EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 29 SEPTEMBRE 2021

M. François-Noël Buffet , président . - Nous examinons le rapport de Catherine Di Folco sur la proposition de loi tendant à permettre l'examen par le Parlement de la ratification de l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État, présentée par Bruno Retailleau, Patrick Kanner, Hervé Marseille, Guillaume Gontard, Jean-Pierre Sueur et moi-même.

Mme Catherine Di Folco , rapporteur . - Cette proposition de loi ne comporte qu'un seul article, qui porte sur la ratification de l'ordonnance. Mon exposé sera structuré en trois points : la genèse de l'ordonnance, son contenu et mes conclusions.

Premièrement, cette ordonnance constitue le volet législatif d'une réforme annoncée depuis 2019. En effet, dans le discours qu'il a prononcé le 25 avril 2019, en clôture du Grand débat national, le Président de la République a annoncé son intention de « supprimer entre autres l'ENA », pour « bâtir quelque chose qui fonctionne mieux ». Il a posé, à cette occasion, les jalons d'une réforme profonde de la haute fonction publique, en identifiant trois axes : la diversification du mode de recrutement, l'ouverture de la haute fonction publique et la dynamisation de la gestion des carrières.

De plus, une mission sur la réforme de la haute fonction publique a été confiée en mai 2019 à Frédéric Thiriez, qui a remis son rapport au Premier ministre en février 2020.

Enfin, dans son discours du 8 avril 2021, prononcé à l'occasion de la Convention managériale de l'État, le Président de la République a confirmé, sur le fondement des conclusions de la mission Thiriez, la suppression de l'ENA et la création d'un Institut national du service public (INSP), destiné à former les élèves administrateurs de l'État.

L'ordonnance du 2 juin 2021 s'inspire ainsi, mais en partie seulement, du rapport de cette mission ; elle n'en comporte pas moins des dispositions induisant une nette rupture avec le système hérité de l'ordonnance du 9 octobre 1945.

Elle découle de l'article 59 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, qui a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi, notamment pour « réformer les modalités de recrutement des corps et cadres d'emplois de catégorie A », « diversifier leurs profils », « harmoniser leur formation », « créer un tronc commun d'enseignements », « développer leur formation continue », « accroître leur culture commune de l'action publique », « aménager leur parcours de carrière en adaptant les modes de sélection et en favorisant les mobilités au sein de la fonction publique et vers le secteur privé ».

Je dois toutefois préciser que, si cet article 59 a ouvert un large champ d'habilitation, les garde-fous qu'il comporte - le respect du principal égal accès aux emplois publics, fondé « sur les capacités et le mérite », ainsi que la prise en compte « des spécificités des fonctions juridictionnelles » - sont largement issus de la rédaction adoptée par le Sénat à la suite du travail réalisé par la commission des lois.

Le délai d'habilitation initial était de dix-huit mois, expirant le 7 février 2021. Il a été allongé de quatre mois, soit jusqu'au 7 juin 2021, par la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19. Publiée le 2 juin 2021, l'ordonnance a donc respecté - de peu - le délai d'habilitation.

Vous le savez, l'article 38 de la Constitution impose, à peine de caducité, le dépôt d'un projet de loi de ratification de l'ordonnance avant la date fixée par la loi d'habilitation. L'article 59 prévoyait un délai de trois mois à compter de la publication de l'ordonnance ; le projet de loi de ratification déposé à l'Assemblée nationale le 29 juillet dernier a donc bien respecté ce délai.

De plus, l'article 38 exige que les ordonnances soient ratifiées de manière expresse. Cependant, les décisions QPC du Conseil constitutionnel du 28 mai 2020 et du 3 juillet 2020 ont remis en cause cette obligation.

À ce sujet, j'ouvre une parenthèse pour évoquer la proposition de loi constitutionnelle déposée au Sénat le 22 juillet 2021 par notre collègue Jean-Pierre Sueur, garantissant le respect des principes de la démocratie représentative et de l'État de droit en cas de législation par ordonnance, qui vise à ajouter à l'article 38 de la Constitution la précision selon laquelle les dispositions des ordonnances relevant du domaine législatif n'acquièrent force de loi « qu'à compter de leur ratification expresse ».

Notre commission a auditionné, le 26 mai dernier, Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, qui n'a pas souhaité formuler d'engagement du Gouvernement à demander au Parlement une ratification expresse. Nous l'avions pourtant bien interrogée à ce sujet, comme nous l'avions fait lors des questions d'actualité au Gouvernement.

Ainsi, la présente proposition de loi, déposée par quatre présidents de groupes politiques - le groupe Les Républicains, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, le groupe Union Centriste et le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires -, le président de la commission des lois, François-Noël Buffet, et Jean-Pierre Sueur, entend donner l'occasion au Sénat de débattre des choix faits par l'ordonnance, dans le cadre de la procédure de ratification. En se saisissant lui-même de la question, le Sénat est ainsi à l'origine de la première discussion au Parlement d'une proposition de loi de ratification d'une ordonnance.

J'en viens au contenu de l'ordonnance. Au-delà d'une réforme de la formation et des parcours, l'ordonnance procède à un changement de paradigme de la haute fonction publique de l'État. Elle vise trois objectifs.

Le premier est de dynamiser les parcours de carrière de l'encadrement supérieur.

Dans la lignée des conclusions du rapport Thiriez, l'ordonnance vise à instaurer une gestion des ressources humaines de l'État à un niveau interministériel et reposant sur les principes d'évaluation, de mobilité et d'ouverture. L'article 2 crée ainsi une stratégie pluriannuelle de l'État relative au pilotage des ressources humaines de l'encadrement supérieur, définie à partir des lignes directrices de gestion interministérielles édictées par le Premier ministre après consultation du Conseil supérieur de la fonction publique de l'État.

Afin de tenir compte des spécificités de l'encadrement supérieur, l'article 3 introduit de nouvelles modalités d'évaluation, qui seraient réalisées par des instances collégiales ministérielles ou interministérielles. Le cadre d'accompagnement des agents pour lesquels une transition professionnelle serait recommandée à l'issue des évaluations est prévu par l'article 4 de l'ordonnance ; le recours à une rupture conventionnelle pourra notamment être proposé.

Le deuxième objectif de l'ordonnance est de rénover la formation initiale et continue pour accroître la culture commune de l'action publique.

Mettant en avant l'objectif d'adapter la formation des cadres supérieurs de l'État aux enjeux actuels et à venir et de renforcer la culture commune de l'action publique, l'article 5 crée l'Institut national du service public, établissement public de l'État chargé d'assurer la formation initiale et continue du futur corps des administrateurs de l'État et d'autres corps de fonctionnaires ou de magistrats susceptibles d'exercer des fonctions d'encadrement supérieur dans la fonction publique de l'État. Un décret en Conseil d'État précisera les missions de l'INSP ainsi que les contours du « tronc commun » qui s'intègrera à la scolarité des élèves de quatorze écoles de service public.

Le troisième objectif de l'ordonnance est de décloisonner la haute fonction publique de l'État. L'ordonnance entend poursuivre une logique d'organisation des carrières fondée sur les métiers et les compétences, et non en fonction de l'appartenance à un corps. Reprenant l'esprit du rapport Thiriez, l'ordonnance réaménage en profondeur le système dit « des grands corps », en réservant un traitement différencié aux corps juridictionnels.

Ainsi, l'article 6 procède à la fonctionnalisation des emplois au sein des services d'inspection générale - Inspection générale de l'administration (IGA), Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et Inspection générale des finances (IGF) -, qui seront occupés par des « agents exerçant des fonctions d'inspection générale au sein de services d'inspection générale, recrutés, nommés et affectés pour une durée renouvelable ».

Actuellement, l'appartenance au corps constitue, à elle seule, la garantie de l'indépendance et de la neutralité des inspecteurs. Les corps des inspections générales devenant des services, leurs chefs et leurs agents se verront appliquer des garanties d'indépendance et d'impartialité inscrites au niveau législatif. Les cas où il pourra être mis fin aux fonctions des chefs de service et des agents exerçant des missions d'inspection générale sont au nombre de trois : s'ils en font la demande, en cas d'empêchement et en cas de manquement à leurs obligations déontologiques.

Par ailleurs, si l'ordonnance ne traite pas des statuts des corps de fonctionnaires autres que juridictionnels, ces statuts relevant de la seule compétence du pouvoir réglementaire, l'article 10 ouvre néanmoins la voie à une généralisation des statuts d'emplois. Présentés par le Gouvernement comme un facteur de souplesse et de mobilité, ces derniers pourront déroger à certaines dispositions du statut général de la fonction publique ne correspondant pas aux besoins des missions en question. Ainsi, le corps préfectoral ou encore le corps diplomatique seraient supprimés et remplacés respectivement par des statuts d'emplois propres aux fonctions préfectorales et diplomatiques.

L'ordonnance prévoit également de nouvelles modalités d'accès aux fonctions juridictionnelles et de déroulement de carrière pour les membres des juridictions administratives et financières. Les articles 7 à 9 visent à différer l'accès aux fonctions juridictionnelles, en transformant le Conseil d'État et la Cour des comptes, qui figurent actuellement parmi les corps de sortie à l'issue de l'ENA, en « corps de débouché », accessibles seulement après une première expérience dans l'administration.

Ainsi, les grades d'auditeurs au Conseil d'État et à la Cour des comptes seront supprimés et remplacés par des statuts d'emplois d'auditeur, d'une durée maximale de trois ans, accessibles aux administrateurs de l'État et aux membres des corps et cadres d'emplois de niveau comparable justifiant d'au moins deux ans d'expérience préalable. Les auditeurs seront nommés par arrêté du vice-président du Conseil d'État ou du premier président de la Cour des comptes, après un passage devant un comité consultatif, composé de façon paritaire de membres du Conseil d'État ou de la Cour des comptes, et de personnalités qualifiées. Des garanties d'indépendance équivalentes à celles des membres du Conseil d'État leur seront par ailleurs octroyées.

De plus, afin de dynamiser les parcours de carrière, l'ordonnance conditionne l'accès aux grades intermédiaires et supérieurs des fonctions juridictionnelles à l'accomplissement de mobilités.

Par ailleurs, elle ouvre l'accès au Conseil d'État et à la Cour des comptes au-delà des personnes issues de l'auditorat, en conférant un pouvoir de consultation à une commission dite « d'intégration », composée du vice-président du Conseil d'État ou du premier président de la Cour des comptes, d'un membre du Conseil d'État ou de la Cour des comptes et de trois personnes qualifiées nommées respectivement par le Président de la République, le président du Sénat et le président de l'Assemblée nationale. En outre, le vivier de recrutement des maîtres des requêtes en service extraordinaire au Conseil d'État et des conseillers référendaires en service extraordinaire à la Cour des comptes serait élargi.

Enfin, l'ordonnance ouvre de nombreuses fonctions au sein de l'encadrement supérieur de l'État à certains agents contractuels.

L'article 11 fixe la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance au 1 er janvier 2022, à l'exception des dispositions de l'article 5, qui entrent en vigueur selon les modalités définies par un décret en Conseil d'État et au plus tard le 1 er janvier 2022, et des dispositions de l'article 9, qui entrent en vigueur au 1 er janvier 2023.

L'article 12 prévoit les modalités juridiques de substitution de l'INSP à l'ENA.

Les articles 13 et 14 fixent les dispositions transitoires propres aux juridictions administratives et aux juridictions financières.

L'article 15 prévoit l'abrogation, à compter de la date d'entrée en vigueur de l'INSP et au plus tard le 1 er janvier 2022, de l'ordonnance du 9 octobre 1945 relative à la formation, au recrutement et au statut de certaines catégories de fonctionnaires et instituant une direction de la fonction publique et un conseil permanent de l'administration civile. Il procède également à plusieurs coordinations.

Enfin l'ordonnance comporte 19 décrets d'application, dont un seul a été publié au Journal officiel , le 23 septembre 2021.

Le calendrier des mesures réglementaires a été précisé par le cabinet de la ministre de la transformation et de la fonction publiques lors de son audition : les décrets concernant le statut du corps des administrateurs de l'État, la création de l'INSP et la création de la direction interministérielle à l'encadrement supérieur de l'État (DIESE) devraient être pris d'ici à la fin de l'année 2021 ; les textes relatifs à la création de statuts d'emplois font actuellement l'objet d'une concertation avec les ministères intéressés et devraient paraître d'ici à la fin de l'année 2021 ou le début de l'année 2022 ; les autres textes relatifs au périmètre de l'encadrement supérieur de l'État, aux lignes directrices de gestion interministérielles, au dialogue social, à l'évaluation et aux transitions professionnelles sont en cours d'élaboration et seront adoptés au premier trimestre 2022.

En conclusion, je vous informe que l'ordonnance a fait l'objet de plusieurs QPC, dont celle qui a été déposée le 19 juillet 2021 auprès du Conseil d'État par l'Union syndicale des magistrats administratifs. Lors de l'audience de jugement du 20 septembre 2021, le rapporteur public a proposé le renvoi d'une partie de ces QPC au Conseil constitutionnel.

Par ailleurs, à l'heure où la quasi-totalité des décrets d'application reste encore à paraître, il me paraît difficile que nous nous prononcions sur des dispositions législatives qui prendront leur sens entier une fois l'important chantier réglementaire abouti.

Au surplus, le Gouvernement n'a pas à ce stade suffisamment clarifié sa position sur les statuts de corps qu'il entend supprimer ni sur les statuts d'emplois qu'il entend créer. Sur ce point, l'ordonnance ouvre, en effet, un champ des possibles particulièrement vaste. Dans ce cas, pouvons-nous donner au Gouvernement un blanc-seing en la matière ? Je ne le pense pas.

Aussi, devant les incertitudes qui planent sur le contour de l'ordonnance et des mesures réglementaires et face à l'impossibilité de mener une réflexion de fond qu'imposerait une réforme de telle ampleur, il me semble difficile, à ce stade, de se prononcer sur la ratification. Par conséquent, je vous propose de ne pas adopter la proposition de loi.

En revanche, je remercie ses auteurs de permettre un véritable débat en séance publique, qui sera pour tous les membres de la Haute Assemblée l'occasion de contraindre le Gouvernement à apporter toutes les précisions utiles sur sa réforme et de s'exprimer sur le sujet.

M. Jean-Pierre Sueur . - Je veux remercier la rapporteure de son rapport très complet, ainsi que les quatre présidents de groupe qui, comme le président Buffet, ont accepté de signer cette proposition de loi.

Chacun aura compris que celle-ci a quelque chose de paradoxal, puisque nous avons utilisé la procédure existante pour que le Sénat puisse débattre de ce sujet important. En effet, il aurait été étonnant que le Parlement ne s'exprime jamais sur des matières concernant l'organisation de l'État à son plus haut niveau.

Nous aurons beaucoup de choses à dire sur le fond, et il y aura sans doute des divergences de vues entre les signataires du texte. Cependant, le message principal consiste à dire que le Parlement ne peut pas ne pas être saisi du dossier.

Nous sommes très nombreux ici à être d'ardents partisans de la décentralisation, mais nous pouvons aussi considérer que celle-ci suppose un État fort. À cet égard, le rôle des préfets est majeur dans l'équilibre des pouvoirs de notre pays, comme nous l'avons vu lors de la crise sanitaire. Très franchement, je ne vois pas ce que recouvriraient des préfets fonctionnalisés, sinon une sorte d'aléa permanent.

Pour ce qui est de la procédure de sortie des élèves de l'ENA, je me rappelle l'intense réflexion menée lorsque Georges Tron était secrétaire d'État chargé de la fonction publique. Jean-Pierre Jouyet avait à l'époque imaginé un système extrêmement complexe, reposant sur les fiches de voeux des élèves et les fiches de besoins des administrations ; tout se serait ajusté par un système itératif qui n'aurait pas du tout été anonyme... Je m'étais rendu à ces réunions avec Catherine Tasca. Nous avions déclaré que ce système était pire que tout autre, puisqu'il engendrait de l'incertitude.

On ne peut pas ignorer le travail accompli, en particulier par le directeur de l'ENA, Patrick Gérard, qui est venu nous exposer à plusieurs reprises ce qui a été fait, avec les enseignants et les élèves, pour que l'enseignement corresponde aux attentes.

Pour ce qui est des corps d'inspection, je suppose qu'un membre de l'IGF, de l'IGA ou de l'IGAS a pour éthique de dire au ministre, en toute indépendance, ce qu'il a à lui dire... J'apprends que l'inspection générale de l'éducation serait aussi sur le gril : ce n'est pas du tout anodin.

Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a bien voulu inscrire à l'ordre du jour du mois de novembre prochain la proposition de loi, que j'ai déposée avec Patrick Kanner, visant à rendre à nouveau expresse la ratification des ordonnances, conformément à la Constitution de 2008, et je l'en remercie. Il est très important que le Sénat puisse exprimer, de manière pluraliste, son refus de ratifier l'ordonnance. La balle sera alors dans le camp du Gouvernement. Si celui-ci ignorait cet acte politique essentiel, il prendrait une lourde responsabilité.

M. Patrick Kanner . - Je remercie Jean-Pierre Sueur d'avoir pris l'initiative de cette proposition de loi. Nous pouvons collectivement être très heureux de voir que le Sénat montre son autorité habituelle et ne souhaite pas être le supplétif permanent du pouvoir exécutif.

Dans ce cadre, le rapport de Catherine Di Folco montre bien l'imperfection de l'ordonnance et sa mise en oeuvre chaotique. Celle-ci a un sens politique : réaliser l'engagement d'Emmanuel Macron lorsqu'il était candidat à la présidence de la République. Je me permets de rappeler que ce dernier louait alors le spoil system américain, en vertu duquel toute l'administration est chassée quand un nouveau président arrive au pouvoir. Ce système peut être considéré comme efficace, mais ne correspond en aucune manière à la tradition française de la méritocratie républicaine. Il est toujours très important pour un ministre de pouvoir s'appuyer sur des corps indépendants qui puissent le conseiller et, parfois, lui rappeler les limites à ne pas dépasser. Cet équilibre serait menacé au travers de cette ordonnance.

La forme que nous employons est inédite : c'est la première fois qu'une proposition de loi de ratification d'une ordonnance est déposée
- avec l'espoir qu'elle ne soit pas ratifiée. C'est aussi le moyen de montrer que le recours aux ordonnances, devenant structurel, est une pratique d'affaiblissement permanent du Parlement et de renforcement du pouvoir exécutif, qui se retrouve seul face à la société. Je ne suis pas certain que ce soit le modèle républicain que nous souhaitions ici.

M. Alain Richard . - Il est heureux que nous ayons ce débat.

Puisque le principe est que les ordonnances sont ratifiées, il est loisible aux parlementaires de provoquer le débat de ratification si le Gouvernement joue de l'écoulement du temps pour ne pas l'organiser. Néanmoins, si l'on débattait sur le fond de toutes les ordonnances à ratifier, cela modifierait assez sérieusement notre calendrier... Comme c'est un débat que nous devons poursuivre, je salue la décision prise par la Conférence des présidents de prévoir malgré tout un rendez-vous de ratification, de manière que l'on sorte de la situation actuelle, qui est insatisfaisante.

Je suis curieux de savoir ce que vont dire les orateurs des différents groupes, lors de l'examen en séance de la proposition de loi, sur le contenu de cette ordonnance. L'idée d'interministérialiser de façon plus efficace la gestion des carrières des fonctionnaires d'autorité me semble assez largement partagée - c'était déjà l'objectif de la création de l'ENA, en 1945... Je me demande comment nos collègues qui s'y opposeraient le justifieront.

Il me semble qu'il faut relativiser ce que l'on appelle « l'indépendance » des corps d'inspection : un corps d'inspection réalise des études et des analyses destinées à sa hiérarchie, laquelle est dirigée par un homme ou une femme politique. Au reste, la plupart des membres des inspections ont des carrières mixtes, avec des sorties dans des postes de direction administrative, ce qui suppose l'agrément d'une autorité politique.

Le sujet est différent en ce qui concerne les corps juridictionnels que sont la Cour des comptes, le Conseil d'État, les chambres régionales des comptes et les tribunaux administratifs. La situation n'est pas entièrement satisfaisante, puisque près de la moitié des membres du Conseil d'État et de la Cour des comptes ont été nommés de façon discrétionnaire, à travers les nominations au tour extérieur du Gouvernement aux grades intermédiaires et supérieurs. Ceux qui sont entrés dans ces corps à la sortie de l'ENA forment la majorité de ceux qui jugent dans la suite de la carrière. La nouveauté introduite par l'ordonnance est que même ceux-là seront d'une certaine façon choisis en fonction de la personne, et non plus indépendants !

Cela dit, le fonctionnement de l'énarchie traditionnelle, qui conduit à ce que l'ensemble des administrations d'État se voient imposer l'arrivée de leurs propres cadres supérieurs sans pouvoir exercer aucun choix, est une étrangeté. D'ailleurs, il n'est pas déraisonnable de dire que le ministère des finances et celui des affaires étrangères ne choisissent aucun des cadres supérieurs qui vont y faire carrière...

Sur ce point aussi, il me semble que les options figurant dans l'ordonnance donnent matière à discussion. Les positions alternatives seront aussi intéressantes à entendre.

M. Alain Marc . - Je rejoins la position de Jean-Pierre Sueur. Je crois que le Parlement doit débattre du sujet.

Le Sénat est, constitutionnellement, le représentant des collectivités locales. Ses membres peuvent légitimement souhaiter que ceux qui exercent les plus hautes fonctions de l'État aient une certaine connaissance de ce qui se passe sur le terrain.

Lorsque la préfecture accueille des stagiaires de l'ENA, ces derniers ont tendance à ne pas en sortir, ce qui m'étonne toujours un peu... Je propose toujours qu'ils viennent voir ce qui se passe dans les petites collectivités. Il faudra veiller à ce que, dans les parcours de formation qui seront proposés, on permette aux élèves de se rendre dans nos petites communes et dans les intercommunalités.

M. Philippe Bas . - En réalité, nous menons de front deux débats : l'un sur les ordonnances et l'autre sur la réforme de la haute fonction publique.

L'article 38 de la Constitution a été dénaturé au fil des années par les gouvernements successifs, et spécialement depuis 2012. Cela coïncide avec une forme de thrombose du processus législatif. Les lois sont de plus en plus détaillées et ressemblent de plus en plus à une accumulation d'articles d'arrêtés préfectoraux. Parallèlement, nous avons deux catégories d'ordonnances : celles d'une très grande technicité et que le Gouvernement justifie par la complexité de la matière, trop importante pour faire l'objet d'un débat parlementaire, et les « vraies » ordonnances, telles que les prévoit l'article 38 de la Constitution, lequel dispose que c'est pour l'exécution de son « programme » que le Gouvernement peut éventuellement être autorisé à légiférer par ordonnances.

On peut rattacher une ordonnance relative à la haute fonction publique au « programme » du Gouvernement, parce que c'est un sujet central. Mais, précisément parce que c'est un sujet central, on ne peut laisser le Parlement à l'écart ! Le principe de la ratification qui figure à l'article 38 de la Constitution doit particulièrement s'appliquer à des textes qui visent l'exécution du « programme » gouvernemental.

Les questions de l'efficacité de l'État, de la prise en compte des réalités par celui-ci, de la connaissance des territoires par les hauts fonctionnaires, de l'interministérialité sont essentielles. Nous avons longtemps considéré que notre l'administration était la plus performante du monde. Je crois que nous avons une bonne administration dans l'ensemble, mais elle se détache de plus en plus des réalités vécues par les Français. Je comprends donc que le Gouvernement veuille la réformer. Sur le principe, je ne suis pas en désaccord avec l'idée qu'il faut renouer le lien de confiance, qui s'est distendu, entre l'État et les Français.

Je remercie notre rapporteur de la solution qu'elle propose, laquelle revient à affirmer que nous sommes opposés à cette réforme. De fait, il y a beaucoup de faux-semblants dans cette réforme. L'ENA est une cible trop commode ! La méritocratie et la distinction des talents par le concours reculent au profit du libre choix, par les dirigeants des administrations, des hauts fonctionnaires auxquels on va confier des responsabilités. C'est une régression.

On nous dit que l'on veut privilégier les métiers, mais l'excès d'interministérialité remet en cause la reconnaissance de la spécificité d'un certain nombre d'institutions. Je crois que vouloir mêler exagérément les origines professionnelles de ceux qui vont exercer une fonction préfectorale constitue une véritable dérive. La spécificité du métier de préfet est l'articulation entre les politiques nationales et les réalités locales.

La méconnaissance de l'administration est grande et les préjugés sur la nécessité de transposer les méthodes de gestion des cadres dirigeants du secteur privé à la fonction publique de l'État sont tenaces. Tout cela ne va pas dans la bonne direction.

Comme Alain Richard l'a rappelé, l'interministérialité était déjà au coeur de l'ordonnance de 1945, mais elle doit avoir ses limites. Ce n'est pas sans raison que nos anciens ont distingué entre le corps des administrateurs civils, qui est interministériel, et d'autres fonctions publiques, dont la spécificité doit être préservée.

Je remercie notre rapporteur de nous donner l'occasion de dénoncer cette réforme.

Mme Catherine Di Folco , rapporteur . - Le débat en séance sera très intéressant. Chacun pourra s'exprimer sur le fond de l'ordonnance. Je vous remercie d'avoir amorcé les réflexions sur le sujet.

M. François-Noël Buffet , président . - Jean Louis Masson a déposé une série d'amendements visant pour l'essentiel à supprimer les articles de l'ordonnance.

Mme Catherine Di Folco , rapporteur . - J'émets un avis défavorable à l'ensemble de ces amendements, puisque je vous propose de ne pas adopter ce texte de ratification de l'ordonnance.

EXAMEN DES ARTICLES

Articles additionnels avant l'article unique

Les amendements COM-3 , COM-4 , COM-5 , COM-6 , COM-7 , COM-8 , COM-9 , COM-10 , COM-11 , COM-12 , COM-13 , COM-14 , COM-15 , COM-16 , COM-17 et COM-18 ne sont pas adoptés.

Article unique

Les amendements COM-1 et COM-2 ne sont pas adoptés.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

M. François-Noël Buffet , président . - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient désormais d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi.

Mme Catherine Di Folco , rapporteur . - Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les questions évoquées par les articles de l'ordonnance, c'est-à-dire les dispositions relatives : à la formation initiale et continue des agents de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État ; à l'évaluation, à la mobilité et à la transition professionnelle des agents de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État ; aux emplois et fonctions au sein des services d'inspection générale ; au recrutement et à la mobilité des membres des juridictions administratives ; au régime des incompatibilités pour les membres des juridictions administratives ; au recrutement et à la mobilité des membres des juridictions financières ; à l'exercice des fonctions juridictionnelles au sein des juridictions administratives et financières ; aux statuts d'emplois dans l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État.

M. Alain Richard . - Sur la méthode, les amendements n'ont aucun sens si notre assemblée rejette la ratification de l'ordonnance ! Ils n'ont de sens que si l'on accepte de la ratifier.

M. François-Noël Buffet , président . - Absolument !

Mme Catherine Di Folco , rapporteur . - On peut espérer que, à la lecture de notre rapport, nos collègues comprendront notre démarche...

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Articles additionnels avant l'article unique

M. MASSON

3

Suppression de l'artcle 1 er de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

M. MASSON

4

Suppression de l'artcle 2 de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

M. MASSON

5

Suppression de l'artcle 3 de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

M. MASSON

6

Suppression de l'artcle 4 de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

M. MASSON

7

Suppression de l'artcle 5 de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

M. MASSON

8

Suppression de l'artcle 6 de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

M. MASSON

9

Suppression de l'artcle 7 de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

M. MASSON

10

Suppression de l'artcle 8 de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

M. MASSON

11

Suppression de l'artcle 9 de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

M. MASSON

12

Suppression de l'artcle 10 de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

M. MASSON

13

Suppression de l'artcle 11 de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

M. MASSON

14

Suppression de l'artcle 12 de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

M. MASSON

15

Suppression de l'artcle 13 de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

M. MASSON

16

Suppression de l'artcle 14 de l'ordonnance

Satisfait ou sans objet

M. MASSON

17

Suppression de l'artcle 15 de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

M. MASSON

18

Suppression de l'artcle 16 de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

Article unique

M. MASSON

1

Abrogation de l'ordonnance

Satisfait
ou sans objet

M. MASSON

2

Abrogation de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 et de l'ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021

Satisfait
ou sans objet

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