EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 5 novembre 2019, sous la présidence de M. Bernard Delcros, vice-président, la commission a examiné le rapport de M. Alain Joyandet, rapporteur spécial, sur la mission « Santé ».

M. Alain Joyandet , rapporteur spécial de la mission « Santé » . - Peut-on encore parler de budget « Santé » ?

La mission « Santé » tend, en effet, à se résumer au programme 183 « Protection maladie », principalement dédié au financement de l'aide médicale d'État, qui concentre 82 % des crédits.

La faiblesse des moyens accordés au programme 204 « Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins », qui représentait 46 % des crédits de la mission « Santé » en 2014, est principalement due à des mesures de périmètre, accompagnées de rabots sur les dépenses d'intervention. L'effort de maîtrise des dépenses sur la mission repose d'ailleurs uniquement sur le programme 204, dont les crédits ont diminué de 69 % depuis 2013, tandis que le programme 183 a vu ses crédits progresser de 27 % sur la même période.

Dans ces conditions, en raison d'importantes mesures de périmètre (- 266,1 millions d'euros), sur lesquelles je vais revenir, les crédits de paiement demandés au titre de la mission « Santé » pour 2020 s'élèvent à 1 143,5 millions d'euros. À périmètre constant, ce montant correspond à une baisse de 1 % par rapport à 2019.

S'agissant des mesures de périmètre, je m'interroge sur leur bien-fondé. Elles consistent en effet en des transferts de crédits destinés à des opérateurs du budget de l'État vers la sécurité sociale. Ceux-ci ne m'apparaissent pas suffisamment justifiés et ne peuvent uniquement être motivés par une clarification des compétences entre l'État et la sécurité sociale, sauf à conduire à la disparition de la mission « Santé » du budget de l'État. Les missions assignées à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et à l'Agence nationale de santé publique (ANSP) ne relèvent pas, de prime abord, d'une logique contributive que suppose, pourtant, leur rattachement au budget de la sécurité sociale.

Au-delà des questions de périmètre, je m'interroge sur l'efficacité même du programme dédié à la prévention. Les indicateurs de performance visant la lutte contre le tabagisme, la vaccination contre la grippe ou le dépistage du cancer colorectal suscitent des interrogations sur l'efficacité de la dépense publique en matière de prévention, tant les résultats ne sont pas au rendez-vous.

Je m'inquiète, en outre, de l'écart entre les ambitions annoncées par le Gouvernement en matière de santé et leur traduction budgétaire. Ainsi, le respect, par l'Institut national du cancer (INCa), de la trajectoire de diminution des emplois sous plafond peut susciter des réserves. La loi du 8 mars 2019 visant à renforcer la prise en charge des cancers pédiatriques par la recherche, le soutien aux aidants familiaux, la formation des professionnels et le droit à l'oubli a, en effet, confié de nouvelles missions à l'INCa. Dans ces conditions, il convient de revoir cette contrainte pour le seul opérateur financé par la mission « Santé ». Pour l'heure, l'INCa contourne cette contrainte par le recrutement de contrats à durée déterminée, afin de faire face à une augmentation des projets traités.

Le projet annuel de performances 2020 insiste, par ailleurs, sur le fait que l'INCa continuera à participer à l'effort de maîtrise des dépenses et que la mutualisation inter-agences sera privilégiée. Face à la montée en puissance de ses missions, il apparaît indispensable que la rationalisation des moyens continue à s'opérer en ce sens et que le recrutement ne constitue pas la seule variable d'ajustement. Le rattachement de l'ANSP et de l'ANSM au budget de la sécurité sociale ne doit pas avoir comme effet collatéral un affaiblissement de la logique de mutualisation, dont l'INCa pourrait être la victime collatérale.

Concernant le programme 204, je relève un effort de sincérité budgétaire dans deux dossiers, qui vient répondre directement aux remarques que le Sénat avait formulées à l'occasion de l'examen du projet de loi de règlement pour 2018, au cours de laquelle nous avions entendu Agnès Buzyn.

Le premier concerne l'agence de santé de Wallis-et-Futuna qui devrait bénéficier, en 2020, d'une subvention de 43,8 millions d'euros en crédits de paiement, soit une progression de 7 millions d'euros par rapport à la loi de finances de 2019. L'augmentation vise à mieux prendre en compte les surcoûts liés aux évacuations sanitaires vers la Nouvelle-Calédonie, les établissements métropolitains, voire les hôpitaux australiens. Cette hausse des crédits accordés répond à nos observations sur la sous-budgétisation constatée au cours des derniers exercices. Elle ne saurait cependant constituer une fin en soi et incite à la mise en oeuvre d'une réflexion sur l'offre de soins sur ce territoire. L'agence de santé de Wallis-et-Futuna représente en effet près de 20 % des crédits du programme 204.

Le second dossier concerne le dispositif d'indemnisation de victimes de la dépakine. La réduction de 25 millions d'euros du montant prévisionnel des dépenses prend acte de la réalité du processus de collecte des informations. Cette diminution représente un tiers des crédits accordés en 2019.

Venons-en désormais au programme 183, dédié quasi intégralement à l'aide médicale d'État (AME).

Le maintien au niveau de 2019 des crédits dédiés à l'AME, soit 934,4 millions d'euros, n'apparaît pas soutenable au regard de la progression de la dépense constatée en 2018 (+ 52 millions d'euros) et des premiers retours de terrain concernant 2019. Nous assistons à une augmentation régulière du recours à l'AME de droit commun depuis 2012 : + 46 % en montant et + 25 % en nombre de bénéficiaires.

Les crédits prévus pour 2020 traduisent, de fait, une nouvelle sous-budgétisation de l'AME pour soins urgents (30 millions d'euros entre l'exécution 2018 et la prévision 2019 et 2020), qui se traduira inévitablement par une progression de la dette à l'égard de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), déjà établie à 35,3 millions d'euros.

La part croissante des dépenses d'AME dans le budget de la mission « Santé » (82 %) tend à réduire celui-ci à une enveloppe de financement de ce dispositif. Son dynamisme, conjugué à une sous-budgétisation récurrente, incite à l'adoption de mesures structurelles visant les modalités d'accès aux soins et le panier de soins, afin de limiter sa progression, de répondre à l'impératif de sincérité budgétaire et de garantir la soutenabilité de la mission.

Le Gouvernement a annoncé réfléchir à un éventuel accord préalable de l'assurance maladie pour les soins non vitaux et non urgents.

J'ai intégré cette idée dans l'amendement n° 2 que je soumets aujourd'hui à votre vote. Cet amendement propose de remplacer l'AME par une aide médicale d'urgence (AMU). Il reprend les contours de l'amendement qui avait été déposé par notre collègue Roger Karoutchi .

Cette AMU limiterait la prise en charge au traitement des maladies graves et des douleurs aiguës, aux soins liés à la grossesse et ses suites, aux vaccinations réglementaires et aux examens de médecine préventive. Je souhaite également que soit rétabli un droit de timbre annuel devant être acquitté par tous les demandeurs de l'AMU afin de pouvoir bénéficier du dispositif. Ce droit de timbre, introduit en loi de finances pour 2011 pour les demandeurs d'AME de droit commun, a été supprimé en loi de finances rectificative pour 2012. Une somme de 30 euros pourrait être demandée.

Je vous propose, en cas de rejet de cet amendement en séance, un amendement de repli n° 3 visant uniquement à ce que l'accord préalable de l'assurance maladie soit mis en oeuvre pour les soins non vitaux et non urgents.

L'amendement n° 1 est destiné à tenir compte, au niveau budgétaire, de la transformation de l'AMU en AME. Aux termes de cet amendement, les crédits de paiement et les autorisations d'engagement relatifs à l'AME prévus au sein du projet de loi de finances pour 2020 seraient réduits de 300 millions d'euros.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Je soutiens les amendements du rapporteur spécial, relatifs à l'AME. On constate en effet des dérives. Le problème était nié, il est aujourd'hui reconnu.

M. Antoine Lefèvre . - Pour ce qui concerne l'AME, la France a un régime plus favorable que ses partenaires européens, notamment l'Allemagne.

Je m'inquiète par ailleurs de la situation de la psychiatrie en France. Dans ma ville de Laon, il n'y a plus qu'un seul médecin dans cette discipline. La baisse des crédits est très préoccupante à cet égard.

M. Roger Karoutchi . - Je soutiens également les amendements du rapporteur. L'Inspection générale des affaires sociales et l'Inspection générale des finances ont remis au Gouvernement un rapport qui insiste, d'une part, sur les dérives, et, d'autre part, sur le fait que des réseaux, mais aussi des médecins et responsables de santé dans certains pays, encouragent des patients à venir se faire soigner en France. La transformation de l'AME en AMU n'équivaut pas à laisser dans la rue des personnes contagieuses ; cet argument est inepte, voire débile. Le système ne pourra pas durer si l'on ne met pas fin aux abus : on ne sauvera l'AME qu'en la transformant en AMU.

M. Thierry Carcenac . - Je ne sais si cet amendement permettra d'améliorer la situation, mais j'observe que certaines interventions seront subordonnées à un accord préalable de l'assurance maladie ce qui me paraît complexe à mettre en oeuvre. Nous ne pouvons pas vous suivre sur ce terrain. Comment avez-vous déterminé la somme de 300 millions d'euros ?

M. Michel Canévet . - La réduction de 300 millions d'euros des crédits de paiement et des autorisations d'engagement de l'action « Aide médicale de l'État » n'entraînera-t-elle pas un accroissement de la dette envers la CNAM ?

Comment expliquer la faible participation au dépistage du cancer colorectal, qui représente un tiers de la tranche d'âge entre 50 et 74 ans ?

M. Alain Joyandet , rapporteur spécial . - Je remercie le rapporteur général pour son soutien. Roger Karoutchi l'a dit, il n'y a pas, d'un côté, ceux qui veulent soigner les migrants et, de l'autre, ceux qui veulent les laisser sans soins. Nous essayons de trouver un système rationnel. La France est le pays le plus généreux dans ce domaine. Or des réseaux organisent actuellement la venue de migrants clandestins, afin qu'ils y bénéficient de soins gratuits. Le tarif payé aux passeurs est bien plus élevé que 30 euros ! Observons, à cet égard, que le flux d'immigration clandestine recule en Europe, mais que, dans notre pays, il est en augmentation de plus de 20 %.

Pour l'AME, il semble ne pas y avoir de limites budgétaires, tandis que les politiques de santé publique sont rabotées. Il en va ainsi de l'INCa. Les pourcentages de dépistage ne sont pas clairement à la hauteur, ce qui a des conséquences en termes de coûts puisqu'il faut ensuite financer des soins lourds. Mme Buzyn avait reconnu cet échec devant notre commission des finances en juin dernier.

Je répondrai à Thierry Carcenac que nous avons fixé à 300 millions d'euros la diminution de l'AME en observant les chiffres des années antérieures, notamment la situation de 2012, lorsque le droit d'entrée a été supprimé.

Sur l'accord préalable du médecin de la sécurité sociale, je suis dubitatif. Attendons les annonces que fera le Gouvernement demain sur ce point.

La réduction de 300 millions d'euros ne fera pas augmenter la dette envers la CNAM, car le système ainsi réformé coûtera moins cher. Le dispositif global proposé par le Sénat, qui vise à revoir le panier de soins, est constitué d'amendements d'appel formant un ensemble cohérent.

Nous verrons si le rapport cité par Roger Karoutchi sera suivi d'effet.

En conclusion, le budget « Santé » se réduit comme une peau de chagrin. Deux organismes publics, sur quatre, sont transférés à la Sécurité sociale. On observe donc une baisse très importante des crédits à périmètre courant. L'État ne consacre pas suffisamment de moyens à la politique publique de santé, notamment dans le domaine de la prévention. Pour l'instant, il n'a pas osé réformer l'AME, dont la dérive coûte davantage que le plan annuel destiné à sauver l'ensemble du dispositif d'urgence français. On dépense par an, pour l'AME, 200 à 300 millions d'euros de trop.

L'amendement n° 1 est adopté.

À l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Santé », sous réserve de l'adoption de son amendement.

Les amendements n° 2 et 3, portant articles additionnels, sont adoptés.

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Réunie à nouveau le 21 novembre 2019, sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission des finances, après avoir pris acte des modifications adoptées par l'Assemblée nationale, a adopté l'amendement n° I-36 rectifiant son amendement de crédits précédemment adopté. La commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission ainsi modifiée.

La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption de l'article 78 duodecies tel que modifié par l'amendement n° I-37. Elle propose aussi l'adoption sans modification de l'article 78 quaterdecies . Les amendements n os I-38, I-39 et I-40 de suppression sont adoptés. En conséquence, la commission propose de supprimer les articles 78 terdecies , 78 quindecies et 78 sexdecies . Elle retire ses deux amendements portant articles additionnels.

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