit d'être unanime sur cette PPRE, d'autant que la place réservée au Parlement dans la négociation de ces accords n'est pas satisfaisante.

Les états généraux de l'alimentation viennent de s'achever et un projet de loi nous sera prochainement présenté, texte qui sera en totale contradiction avec les accords dont nous débattons. On ne peut d'une part demander toujours plus de normes pour nos produits et ouvrir largement notre pays à des aliments qui ne respectent pas les contraintes que nous nous imposons.

M. Laurent Duplomb . - Je suis très dubitatif sur cette PPRE. Les états généraux de l'alimentation vont entraîner plus de contraintes pour les producteurs français, la PAC va se réduire, le glyphosate va être supprimé dans les années à venir et nos concitoyens s'offusquent lorsqu'il est question d'exploitations de plus de 1 000 bêtes. Et nous nous apprêtons à signer un accord avec des pays qui comptent plus de 10 000 bêtes par exploitation ! Et nous laisserons entrer des produits traités par des substances que nous interdisons chez nous !

Il faut affirmer le principe de la préférence communautaire dans cette PPRE. Dans les années 2050, notre planète comptera 9 milliards d'habitants mais dans le même temps, notre capacité à produire des denrées alimentaires aura diminué. D'ores et déjà, 50 % de notre production ovine est importée. Les États-Unis et le Canada protègent leurs frontières, ce que nous ne faisons pas. Arrêtons d'ouvrir les bras, car nous tuons à petit feu notre production. Je m'abstiendrai probablement sur cette PPRE.

M. Marc Daunis . - Nous sommes tous d'accord sur le constat. Mais on ne peut à la fois dénoncer la naïveté de l'Europe et s'opposer à cette PPRE.

On peut regretter le monde tel qu'il est, mais il est là. Allons-nous expliquer que nous ne voulons pas de ce monde ? Ou allons-nous essayer de peser efficacement sur cette réalité ? Pour la première fois, nous disposons d'un mandat. Nous allons aussi présenter des demandes en matière de réciprocité, ce que tout le monde voulait. Notre objectif est bien de peser sur les décisions de l'Union européenne. Je présenterai tout à l'heure un amendement pour permettre d'anticiper avant que certaines filières sensibles ne subissent des dégâts irréversibles.

L'Australie compte 24 millions d'habitants et l'Europe 500 millions. Notre intérêt est de développer des partenariats avec ce pays, comme nous l'avons fait avec ce qui a été qualifié de « contrat du siècle » lorsque nous lui avons vendu des sous-marins. Les premiers partenaires de l'Australie sont aujourd'hui la Chine, le Japon, la Corée du Sud... Avec cet accord, nous pourrons bénéficier d'une tête de pont dans ces pays du Pacifique. Ne soyons pas frileux, mes chers collègues.

M. Fabien Gay . - Tout le monde connait mes positions sur les traités de libre-échange. Je m'inquiète de leur prolifération actuelle : treize sont en cours de négociation, dont neuf nouveaux et quatre en renégociation.

Bien sûr, il est préférable que les mandats soient connus et qu'ils ne soient pas négociés dans le secret des bureaux de la Commission européenne. Les Parlement nationaux doivent avoir un droit de contrôle et de regard sur le contrat confié puis sur les négociations et leurs résultats.

Je suis inquiet de l'instauration de tribunaux arbitraux privés : ils pourront nous condamner même si nous respectons la loi française. Quelle absurdité !

Moi aussi, je m'abstiendrai sur cette PPRE, même si je constate des avancées.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je rends hommage à la qualité des interventions.

Mme Anne-Marie Bertrand , rapporteur . - Nous sommes tous d'accord sur les risques de fragilisation de certaines filières et nous nous inquiétons de la mise en place de tribunaux arbitraux privés.

Je vous renvoie à l'avis de la Cour de Justice de l'Union européenne du 16 mai 2017 sur la compétence de l'Union pour approuver un accord de libre-échange. Il établit clairement la frontière entre accords mixtes et non mixtes. L'approbation finale relève dans presque tous les cas de la compétence de l'Union. Cela ne doit pas nous empêcher de signaler à la Commission européenne quelles sont les filières et les productions qui risquent de souffrir de tels accords. Nous allons donc négocier avec l'Europe sur tous ces points.

Je suis d'accord avec ce qui a été dit sur les indications géographiques protégées.

Le sucre est la production ultramarine qui risque d'être fragilisée : nous demandons donc la fixation de quotas et l'instauration d'une clause de sauvegarde.

Pour la première fois, l'Europe signera un accord de libre-échange dans lequel une clause de réciprocité sera mentionnée.

Nous soutenons l'instauration d'un tribunal multilatéral sur le règlement des différends entre investisseurs et États.

Rappelons-nous que, jusqu'à présent, toutes ces discussions étaient tenues secrètes et qu'il était ensuite trop tard pour défendre telle ou telle filière.

EXAMEN DU TEXTE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Mme Anne-Marie Bertrand , rapporteur . - L'amendement COM-4 demande que l'évaluation de l'impact des accords commerciaux pour les produits sensibles repose sur la notion d'enveloppe globale car, jusqu'à présent, les études étaient réalisées produit par produit. L'impact des dispositions d'un accord donné se cumule en effet avec l'impact des autres accords déjà conclus ou en cours de négociation. C'est donc seulement la vue d'ensemble des impacts cumulés qui peut permettre de juger si une ouverture supplémentaire des échanges vers tel ou tel partenaire est soutenable par les filières sensibles. C'est précisément l'objectif de la notion d'enveloppe globale que de fournir cette vue synthétique. C'est une méthode d'évaluation que le Gouvernement défend dans le Plan de mise en oeuvre du CETA.

M. Marc Daunis . - Je regrette que mon amendement COM-1 rectifié soit en discussion commune avec celui de Mme le rapporteur car si son amendement est adopté, le mien tombera. Nous poursuivons le même objectif, mais j'ai la faiblesse de penser que mon amendement a des objectifs plus précis et plus contraignants, notamment pour les produits de l'outremer. En outre, il défend l'idée de « recours à des conditionnalités et à une clause de sauvegarde spécifique ». Ne pourrait-on trouver une rédaction commune entre nos deux amendements ?

Mme Anne-Marie Bertrand , rapporteur . - Nos objectifs se rejoignent et mon amendement recoupe vos préoccupations.

Mme Sophie Primas , présidente . - Vos précisions, monsieur Daunis, sont superfétatoires : mieux vaut éviter les listes de produits qui sont immanquablement incomplètes. Votre amendement me semble satisfait.

M. Franck Montaugé . - Les deux amendements me semblent fort différents car celui de M. Daunis englobe le périmètre de celui de notre rapporteur. Veut-on faire référence aux seuls accords en cours ou à tous les autres accords ?

Mme Anne-Marie Bertrand , rapporteur . - Mon amendement porte sur tous les accords, passés et à venir. C'est la définition même de la notion d'enveloppe globale !

M. Marc Daunis . - Je ne suis pas sûr ! Ce qui apparaît anodin pour un accord peut poser des problèmes de fond s'il se cumule avec d'autres accords. C'est pour cela que je tiens à ma rédaction qui est plus contraignante que la vôtre. N'intégrons pas une défaite potentielle vis-à-vis de la Commission européenne. Soyons clairs sur l'objectif en mentionnant l'outremer et les négociations en cours et à venir.

Mme Sophie Primas , présidente . - Si votre amendement tombe, vous pourrez le déposer en séance ou tenter de trouver une rédaction commune avec Mme le rapporteur.

L'amendement COM-4 est adopté.

L'amendement COM-1 rectifié devient sans objet.

M. Marc Daunis . - C'est dommage !

Mme Anne-Marie Bertrand , rapporteur . - L'amendement COM-5 donne plus de poids à la disposition qui recommande la mise en place de mesures de sauvegarde pour protéger les filières sensibles. En l'état, la proposition de résolution appelle à la mise en place de mesures de sauvegarde spécifiques. Cet amendement indique également que ces mesures devront être précises et opérationnelles. C'est nécessaire, car un accord peut affirmer le principe de mesures de sauvegarde sans préciser pour autant le mécanisme ou la méthodologie permettant de les mettre en place. Pour passer de l'affirmation d'un principe général à un outil de sauvegarde réel, il est donc important que le texte des accords prévoie des mesures de sauvegarde non seulement spécifiques, mais également précises et opérationnelles.

M. Marc Daunis . - On aurait pu ajouter le terme « efficaces ». Néanmoins, je voterai cet amendement.

L'amendement COM-5 est adopté.

Mme Anne-Marie Bertrand , rapporteur . - L'amendement COM-2 rectifié demande à la Commission européenne de procéder à une évaluation globale des effets économiques et sociaux de chacun des accords conclus en adoptant une approche sectorielle et géographique. Il demande également que ces évaluations par filières soient réalisées ex ante lorsque des négociations commerciales sont envisagées. Il souhaite enfin que ces évaluations fournissent une appréciation du nombre d'emplois créés et détruits, à court, moyen et long terme.

Je demande le retrait de cet amendement pour plusieurs raisons. En premier lieu, la Commission a déjà commencé à publier des évaluations d'impact ex post pour les accords déjà conclus. C'est un engagement qu'elle a pris fin 2015 et dont la mise en oeuvre a commencé, comme je l'ai rappelé dans la présentation de mon rapport. Donc la notion d'étude d'impact globale économique et sociale - et il faudrait ajouter environnementale - est déjà prise en compte. Ces études d'impact sont cependant encore insuffisantes et doivent être musclées. Nous sommes d'accord sur ce point. Mais justement, la proposition de résolution demande, à l'alinéa 35, que les études d'impact soient déclinées par secteur et par État membre. Cette partie de l'amendement est donc satisfaite par le texte de la proposition de résolution.

Reste la troisième partie de l'amendement qui réclame des évaluations par filières ex ante comportant une évaluation du nombre d'emplois créés et détruits, à court, moyen et long terme. Les modèles d'évaluation dont on dispose reposent sur une modélisation globale des flux d'échanges internationaux entre grandes zones et sont incapables de fournir le degré de détail que réclame cet amendement.

M. Marc Daunis . - Dois-je comprendre que nous reconnaissons que nous sommes incapables de prévoir les dégâts filière par filière, territoire par territoire, des accords que nous passons ? Ce serait extrêmement inquiétant. Vous repoussez mon amendement au motif que nous ne disposons pas des outils économétriques qui nous permettraient de mesurer l'étendue potentielle des dégâts. L'étude d'impact doit permettre de prévoir, avec modestie, quelles seraient les conséquences d'un accord plutôt que de constater ex post les dégâts causés.

La PPRE prévoit un fonds qui indemnisera et accompagnera les victimes de ces accords. Mais sur quelle base va-t-on abonder ce fond s'il n'y a pas de prévisibilité ?

Mme Anne-Marie Bertrand , rapporteur . - Les prévisions ex ante sont réalisées pour les produits sensibles mais elles sont difficiles à réaliser filière par filière. Mais, réflexion faite, je suis favorable à cet amendement.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je salue votre capacité de persuasion, monsieur Daunis.

L'amendement COM-2 rectifié est adopté.

Mme Anne-Marie Bertrand , rapporteur . - L'amendement COM-3 rectifié propose que la Commission européenne procède à une évaluation globale des effets environnementaux des accords commerciaux en amont des négociations et qu'elle publie un rapport d'empreinte carbone.

Cette demande est satisfaite : pour la première fois, en annonçant l'ouverture des négociations commerciales avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, la Commission a publié non seulement le texte des projets de mandat, mais également des études d'impact complètes. Elles comportent un chapitre intitulé « Impact environnemental », pages 32 et suivantes, qui estime notamment les effets en termes d'émissions de gaz à effet de serre. La seule chose que l'on puisse regretter, c'est que ces études d'impact soient uniquement en anglais, mais la proposition de résolution demande que les textes soient publiés en français. Retrait ?

M. Marc Daunis . - J'ai présenté ces amendements en commission et non pas en séance pour essayer de parvenir à un texte consensuel. Je suis donc un peu étonné de la façon dont se déroule ce débat. Comme vous avez donné un avis favorable à l'amendement précédent, je vais retirer celui-ci mais j'aimerais que nous ayons ce débat dans l'hémicycle. Pouvons-nous nous satisfaire d'études d'impact - peu importe qu'elles soient en anglais ou en français - qui ne tiennent pas assez compte des mesures contraignantes en faveur de l'environnement ? Cet amendement avait pour objectif de renforcer ces études. N'ayons pas une mentalité de perdant en nous autocensurant alors qu'en matière de santé et de phytosanitaire, nous n'avons pas à rougir ni au niveau européen, ni au niveau mondial. Les questions environnementales sont très importantes.

Mme Sophie Primas , présidente . - Vos préoccupations figurent déjà dans le texte.

M. Michel Magras . - Les négociations ne concernent que l'Europe continentale et ne prennent pas en compte l'Europe ultramarine. Or, cette dernière doit être prise en considération et il ne faut pas croire que seul le sucre soit concerné : n'oubliez pas la banane, le rhum et tout le reste ! Les mandats ne précisent pas l'outremer : les études d'impact doivent donc les prendre en compte de façon spécifique. N'oublions pas que les régions ultrapériphériques, à savoir la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et Mayotte sont européennes, à la différence des territoires associés. On parle donc du marché intérieur.

Mme Sophie Primas , présidente . - Nous évoquerons ce sujet important en séance.

L'amendement COM-3 rectifié est retiré.

La proposition de résolution européenne est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

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