EXPOSÉ GÉNÉRAL

Madame, Monsieur,

Les sapeurs-pompiers subissent, depuis quelques années, une augmentation intolérable du nombre des agressions dont ils sont victimes. 2 813 agressions ont été déclarées en 2017, contre 2 280 en 2016, soit une augmentation de 23 % en une seule année. Cette augmentation est encore plus vertigineuse sur longue période puisque, depuis 2008, le nombre d'agressions déclarées a augmenté de 213 % . Ces agressions mettent non seulement en danger nos sapeurs-pompiers ; elles mettent également en péril l'attractivité de toute une profession dont l'objet est de sauver la vie de nos concitoyens.

La proposition de loi n° 91 (2018-2019) relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers, présentée par M. Patrick Kanner et plusieurs de nos collègues, a pour objet d'y remédier. Elle a été inscrite à l'ordre du jour du Sénat à la demande du groupe Socialiste et républicain. La Conférence des présidents du Sénat a décidé que cette proposition de loi serait examinée selon la procédure de législation en commission (LEC), prévue aux articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement du Sénat, en vertu de laquelle le droit d'amendement s'exerce, sauf exceptions 1 ( * ) , uniquement en commission.

Cette proposition de loi vise à faciliter le dépôt de plainte des sapeurs-pompiers agressés. Elle tend à rendre ce dépôt anonyme afin de prémunir les sapeurs-pompiers victimes d'éventuelles représailles de la part de leurs agresseurs. Toutefois, les travaux menés par votre rapporteur ont révélé les faiblesses juridiques du dispositif envisagé, dans la mesure où l'anonymat du plaignant fait obstacle à l'exercice plein et entier des droits de la défense reconnus à la partie mise en cause. Ces raisons ont conduit votre commission à ne pas adopter les dispositions proposées.

Néanmoins, votre commission ne pouvait rester indifférente au problème capital que cette proposition de loi soulève. C'est pourquoi, avec l'accord de Patrick Kanner, et à l'initiative de votre rapporteur, elle a substitué un nouveau dispositif à celui qui était initialement prévu. Il facilite l'anonymat, non plus des victimes, mais des témoins d'agressions de sapeurs-pompiers en ouvrant ce droit existant à toute infraction commise à leur encontre.

Conscients que cette proposition de loi ne peut être la seule réponse à un problème bien plus large, votre commission a décidé, à l'initiative de son président, de votre rapporteur et de notre collègue Patrick Kanner, la création d'une mission d'information. Dans ce cadre élargi, pourront ainsi être analysés tous les aspects de ce problème complexe et l'efficacité des dispositifs existants afin de proposer des solutions efficaces destinées à mettre fin à l'insécurité insupportable à laquelle sont confrontés les femmes et les hommes dont la mission est de protéger la vie de nos concitoyens.

I. UNE PROPOSITION DE LOI VISANT À GARANTIR L'ANONYMAT DES SAPEURS-POMPIERS LORS D'UN DÉPÔT DE PLAINTE FAISANT SUITE À UNE AGRESSION DANS L'EXERCICE DE LEURS FONCTIONS

A. UN GRAND NOMBRE D'AGRESSIONS DE SAPEURS-POMPIERS N'ABOUTISSANT QU'À TRÈS PEU DE PLAINTES DÉPOSÉES

1. L'augmentation inacceptable du nombre d'agressions de sapeurs-pompiers

L'agression d'un sapeur-pompier est un acte insupportable. Ces personnes choisissent de se mettre au service de nos concitoyens, au péril de leur propre vie et, pour certains d'entre eux, de manière bénévole. Il est inacceptable qu'en plus des risques inhérents à l'exercice de leur mission, ils aient à subir des agressions physiques ou verbales.

Pourtant, les informations transmises par les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) à la direction générale de la sécurité et de la gestion des crises (DGSCGC) font état d'une augmentation constante du nombre de ces agressions : 2 813 agressions ont été déclarées en 2017, contre 2 280 en 2016, soit une augmentation de 23 % 2 ( * ) . Le nombre d'agressions augmente ainsi nettement plus sensiblement que le nombre des interventions au cours desquelles elles surviennent, lesquelles ont crû seulement de 2 %, passant de 4 542 357 à 4 651 476 sur la même période 3 ( * ) . Ainsi, sur une échelle fixe de 10 000 interventions, 6 sapeurs-pompiers ont été agressés en 2017 contre 5 l'année précédente 4 ( * ) .

Ce triste phénomène touche, en premier lieu, les sapeurs-pompiers professionnels, puisqu'ils ont subi la moitié des agressions recensées en 2017 alors qu'ils ne représentent que 17 % des effectifs.

Comme le relevait notre collègue député Éric Ciotti lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2019 5 ( * ) , ce nombre a encore plus significativement augmenté en dix ans, avec 1 914 agressions de plus en 2017 qu'en 2008, soit une augmentation de 213 % 6 ( * ) .

L'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) indique que ces chiffres ne constituent qu'une tendance pouvant sous-évaluer le phénomène, car ils sont basés sur les déclarations non-obligatoires des sapeurs-pompiers concernés.

Nombre de sapeurs-pompiers agressés de 2008 à 2017, par catégorie

Sources : ministère de l'Intérieur, Direction générale de la sécurité civile
et de la gestion de crise - Traitement ONDRP. Champ: France entière

Certains des syndicats entendus par votre rapporteur considèrent, en premier lieu, que les suites judiciaires données à ces agressions ne sont pas assez dissuasives pour endiguer les actes de délinquance dont sont victimes les pompiers. En second lieu, ils soulignent que l'augmentation de l'activité de secours à personnes expose de plus en plus les sapeurs-pompiers à des victimes instables et potentiellement dangereuses , notamment lorsqu'elles sont atteintes de troubles mentaux profonds.

L'augmentation du nombre de ces agressions est lourdement préjudiciable pour l'ensemble de la profession puisqu'elle concourt à la crise des vocations qui touche à la fois les sapeurs-pompiers professionnels et les sapeurs-pompiers volontaires.

2. Un faible taux de dépôt de plainte

Face à l'augmentation constante du nombre d'agressions, le taux de dépôt de plainte des sapeurs-pompiers victimes demeure relativement modeste . Pour l'année 2017, l'ONDPR estime que le taux moyen à l'échelle du territoire ne s'élève qu'à 62 %. Malgré une augmentation de trois points par rapport à l'année précédente, ce taux révèle que plus d'un tiers des sapeurs-pompiers agressés renoncent à donner suite à leurs agressions.

En plus d'être globalement faible, le taux de dépôt de plainte des sapeurs-pompiers agressés est particulièrement variable d'une zone du territoire à une autre. Ainsi, ce taux atteint 100 % pour les départements d'outre-mer alors qu'il n'est que de 22 % en Nouvelle-Aquitaine.

Nombres et taux de plainte des sapeurs-pompiers professionnels, militaires et volontaires suite à leur agression en 2017

Régions

Total de sapeurs-pompiers agressés en 2017

Dépôts de plainte en 2017

Taux de plainte

Auvergne-Rhône-Alpes

271

225

83 %

Bourgogne-Franche-Comté

251

62

25 %

Bretagne

56

44

79 %

Centre-Val-de-Loire

61

52

85 %

Corse

0

0

-

Départements d'Outre-mer

5

5

100 %

Grand Est

298

230

77 %

Hauts-de-France

326

184

56 %

Île-de-France*

327

302

92 %

Normandie

104

59

57 %

Nouvelle Aquitaine

527

116

22 %

Occitanie

228

154

68 %

Pays de Loire

52

44

85 %

Provence-Alpes-Côte-D'azur*

307

266

87 %

Total

2 813

1 743

62 %

Sources : ministère de l'Intérieur, Direction générale de la sécurité civile
et de la gestion de crise - Traitement ONDRP. Champ: France entière

* La Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) est intégrée à la région Île-de-France et la Brigade des marins-pompiers de Marseille (BMPM) à la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur.


* 1 Peuvent toutefois être présentés en séance publique les amendements visant à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec une autre disposition du texte en discussion, avec d'autres textes en cours d'examen ou avec les textes en vigueur ou à procéder à la correction d'une erreur matérielle.

* 2 Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDPR), La Note , n° 29, Agressions déclarées par les sapeurs-pompiers volontaires et professionnels en 2017, décembre 2018.

* 3 Ibidem .

* 4 Ibidem .

* 5 Avis fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République sur le projet de loi n° 1255 de finances pour 2019, tome IX Sécurité civile par Éric Ciotti, député.

* 6 Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDPR), La Note, n° 29, Agressions déclarées par les sapeurs-pompiers volontaires et professionnels en 2017, décembre 2018.

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