EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 25 JANVIER 2023

Mme Agnès Canayer , rapporteur . - Le texte adopté en première lecture le 24 novembre 2022 par l'Assemblée nationale, inscrit à l'ordre du jour des travaux du Sénat sur l'initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, vise à nouveau à inscrire dans la Constitution le droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG).

Il tend à introduire un nouvel article 66-2 au sein du titre VIII sur l'autorité judiciaire, dont les termes seraient les suivants : « La loi garantit l'effectivité et l'égal accès au droit à l'interruption volontaire de grossesse. »

Si les députés ont supprimé la mention de la contraception, cette évolution n'est pas de nature à lever les doutes déjà émis par le Sénat sur la pertinence de la constitutionnalisation du droit à l'IVG.

Notre assemblée a en effet déjà rejeté, le 19 octobre dernier, une précédente proposition de loi constitutionnelle présentée par Mélanie Vogel, visant l'IVG et la contraception. Nous avions jugé que la protection juridique de l'IVG était déjà très solide.

Comme vous le savez, l'IVG est inscrite à l'article L. 2212-1 du code de la santé publique, qui dispose que : « La femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse peut demander à un médecin ou à une sage-femme l'interruption de sa grossesse ».

La liberté de la femme d'avorter est aujourd'hui pleinement protégée par la loi du 17 janvier 1975, qui fut portée par Simone Veil, qui fait désormais partie intégrante de notre patrimoine juridique et à laquelle le Sénat s'est toujours montré fortement attaché.

L'accès à l'IVG n'a jamais cessé d'être conforté par le législateur : allongements successifs des délais, élargissement de la liste des praticiens autorisés à pratiquer des IVG, amélioration de la prise en charge financière, suppression du critère de « situation de détresse » ou encore du délai de réflexion préalable.

Certes, le Conseil constitutionnel n'a jamais consacré de droit constitutionnel à l'avortement, mais il l'a toujours jugé conforme à la Constitution, les quatre fois où il s'est prononcé sur le sujet, en 1975, 2001, 2014 et 2016.

De surcroît, depuis sa décision du 27 juin 2001, il rattache l'IVG à la liberté de la femme, découlant du principe général de liberté posé à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qu'il concilie avec le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation.

Telle était d'ailleurs la position exprimée par le Gouvernement lors de la dernière législature.

Il est vrai que le Conseil constitutionnel reconnaît une large marge de manoeuvre au législateur sur les questions de société, mais il n'est pas interdit de penser que, s'il était saisi d'une loi interdisant ou restreignant fortement l'IVG, il refuserait probablement de valider une atteinte disproportionnée à cette liberté fondamentale de la femme.

Existe-t-il un danger réel de remise en cause de l'IVG ?

Aucun parti politique n'a jamais indiqué vouloir remettre en question ce principe : il n'est donc pas crédible de soutenir qu'il est menacé en France comme il l'est aux États-Unis ou dans d'autres pays de l'Union européenne.

À cet égard, la situation institutionnelle de la France n'est en rien comparable à celle des États-Unis, où la Cour suprême a renvoyé aux États fédérés la compétence pour légiférer sur l'avortement dans son arrêt Dobbs v. Jackson Women's Health Organization rendu le 24 juin 2022.

En France, la situation est radicalement différente. Nous sommes une République indivisible dans laquelle le législateur national dispose d'une plénitude de compétence et où les lois sont les mêmes pour tous.

Je préfère donc rester fidèle aux conclusions rendues par le comité présidé par Simone Veil qui, en décembre 2008, n'avait pas recommandé de modifier le préambule ni d'intégrer à la Constitution de droits et libertés liés à la bioéthique, notion englobant l'IVG, et qui avait refusé d'y « inscrire des dispositions de portée purement symbolique ».

Il peut toutefois exister des difficultés d'accès à l'IVG ; et je rappelle que nous sommes particulièrement attachés à ce droit à l'interruption volontaire de grossesse. Il est anormal que certaines femmes souhaitant y recourir ne puissent le faire dans de bonnes conditions, en particulier dans certains territoires.

La constitutionnalisation résoudrait-elle ce problème ? Malheureusement non ; cette solution est donc illusoire. La Constitution ne saurait garantir l'effectivité de l'accès à l'IVG.

Il est clair, par ailleurs, que la Constitution du 4 octobre 1958 n'a pas été conçue pour qu'y soient intégrées toutes les déclinaisons des droits et libertés énoncés de manière générale dans son préambule.

De surcroît, pourquoi se limiter à l'IVG et ne pas constitutionnaliser d'autres manifestations de la liberté qui n'ont pas non plus, en tant que telles, valeur constitutionnelle, comme le mariage pour les personnes de même sexe ou d'autres droits liés à la santé ou la bioéthique ?

Au-delà de ces questions de principe, la formulation qui nous est proposée ne me paraît pas aboutie.

La difficulté de trouver une place pertinente parmi les dispositions constitutionnelles témoigne de l'absence de cohérence de l'objet de la proposition de révision avec le texte de la Constitution. Ainsi, l'intégration du droit à l'IVG au sein du titre VIII relatif à l'autorité judiciaire, juste après l'abolition de la peine de mort, a de quoi surprendre.

En outre, dès lors que la loi « garantit » « l'effectivité et l'égal accès au droit à l'IVG », cette formulation laisse entendre que cet accès pourrait être inconditionnel. Or le législateur doit pouvoir en fixer les conditions, comme pour toutes les libertés publiques : l'avortement ne saurait être un droit absolu, sans limites.

Enfin, je réitère les mêmes réserves de procédure qu'en octobre dernier.

Il convient d'avoir un débat serein sur les « mérites » d'une constitutionnalisation de l'IVG. Si ceux-ci étaient réellement démontrés, c'est en tout état de cause la voie d'un projet de loi constitutionnelle qui devrait être recherchée pour éviter de mettre au coeur de l'actualité, par référendum, un sujet sur lequel il n'y a pas aujourd'hui de débat public. La voie de l'initiative parlementaire ne nous paraît absolument pas adaptée à ce débat de fond.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de ne pas adopter cette proposition de loi constitutionnelle.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Je me trouve dans la situation quelque peu originale de représenter le groupe qui tient lieu, en quelque sorte, d'auteur de ce texte, qui sera examiné dans le cadre de notre niche parlementaire. Nous avons déjà eu des échanges voilà peu sur ce sujet ; il nous faut y revenir.

Quelques mots, tout d'abord, sur l'argument selon lequel la législation actuelle protégerait déjà suffisamment le droit à l'IVG : nous trouvons étrange de devoir attendre qu'un droit soit menacé pour songer à le protéger. Je fais un parallèle : nous n'avons pas hésité à défendre la constitutionnalisation de l'abolition de la peine de mort alors que cela n'était pas juridiquement nécessaire compte tenu des engagements internationaux de la France.

Vous dites, ensuite, que ce droit n'est pas remis en cause ni en France ni en Europe. Mais voyez la Hongrie, la Suède, l'Italie, après l'épisode espagnol de 2014, sans même pointer les déclarations de certains de nos collègues sénateurs, fort heureusement minoritaires, qui parlent d'« infanticide légalisé » ! Une manifestation a d'ailleurs eu lieu à Paris le week-end dernier sur ce sujet.

J'en viens à l'argument selon lequel le droit à l'IVG serait déjà garanti par la Constitution, au titre des libertés fondamentales. Non, notre rapporteur l'a dit, le fait que le Conseil constitutionnel, saisi, ne l'ait pas déclaré inconstitutionnel ne suffit pas à faire de ce droit un droit constitutionnellement protégé : ce raisonnement a contrario ne suffit pas. Vous avez raison de soulever la question de l'effectivité de l'accès ; mais c'est un autre sujet.

Je tiens à votre disposition le sondage réalisé par l'Ifop voilà six mois sur la question de l'IVG : un tiers des Français pensent qu'une remise en cause du droit à l'IVG est possible. Concernant le principe de son inscription dans la Constitution, 81 % des Français y adhèrent, indépendamment de leur sensibilité politique : 77 % des électeurs de Mme Pécresse et 82 % des catholiques y sont favorables.

Quid , enfin, de l'utilité de cette inscription de l'accès à l'IVG dans la Constitution ? Quelque 77 % des Français la trouveraient utile.

Ces éléments doivent être pris en considération dans notre appréciation du sujet. Nous ne cessons de demander au Gouvernement de prendre la main en déposant un projet de loi. Alors que l'Assemblée nationale a très largement voté en faveur de ce texte, le Gouvernement ne semble pas se décider ; il est incontestable qu'un vote du Sénat le pousserait à agir.

M. Dominique Théophile . - Je vous remercie, ma chère collègue, de ces précisions très utiles, et je remercie le groupe Socialiste Écologiste et Républicain d'avoir inscrit ce texte à l'ordre du jour du Sénat, quelques semaines après la discussion de la proposition de loi de Mélanie Vogel. À titre personnel, je voterai pour ce texte ; j'avais d'ailleurs cosigné celui de Mme Vogel : je continue de penser qu'il est nécessaire de rehausser le niveau de protection accordé à l'IVG, qui fait pleinement partie de notre contrat social. Contrairement au texte que nous avons examiné en octobre dernier, le texte adopté par l'Assemblée nationale ne fait pas référence à la contraception ; il est le fruit d'un travail transpartisan dont je me félicite.

La constitutionnalisation du droit à l'IVG devrait s'accompagner de son inscription dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que le Président de la République et le Parlement européen appellent d'ailleurs de leurs voeux. À cet égard, je me réjouis que la France et l'Allemagne aient engagé très récemment un travail de mise à jour de cette charte. Il faut désormais espérer que le couple franco-allemand réussira à convaincre les États membres les moins respectueux du droit à l'IVG, dans la mesure où toute modification de la Charte ne peut être décidée qu'à l'unanimité.

Considérez, mes chers collègues, qu'un danger imminent pèse sur le droit à l'IVG ; j'invite ceux qui n'en seraient pas convaincus à changer de position.

M. Philippe Bas . - Je n'ai rien à retrancher à l'analyse présentée par Agnès Canayer, à laquelle je souscris ; je me contente d'y ajouter quelques considérations.

J'exclus totalement l'adoption du texte qui nous est soumis, qui est tout simplement mal rédigé et n'est pas approprié à l'objectif allégué de ses auteurs. Pour qu'une révision constitutionnelle soit adoptée, il faut avant tout que le texte en soit écrit en langue française. En l'espèce, « La loi garantit l'effectivité et l'égal accès au droit... », est-il écrit. « L'effectivité au droit », donc : pour commettre une erreur de syntaxe aussi manifeste et aussi grave, il faut être pratiquement analphabète !

Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Merci pour les députés !

M. Philippe Bas . - Mes chers collègues qui avez voulu inscrire cette proposition de loi constitutionnelle à l'ordre du jour des travaux du Sénat, à tout le moins, par respect pour le Parlement et pour la Constitution, il eût fallu que vous l'amendiez pour écrire, par exemple, « La loi garantit l'accès effectif et égal au droit à l'interruption volontaire de grossesse », ce qui veut dire la même chose, mais le dit correctement. Je ne voterai jamais un texte de révision constitutionnelle qui n'est pas écrit en langue française. Et je ne comprends pas qu'il ait pu être adopté par l'Assemblée nationale - ce point me paraît dirimant.

Mmes Éliane Assassi et Marie-Pierre de La Gontrie . - Amendez-le !

M. Philippe Bas . - Amendez-le vous-mêmes, puisque vous voulez son adoption !

À supposer même que vous l'ayez réécrit en langue française, ce qui est bien sûr à votre portée, il me semble que ce texte n'est pas approprié, pour une raison très simple : il porte sur une mesure organisationnelle, l'effectivité, et sur les modalités d'accès à ce droit, l'égalité ; or ce sujet-là n'est pas exactement celui que vous voulez traiter.

Vous voulez inscrire dans la Constitution le droit à l'interruption volontaire de grossesse ; mais justement, la disposition dont nous avons à débattre ne définit pas ce qu'est ce droit. Or le Conseil constitutionnel ne parle pas d'un droit, mais d'une liberté, que la décision de 2001 a élevée au rang des libertés constitutionnelles. Bien entendu, le Conseil constitutionnel pourrait un jour faire évoluer sa jurisprudence, mais, en l'état actuel du droit, il s'agit d'une liberté de nature constitutionnelle. Mais toute liberté a des limites ; en l'espèce, ces limites sont définies de manière tout à fait équilibrée par la loi Veil, qui dispose qu'il faut concilier la liberté de la femme enceinte d'interrompre sa grossesse avec les droits de l'enfant à naître, les seconds prévalant sur la première à partir de la quatorzième semaine, sauf motif thérapeutique - jusqu'à la quatorzième semaine, c'est la liberté de la femme qui prévaut sur les droits de l'enfant à naître.

Si vous inscrivez dans la Constitution la liberté de la femme enceinte de mettre un terme à sa grossesse, vous devez aussi assigner au législateur le devoir d'en déterminer les conditions et les limites. Si l'on avait constitutionnalisé la loi Veil, on n'aurait pas pu allonger le délai de dix à douze puis à quatorze semaines sans révision de la Constitution ; on n'aurait pas pu supprimer la condition de détresse sans révision de la Constitution ; on n'aurait pas pu faciliter l'accès des femmes mineures à l'interruption volontaire de grossesse sans révision de la Constitution.

Vous voyez qu'il y a là un débat substantiel, complètement escamoté : dès lors que l'on ne préserve pas les pouvoirs du législateur en matière d'avortement, alors cela se retourne contre toute revendication féministe, et non pas seulement contre ceux qui voudraient mettre en cause la loi Veil.

Par conséquent, j'incite à la plus grande prudence dans l'examen de cette question, qu'il faut traiter sans instrumentalisation politicienne et sans renvoyer ceux qui sont contre à une supposée hostilité à l'avortement tel qu'il est permis par la loi Veil - cela est faux et même offensant. Je considère, comme Mme de La Gontrie, que le Gouvernement et le Président de la République n'assument pas leurs responsabilités dans ce processus de révision constitutionnelle.

Voilà un texte mal fagoté, qui n'a pas même été soumis au Conseil d'État - je ne parle pas de le soumettre à l'Académie française : on peut s'en dispenser... -, dont la qualité juridique est très contestable : tel est le premier défaut d'une révision constitutionnelle dont le Président de la République ne prend pas l'initiative sur proposition du Gouvernement. Son deuxième défaut est le suivant : le champ du possible se referme, puisqu'on n'a plus le choix entre le Congrès et le référendum - si un texte de révision d'initiative parlementaire est adopté en lieu et place d'un projet de loi constitutionnelle, c'est obligatoirement la voie du référendum qui prévaut.

En ce qui me concerne, je ne suis pas fermé à l'idée d'inscrire une telle liberté dans la Constitution, puisqu'elle est déjà reconnue comme étant de rang constitutionnel compte tenu de la décision de 2001. Encore faut-il une rédaction simple, sobre, cohérente. Pareille rédaction est possible : il suffit d'écrire que la loi détermine les conditions et les limites dans lesquelles s'exerce la liberté de la femme enceinte de mettre fin à sa grossesse. Je vous propose, mes chers collègues, que nous y réfléchissions ensemble.

Mme Esther Benbassa . - Je remercie Mme Canayer pour son rapport sur ce texte qui porte sur un sujet sur lequel nous avons déjà débattu, et Mme de La Gontrie d'avoir exposé l'essentiel des arguments décisifs.

Je m'étonne de la position de M. Bas : vous êtes fin législateur, et vous vous attardez sur la forme... Il ne s'agit pas de décerner un prix Nobel ou quelque prix littéraire que ce soit ! Cette insistance sur un élément qui n'est d'aucune importance montre que vous n'avez pas d'arguments, s'agissant d'un sujet grave qui concerne les femmes.

Ce n'est pas parce que le droit à l'IVG a été voté il y a cinquante ans qu'il est hors de danger à jamais ; a contrario , jetez un oeil à la législation néerlandaise, particulièrement protectrice. Nous devons entendre les demandes de la population et les exigences du mouvement social : la Constitution n'est pas un texte sacré ou intouchable. Il faudra bien, un jour, voter ce texte, que l'exécutif devrait certes s'approprier sous forme de projet de loi.

Je voterai cette proposition de loi et j'espère, mes chers collègues, que vous changerez de position : je ne souhaite pas que le Sénat donne l'impression qu'il est un lieu de réaction.

M. Éric Kerrouche . - Au-delà de la compétence syntaxique forte du questeur Bas, qui empêche manifestement d'étudier le fond du sujet,... la question qui nous est posée est claire.

On nous oppose que le droit à l'IVG n'est pas menacé en France. C'est faux ! L'extrême droite identitaire fait de cette question un combat fondamental. On peut décider de ne pas le voir, mais c'est une réalité : en ce sens, cette liberté est menacée.

Je rappelle que le bloc de constitutionnalité va beaucoup plus loin que le texte de la Constitution proprement dite : il englobe la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi que les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et les principes « particulièrement nécessaires à notre temps » du préambule de 1946. Au sein de ce bloc, l'IVG est considérée comme une liberté de second rang ; nous considérons qu'il n'est pas possible d'en rester là.

J'entends les arguments de Mme le rapporteur : après tout, si une menace sur l'IVG venait à se manifester, le Conseil constitutionnel jouerait son rôle. Mais cela veut dire que nous nous remettons dans les mains d'une cour suprême ; or, en fonction de la composition de celle-ci, la jurisprudence peut varier. Et qu'on ne me dise pas que c'est impossible : c'est arrivé aux États-Unis. Le pire peut advenir !

Plus fondamentalement, les constitutions ont deux fonctions. La première est de définir le fonctionnement des pouvoirs publics ; la seconde est d'énoncer des principes déclaratifs, symboliques. Ce n'est pas pour rien que la nôtre a été modifiée vingt-quatre fois, parfois de manière substantielle.

Sur le fond, nous convergeons au moins sur une chose : en effet, la proposition de loi n'était sans doute pas le véhicule le plus adapté et le Gouvernement aurait dû prendre son courage à deux mains en déposant un projet de loi. À cet égard, si le Sénat votait pour le présent texte, il est bien entendu que cela l'obligerait.

Mme Muriel Jourda . - Les Français seraient favorables à 80 % à la constitutionnalisation de l'IVG, nous dit-on. Je serais curieuse de savoir si, parmi ce panel de Français interrogés, tous ont connaissance de la hiérarchie des normes et des implications réelles d'une constitutionnalisation.

En revanche, je l'admets aisément, ce chiffre montre combien les personnes interrogées sont attachées à la liberté des femmes de recourir à l'IVG, ce qui confirme qu'il n'y a pas en France, en réalité, d'opposition massive à ces dispositions, contrairement à ce que dit M. Kerrouche. On ne voit pas de manifestation massive d'une telle opposition dans les divers partis politiques. Qui est cette extrême droite identitaire à laquelle il a été fait référence ? En tout cas, l'extrême droite qui est élue au Parlement, c'est-à-dire le Rassemblement national, a exprimé majoritairement, par la voix de ses députés, sa volonté de constitutionnaliser la liberté des femmes de recourir à l'IVG...

Ce problème est un problème américain : il y a là-bas de forts débats, en effet, qui sont peut-être liés au fait que dans certains États l'avortement est possible jusqu'à six mois de grossesse.

M. Hussein Bourgi . - Et en Pologne ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Et en Suède ?

Mme Muriel Jourda . - En France, je ne vois pas à quel titre nous modifierions notre loi fondamentale pour y inscrire une liberté que personne ne conteste et à laquelle les Français sont attachés. Je voterai contre ce texte.

M. Jean-Yves Leconte . - Ce débat n'est pas si exclusivement américain que cela... Si nous proposons de nouveau, quelques semaines après un premier débat sur la constitutionnalisation de l'IVG, un texte du même esprit, nous restons lucides : nous imaginons bien que la majorité sénatoriale ne changera pas d'avis, mais nous essayons malgré tout de vous convaincre.

Un projet de loi constitutionnelle serait un meilleur véhicule ; mais il faut que le Sénat joue son rôle. Si vous estimez que la rédaction proposée n'est pas idéale, monsieur Bas, amendez-la ! Nous n'avons pas besoin d'un vote conforme, mais d'une amélioration de ce texte. Si la rédaction issue de tels travaux peut ensuite convenir à l'Assemblée nationale, ou au Gouvernement qui déciderait de la reprendre sous la forme d'un projet de loi, nous aurons progressé et notre démarche aura eu du sens - tel est l'objet même de la navette parlementaire.

Mme Françoise Gatel . - Je remercie Agnès Canayer pour son travail sur un texte difficile, qui fait l'objet d'interprétations et d'appréciations devant lesquelles je ne suis pas sans éprouver une certaine gêne.

Sur le fond, ceux qui réclament la sacralisation de ce droit que j'approuve totalement nous disent en même temps qu'une Constitution se modifie. Ainsi reconnaissent-ils que la constitutionnalisation ne protège pas de façon pérenne.

Quant au sondage sur la volonté des Français de constitutionnaliser le droit à l'IVG, je partage les réserves exprimées par Muriel Jourda ... La question telle qu'elle est posée peut conduire à se dire favorable à la constitutionnalisation au motif fallacieux qu'être contre reviendrait à vouloir supprimer le droit à l'IVG...

Une menace pèse-t-elle en France sur le droit à l'IVG ? Je crois beaucoup à la souveraineté de la France ; il appartient à chacun d'entre nous de défendre la démocratie et ses valeurs. Je me refuse à intérioriser l'idée qu'en 2027 un tsunami électoral surviendrait forcément qui remettrait en cause ce droit. Le cas échéant, mes chers collègues, le régime dont il est question en menacerait bien d'autres. Quid du droit au logement, par exemple ? Les sénateurs qui ne voteront pas ce texte ne sont pas du tout opposés à l'IVG. Notre devoir est de garantir l'effectivité de ce droit.

M. Hussein Bourgi . - Tous les arguments qui ont été échangés sont recevables et respectables. Ne soyons ni excessivement alarmistes ni excessivement confiants. J'ai entendu l'une de nos collègues faire référence aux votes émis par les élus d'un certain groupe politique à l'Assemblée nationale. Restons au Sénat : ce lundi après-midi, ici même, dans la salle Monory, a eu lieu une conférence, parrainée par l'un de nos collègues, dont les participants ont remis en cause l'accès à l'IVG et sa constitutionnalisation...

Mme Marie Mercier . - Je remercie Agnès Canayer pour son rapport.

Je réponds à M. Bourgi : un colloque a en effet eu lieu ce lundi ; un autre avait eu lieu le lundi précédent, organisé par Michelle Meunier, sur la constitutionnalisation de l'IVG, à laquelle assistait l'une de mes consoeurs, gynécologue, qui m'a dit peiner à comprendre la signification et les conséquences de la  « constitutionnalisation ».

M. Éric Kerrouche . - Voilà quelques années, jamais le second colloque n'aurait eu lieu !

Mme Marie Mercier . - Certes, les femmes rencontrent des difficultés dans notre pays, mais ces difficultés sont avant tout liées au manque de moyens des plannings familiaux, des médecins scolaires, de la médecine en général. Quand une maternité ferme, c'est dans bien des cas un centre IVG qui ferme aussi.

En ce qui concerne l'extrême droite, notre rôle est celui de la vigilance démocratique : au lieu de faire comme si elle allait accéder au pouvoir en 2027, battons-nous pour que cela n'arrive pas. Car l'inscription dans la Constitution ne l'empêcherait pas de balayer ces droits d'un revers de main.

Mme Agnès Canayer , rapporteur . - Je réaffirme fortement qu'il y a une différence entre la question de la constitutionnalisation et celle de l'IVG : ne les amalgamons pas. Le problème n'est pas de savoir si l'on est pour ou contre l'IVG ; il est de savoir si l'on souhaite constitutionnaliser ce droit.

Le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé sur l'IVG ; il l'a reconnue comme une déclinaison de la liberté de la femme. L'inscription dans la Constitution ne présagerait pas de l'avenir : ce texte a déjà été modifié vingt-quatre fois et un renversement de régime conduirait probablement à changer de Constitution ; il ne s'agit pas d'une arme absolue.

A contrario , une inscription mal ficelée, mal rédigée, trop restrictive, viendrait restreindre les libertés et limiter les prérogatives du législateur. Or la rédaction du texte qui nous est soumis n'est pas acceptable à cet égard, au-delà même de la faute de syntaxe qui y figure.

J'ai mené beaucoup d'auditions sur cette question : il y a beaucoup de réserves sur cette proposition de loi. Certains de mes collègues députés m'ont même dit qu'ils avaient voté pour sachant que le Sénat s'y opposerait...

Ce texte tel qu'il est rédigé n'est pas acceptable. Jean-Yves Leconte nous invite à l'amender ; mais le droit d'amendement appartient à tous les parlementaires.

EXAMEN DES ARTICLES

Motion

Mme Agnès Canayer , rapporteur . - J'émets un avis défavorable à la motion COM-1 tendant à opposer la question préalable déposée par M. Ravier : ce sujet mérite débat.

La motion COM-1 n'est pas adoptée .

M. François-Noël Buffet , président . - Notre rôle, en tant que législateurs, est d'écrire la loi de façon claire et précise. Chacun a en mémoire, pour ne citer que cet exemple, la si limpide définition de la responsabilité civile contenue dans l'ancien article 1382 du code civil : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. »

Il faut redire clairement que nous sommes tous favorables à l'interruption volontaire de grossesse telle qu'elle est reconnue par la loi ; il n'est pas question de faiblir sur ce point.

Éric Kerrouche a dit qu'on ne pouvait pas prévoir, voilà quelques années, qu'un colloque comme celui qui a été organisé au Sénat ces jours-ci aurait lieu. Mais on ne pouvait pas plus prévoir que des propos d'une violence terrible, que je condamne, seraient tenus à l'Assemblée nationale par des députés d'extrême gauche.

Enfin, s'agissant d'un sujet aussi important, il n'est pas acceptable que le Gouvernement n'assume pas sa responsabilité.

Je suivrai notre rapporteur. Un travail plus sérieux serait nécessaire si nous voulions qu'un tel texte puisse prospérer.

Article unique

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle n'est pas adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte de la proposition de loi constitutionnelle adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Motion

M. RAVIER

COM-1

Motion tendant à opposer à la question préalable

Rejeté

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