B. DE RÉCENTES TURBULENCES ONT RÉVÉLÉ LA NÉCESSITÉ DE SÉCURISER RAPIDEMENT LES INVESTISSEMENTS DANS LES RÉSEAUX À TRÈS HAUT DÉBIT

L'année 2017 a été marquée par d'importantes perturbations qui ont mis en lumière certaines faiblesses structurelles de l'organisation des déploiements de réseaux à très haut débit en France.

L'annonce par l'opérateur SFR de son intention de déployer un réseau en fibre optique sur fonds propres sur l'ensemble du territoire d'ici 2025 a remis en cause le principe d'une mutualisation des réseaux en dehors des zones très denses . Si cet opérateur a depuis affirmé avoir renoncé à ce projet, des tentatives locales de différents opérateurs sont encore observées par les porteurs de RIP. Cet incident a, en tout état de cause, révélé une fragilité importante du plan France très haut débit.

Comme l'a souligné l'ARCEP dans son avis du 23 octobre 2017 précité : « Le plan repose sur l'articulation des initiatives publiques avec l'initiative privée telle que révélée par les résultats de l'appel à manifestations d'intentions d'investissement (AMII) de 2011, confirmés en 2013 et au fil des consultations préalables aux projets des collectivités territoriales organisées par le cahier des charges du plan. »

Compte tenu de l'amélioration de la dynamique commerciale des réseaux FttH, le principal risque identifié par les acteurs des RIP est celui d'une duplication partielle des réseaux , par des opérateurs privés décidant de sélectionner les parties les plus rentables dans le cadre d'une stratégie d'écrémage. Une telle approche fragiliserait significativement l'équilibre économique des RIP , déployés sur l'intégralité de la zone, dans une logique de péréquation et d'aménagement du territoire.

À ce titre, l'autorité estimait dans son avis : « Les déstabilisations éventuelles à l'encontre de réseaux publics déjà lancés seraient particulièrement inopportunes. Les opérateurs privés doivent tenir compte de l'existant dans leurs stratégies de déploiement. » L'autorité recommandait ainsi, en cas d'intérêt accru des opérateurs privés à déployer sur fonds propres dans la zone d'initiative publique, d'organiser une procédure de repartage entre ces opérateurs et les collectivités territoriales, sous plusieurs conditions « impératives » : que l'opérateur prenne des engagements de déploiements complets et juridiquement opposables en application de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques 4 ( * ) , et que la collectivité territoriale porteuse du RIP donne son accord à ce projet.

S'agissant des zones faisant l'objet d'un déploiement en cours, l'ARCEP soulignait dans son avis qu'« en dehors de situations limitées, la duplication de la boucle locale serait génératrice d'inefficacités économiques renchérissant de manière excessive le coût global du déploiement de la fibre au détriment des utilisateurs finals (tarifs de détail plus élevés) ou des contribuables (augmentation du besoin de subvention publique dans les zones délaissées).

Rappelant que sa régulation privilégie la mutualisation de la boucle locale optique, combinée au coinvestissement, l'ARCEP indiquait être engagée dans un renforcement de l'encadrement des modalités des déploiements par les opérateurs, face aux risques de duplication et de préemption. L'autorité suggérait par ailleurs la mise en place de garanties supplémentaires pour éviter le risque d'écrémage , via la création d'un statut de « réseau d'aménagement numérique », qui permettrait au porteur du projet concerné de disposer de facilités opérationnelles pour mener à bien ses déploiements, notamment par un accès prioritaire au génie civil.

Ces problématiques font l'objet de discussions en cours dans le cadre du projet de code européen des communications électroniques . L'article 22 du projet de code vise en particulier à lutter contre les stratégies dites d' overbuilding , en identifiant des zones dans lesquelles, au regard des intentions d'investissement recensées, l'absence d'initiative privée serait engageante, et un manquement à cet engagement de ne pas déployer pourrait être sanctionné.

Au titre de la complémentarité entre initiatives publique et privée, une autre faiblesse résulte du manque d'outils permettant d' assurer la concrétisation pleine et entière des intentions exprimées par les opérateurs dans le cadre de l'AMII de 2011 , et qui ont conduit à réserver à l'initiative privée la couverture de la moitié de la population nationale , sans possibilité pour l'initiative publique d'intervenir.

Comme l'avaient souligné le président Hervé Maurey et notre collègue Patrick Chaize dans un rapport d'information adopté par votre commission en 2015 : « Alors que la fin de l'année 2015 approche, une grande partie de la zone d'initiative privée vit encore sur la base d'intentions d'investissement exprimées cinq ans plus tôt, sans certitudes sur leur crédibilité d'alors, et moins encore fin 2015. Cette incertitude place les collectivités territoriales et les citoyens dans une situation de forte dépendance à l'égard de la stratégie commerciale des opérateurs privés. » 5 ( * )

La formalisation des projets des opérateurs dans ces territoires intermédiaires doit s'appuyer sur des conventions de programmation et de suivi des déploiements (CPSD), signées avec l'État et les collectivités territoriales concernées. L'objectif de ces conventions est de préciser les engagements des opérateurs, en pour chaque territoire un calendrier de réalisation.

Lancé en 2013, ce processus restait inachevé en 2017 . Lors de l'examen du projet de loi pour une République numérique au Sénat en mai 2016, la secrétaire d'Etat au numérique avait indiqué que 35 % des locaux de la zone étaient couverts par une convention signée, 50 % étaient engagés dans un processus de négociation et 15 % étaient dépourvus de toute initiative. Lors d'une table ronde organisée par votre commission en juillet 2017, il avait été indiqué que 40 % des locaux faisaient encore l'objet d'une négociation et 5 % restaient dépourvus de toute initiative.

Votre rapporteure n'a pas pu disposer d'éléments actualisés sur ce processus. Toutefois, le retard pris compromet en tout état de cause le respect d'intentions visant initialement à permettre à l'ensemble des logements de la zone privée d'être raccordables au très haut débit en 2020. Par ailleurs, en présence de conventions signées, certaines collectivités territoriales font état d' une réalisation très parcellaire des réseaux , et d'un gel fréquent des travaux à un point intermédiaire, sans avancée notable ultérieurement 6 ( * ) .

Au total, l'ARCEP constatait dans son avis du 23 octobre 2017 : « pour tenir leurs engagements de couverture, les opérateurs privés doivent très sensiblement accélérer leurs déploiements dans les zones d'initiative privée (y compris les zones très denses). En effet, les simulations de l'Autorité montrent qu'Orange doit accélérer son rythme trimestriel de plus 60 % ; SFR quant à lui doit accélérer son rythme trimestriel de plus de 70%. Le rythme actuel des déploiements ne permettra pas d'atteindre les objectifs et un effort substantiel des opérateurs privés est ainsi indispensable. »

S'ils persistent, de tels écarts par rapport aux engagements initiaux seraient extrêmement préjudiciables à l'achèvement en temps utile de la couverture de l'ensemble de la population en réseaux fixes à très haut débit . En effet, la zone concernée a été préemptée par les opérateurs privés, sur le fondement de leurs intentions d'investissement. L'impossibilité pour l'initiative publique d'intervenir dans ces territoires , en dehors des situations de carence flagrantes et longues à établir, risque de retarder significativement l'accès des habitants concernés au très haut débit.

Dans le rapport d'information de 2015 précité, nos collègues recommandaient ainsi : « seule une contractualisation dotée d'engagements précis, assortis de sanctions prises par le régulateur en cas d'inexécution , est susceptible de garantir véritablement une couverture en temps utile des territoires concernés . » Dans son avis de 2017, l'ARCEP confirmait la nécessité de renforcer l'encadrement de l'initiative privée : « il faut tenir compte de l'expérience tirée des précédents engagements des opérateurs , et il convient désormais de s'appuyer sur l'article L. 33-13 du CPCE, pour que les volontés des opérateurs d'assumer la responsabilité du déploiement sur certains territoires et leurs engagements en ce sens soient rendus juridiquement opposables . »

Ces différents éléments confirment la nécessité d'apporter un cadre juridique plus précis, en vue de conforter la complémentarité entre initiatives publique et privée, qui demeure fondamentale pour assurer un déploiement complet du très haut débit dans notre pays.


* 4 Créé par la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, l'article L. 33-13 permet au ministre chargé des communications électroniques d'enregistrer des engagements pris par les opérateurs, avec la possibilité donnée à l'ARCEP de sanctionner d'éventuels manquements. L'objectif alors poursuivi était de formaliser les engagements pris par les opérateurs privés lors des négociations avec les pouvoirs publics, jusque-là dépourvus de toute valeur juridique.

* 5 Rapport d'information du Sénat n°193 - Session ordinaire 2015-2016 - « Couverture numérique des territoires : veiller au respect des engagements pour éviter de nouvelles désillusions » - Hervé Maurey et Patrick Chaize.

* 6 Rapport d'information du Sénat n°712 - Session ordinaire 2016-2017 - « Le très haut débit pour tous en 2022 : un cap à tenir » - Hervé Maurey et Patrick Chaize.

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