EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Garantir l'application des chapitres Ier, II et III du titre IV du livre IV
du code de commerce à toute relation commerciale, dès lors que les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français ainsi qu'affirmer la compétence des tribunaux français
en la matière

Cet article précise que les dispositions du code de commerce relatives à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et à d'autres pratiques prohibées, sont d'ordre public et qu'elles s'appliquent à toute convention entre un fournisseur et un acheteur lorsque les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français.

L'intention du législateur est de considérer ces dispositions comme des lois de police, tout en laissant le soin aux juges de les consacrer effectivement comme telles, conformément à la pratique juridique. Ce faisant, cet article entend lutter contre le contournement du droit français par certains distributeurs facilité depuis quelques années par le développement de centrales d'achat et de référencement internationales.

En outre, cet article 1 er affirme la compétence exclusive des tribunaux français pour connaître des litiges portant sur l'application de ces dispositions, sous réserve du respect du droit de l'UE et du droit international.

La commission a adopté un amendement de la rapporteure déplaçant le contenu de cet article 1 er au sein d'un nouvel article L. 443-9, compte tenu du fait que l'article du code de commerce initialement retenu par cet article 1 er existe déjà. Elle a également adopté un amendement de M. Menonville précisant que le recours à l'arbitrage est exclu de ces dispositions.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

I. La situation actuelle - Un contournement de plus en plus fréquent, par certains distributeurs, du droit français relatif aux négociations commerciales par le truchement du développement de centrales d'achat installées à l'étranger

A. Le droit français relatif aux négociations commerciales entend garantir un équilibre entre fournisseurs et distributeurs

Le titre IV 2 ( * ) De la transparence, des pratiques restrictives de concurrence et d'autres pratiques prohibées ») du livre IV (« De la liberté des prix et de la concurrence ») du code de commerce regroupe l'ensemble des dispositions juridiques applicables aux négociations commerciales qui se tiennent entre fournisseurs et distributeurs ainsi qu'à l'exécution du contrat en cours d'année. Leur objectif principal est d'encadrer le déroulement de ces négociations (documents à transmettre, contenu desdits documents, échéances calendaires à respecter, délais de paiement, pénalités logistiques, pratiques prohibées) et d'interdire certaines pratiques commerciales, afin de garantir un certain équilibre sur un marché caractérisé par un grand nombre de fournisseurs et un petit nombre d'acheteurs.

Son chapitre I er (art. L. 441-1 à L. 441-19) traite en particulier de la transparence dans la relation commerciale :

• sa section 1 regroupe les règles relatives aux conditions générales de vente qui sont envoyées par le fournisseur à son acheteur. Il est notamment précisé leur contenu (conditions de règlement, éléments de détermination du prix) ainsi que le fait qu'une fois établies, « elles constituent le socle unique de la négociation commerciale ». L'article L. 441-1-1, crée par l'article 4 de la loi dite « Egalim 2 3 ( * ) », précise plus particulièrement les règles de transparence applicables aux CGV des produits alimentaires et des produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie ( cf . examen de l'article 4) ;

• sa section 2 traite de la négociation et de la formalisation de la relation commerciale. Elle précise notamment qu'à l'issue des négociations commerciales, une convention écrite conclue entre le fournisseur et le distributeur « mentionne les obligations réciproques auxquelles se sont engagées les parties » (art. L. 441-3) et fixe différentes obligations concourant à la détermination du prix convenu (conditions de l'opération de vente comme les réductions de prix, services de coopération commerciale, etc.). Son article L. 441-4 traite plus spécifiquement de ladite convention lorsqu'elle est relative aux produits de grande consommation (mention du barème des prix unitaires, fixation du chiffre d'affaires prévisionnel et de sa révision, date d'entrée en vigueur). À noter en particulier que cet article fixe les dates de la négociation commerciale annuelle : les CGV devant être envoyées au plus tard trois mois avant le 1 er mars, la négociation débute généralement au 1 er décembre. Enfin, cette section 2 définit un certain nombre de règles applicables aux contrats portant sur les produits vendus sous marque de distributeur (modalités de détermination du prix, clause de révision automatique des prix, volume prévisionnel, durée minimale, répartition des coûts additionnels entre distributeur et fournisseur, etc.). Y figure également le régime de sanctions applicables en cas de méconnaissance de ces dispositions (art. L. 441-6) ;

• sa section 3 fixe le cadre général de la facturation et encadre les délais de paiement (art. L. 441-10 à L. 441-16) : règle générale de trente jours après réception des marchandises, délai maximal de soixante jours, taux d'intérêt des pénalités de retard exigibles, etc.) ;

• sa section 4, enfin, créée à l'initiative du Sénat lors de l'examen de la loi Egalim 2, encadre les pénalités logistiques pouvant être infligées par un distributeur à un fournisseur en cas d'inexécution d'un engagement contractuel, et vice versa . Aux termes de l'article L. 441-17, ces pénalités « doivent être proportionnées au préjudice subi », et « la preuve du manquement doit être apportée par le distributeur par tout moyen ». Par ailleurs, certaines pratiques sont explicitement interdites, comme le refus ou retour de marchandises (sauf en cas de non-conformité ou de non-respect de la date de livraison) ou la déduction d'office des pénalités du montant de la facture.

Le chapitre 2 du titre IV du livre IV du code de commerce traite quant à lui des pratiques commerciales déloyales entre entreprises :

• sa section 1 concerne les pratiques restrictives de concurrence, qui engagent la responsabilité de leur auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé. Y figurent notamment l'obtention d'un avantage sans contrepartie, la soumission de l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif, l'imposition de pénalités logistiques ne respectant pas l'article L. 441-17 ( cf. supra ), et, pour les produits alimentaires et ceux destinés à l'alimentation des animaux, le fait de pratiquer à l'égard de l'autre partie des délais de paiement, des CGV ou des modalités de vente ou d'achat qui soient discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles (art. L. 442-1). De même, la rupture brutale d'une relation commerciale en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte de la durée de ladite relation, est considérée comme une pratique restrictive de concurrence. Cette section 2 précise par ailleurs que sont nuls les clauses et contrats prévoyant la possibilité de bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant (art. L. 442-3), ainsi que la revente à perte (art. L. 442-5, cf. examen de l'article 2) et le fait, pour un acheteur de produits agricoles, de faire pratiquer par son fournisseur un prix de cession abusivement bas (art. L. 442-7).

Des compétences particulières reconnues aux autorités publiques
pour faire cesser ces pratiques restrictives de concurrence

Aux termes de l'article L. 442-4 du code de commerce, « l'action [visant à faire cesser ces pratiques] est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée aux articles précités ».

Si toute personne justifiant d'un intérêt peut demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation de ces pratiques ainsi que la réparation du préjudice subi, le ministre chargé de l'économie ou le ministère public dispose d'un arsenal plus large en la matière. Ils peuvent en effet, en sus , faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la restitution des avantages indument obtenus (possibilité également ouverte à la partie victime d'une telle pratique) ainsi que demander le prononcé d'une amende civile. Son montant est alors plafonné au plus élevé des trois montants suivants : cinq millions d'euros, ou le triple du montant des avantages indument perçus ou obtenus, ou 5 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'auteur des pratiques.

Par ailleurs, il est prévu que la juridiction « ordonne systématiquement la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise », et qu'elle « peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte ».

Le chapitre 3, enfin, comporte des dispositions spécifiques aux produits agricoles et aux denrées alimentaires :

• les articles L. 443-1 à L. 443-7 mêlent diverses obligations (précision de l'origine des produits agricoles périssables lorsqu'ils font l'objet d'une réduction de prix bénéficiant d'une publicité, présence d'un bon de commande établi par l'acheteur ou d'un contrat passé avec le commissionnaire ou le mandataire lors du transport de fruits et légumes frais destinés à la vente, mention au sein des CGV des indicateurs de coût de production utilisés pour la détermination du prix d'achat des produits agricoles) et interdictions (pour le distributeur de bénéficier de remises ou rabais pour certains produits agricoles lorsqu'ils ne sont pas prévus dans un contrat écrit, pour un acheteur de produits alimentaires périssables d'annuler une commande dans un délai inférieur à trente jours, pour un acheteur de produits agricoles d'utiliser ou divulguer illicitement des secrets d'affaires, etc.) ;

• l'article L. 443-8, crée par la loi Egalim 2, précise le cadre applicable à la convention unique conclue entre un fournisseur et un distributeur lorsque cette dernière concerne des produits alimentaires ou destinés à l'alimentation des animaux de compagnie. Il y est précisé, notamment, que « la négociation commerciale ne porte pas sur la part, dans le tarif du fournisseur, du prix des matières premières agricoles (MPA) » et que ladite convention doit comporter une clause de révision automatique des prix du contrat en fonction de la variation du coût de la MPA.

B. Le risque d'un contournement du droit français par certains distributeurs installant leurs centrales d'achat à l'étranger a augmenté ces dernières années...

1) Des centrales internationales censées permettre aux distributeurs de négocier à armes égales avec les grands industriels

Depuis plusieurs années s'est développée la pratique consistant à créer à l'étranger des centrales d'achat et de référencement 4 ( * ) (Belgique, Suisse, Espagne, etc.) regroupant généralement des distributeurs de nationalités différentes. Les principales centrales d'achat internationales dans lesquelles figurent des enseignes françaises sont listées dans l'encadré suivant.

L'objectif souvent mis en avant par les distributeurs est quadruple :

• ces centrales permettraient d'accroître leur pouvoir de négociation vis-à-vis de certains fournisseurs industriels de très grande taille (Coca-Cola, Nestlé, Ferrero, Danone, Unilever, etc.) ;

• elles permettraient de mettre fin à certaines pratiques de fournisseurs qui proposeraient des tarifs différents aux distributeurs selon le pays de commercialisation de leurs produits. Pour les distributeurs, ces pratiques, lorsqu'elles ont lieu entre des pays aux niveaux de vie similaires, pourraient être assimilées à une forme de discrimination pratiquée par les industriels. Pour les industriels, en revanche, l'écart de prix s'explique par plusieurs facteurs : les charges sociales et fiscales diffèrent d'un pays à l'autre, les habitudes de consommation seraient rarement les mêmes entre les pays (le volume de produits vendus impactant le tarif nécessaire à sa rentabilité), les investissements marketing ne sont pas les mêmes, les pratiques promotionnelles (particulièrement agressives en France) diffèrent entre les pays et peuvent justifier, pour les financer, l'application d'un tarif en rayon plus élevé, etc. ;

• elles seraient sources d'économies d'échelle, en regroupant les fonctions « achat » et en massifiant les commandes auprès des grandes marques ;

• elles se justifieraient par la présence de l'enseigne de grande distribution dans plusieurs pays (c'est par exemple le cas de la centrale Eureca à Madrid, à travers laquelle Carrefour négocie pour six pays dans lesquels il est implanté).

Un développement croissant, depuis quelques années, de centrales d'achat internationales

Outre la centrale d'achat Eurelec (Leclerc et Rewe) mise en place en 2016, plusieurs centrales internationales ont été créées récemment :

- la centrale internationale Coopernic (Leclerc, Rewe (Allemagne), Coop (Suisse), Delhaize (Belgique), Coop Italia (Italie)) ;

- Global Retail Services, la structure internationale de l'alliance à l'achat Auxo, qui négocie des services internationaux (et non l'achat de produits) ;

- Carrefour World Trade, qui négocie pour neuf marchés de Carrefour (France, Espagne, Belgique, Italie, Pologne, Roumanie, Argentine, Brésil, Chine) et pour l'entreprise Louis Delhaize ;

- Eureca, centrale créée par Carrefour et chargée d'acheter exclusivement pour Carrefour, pour six pays européens ;

- Epic, centrale regroupant Système U, Edeka (Allemagne), Picnic (Pays-Bas), Migros (Suisse), Jeronimo Martins (Portugal) et ICA (Suède) ;

- Everest, regroupant Système U, Edeka (Allemagne), Picnic (Pays-Bas).

Ces centrales et alliances à l'achat traitent avec un nombre croissant de fournisseurs industriels : alors qu'Eurelec (E. Leclerc) traitait avec quatre fournisseurs il y a six ans, ce sont désormais 40 fournisseurs qui y sont « attirés ». La centrale Eureca (Carrefour), initiée en 2023, traite, sous droit espagnol, avec quatre industriels (Kellogg's, Mars, Redbull, Reckitt Benckiser) et a annoncé son souhait de passer à 20 fournisseurs en 2024 puis 40 d'ici trois ans.

Si les centrales d'achat internationales expliquent n'y « attirer » que les grands industriels, et non pas les PME et les ETI, cette affirmation est remise en cause tant du côté des fournisseurs que des producteurs agricoles, ces derniers constatant notamment que « l'évasion de la négociation à l'étranger est un grand risque car ne sont plus invités seulement les grands groupes mais aussi des ETI françaises qui valorisent des produits agricoles français. Ce risque doit être pris au sérieux par le législateur . [...] Si la non-négociabilité de la matière première agricole n'est plus assurée parce que la négociation se sera déroulée à l'étranger, alors la rémunération des agriculteurs sera mise en danger 5 ( * ) ». Du reste, les services ministériels ont confirmé à la rapporteure que le spectre des fournisseurs concernés s'élargissait, pour atteindre désormais les ETI. Certaines d'entre elles réalisent plus de 80 % de leur chiffre d'affaires en France.

Selon plusieurs industriels entendus par la rapporteure, la « valse » des centrales et alliances d'achat ne se justifie par aucune stratégie industrielle ou commerciale, mais par la volonté d'accroître la pression commerciale sur le stade amont en s'exonérant de l'application du droit français. En outre, ces centrales (françaises comme internationales) se font et se défont très rapidement ; dans le cas des centrales internationales, sans qu'aucun critère objectif, justifiant que tel fournisseur y soit « attiré » mais pas tel autre, ne soit rendu public (ni même communiqué aux fournisseurs, d'après ces derniers) 6 ( * ) .

Des centrales d'achat nationales dont le périmètre a évolué fréquemment ces dernières années

Au-delà de la problématique des centrales internationales et du droit applicable aux négociations qu'elles conduisent, se pose de plus en plus celle du périmètre mouvant des centrales (ou alliances) « seulement » nationales.

Ainsi en 2014, quatre alliances existaient : Inca Achats (Intermarché et Casino, pour 26 % représentant 26 % de parts de marché), Alliance (Auchanet Système U) et une centrale regroupant Carrefour et Provera. Avec la centrale Le Galec (Leclerc), 90 % du marché étaient couverts par ces quatre centrales.

En 2018, plusieurs évolutions ont eu lieu : la centrale Envergure a été créée, regroupant Carrefour, Système U et Provera, une alliance à l'achat baptisée Horizon a été conclue entre Auchan, Casino, Métro et Schiever, et l'alliance à l'achat Inca Achats (Intermarché et Casino) a pris fin.

En 2021, l'alliance à l'achat Horizon a pris fin, Intermarché et Casino se sont à nouveau rapprochés en créant l'alliance Auxo (composée de deux structures au niveau national et une structure au niveau international), et Carrefour et Système U ont mis fin à leur alliance à l'achat Envergure.

Désormais, 67 industriels de l'alimentaire et 47 fournisseurs de produits non-alimentaires sont concernés par les négociations avec l'alliance Auxo (Intermarché et Casino).

2) Un développement qui permet notamment (voire avant tout) de contourner la loi française

Pour autant, un des objectifs du développement de ces centrales d'achat et de référencement internationales semble être, de l'avis général des acteurs (publics et privés) entendus par la rapporteure, à l'exception évidente des distributeurs, de contourner la loi française, cette dernière comportant un nombre important de dispositions visant à équilibrer le rapport de force entre fournisseurs et distributeurs. Ce constat est particulièrement mis en avant dans le cas d'enseignes françaises n'ayant qu'une faible présence à l'international.

Une note interne de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), dont la presse s'est faite l'écho 7 ( * ) , soulignait ainsi fin 2017 que la centrale internationale Eurelec, regroupant le groupe Leclerc et le groupe allemand Rewe, visait à « délocaliser la négociation commerciale à l'étranger » pour « éviter l'application de la loi française ». Du reste, selon cette note, ce déplacement des négociations à l'étranger s'accompagnerait de « fortes dégradations des tarifs sans contrepartie et de nombreuses mesures de rétorsion contre les fournisseurs ».

À noter, du reste, que la centrale Eurelec est de droit belge alors qu'E. Leclerc réalise 95 % de son activité en France. Les développements récents concernant Système U soulèvent des préoccupations similaires parmi les industriels : alors que la quasi-intégralité de son résultat est réalisée en France, l'enseigne vient de rejoindre une alliance à l'achat située aux Pays-Bas, en association avec Pic-Nic et Edeka.

Par ailleurs, la commission d'enquête de 2019 sur la situation et les pratiques de la grande distribution et ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs 8 ( * ) , concluait également, à propos de la centrale Eurelec, que « de la sorte, il devient possible de s'affranchir de certaines règles françaises (droit de la concurrence, délais de paiement, etc.) en organisant une véritable "extraterritorialité" ». Plus globalement, la commission a identifié un certain nombre de pratiques déloyales résultant du développement de ces centrales internationales, notamment le fait que « la signature d'un contrat avec une centrale de services européenne soit devenue un préalable à l'ouverture des négociations au niveau national », ou encore que « des pressions ont pu être exercées au niveau national pour forcer à la conclusion d'accords internationaux ».

Certaines pratiques mises en avant lors des auditions de la rapporteure confirment que l'objectif de certaines centrales internationales est bien, avant tout, de contourner le droit français : une centrale internationale réunissant une enseigne française et une enseigne allemande, par exemple, a fait le choix de négocier sous droit allemand avec ses fournisseurs allemands, mais sous droit belge avec ses fournisseurs... français.

C. ... bien que les juridictions françaises et les pouvoirs publics aient, à plusieurs reprises, confirmé que ces dispositions s'appliquent à des opérateurs situés à l'étranger lorsque l'exécution de la relation commerciale a lieu en France, compte tenu de leur caractère de loi de police

1) Afin de garantir l'effectivité de la loi, certaines dispositions sont érigées au rang de loi police par le législateur ou le juge

Une disposition érigée au rang de « loi de police » vise à définir quelle loi est applicable en cas de litige pour lequel plusieurs lois pourraient trouver à s'appliquer.

Si la règle générale en matière contractuelle, qui figure à l'article 3 du règlement européen dit « Rome I » 9 ( * ) , précise que « le contrat est régi par la loi choisie par les parties », son article 9 précise, par dérogation à cette règle générale, qu'« une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement ». Autrement dit, certaines dispositions juridiques sont d'une importance telle pour la préservation de l'ordre public, que leur application prime sur celle d'une autre loi. Cet article 9 précise par ailleurs que « les dispositions du présent règlement ne pourront porter atteinte à l'application des lois de police du juge saisi », et qu'« il pourra également être donné effet aux lois de police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été exécutées, dans la mesure où lesdites lois de police rendent l'exécution du contrat illégale ». De façon générale, les lois de police en matière économique visent à protéger la partie faible d'une relation contractuelle.

Rares sont les dispositions juridiques érigées au rang de « loi de police » par le législateur lui-même. Il peut à cet égard être noté :

• les articles L. 311-15 et L. 311-23 du code des assurances, qui traitent de dispositions relatives aux mesures de prévention et de résolution ;

• les articles L. 613-45-1 et L. 613-50-4 du code monétaire et financier, qui traitent de dispositions relatives aux mesures d'intervention précoce en matière de prévention et de gestion des crises bancaires ;

• de 1995 à 2014, l'article L. 135-1 du code de la consommation qui prévoyait que « les dispositions de l'article L. 132-1 [interdiction des clauses abusives créant un déséquilibre significatif entre les parties] sont applicables lorsque la loi qui régit le contrat est celle d'un État n'appartenant pas à l'Union européenne, que le consommateur ou le non-professionnel a son domicile sur le territoire de l'un des États membres de l'Union européenne et que le contrat y est proposé, conclu ou exécuté ».

À noter par ailleurs que l'article 3 du Code civil précise que « les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire ».

Outre ces dispositions légales, différentes jurisprudences ont érigé certaines dispositions juridiques, notamment du code de commerce, au rang de loi de police.

Ainsi de la Cour de cassation qui, en 2020, dans un litige opposant le ministre de l'économie à différentes entreprises de voyage (Expedia, Travelscape, Hotels.com, Vacationspot), a jugé que « la cour d'appel a exactement retenu que l'article L. 442-6, I, 2° et II, d) du code de commerce 10 ( * ) , prévoit des dispositions impératives dont le respect est jugé crucial pour la préservation d'une certaine égalité des armes et loyauté entre partenaires économiques et qui s'avèrent donc indispensables pour l'organisation économique et sociale de la France, ce dont elle a déduit, à bon droit, qu'elles constituent des lois de police dont l'application [...] s'impose au juge saisi, sans qu'il soit besoin de rechercher la règle de conflit de lois conduisant à la détermination de la loi applicable 11 ( * ) ».

Ainsi toujours de la Cour de cassation qui, en 2016, dans un litige opposant le ministre de l'économie et la société Apple, a jugé que « l'arrêt [de la cour d'appel] énonce, à bon droit, que l'action ainsi attribuée [au ministre] au titre d'une mission de gardien de l'ordre public économique pour protéger le fonctionnement du marché et de la concurrence est une action autonome dont la connaissance est réservée aux juridictions étatiques au regard de sa nature et de son objet ; que, le ministre n'agissant ni comme partie au contrat ni sur le fondement de celui-ci, la cour d'appel a caractérisé l'inapplicabilité manifeste au litige de la convention d'arbitrage du contrat de distribution ».

Ainsi également du tribunal de commerce de Paris, qui dans une décision de 2019 a rappelé que « l'article L. 442-6 [devenu L. 442-1] étant une loi de police, [le ministre chargé de l'économie] bénéficie pour se faire d'une action autonome de protection du fonctionnement du marché national et de la concurrence, action qui n'est pas soumise au consentement des cocontractants ».

Par ailleurs, le 23 juin 2022, au cours d'un litige opposant le ministre de l'économie et Eurelec, le juge administratif a constaté le caractère de loi de police de l'article L. 441-3 du code de commerce (relatif à la convention unique devant être signée avant le 1 er mars entre le fournisseur et le distributeur), et en a déduit son applicabilité aux contrats conclus par la centrale d'achat, nonobstant son statut de société de droit belge. Dans ce litige, Eurelec contestait une sanction administrative de 6,134 millions d'euros qui lui avait été infligée en 2020 par la DIRECCTE d'Île-de-France en raison de 21 manquements à l'obligation de la société de conclure avec ses fournisseurs des conventions au plus tard à la date du 1 er mars de l'année de leur application.

En particulier, Eurelec soutenait que les dispositions de l'article L. 441-3 « ne lui sont pas opposables, dès lors que les contrats de vente conclus avec ses fournisseurs sous soumis à la législation belge ». Sur ce point, le juge administratif a considéré que « ces dispositions s'appliquent en tant que loi de police à toute convention conclue entre un fournisseur et un distributeur ayant pour objet la distribution de produits sur le marché français, sans qu'y fassent obstacle les circonstances que la convention est régie par une autre loi choisie par les parties, a été conclue dans un autre pays ou prévoit également la distribution de produits en dehors du marché français ». En outre, il a précisé que « ces dispositions poursuivent ainsi un objectif de défense de l'ordre public économique et permettent, par leur effet dissuasif, un fonctionnement équilibré du marché dans son ensemble ». Enfin, le juge a rappelé la compatibilité de la sanction infligée avec le droit européen.

Une décision récente de la CJUE relative à la compétence judiciaire en matière civile
et commerciale suscite quelques incertitudes

Entre 2016 et 2018, le ministre français de l'économie et des finances a conduit une enquête qui l'a conduit à soupçonner l'existence de pratiques possiblement restrictives de concurrence mises en oeuvre en Belgique par Eurelec, Scabel 12 ( * ) , le GALEC 13 ( * ) et l'ACDLEC 14 ( * ) à l'égard de fournisseurs établis en France (baisses de prix sans contrepartie, application de la loi belge aux contrats conclus afin de contourner le droit français, notamment).

À la suite d'opérations de visites et de saisies de documents effectuées en février 2018, le ministre a estimé que la réalité de ces pratiques était confirmée et a assigné Eurelec, Scabel, le GALEC et l'ACDLEC devant le tribunal de commerce de Paris, sur le fondement de l'ancien article L. 442-6 du code de commerce (devenu L. 442-1) « aux fins que celui-ci constate que ces pratiques soumettaient leurs partenaires commerciaux à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties », leur enjoigne de cesser ces pratiques et les condamne, entre autres, à une amende civile. Le ministre a invoqué, pour justifier la compétence des juges français en la matière alors que les sociétés assignées sont domiciliées à l'étranger, le règlement européen n° 1215/2012 du 20 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles I bis ». Son article 7 dispose, en effet, « qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre [...] en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande ». Par ailleurs, aux termes de son article 1 er , « le présent règlement s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s'applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l'État pour des actes ou des omissions commis dans l'exercice de la puissance publique ».

Les sociétés assignées ont contesté la compétence des juridictions françaises pour connaître de cette action, compte tenu du fait qu'Eurelec et Scabel sont des sociétés établies en Belgique. Par un jugement du 15 avril 2021, le tribunal de Paris s'est néanmoins déclaré compétent pour connaître de l'action. Eurelec et Scabel ont alors interjeté appel de ce jugement devant la cour d'appel de Paris. Elles considèrent en effet que l'action intentée par le ministre ne relevait pas de la « matière civile et commerciale », au sens du règlement européen n° 1215/2012 et, par conséquent, que cette juridiction était donc incompétente. Eurelec et Scabel s'appuient notamment sur le fait que l'article 1 er dudit règlement exclut de son champ d'application la responsabilité de l'État pour des actes commis dans l'exercice de la puissance publique ; or, tant les pouvoirs d'enquête mis en oeuvre par le ministre que la demande de prononcé d'une amende civile seraient des pouvoirs exorbitants par rapport aux règles de droit commun applicables dans les relations entre particuliers.

La cour d'appel de Paris a donc posé une question préjudicielle à la CJUE visant à savoir si la « matière civile et commerciale » mentionnée à l'article 1 er du règlement doit être interprétée comme intégrant dans son champ d'application l'action intentée par le ministre à l'encontre d'une société belge sur la base d'éléments de preuve obtenus au moyen de ses pouvoirs d'enquête spécifiques.

La CJUE a rendu sa décision le 22 décembre 2022, dans laquelle elle affirme qu'« il y a lieu de répondre à la question posée que l'article 1 er , paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens que la notion de "matière civile et commerciale", au sens de cette disposition, n'inclut pas l'action d'une autorité publique d'un État membre contre des sociétés établies dans un autre État membre aux fins de faire reconnaître, sanctionner et cesser des pratiques restrictives de concurrence à l'égard de fournisseurs établis dans le premier État membre, lorsque cette autorité publique exerce des pouvoirs d'agir en justice ou des pouvoirs d'enquête exorbitants par rapport aux règles de droit commun applicables dans les relations entre particuliers ». Dans le même temps, tout en affirmant que l'action du ministre ne relève pas de la notion de matière civile et commerciale, la CJUE précise : « ce qu'il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier » .

Cette décision est donc sujette à diverses interprétations, qu'il appartiendra au juge français de clarifier. Du reste, si le règlement n° 1215/2012 ne peut être utilement invoqué, d'autres dispositions juridiques peuvent toutefois justifier la compétence des juridictions françaises. L'affaire sera plaidée devant la cour d'appel le 5 avril 2023.

II. Le dispositif envisagé - Consacrer d'ordre public les trois chapitres en question du code de commerce et affirmer la compétence exclusive des tribunaux français en la matière

Dans sa rédaction initiale, l'article 1 er de la proposition de loi créait un nouvel article L. 440-2 au sein du code de commerce, aux termes duquel l'ensemble des dispositions du titre IV du livre IV s'appliquait à toute relation commerciale, dès lors que les produits ou services concernés étaient commercialisés sur le territoire français. Toute clause contraire était par ailleurs réputée non écrite. Enfin, cet article disposait que « tout litige portant sur l'application des dispositions de ce titre relève de la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve de l'application d'une disposition expresse contraire prévue par un règlement européen ou un traité international ratifié par la France » .

Selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, « le premier article vient confirmer le caractère de lois de police reconnu par la jurisprudence en ce qui concerne les dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce ». Il est explicitement indiqué qu'il s'agit là de lutter contre l'évasion juridique permettant le contournement de la loi française.

En commission, un amendement du rapporteur (par ailleurs auteur de la proposition de loi) a légèrement circonscrit le champ d'application de cet article 1 er et a précisé le contenu de ce dernier.

Désormais, ce n'est plus tout le titre IV qui bénéficie de cette protection, mais trois de ses chapitres (I er , II et III), considérant à juste titre que le chapitre préliminaire du titre IV, qui concerne la commission d'examen des pratiques commerciales, ne nécessitait pas d'être inclus dans le dispositif. Par ailleurs, il est précisé que « ces dispositions sont d'ordre public » (c'est-à-dire qu'il ne peut y être dérogé, même en cas de volonté partagée des parties au contrat). Une modification rédactionnelle concernant la primauté du droit de l'Union européenne a également été introduite. Par ailleurs, ces dispositions sont désormais inscrites au sein de l'article L. 444-1.

III. La position de la commission - Souscrire pleinement à ce dispositif pour lutter contre l'évasion juridique de certaines enseignes

Les velléités de contournement du droit français, dont l'objectif est de garantir un équilibre dans des négociations commerciales, ne sont pas acceptables et contribuent non seulement à tendre encore davantage les relations entre fournisseurs et distributeurs, mais aussi à pénaliser in fine les producteurs agricoles et alimentaires, les distributeurs cherchant à se soustraire aux lois Egalim et Egalim 2.

Or il y a fort à craindre que cette « évasion juridique » se renforce dans les années à venir, à mesure que le législateur rééquilibre le rapport de force entre fournisseurs et distributeurs.

C'est pourquoi les dispositions de cet article 1 er sont bienvenues. La rapporteure se félicite du choix qui a été fait de préciser que les chapitres en question du code de commerce sont d'ordre public, plutôt que d'inscrire directement dans la loi leur caractère de loi de police. Ériger près de quarante articles à ce rang aurait en effet pu entrer en contradiction avec le droit de l'Union européenne 15 ( * ) , et aurait pu conduire certains acteurs à considérer, a contrario , que tous les autres articles du code de commerce ne peuvent être considérés comme des lois de police.

L'intention du législateur est ainsi clairement affirmée, que ce soit dans les différents exposés des motifs, ou dans les prises de parole publiques des parlementaires.

Du reste, il est utile que la loi rappelle le caractère d'ordre public de ces dispositions, car elle laisse ainsi la possibilité au juge de les considérer comme lois de police.

Compte tenu du fait que l'article L. 444-1 existe déjà au sein du code de commerce, la commission a adopté un amendement COM-39 de la rapporteure déplaçant le contenu de cet article 1 er au sein d'un nouvel article L. 443-9.

Elle a par ailleurs adopté un amendement COM-37 de M. Menonville précisant que ces dispositions ne s'appliquent pas aux clauses d'arbitrage.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 2

Prorogation des dispositions relatives au relèvement du seuil de revente
à perte et à l'encadrement des promotions

Cet article prolonge de trois ans, jusqu'au 15 avril 2026, l'expérimentation relative au relèvement de 10 % du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions sur les denrées alimentaires et produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement qui :

- suspend l'application du SRP+ 10 jusqu'au 1 er janvier 2025, compte tenu de son inefficacité avérée en matière de revalorisation du revenu agricole et de son effet inflationniste. Par ailleurs, il exclue, à compter de cette date, les fruits et légumes frais de l'application du SRP+10, laissant la possibilité pour le ministre, par arrêté, de réintégrer certains de ces produits sur demande motivée de l'interprofession ;

- contraint les distributeurs à informer le Gouvernement, d'ici fin 2025, de l'usage qui a été fait du surcroît de recettes issu du SRP+ 10 durant les années de sa mise en application ;

- prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement, fin 2025, évaluant les effets du SRP+ 10 sur la période 2019-2022 et en 2025.

Par ailleurs, la commission a adopté un amendement de la rapporteure et trois amendements de ses collègues créant un article additionnel avant l'article 2 ter , étendant à tous les produits de grande consommation l'encadrement des promotions applicable aujourd'hui aux seuls produits alimentaires.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

I. La situation actuelle - Deux dispositions expérimentales dont les avantages n'ont pas encore été clairement démontrés, mais dont certains effets de bord sont désormais bien documentés

A. Le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte pour les produits alimentaires : une manne financière pour les distributeurs, qui n'a que peu ruisselé jusqu'aux agriculteurs

1) Présentation du seuil de revente à perte

Aux termes de l'article L. 442-5 du code de commerce, la vente à perte est interdite. En effet, « le fait, pour tout commerçant, de revendre ou d'annoncer la revente d'un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif est puni de 75 000 € d'amende. » Ce même article définit ensuite la notion de prix d'achat effectif : « le prix unitaire net figurant sur la facture d'achat, minoré du montant de l'ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et majoré des taxes sur le chiffre d'affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport. »

Une définition qui a évolué en 2005 pour y intégrer les « marges arrières »

Cette définition du seuil de revente à perte a évolué dans le temps : avant la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises, le prix d'achat ne pouvait être minoré des autres avantages financiers consentis par le vendeur. Autrement dit, le distributeur était obligé de revendre les produits au-dessus d'un prix d'achat qui n'incluait pas les services commerciaux qu'il vendait au fournisseur (placement en tête de gondole, dans le magazine, opérations spéciales en cours d'année, transmission de données statistiques sur les ventes, etc.), bien que ces services venaient, dans les faits, diminuer le réel prix d'achat acquitté par le distributeur (puisqu'il perçoit une somme en contrepartie de ces services). Ces services, dont l'utilité et la réalité matérielle de certains d'entre eux ont souvent été contestées par les fournisseurs, sont considérés comme des « marges arrières » pour le distributeur (par opposition à la « marge avant » qu'il réalise en vendant simplement plus cher qu'il n'a acheté).

Le fait d'avoir intégré ces marges arrières dans le calcul du seuil de revente à perte est généralement considéré comme ayant entraîné une diminution des prix.

Si la règle générale est l'interdiction de la vente à perte, ce même article L. 442-5 prévoit plusieurs exceptions, dont : l'affectation d'un coefficient de 0,9 au prix d'achat effectif pour les grossistes, les ventes volontaires ou forcées du fait d'une cessation d'activité, les produits dont la vente présente un caractère saisonnier marqué, les produits soldés, etc. Pour ces produits, soit le seuil de revente à perte est minoré, soit il ne s'applique pas.

2) Pour les produits alimentaires, une expérimentation du relèvement de 10 % du seuil de revente à perte depuis 2019, devant s'interrompre le 15 avril 2023

À la suite des États généraux de l'alimentation tenus en 2017, l'article 15 de la loi Egalim 16 ( * ) a habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour prévoir sur deux ans « d'affecter le prix d'achat effectif [...] d'un coefficient égal à 1,1 pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie, revendus en l'état au consommateur ». Autrement dit, un produit alimentaire acheté 1 € par un distributeur doit être revendu, au minimum, à 1,1 €.

L'objectif affiché alors était celui d'un « ruissellement » de l'aval vers l'amont permettant d'augmenter le revenu des agriculteurs : les distributeurs ne pratiquant aucune marge sur certains produits dits « d'appel », l'obligation de dégager une marge via le SRP+ 10 était supposée leur octroyer une marge de manoeuvre financière leur permettant de revaloriser, en parallèle, le tarif auquel ils acquièrent certains produits agricoles et alimentaires.

À la suite de l'adoption de la loi Egalim, l'ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 17 ( * ) est venue concrétiser ce relèvement du SRP. Ses articles 1 er et 2 créent une expérimentation de deux ans (du 1 er février 2019 au 1 er février 2021 18 ( * ) ) durant laquelle ce relèvement de 10 % du SRP s'applique. Cette expérimentation a ensuite été prolongée par l'article 125 de la loi ASAP 19 ( * ) du 7 décembre 2020 jusqu'au 15 avril 2023 et, en outre, inscrit « en dur » dans la loi ces dispositions qui figuraient jusqu'alors dans l'ordonnance.

La loi Egalim 2 20 ( * ) a ensuite apporté plusieurs modifications à cette expérimentation du SRP+ 10 :

• elle a modifié le calcul de la majoration du seuil de revente pour les alcools, afin que le prix d'achat effectif sur la base duquel est calculé le SRP n'inclue plus le montant des droits d'accise (I bis ) ;

• à l'initiative du Sénat, elle a permis au ministre chargé de l'agriculture, par arrêté, de fixer une liste de fruits et légumes pour lesquels, par dérogation, le SRP+ 10 ne s'applique pas, sous réserve que le SRP+ 10 se soit traduit par une baisse du revenu du producteur agricole en raison de la saisonnalité des productions concernées, et que cette dérogation ait fait l'objet d'une demande motivée par l'interprofession représentative des produits concernés (I ter ).

D'après les éléments recueillis par la rapporteure, et quand bien même nombre de collèges de producteurs (tomates, pommes, poires, fraises, melons, etc.) souhaiteraient bénéficier de cette dérogation, l'interprofession des fruits et légumes frais n'a pas transmis de telle demande, en raison de l'opposition en son sein de certains acteurs de la distribution. Or une telle demande doit être décidée à l'unanimité de l'interprofession.

• Enfin, toujours à l'initiative du Sénat, la loi a complété le contenu des rapports d'évaluation du SRP+ 10 fournis par le Gouvernement au Parlement, afin d'y inclure des données relatives à l'usage qui a été fait par la grande distribution des recettes supplémentaires et à la revalorisation - ou non - des prix d'achat des produits agricoles.

B. L'encadrement, en valeur et en volume, des promotions sur les produits alimentaires : une mesure qui a effectivement diminué les remises sur ces produits

Pour une présentation détaillée de cette disposition, voir le commentaire du nouvel article 2 bis A créé par la commission à l'initiative de la rapporteure.

II. Le dispositif envisagé - Prolonger de trois années l'expérimentation du relèvement de 10 % du SRP et de l'encadrement en valeur et volume des promotions sur les produits alimentaires

Dans sa rédaction initiale, l'article 2 de la proposition de loi abrogeait le VII de l'article 125 de la loi ASAP, c'est-à-dire la disposition qui précisait que le SRP+ 10 et l'encadrement des promotions s'appliquaient jusqu'au 15 avril 2023. Par conséquent, ces deux mesures étaient pérennisées.

En commission, à l'initiative du rapporteur, il a été privilégié de prolonger l'expérimentation jusqu'au 15 avril 2026, plutôt que de la pérenniser.

En séance, aucune modification n'a été apportée à cet article 2.

III. La position de la commission - Mettre en pause le SRP+ 10 compte tenu de la période inflationniste

A. Comme anticipé par le Sénat dès 2018, le SRP+ 10 semble avoir été peu efficace en matière d'augmentation du revenu agricole

1) Un réel « ruissellement » qui se fait toujours attendre, des effets de bord dommageables et nombreux

Le mécanisme du SRP+ 10 repose intrinsèquement sur le bon vouloir des distributeurs et des industriels en matière de rétrocession aux agriculteurs du surcroît de marge dégagé. Aucun contrôle spécifique n'est prévu pour s'assurer que la manne financière issue du relèvement du SRP soit effectivement, dans les faits, utilisée par la grande distribution pour assouplir l'apprêté des négociations du prix d'achat des produits agricoles et alimentaires, et, dans l'hypothèse où les distributeurs auraient « joué le jeu », aucun contrôle n'est prévu pour s'assurer que les industriels qui bénéficieraient de ces meilleurs tarifs les répercutent effectivement sous forme de revalorisation du prix d'achat des produits agricoles. En outre, aucune sanction n'est prévue pour les cas où l'absence de ruissellement serait documentée.

Par conséquent, ainsi que l'avait déjà indiqué le Sénat dès 2018, peu d'espoirs de revalorisation du revenu agricole pouvaient être placés dans ce mécanisme. Toute tentative, même modeste, d'amélioration du revenu des agriculteurs étant bonne à prendre, le Sénat avait donc fait le choix de ne pas se priver de cette expérimentation. Mais le rapporteur Michel Raison déclarait alors : « il est même possible que le projet de loi fasse l'inverse de ce qu'il prétend. C'est un pari, monsieur le ministre. Et ce pari très risqué pourrait se retourner contre les producteurs. Je suis favorable au relèvement du seuil de revente à perte, ou SRP, à 10 %. Mais s'il n'y a pas ruissellement, comme prévu, cela reviendra à gonfler les marges des distributeurs sans améliorer les revenus des producteurs 21 ( * ) ».

Dans un rapport sénatorial du groupe de suivi de la loi Egalim paru un an après, il était fait le constat d'une part de l'inefficacité du SRP+ 10 (les négociations commerciales ayant abouti, au global, à une baisse de 0,4 % du tarif des fournisseurs) et d'autre part de l'apparition d'effets de bord fort dommageables :

• premièrement, si l'inflation globale dans les rayons atteignait 0,3 %, elle s'élevait alors à 6 % pour le beurre, 6,8 % pour les apéritifs anisés, 5,2 % pour les whiskies (compte tenu du SRP+ 10). Le consommateur ressent donc concrètement les effets de cette mesure ;

• deuxièmement, le ruissellement semble ne pas avoir eu lieu : « les agriculteurs n'ont pas, pour l'instant, et de l'accord unanime des acteurs, ressenti un quelconque effet de la loi 22 ( * ) » ;

• troisièmement, le SRP a même conduit à réduire la rémunération accordée à certains producteurs agricoles (afin de conserver, malgré le SRP+ 10, certains prix dits « psychologiques », comme l'étiquette à 1,99 €, les distributeurs ont fait le choix de négocier à la baisse le tarif d'achat de certains produits).

Dès ce rapport, il était fait le constat que la manne financière (évaluée généralement à 500 millions d'euros 23 ( * ) environ, et à 800 millions d'euros par l'UFC Que Choisir) ainsi octroyée aux distributeurs leur avait surtout permis de baisser les prix des produits vendus sous marque de distributeur et de baisser les prix des produits non-alimentaires (droguerie, parfumerie, hygiène, etc.) afin d'en faire des produits d'appel. En outre, il était constaté que le SRP+ 10 avait entraîné un déplacement de la guerre des prix des marques nationales vers les MDD (qui retrouvaient, grâce à l'accroissement de l'écart de prix avec les marques nationales, une plus grande compétitivité). Enfin, et ce constat a été corroboré par un rapport gouvernemental d'octobre 2022, le SRP+ 10 (ainsi que l'encadrement des promotions, cf. infra ) a pénalisé la part de marché des PME.

Un rapport plus récent 24 ( * ) de ce même groupe de suivi de la loi Egalim, daté de juillet 2022, constatait à nouveau le très faible impact du SRP+ 10 sur le revenu des agriculteurs, et appelait du reste à étudier l'opportunité de le supprimer pour certaines filières particulièrement impactées par ses effets de bord. Ainsi que l'a à nouveau confirmé en audition à la rapporteure un acteur agricole important, les filières des fraises, des tomates, des melons, des carottes, des asperges, constatent que les marges des producteurs ont diminué à la suite de la mise en oeuvre du SRP+ 10.

Du reste, aucun acteur, y compris agricole, n'a pu démontrer lors des auditions que le SRP+ 10, au-delà du fait qu'il aurait permis de redonner de la valeur à certains produits alimentaires aux yeux des consommateurs, s'est effectivement traduit par une amélioration directe du revenu des agriculteurs. Généralement, les acteurs agricoles soutiennent le SRP+ 10 pour d'autres raisons : ils craignent que sans lui, la guerre des prix s'accentue, et ils le voient comme un outil qui s'intègre plus globalement dans un ensemble de dispositifs permettant de mieux valoriser la production agricole aux yeux des consommateurs finaux.

Interrogés par la rapporteure quant au fait que la suppression du SRP+ 10 pourrait permettre de diminuer les prix, les services du ministère de l'économie, tout en rappelant leur opposition à une telle suppression, ont indiqué que : « l'hypothèse que la suppression du SRP majoré puisse faire baisser les prix, ou tout du moins limiter leur hausse, ne peut être totalement exclue. En effet, le contexte inflationniste actuel pourrait inciter les distributeurs à adopter des stratégies tarifaires, et donc des marges, différentes de celles qui prévalaient lorsque les mesures expérimentales sont entrées en vigueur, période où l'inflation sur les PGC était nulle ou négative dans les grandes et moyennes surfaces ».

2) Même les rapports gouvernementaux ne parviennent pas à prouver que le ruissellement a bien eu lieu

Un rapport du Gouvernement remis au Parlement en octobre 2022 conformément à la loi Egalim 2 constate en effet que : « Aux deux questions : la loi a-t-elle créé de la valeur dans la chaîne alimentaire allant des fournisseurs aux distributeurs et de ces derniers aux consommateurs ? A-t- elle en particulier permis d'opérer un déversement de revenu aux producteurs ? Les analyses des statistiques macroéconomiques et des panels n'ont pas permis d'apporter une réponse incontestable. [...]En outre, les données à ce jour disponibles ne permettent pas de déterminer comment cet éventuel accroissement du chiffre d'affaires total a pu agir sur le partage de la valeur et sur le revenu des agriculteurs. »

Pourtant, ce même rapport confirme bien que le SRP+ 10 (ainsi que l'encadrement des promotions) a été source d'inflation, bien que dans des proportions moindres que celles mises en avant lors de l'examen d'Egalim 1.

Du reste, la rapporteure regrette que le rapport d'évaluation du SRP+ 10, outre le fait qu'il ne conclue aucunement quant à l'efficacité du ruissellement, ne porte que sur des années désormais éloignées dans le temps : 2019 et, en partie, 2020. Plus regrettable encore, ce rapport, qui a été rendu deux ans après le premier rapport 25 ( * ) d'évaluation, porte... sur les mêmes années d'étude que le premier rapport ! Autrement dit, il se contente essentiellement d'affiner les conclusions, mais il ne permet en rien au Parlement d'être utilement éclairé sur l'impact du SRP+ 10 en 2020, 2021, 2022...

B. Un encadrement des promotions plutôt efficace, mais qui a conduit à accroître celles sur les produits non-alimentaires, mettant en danger emplois, investissements et innovation en France

Idem, pour une présentation détaillée, voir le commentaire du nouvel article 2 bis A.

Compte tenu de l'effet inflationniste du SRP+ 10 et de l'absence de résultat en matière d'amélioration du revenu agricole, la commission a adopté l'amendement COM-40 de la rapporteure qui :

• suspend l'application du SRP+ 10 jusqu'au 1 er janvier 2025. Ce faisant, les distributeurs cherchant continûment à être moins chers que leurs concurrents, cette « pause » est de nature à entraîner une diminution du niveau d'inflation ;

• prévoit que les fruits et légumes frais sont exclus de l'application du SRP+10 à compter de cette date et que le ministre peut, par arrêté, réintégrer certains de ces produits dans la mesure ;

• modifie les demandes de rapport prévues par la loi Egalim 2. Désormais, compte tenu de la « pause » prévue dans cet amendement, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport, avant le 1 er novembre 2025, évaluant les effets du SRP+ 10 entre 2019 et 2023 et au cours de l'année 2025 ;

• prévoit que les distributeurs transmettent au ministre, avant le 31 décembre 2025, un document présentant le gain de recettes issu du SRP+ 10 qui s'est effectivement traduit par une revalorisation des prix d'achat des produits alimentaires et agricoles. Ce document doit ensuite être transmis aux présidents des commissions des affaires économiques des deux assemblées, et ne pourra être rendu public.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 2 bis A (nouveau)

Affichage détaillé des obligations réciproques et de leur prix convenus entre fournisseurs et distributeurs dans la convention relative
aux produits de grande consommation

Introduit par un amendement de M. Cadec, cet article étend le dispositif du « ligne à ligne », aujourd'hui circonscrit aux produits alimentaires, à tous les produits de grande consommation. Ce mécanisme contraint les distributeurs et fournisseurs à justifier et détailler, dans la convention écrite qu'ils concluent, chacune des obligations auxquelles ils s'engagent réciproquement, ainsi que leur prix unitaire.

La commission a adopté cet article ainsi rédigé.

Aux termes de l'article L. 443-8 du code de commerce, la convention conclue entre un fournisseur et son acheteur « mentionne chacune des obligations réciproques auxquelles se sont engagées les parties à l'issue de la négociation commerciale ainsi que leur prix unitaire ».

Ce dispositif, surnommé le « ligne à ligne » et créé par la loi Egalim 2, contraint dans les faits les parties à justifier les diminutions de tarifs négociées et obtenues, afin notamment de s'assurer qu'il ne s'agit pas d'un avantage accordé sans contrepartie. Il existe en effet des situations dans lesquelles le distributeur demande une baisse de tarif sans véritablement justifier la nature et le détail des services qu'il propose en contrepartie.

Aujourd'hui circonscrit aux seuls produits alimentaires, il paraît nécessaire de l'étendre à tous les produits de grande consommation.

La commission a donc adopté l'amendement COM-18 d'Alain Cadec qui procède à cette évolution.

La commission a adopté l'article ainsi rédigé.

Article 2 bis (supprimé)

Annualisation du rapport d'évaluation du relèvement du seuil
de revente à perte et de l'encadrement des promotions
durant la durée de l'expérimentation

Cet article tire les conséquences de la prolongation de l'expérimentation du relèvement de 10 % du seuil de revente à perte et de l'encadrement des promotions en valeur et en volume des denrées alimentaires, en précisant que le rapport d'évaluation devant être remis par le Gouvernement au Parlement avant le 1 er octobre 2022 le sera désormais avant le 1 er octobre de chaque année de l'expérimentation.

La commission a adopté un amendement de la rapporteure supprimant cet article, compte tenu de l'intégration de ses dispositions à l'article 2.

I. La situation actuelle - Un rapport d'évaluation de l'expérimentation devant être remis par le Gouvernement au Parlement avant le 1 er octobre 2022

Une présentation plus exhaustive du relèvement de 10 % du seuil de revente à perte et de l'encadrement des promotions des denrées alimentaires figure supra , dans le commentaire de l'article 2.

Aux termes du IV de l'article 125 de la loi ASAP 26 ( * ) , « le Gouvernement remet au Parlement respectivement avant le 1 er octobre 2021 et avant le 1 er octobre 2022 deux rapports évaluant les effets du présent article sur la construction des prix de vente des denrées alimentaires et des produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie revendus en l'état au consommateur. »

En particulier, la loi Egalim 2 27 ( * ) a prévu que le rapport de 2022 s'attache précisément à analyser l'usage fait par les distributeurs du surcroît de recettes issues du SRP+ 10 (quelle part de ces recettes s'est traduite par une revalorisation du tarif fournisseur, quelle part s'est traduite par une baisse des prix de vente en magasin ou a été reversée aux consommateurs sous forme de remise fidélité, quelle part s'est traduite par une baisse du prix de vente des produits vendus sous MDD, quelle part a permis la revalorisation des prix d'achat des produits agricoles ?).

II. Le dispositif envisagé - Prévoir ce rapport pour chaque année de l'expérimentation désormais prolongée par l'article 2

L'article 2 bis supprime les références au 1 er octobre 2021 et 1 er octobre 2022 et y substitue les termes « avant le 1 er octobre de chaque année ». Désormais, le rapport sera donc remis au Parlement en 2023, 2024 et 2025, compte tenu du fait que l'expérimentation, en application de l'article 2 de la présente proposition de loi, se termine au 15 avril 2026.

Par ailleurs, l'article 2 précise que le rapport « est établi après consultation de l'ensemble des acteurs économiques concernés de la filière alimentaire », et que l'observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires est associé à son élaboration.

III. La position de la commission - Supprimer cet article, devenu doublon à la suite des évolutions apportées à l'article 2

Si les dispositions de cet article 2 bis sont justifiées, elles sont désormais redondantes avec celles figurant dans l'article 2 à la suite des modifications apportées par la rapporteure par voie d'amendement.

La commission a donc adopté un amendement COM-41 de la rapporteure supprimant cet article.

La commission a supprimé cet article.

Article 2 ter A (nouveau)

Analyse par l'Observatoire de la formation des prix et des marges
des produits alimentaires de la répartition de la valeur ajoutée
pour les produits issus de l'agriculture biologique

Introduit par un amendement de M. Salmon et plusieurs de ses collègues, cet article précise les missions de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires en matière d'analyse de la répartition de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne de commercialisation, pour y intégrer un volet spécifiquement consacré aux cas des produits issus de l'agriculture biologique.

La commission a adopté cet article ainsi rédigé.

Les missions de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires sont définies à l'article L. 682-1 du code rural et de la pêche maritime. Parmi ces missions figure le fait d'étudier « à l'échelle de chaque filière, la prise en compte des indicateurs [de coût de production, de marché, de qualité, etc.] ainsi que la répartition de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne de commercialisation des produits agricoles qui en résulte ».

Compte tenu des discussions dans le débat public relatives à la répartition de la valeur ajoutée en ce qui concerne les produits issus de l'agriculture biologique, il apparaît nécessaire de préciser que l'Observatoire traite également, lors de cet examen, le cas spécifique de ces produits. La commission a donc adopté l'amendement COM-22 de M. Salmon et plusieurs de ses collègues, qui dispose que cet examen porte « en particulier sur les produits issus de l'agriculture biologique ».

La commission a adopté l'article ainsi rédigé.

Article 2 ter B (nouveau)

Extension aux produits non-alimentaires de l'encadrement
des promotions en valeur et en volume

Introduit par un amendement de la rapporteure et trois amendements de ses collègues, cet article étend l'encadrement des promotions, en valeur et en volume, à tous les produits de grande consommation. Depuis l'encadrement de celles sur les produits alimentaires, les distributeurs ont en effet accru l'ampleur des promotions sur les produits non-alimentaires, opérations financées par les fournisseurs eux-mêmes, ce qui représente une menace importante sur l'emploi, l'investissement et l'innovation des fabricants, souvent implantés sur le territoire national.

Cet article prévoit par ailleurs la remise au Parlement, par le Gouvernement, d'un rapport annuel, le temps de l'expérimentation, sur les effets de l'encadrement des promotions.

La commission a adopté cet article ainsi rédigé.

I. Présentation de l'encadrement des promotions sur les produits alimentaires

Encadrer les promotions alimentaires visait à mettre fin à la guerre des prix et à redonner une certaine valeur à ces produits.

Aux termes de l'article L. 441-3 du code de commerce, la convention écrite conclue entre le fournisseur et le distributeur fixe plusieurs obligations, dont « les conditions de l'opération de vente des produits ou des prestations de services, y compris les réductions de prix ». Par ailleurs, il encadre les instruments promotionnels qui peuvent être utilisés par les distributeurs lors de la revente des produits. Du reste, l'article L. 441-4 dudit code précise que les conditions dans lesquelles le fournisseur s'engage à accorder aux consommateurs en cours d'année des avantages promotionnels sur ses produits sont fixées dans des mandats confiés au distributeur, qui obéissent aux articles 1984 et suivants du Code civil. Ces contrats doivent alors préciser le montant et la nature des avantages promotionnels en question, la période d'octroi, la quantité prévisionnelle de produits concernés, et les modalités de mise en oeuvre de ces avantages.

La règle, à nouveau, est donc la liberté contractuelle entre les parties. Une exception existe toutefois, figurant au même article L. 441-4 : ces avantages ne peuvent dépasser 30 % de la valeur du barème des prix unitaires pour les produits agricoles périssables ou issus de cycles courts de production, d'animaux vifs, de carcasses, les produits de la pêche et de l'aquaculture, lorsque ces produits figurent sur une liste établie par décret, ainsi que pour le lait et les produits laitiers 28 ( * ) .

Par ailleurs, l'article L. 443-1 du code de commerce précise le cadre des promotions applicables aux produits alimentaires périssables :

• toute publicité mentionnant une réduction de prix sur ces produits précise la nature et l'origine des produits offerts et la période de l'offre promotionnelle ;

• le terme « gratuit » ne peut être utilisé comme outil marketing et promotionnel ;

• lorsque de telles promotions sont susceptibles de désorganiser les marchés, un arrêté interministériel ou préfectoral fixe, pour les produits concernés, la périodicité et la durée de telles opérations.

Afin de limiter l'ampleur des promotions sur les produits alimentaires, considérées comme détruisant de la valeur dans les filières agricoles et comme induisant en erreur le consommateur quant à la réelle valeur des produits qu'il consomme, l'article 15 de la loi Egalim a habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour « encadrer en valeur et en volume les opérations promotionnelles financées par le distributeur ou le fournisseur portant sur la vente au consommateur de denrées alimentaires et de produits destinés à l'alimentation des animaux de compagnie ».

Par conséquent, l'ordonnance n° 2018-1128 susmentionnée, en son article 3, a prévu que, à titre expérimental et pour une durée de deux ans :

• les promotions ne peuvent être supérieures à 34 % du prix de vente au consommateur (ou à une augmentation de la quantité vendue équivalente). L'objectif était notamment de mettre fin aux opérations « 1 produit acheté, 1 produit offert » ;

• les promotions ne portent pas sur des produits représentant plus de 25 % du chiffre d'affaires prévisionnel, ou du volume prévisionnel pour les contrats de MDD, ou des engagements de volume pour les produits agricoles périssables, animaux vifs, carcasses, produits de la pêche.

Comme pour le SRP+ 10 ( cf. supra ), ces dispositions ont ensuite été inscrites « en dur » à l'article 125 de la loi ASAP. À cette occasion, une exception a été introduite concernant l'encadrement des promotions en volume de 25 % : un arrêté ministériel peut exclure du dispositif les produits dont plus de la moitié des ventes de l'année est concentrée sur une durée maximale de trois mois (les produits saisonniers), dès lors que cette demande de dérogation émane de l'interprofession concernée. L'expérimentation de cet encadrement doit, elle aussi, prendre fin au 15 avril 2023.

II. Un encadrement des promotions plutôt efficace, mais qui a conduit à accroître celles sur les produits non - alimentaires, mettant en danger emplois, investissements et innovations en France

L'ensemble des acteurs entendus par la rapporteure, à l'exception de certains distributeurs, se déclarent satisfaits de cet encadrement des promotions, soit car ils considèrent que la pression s'est effectivement un peu relâchée au cours des négociations, soit car ils saluent, à tout le moins, le fait que cela participe à mettre fin à la déconnexion entre la valeur de ce qui est consommé et le prix payé.

La rapporteure regrette toutefois, à nouveau, que les rapports d'évaluation transmis par le Gouvernement au Parlement ne permettent pas de connaître précisément l'effet exact de cette disposition, notamment en matière de meilleure rémunération des agriculteurs.

En revanche, ce qui avait déjà été constaté par le Sénat dans le rapport de 2019 précité 29 ( * ) se confirme : l'encadrement des promotions sur les produits alimentaires a entraîné une augmentation significative des promotions sur les produits non-alimentaires, notamment ceux des rayons « droguerie, parfumerie, hygiène » (DPH) : le taux de générosité moyen des produits DPH est passé de 38,9 % en 2018 à 41,0 % en 2021 puis à 41,8 % en 2022, selon la DGCCRF.

Or les fabricants de produits DPH subissent déjà, comme les fabricants de produits alimentaires l'ont subie pendant huit années consécutives, une déflation de leur tarif de vente depuis presque une décennie (sauf la catégorie « papier », pour laquelle une partie de la hausse de tarif demandée au titre de l'augmentation du coût de l'énergie a été prise en compte lors des négociations) : le prix de cession 5x net 30 ( * ) des industriels auprès de la grande distribution aurait ainsi diminué de 18,7 % entre 2012 et 2021. Corrélativement, les prix de vente en rayons ont diminué également depuis une décennie, comme en atteste le graphique suivant.

Évolution des prix du rayon droguerie-parfumerie-hygiène entre 2007 et 2022

Source : IRI, base 100 en 2007, graphique communiqué par l'ILEC.

Note de lecture : MN signifie « marque nationale »,
MDD signifie « marque de distributeur »,
PPX signifie « premier prix ».

À noter toutefois que les services du ministère de l'économie considèrent que les prix à la consommation des produits d'entretien, hygiène et beauté vendus en grande distribution ont plutôt baissé d'environ 3,5 % entre 2012 et 2022.

Si, au global, la part des volumes promus en DPH se situe aux alentours de 19 %, elle diffère grandement selon les sous-catégories de produits :

• huit sous-catégories de DPH enregistreraient des promotions en volume supérieures à 25 %. Or ces catégories représentent à elles-seules 23 % des ventes totales des rayons DPH (couches pour bébé, lessives, etc.) ;

• les 77 sous-catégories restantes, qui représentent donc 77 % du CA total des rayons DPH, restent sous-promues.

Alors que les volumes vendus sous promotion (et le taux de remise) ont diminué dans l'alimentaire depuis la loi Egalim, ils augmentent pour le DPH, les distributeurs « cassant les prix » de ces produits afin d'en faire de nouveaux produits d'appel (leur latitude en la matière étant désormais limitée en ce qui concerne les produits alimentaires). Pour certains produits, les volumes sous promotion atteignent désormais 45 %, avec des taux de remise situés entre 40 et 50 %. Il n'est, du reste, pas rare de constater des promotions affichant des taux de remise de 80, voire 90 %, notamment lors d'évènements particuliers : les « semaines du blanc » en début d'année (lessives, par exemple), les opérations beauté (souvent en mars-avril, avec de fortes réductions de prix sur les dentifrices, déodorants, etc.), les anniversaires de rentrée (souvent en septembre-octobre).

Par ailleurs, il est instructif de constater que les produits DPH des grands groupes sont six fois plus promus que ceux vendus sous MDD, et que le taux de générosité est pour les premiers près de deux fois supérieur à celui des seconds (alors même que les produits vendus sous MDD sont supposés proposer un prix plus abordable).

Plusieurs fabricants, qu'il s'agisse de grands groupes ou de PME, ont indiqué à la rapporteure, en audition, que ces opérations les conduisaient parfois à vendre à perte au distributeur (pour financer de telles opérations, ce dernier exige un tarif d'achat particulièrement faible).

Taux moyen de discount promotionnel

Source : IRI, HM-SM, données communiquées par l'Ilec.

Part du chiffre d'affaires réalisé sous promotion

Source : IRI, HM-SM, données communiquées par l'Ilec.

À cet égard, la rapporteure conteste les affirmations entendues dans le débat public, y compris de la part du ministre en séance à l'Assemblée nationale, selon lesquelles les fabricants de produits DPH seraient essentiellement situés à l'étranger. Nombreux sont les exemples de produits qui, qu'ils appartiennent à des entreprises françaises ou étrangères, sont fabriqués en France, générant emplois et investissements sur notre territoire.

Compte tenu des effets de bord dangereux que l'encadrement des promotions sur les produits alimentaires a sur les produits non-alimentaires, la commission a adopté l'amendement COM-42 de la rapporteure, ainsi que les amendements COM-1 de Mme Férat, COM-6 de Mme Berthet et COM-30 de M. Duplomb, qui encadrent, en valeur et en volume, respectivement à 34 % et à 25 %, les promotions sur tous les produits de grande consommation, et non uniquement sur ceux de l'alimentaire. Les effets néfastes d'Egalim 1 sur les produits DPH semblent désormais bien documentés (un accroissement soudain et important des taux de remise, dont le financement est généralement laissé à la charge du fournisseur), et menacent par conséquent les capacités d'investissement et d'innovation de fabricants qui, qu'ils soient français ou étrangers, sont souvent bien implantés sur le territoire national.

La commission a adopté l'article ainsi rédigé.

Article 2 ter

Pérennisation de la convention interprofessionnelle
alimentaire territoriale

Cet article met fin à l'expérimentation de la convention interprofessionnelle alimentaire territoriale et pérennise ce dispositif.

Compte tenu de l'absence d'évaluation de cette expérimentation et du manque d'informations quant à l'efficacité de ces conventions, la commission a adopté un amendement de la rapporteure réinstaurant le principe d'une expérimentation du dispositif, jusqu'au 31 décembre 2025, et prévoyant la remise par le Gouvernement d'un rapport d'évaluation au Parlement.

I. La situation actuelle - La convention interprofessionnelle alimentaire territoriale (« convention tripartite »), un dispositif expérimenté depuis la loi Egalim, afin de fluidifier les relations commerciales entre les acteurs de la chaîne agroalimentaire

A. Une pratique opérationnelle conforme au droit européen de la concurrence...

La loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite « Egalim 1 ») a ouvert la possibilité, aux termes de son article 13, de conclure une convention tripartite réunissant producteurs, transformateurs et un distributeur, reconnue d'utilité publique dans le cadre d'une expérimentation de labellisation.

Cette convention lie les parties pour une durée minimale de trois ans et définit :

• « 1° Les prix de cession des produits objets de la convention ainsi que les modalités d'évolution de ces prix ;

• 2° Les délais de paiement ;

• 3° Les conditions de répartition de la valeur ajoutée de la production alimentaire au sein du territoire délimité par la convention ;

• 4° Les conditions environnementales, sanitaires et sociales de la production. »

Cet article vient doter d'un instrument juridique une pratique déjà opérationnelle, tout en établissant son ancrage territorial. Ainsi, l'article 96 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite « Sapin II ») interrogeait déjà l'« opportunité de favoriser fiscalement et réglementairement (...) en matière agroalimentaire, la mise en place de contrats tripartites et pluriannuels entre les agriculteurs, les transformateurs et les distributeurs » .

Ces conventions sont conformes au droit européen de la concurrence comme l'atteste l'avis n° 18-A-04 du 3 mai 2018 relatif au secteur agricole de l'Autorité de la concurrence. Tant que la concurrence est suffisante aux différents stades de la commercialisation d'un produit - c'est-à-dire si les co-contractants ne détiennent pas plus de 30 % du marché ou s'ils contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits tout en réservant aux utilisateurs une part équitable de la valeur créée, et que ces conventions ne contiennent pas de restrictions caractérisées de nature à entraver la concurrence au détriment des consommateurs -, ces conventions relèvent de l'exemption prévue au paragraphe 3 de l'article 101 du TFUE.

L'Autorité de la concurrence appelle toutefois à la prudence : dans l'hypothèse d'une restriction de la liberté des distributeurs à déterminer leur prix de vente, d'une volonté de protéger certains territoires ou d'un verrouillage du marché par la multiplication de tels contrats, le bénéfice de l'exemption pourrait être retiré.

B. ... produisant des effets bénéfiques à l'égard de toutes les parties et favorisant une meilleure répartition de la valeur ajoutée

Ce contrat tripartite produit des effets à l'égard de chacun des co-contractants. Constitué de plusieurs contrats bilatéraux entre les parties, ceux-ci permettent de s'engager sur les volumes et les prix des biens produits, accompagnés d'un cahier des charges commun garantissant la qualité et les conditions de production des produits.

De règle générale, les conventions tripartites dégagent des avantages pour les trois acteurs impliqués :

• elles assurent au distributeur le respect du cahier des charges par le producteur ;

• elles sécurisent les transformateurs sur les volumes de produits et, ainsi, sur les perspectives de rentabiliser leurs infrastructures ;

• elles assurent une rémunération plus importante et des débouchés aux producteurs ;

• elles garantissent au consommateur plus de transparence et une meilleure qualité des produits.

Le recours aux contrats tripartites permet d'assurer une meilleure répartition de la valeur ajoutée entre tous les acteurs engagés dans les processus de production, transformation et distribution d'un produit. Ces conventions permettent enfin d'assurer une plus grande solidarité entre les acteurs de la chaîne alimentaire et de favoriser la transparence. Une mesure de précaution avait rendu cette convention expérimentale, sans durée déterminée.

II. Le dispositif envisagé - Pérenniser la convention interprofessionnelle alimentaire territoriale

Cet article 2 ter résulte d'un amendement déposé par le groupe socialiste et apparentés qui vise à pérenniser cette convention tripartite en lui retirant son caractère expérimental.

III. La position de la commission - Privilégier la poursuite d'une expérimentation jusque fin 2025 et la remise d'un rapport d'évaluation

La rapporteure regrette le peu d'informations existantes permettant aujourd'hui de définir si, oui ou non, l'expérimentation des conventions « tripartites » doit être pérennisée. Elle juge nécessaire qu'une évaluation de leur mise en place et de leur impact sur les différents maillons de la chaîne agroalimentaire soit réalisée au préalable, d'autant qu'elles peuvent soulever des préoccupations de concurrence.

Par conséquent, la commission a adopté un amendement COM-43 de la rapporteure réinstaurant le principe d'une expérimentation de ces conventions, cette fois se terminant au 31 décembre 2025, et prévoyant la remise au Parlement, par le Gouvernement, d'un rapport d'évaluation de cette expérimentation.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 3

Rupture des relations commerciales en l'absence d'accord entre les parties
à l'échéance de la période légale des négociations commerciales

Cet article crée une expérimentation de deux ans au cours de laquelle, en l'absence d'accord entre fournisseur et distributeur au 1 er mars, un délai supplémentaire d'un mois s'ouvre pour permettre une médiation visant soit à conclure un accord soit à définir les termes d'un préavis de rupture commerciale. En cas d'échec de la médiation, la relation commerciale serait considérée comme rompue, sans que ne puisse être invoquée la rupture brutale. Par ailleurs, cet article qualifie de pratique restrictive de concurrence le fait de ne pas avoir mené des négociations de bonne foi, ayant eu pour conséquence de ne pas aboutir à la conclusion d'un contrat avant le 1 er mars.

La commission a adopté un amendement de la rapporteure permettant d'atteindre l'objectif initialement recherché, à savoir la possibilité pour un fournisseur de ne pas être tenu de livrer à un ancien tarif durant un préavis de rupture, sans courir de risque de déréférencement soudain ou d'arrêt brutal des livraisons. Cet amendement :

- précise que le préavis doit tenir compte des « conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties » , afin que le tarif applicable durant ce préavis ne puisse être la simple reconduction de l'ancien tarif, a fortiori en période d'inflation. Désormais, le tarif devra impérativement intégrer des éléments liés au contexte économique (inflation des intrants, hausses de tarifs acceptées par les concurrents du distributeur partie au contrat, etc.). En cas de désaccord sur ce tarif, le fournisseur pourra saisir utilement le juge, tenu lui aussi de tenir compte de ces conditions, afin d'exiger l'application d'un tarif plus équitable ;

- dispose que pour les produits alimentaires, le tarif applicable durant le préavis de rupture commerciale respecte le principe de non-négociabilité des matières premières agricoles ;

- prévoit une expérimentation de trois ans, durant lesquels en cas de désaccord au 1 er mars, les parties pourront saisir un médiateur pour conclure, sous son égide et avant le 1 er avril, un préavis de rupture, sans que ce mois supplémentaire ne permette de prolonger les négociations relatives à la convention écrite. En cas d'accord lors de cette médiation, le tarif applicable durant le préavis est rétroactif au 1 er mars ; en cas de désaccord, les parties négocient entre elles un préavis et, si le refus persiste, peuvent saisir le juge dans les conditions de droit commun.

Cet amendement permet à la fois de trouver un tarif de livraison plus équitable, d'éviter les risques de rupture d'approvisionnement nés de cet article 3, et de protéger les PME contre un risque de déréférencement brutal.

Enfin, cet amendement supprime les références à la notion de « bonne foi », superfétatoires et inopérantes en pratique.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

I. La situation actuelle - Un flou juridique quant aux modalités de poursuite des relations commerciales entre fournisseur et distributeur en cas d'absence d'accord au 1 er mars

Les modalités de la relation commerciale entre un fournisseur et un distributeur font l'objet d'une négociation annuelle, à l'issue de laquelle ils concluent une convention écrite fixant les obligations réciproques qui leur incombent.

Aux termes de l'article L. 441-3 du code de commerce, « la convention [...] est conclue pour une durée d'un an, de deux ans ou de trois ans, au plus tard le 1 er mars de l'année pendant laquelle elle prend effet ou dans les deux mois suivant le point de départ de la période de commercialisation des produits ou des services soumis à un cycle de commercialisation particulier ». Les négociations se terminent donc le 28 février à minuit.

Cette convention fixe différentes obligations :

• les conditions de l'opération de vente des produits ou des prestations de services, y compris les réductions de prix ;

• les services de coopération commerciale, propres à favoriser la commercialisation des produits ou services du fournisseur, que le distributeur ou le prestataire de service lui rend (il s'agit par exemple du placement en tête de gondole, de la présence du produit dans le magazine de Noël, des annonces « micro » en magasin, etc.). Elle fixe également les autres obligations destinées à favoriser la relation commerciale entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services ;

• l'objet, la date, les modalités d'exécution, la rémunération et les produits auxquels il se rapporte de tout service ou obligation relevant d'un accord conclu avec une entité juridique située en dehors du territoire français, avec laquelle le distributeur est directement ou indirectement lié.

La règle générale est que le fournisseur communique ses conditions générales de vente au distributeur dans un délai raisonnable avant le 1 er mars. Toutefois, dans le cas particulier des produits de grande consommation 31 ( * ) (qui représentent la quasi-intégralité des produits vendus en grandes surfaces), ce « délai raisonnable » est plus clair : le fournisseur doit communiquer ses CGV « au plus tard trois mois avant le 1 er mars », c'est-à-dire avant le 1 er décembre. À compter de la réception de ces CGV, le distributeur dispose d'un délai raisonnable pour motiver par écrit son refus de ces CGV, son acceptation, ou les éléments des CGV qu'il souhaite soumettre à la négociation.

Dans les faits, les négociations commerciales en France durant cette période de trois mois se révèlent particulièrement dures, parfois même agressives selon certains acteurs entendus par la rapporteure. Si certains fournisseurs parviennent à un accord avant le 1 er janvier ou le 1 er février (notamment les PME), il en va autrement des ETI et, plus encore, des grandes entreprises industrielles. Dans ces cas-là, il n'est pas rare, pour ne pas dire très fréquent, que les négociations durent plus de deux mois et débouchent sur la conclusion d'un accord dans les tout derniers jours du mois de février.

Or si aucun accord n'est conclu au 28 février à minuit, les parties à la négociation entrent dans une période de « flou juridique ». En effet, l'article L. 442-1 du code de commerce interdit la rupture brutale, c'est-à-dire le fait de rompre, même partiellement, « une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. » Par conséquent, bien que les parties ne se soient pas mises d'accord sur le nouveau tarif applicable pour l'année à venir, le fournisseur ne peut pas se contenter d'arrêter de livrer, et le distributeur ne peut pas se contenter d'arrêter de passer commande et de déréférencer les produits du fournisseur, car il s'agirait précisément d'une rupture brutale.

Cette situation, qui semble renvoyer les parties dos à dos, est en réalité asymétrique : le distributeur a davantage à y gagner que le fournisseur, car le premier peut continuer à commander des produits au second pendant plusieurs mois, qu'il acquitte à l'ancien tarif (le dernier sur lequel ils se sont mis d'accord, c'est-à-dire celui du 1 er mars N-1). Or ce tarif N-1 est souvent caduc au 1 er mars N, puisqu'entre temps la structure de coût du fournisseur a évolué, a fortiori en période d'inflation des charges (énergie, transport, emballage, salaires, etc.). Ce flou juridique conduit donc le fournisseur à devoir continuer de livrer des produits à un tarif qui, dans certains cas, ne couvre même plus ses coûts : c'est une « livraison à perte ».

La durée exacte de préavis durant laquelle le fournisseur doit continuer à honorer les commandes du distributeur est, en cas de litige, laissée à l'appréciation du juge (qui résulte d'un faisceau d'indices comprenant notamment l'antériorité de la relation, le taux de dépendance économique, une éventuelle exclusivité). Lorsque la relation commerciale est particulièrement longue (5, 10, 20 ans), le préavis peut atteindre neuf, douze, voire dix-huit mois (en général, un mois de préavis par année de relation contractuelle constitue la moyenne utilisée par le juge). Le fournisseur n'a donc que le choix entre livrer à l'ancien tarif, ou se plier aux conditions du distributeur avant le 1 er mars.

Dans un avis de 2015, la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC) constatait ainsi : « lorsque aucun accord n'a été trouvé à l'issue des négociations commerciales annuelles, il arrive pourtant que des distributeurs passent commande. Ils sont alors livrés et facturés au nouveau tarif qu'ils ont refusé, mais déduisent de leur règlement l'écart entre le nouveau tarif et l'ancien. [...] En l'absence de convention et d'accord sur le prix, aucun contrat de vente ne peut se former. Le distributeur ne devrait pas passer commande ; s'il le fait, le fournisseur ne devrait pas le livrer. Si une commande est néanmoins passée et livrée, il appartiendrait au juge de déterminer, en fonction des circonstances propres à chaque cas, à quelles conditions la vente a été conclue. »

II. Le dispositif envisagé - Octroyer un mois de plus pour négocier sous l'égide d'un médiateur et, en cas d'échec, permettre la rupture de la relation commerciale sans que ne puisse être invoquée la rupture brutale

L'article 3 de la proposition de loi entend encadrer, à titre expérimental pendant deux ans, la procédure à suivre en cas d'absence d'accord au 1 er mars :

• la convention écrite entre fournisseur et distributeur est prolongée d'un mois (jusqu'au 1 er avril) ;

• durant ce délai supplémentaire, « la partie la plus diligente saisit la médiation des relations commerciales agricoles ou des entreprises afin de conclure, sous son égide, une convention pour un an, deux ans ou trois ans ou, à défaut, un accord fixant les conditions d'un préavis » ;

• s'il n'y a toujours pas de convention conclue (ou d'accord de préavis signé) au 1 er avril, « la relation commerciale est rompue sans que puisse être invoquée la rupture brutale définie à l'article L. 442-1 du code de commerce. »

Par ailleurs, le fait de ne pas avoir mené des négociations de bonne foi, ayant eu pour conséquence de ne pas aboutir à la conclusion d'un contrat avant le 1 er mars, est désormais considéré comme une pratique restrictive de concurrence. Enfin, le médiateur saisi informe le ministre de l'économie, qui s'assure qu'aucun abus n'a été commis et que la négociation a été menée de bonne foi.

Une rédaction de l'article 3 qui a considérablement évolué au cours des débats
à l'Assemblée nationale

Dans sa rédaction initiale, l'article 3 de la proposition de loi spécifiait qu'en l'absence d'accord au 1 er mars, toute commande effectuée par le distributeur se ferait désormais sur la base du tarif et des CGV en vigueur, c'est-à-dire celles qui venaient d'être envoyées par le fournisseur et à propos desquelles aucun accord n'avait été trouvé.

Cette rédaction a toutefois paru « maximaliste », dans la mesure où elle aurait permis aux fournisseurs, selon les distributeurs, de demander des hausses de tarif inconsidérées puis, face au refus de la grande distribution, de les voir tout de même entrer en vigueur, les distributeurs ne pouvant se priver de certains produits dans leurs rayons.

En commission, à l'initiative du rapporteur, les députés ont adopté une autre rédaction. Elle contenait les dispositions finalement votées en séance publique, mais avec deux différences principales :

- il était prévu que si, à l'issue du délai supplémentaire d'un mois, aucune convention ou accord de préavis n'étaient conclus, toute commande du distributeur se ferait sur la base des CGV en vigueur ;

- la version issue de la commission ne prévoyait pas d'expérimentation du nouveau dispositif.

III. La position de la commission - Éviter l'application néfaste de l'ancien tarif durant le préavis de rupture, écarter le risque de rupture d'approvisionnement et sécuriser les PME, via une amélioration du cadre juridique

La rapporteure partage le constat que le droit actuel est flou quant aux conditions auxquelles un fournisseur de la grande distribution doit livrer ses produits durant le préavis de rupture intervenant à la suite d'un désaccord au 1 er mars. Elle note, du reste, que peu de jurisprudences applicables à cette situation sont « sorties » des tribunaux récemment ; par conséquent, celles régulièrement invoquées sont peu adaptées aux conditions actuelles des négociations entre fournisseurs et distributeurs. De fait, le caractère très général des dispositions du code de commerce relatives au préavis de rupture, et les très rares saisines du juge, ouvrent donc la voie à des interprétations divergentes et hétérogènes alimentant un climat de défiance déjà significatif.

Or cette situation, déjà peu satisfaisante lorsque l'inflation est faible, est d'autant plus préoccupante lorsque l'inflation des différents intrants est forte, comme c'est le cas en France depuis plus d'un an. En effet, pour un distributeur, ne pas conclure d'accord au 1 er mars peut permettre d'obtenir un tarif plus faible que celui qu'il aurait obtenu en cas d'accord et, surtout, d'obtenir un tarif plus faible que celui dont s'acquittent ses concurrents distributeurs parvenus à un accord. Or entre temps, la structure des coûts des fournisseurs se déforme, compte tenu de l'inflation du coût de leurs intrants, ce qui peut les conduire à produire et livrer à perte.

La rapporteure constate par ailleurs que la solution proposée par cet article 3 n'est pas satisfaisante, même si elle semble moins « maximaliste » que celle proposée initialement dans la proposition de loi. En autorisant les parties à négocier durant un mois de plus sous l'égide du médiateur et en prévoyant, en cas d'échec de la médiation, une rupture subite de la relation commerciale, sans préavis et donc sans livraison, elle fait courir un double risque.

Premièrement, un distributeur souhaitant couper toute relation avec une entreprise se verrait désormais offrir la possibilité de le faire sans avoir à respecter un quelconque préavis ; cette situation, problématique dans son principe-même au regard des usages et du droit en matière de relation commerciale, serait plus particulièrement préjudiciable aux PME, dont les produits sont souvent davantage substituables que les grandes marques nationales et qui perdraient ainsi le bénéfice du préavis.

Deuxièmement, un industriel de grande taille, fabricant un produit phare qui ne saurait disparaître des rayons sans causer un risque réputationnel et financier aux distributeurs, pourrait désormais proposer des tarifs particulièrement élevés sachant que lesdits distributeurs préféreront, dans l'ensemble, s'acquitter de ce tarif plutôt que présenter des rayons vides aux consommateurs.

Autrement dit, cet article 3, indépendamment des objectifs légitimes qu'il entend atteindre, fait courir à la fois un risque d'approvisionnement pour tous les distributeurs, et un risque de déréférencement brutal et soudain pour les PME.

Par conséquent, et afin de traiter cette problématique du tarif applicable durant l'exécution du préavis de rupture, la commission a adopté un amendement COM-44 de la rapporteure, qui propose de cadrer juridiquement les éléments sur lesquels doit se fonder la négociation du préavis.

Premièrement, cet amendement précise à l'article L. 442-1 que le préavis doit tenir compte des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties. Ces conditions peuvent par exemple, sans que cette liste ne soit exhaustive, concerner le taux d'inflation des produits, le taux d'inflation des intrants nécessaires à leur fabrication ou encore la hausse moyenne de tarif acceptée par les distributeurs concurrents ayant trouvé un accord au 1 er mars. Ce faisant, et a fortiori en période d'inflation, un préavis durant lequel la livraison des produits se ferait aux conditions antérieures du contrat, sans aucune évolution, sera en infraction avec ces dispositions. En outre, en cas de désaccord entre fournisseur et distributeur sur les modalités du préavis, la saisine du juge des référés sera facilitée par le fait que ce dernier disposera d'une indication explicite que les conditions économiques du marché doivent être prises en compte.

Deuxièmement, il précise que dans le cas des produits alimentaires, le tarif applicable durant la durée du préavis de rupture respecte le principe de non-négociabilité des matières premières agricoles.

Troisièmement, il maintient le principe d'une expérimentation, portée à trois ans, durant laquelle, en cas de désaccord au 1 er mars, les parties peuvent saisir le médiateur des relations commerciales agricoles ou le médiateur des entreprises afin de tenter de conclure, sous son égide et dans un délai maximal d'un mois, un accord sur le préavis de rupture. Contrairement à l'article 3 adopté à l'Assemblée nationale, ce mois de médiation ne représente aucunement un mois supplémentaire de négociation de la convention écrite, dont la date butoir reste fixée au 1 er mars. Si, à l'issue de la médiation, un accord sur le préavis est conclu, le tarif nouvellement défini s'applique rétroactivement dès le 1 er mars, dans l'hypothèse où des commandes du distributeur auraient été passées entre le 1 er mars et la date de conclusion de l'accord. Si, à l'issue de la médiation, aucun accord n'est trouvé, les parties restent soumises aux nouvelles dispositions du II de l'article L. 442-1, à savoir conclure entre elles un préavis tenant compte des conditions économiques du marché ; si elles ne parviennent pas à s'entendre, le droit commun s'applique, qui autorise la partie s'estimant lésée à saisir le juge.

Cet amendement règle ainsi trois problématiques : les industriels ne pourront plus se voir imposer de livrer à un tarif devenu caduc, les distributeurs ne courront plus le risque d'un arrêt brutal des livraisons, et les PME ne courront plus le risque d'un déréférencement soudain.

Enfin, cet amendement supprime les références à la notion de « bonne foi », superfétatoire au regard du droit commun et, en tout état de cause, particulièrement complexes à prouver. En effet, les désaccords nés d'une négociation commerciale portent en général sur le tarif à conclure ; rien n'obligeant une partie à contracter à un tarif qu'elle refuse, il aurait été particulièrement ardu de prouver qu'une négociation s'était tenue de mauvaise foi du simple fait qu'aucun accord n'a été conclu.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 3 bis A

Alourdissement de la sanction pour non-respect de l'échéance
du 1er mars dans les négociations commerciales

Cet article alourdit les sanctions encourues par les fournisseurs et distributeurs en cas de non-respect de la date butoir du 1 er mars en matière de négociation commerciale. La sanction proposée est de 200 000 € pour une personne physique et de 1 000 000 € pour une personne morale.

La commission a adopté un amendement de la rapporteure prévoyant un doublement de cette sanction en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans.

I. La situation actuelle - Un régime de sanction administrative jugé insuffisamment dissuasif en cas de violation de l'échéance du 1 er mars

Aux termes de l'article L. 441-6 du code de commerce, « tout manquement aux dispositions des articles L. 441-3 à L. 441-5 est passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale. » En cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans, le maximum de l'amende encourue est doublé.

Les dispositions juridiques dont la violation est ainsi sanctionnée sont les suivantes :

• l'article L. 441-3 traite du régime général des conventions écrites devant être conclues entre fournisseurs et distributeurs à l'issue de leur négociation commerciale (une description précise de son contenu figure supra au commentaire de l'article 3). En particulier, cet article dispose que la convention doit être conclue au plus tard le 1 er mars ;

• l'article L. 441-4 fixe le contenu de la convention écrite lorsque celle-ci concerne les produits de grande consommation ;

• l'article L. 441-5 traite plus spécifiquement des conventions écrites conclues pour l'achat de produits manufacturés, fabriqués à la demande de l'acheteur en vue d'être intégrés dans sa propre production.

Par conséquent, si un fournisseur et distributeur parviennent à un accord mais au-delà de la date du 1 er mars, ils encourent une sanction maximale de 375 000 €.

Or certains fournisseurs déplorent que, dans certains cas, le distributeur laisse durer les négociations jusque fin février, sans réelle avancée, de telle sorte que le fournisseur, voyant arriver la date butoir, finisse par se plier aux conditions exigées par le distributeur ; il semblerait que cette situation débouche alors sur la signature d'un contrat qui intervient après le 1 er mars (sans que ce manquement aux règles de formalisation du contrat ne soit dénoncé, le fournisseur craignant une mesure de rétorsion).

II. Le dispositif envisagé - Alourdir la sanction pour dépassement de la date butoir du 1 er mars

L'article 3 bis A crée une sanction plus lourde, spécifiquement pour le non-respect de l'échéance du 1 er mars : il sera passible d'une « amende administrative dont le montant ne peut excéder 200 000 € pour une personne physique et 1 000 000 € pour une personne morale. »

III. La position de la commission - Souscrire au dispositif et prévoir une sanction alourdie en cas de réitération du manquement

Compte tenu des remontées de terrain faisant état de certaines pratiques de distributeurs consistant à « jouer la montre » jusque fin février, afin d'accroître la pression sur le fournisseur et de nourrir sa crainte d'être déréférencé, il apparaît en effet utile de prévoir un régime de sanctions spécifiques en cas de non-respect de la date butoir du 1 er mars, celui-ci étant souvent la conséquence directe de cette pratique.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement COM-45 doublant le montant de sanctions en cas de réitération du manquement.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 3 bis B (nouveau)

Séparation de la convention logistique de la convention générale
conclue entre fournisseur et distributeur

Introduit par un amendement de la rapporteure, cet article précise que les conditions logistiques, notamment le montant des pénalités, sur lesquelles s'accordent le fournisseur et le distributeur font l'objet d'une convention distincte de la convention générale prévue au I de l'article L. 441-3 du code de commerce, dont la conclusion n'est pas soumise au respect de la date butoir du 1 er mars.

Il ressort des échanges de la rapporteure avec les différents acteurs publics et privés que les « conventions qualité et logistique » prennent souvent la forme d'une simple annexe à la convention générale, discutées en toute fin des négociations, lorsque la pression dans les « box » de négociation est maximale. En outre, la simultanéité de ces différentes négociations (tarif, services de coopération commerciale, pénalités logistiques, etc.) favoriserait certaines pratiques contestables, comme le fait de conditionner à la dernière minute la signature de la convention tarifaire à la signature, par le fournisseur, de l'annexe logistique, généralement aux conditions demandées par le distributeur.

Il paraît dès lors nécessaire de préciser que la convention logistique n'est pas un sous-document de la convention générale, mais une convention à part entière, et que celle-ci peut être négociée à tout moment de l'année, sans que la date butoir du 1 er mars ne puisse être opposée par une partie à l'autre.

Une négociation des conditions logistiques en dehors de la période des négociations commerciales, faculté ouverte par le présent amendement mais non obligatoire puisque les parties ont toute liberté de continuer à conclure la convention logistique fin février si tel est leur souhait, est de nature à rééquilibrer le rapport de force entre les parties et à améliorer la qualité desdites négociations.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a donc adopté un amendement COM-54 qui précise que, dans la négociation puis la relation commerciale entre un fournisseur et un distributeur, les conditions logistiques sur lesquelles ils s'accordent (notamment le montant des pénalités logistiques) font l'objet d'une convention distincte de la convention écrite « générale » prévue au I de l'article L. 441-3 du code de commerce. Par ailleurs, cet amendement précise que l'arrivée à échéance de cette convention logistique ne saurait entraîner la résiliation automatique de la convention tarifaire.

La commission a adopté l'article ainsi rédigé.

Article 3 bis

Plafonnement du montant des pénalités logistiques et possibilité
pour le Gouvernement de suspendre leur application
en cas de crise affectant la chaîne d'approvisionnement

Cet article plafonne le montant des pénalités logistiques pouvant être infligées par un distributeur à un fournisseur, et inversement, ou par un acheteur à un producteur agricole, à 2 % de la valeur des produits commandés. Il inscrit également dans la loi un taux de service maximal au-delà duquel aucune pénalité logistique ne peut être infligée.

Par ailleurs, il permet au Gouvernement de suspendre par décret en Conseil d'État, pour six mois, l'application des pénalités logistiques en cas de crise d'une ampleur exceptionnelle affectant gravement la chaîne d'approvisionnement.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement qui sécurise et renforce le dispositif en :

- supprimant le taux de service maximal, étant entendu que sa fixation relève de la liberté contractuelle des parties, que les situations sont bien trop hétérogènes pour être régentées par un taux unique, et qu'une telle mention directement dans la loi fait courir le risque que ce taux « plafond » devienne un taux « plancher » ;

- précisant la base à partir de laquelle le plafonnement de 2 % doit être calculé, à savoir la valeur des produits d'une même catégorie dont l'un ou plusieurs d'entre eux font l'objet d'une inexécution d'engagement contractuel ;

- interdisant toute pénalité logistique pour une inexécution d'engagement contractuel remontant à plus d'un an ;

- obligeant le distributeur à apporter la preuve du manquement et du préjudice subi, en même temps qu'il informe le fournisseur qu'un manquement a été constaté ;

- octroyant au Gouvernement la possibilité de suspendre par arrêté, et non plus par décret en Conseil d'État, l'application des pénalités y compris lorsque la désorganisation de la chaîne d'approvisionnement n'est pas globale mais touche seulement certains secteurs, voire un seul.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

I. La situation actuelle - L'utilisation abusive des pénalités logistiques par certains distributeurs a conduit récemment le législateur à les encadrer

A. Un encadrement récent des pénalités logistiques...

1) L'examen de la loi Egalim 2 au Sénat a conduit à un renforcement significatif des pénalités logistiques...

Les pénalités logistiques, appliquées par une partie au contrat à l'autre, obéissent à un objectif légitime : celui d'assurer le bon fonctionnement de la chaîne logistique, en sanctionnant d'éventuels retards ou absences de livraison ou des livraisons non conformes à la commande.

Elles sont d'autant plus justifiées dans leur esprit que ces retards et autres manquements, au-delà du non-respect du contrat qu'ils impliquent, peuvent causer un réel préjudice à la partie destinatrice des produits (le distributeur) : rayons vides, impact réputationnel, perte de clientèle, coûts de réorganisation interne, etc.

Pour autant, l'intégralité des acteurs privés et publics entendus par les différents rapporteurs des lois ASAP et Egalim 2, et par la rapporteure de la présente proposition de loi, à l'exception évidente des distributeurs, déplorent depuis plusieurs années une utilisation disproportionnée des pénalités logistiques, visiblement devenues un « centre de profit » pour la grande distribution, parfois sans aucun lien avec un préjudice réellement subi. Autrement dit, ces pénalités, qui peuvent atteindre plusieurs millions d'euros pour un seul fournisseur (elles représentent, d'après l'Ania, de 15 à 20 % de la valeur des commandes), semblent avoir été détournées de leur objectif initial, légitime, pour devenir un instrument de menace et d'augmentation des recettes des distributeurs. En 2020-2021, elles se sont élevées à 180 millions d'euros.

Des pratiques clairement abusives et déconcertantes ont été mentionnées, dans le passé mais également au cours des auditions conduites par la rapporteur au sujet de la présente proposition de loi :

• calcul des pénalités sur la valeur de toute la livraison contenue dans le camion, même s'il s'agit de produits différents et indépendants entre eux ;

• pénalités pour quelques minutes de retard de livraison. Des exemples de distributeurs demandant à un livreur arrivé trop en avance de stationner au bout de la file d'attente et lui infligeant ensuite des pénalités pour retard ont également été mis en avant ;

• pénalités pour une seule étiquette décollée dans une palette de dizaines de produits ;

• commandes passées par le distributeur alors que le fournisseur, avec un délai raisonnable, l'avait informé de son incapacité de livrer, pour ensuite lui appliquer une pénalité ;

• pénalités pour rupture en rayon alors que ladite rupture résulte en réalité d'une désorganisation interne du distributeur, et n'est pas la conséquence d'un manquement du fournisseur.

Par conséquent, l'article 139 de la loi ASAP a complété l'article L. 442-1 du code de commerce (relatif à certaines pratiques restrictives de concurrence) pour y faire figurer le fait « d'imposer des pénalités disproportionnées au regard de l'inexécution d'engagements contractuels ou de procéder au refus ou retour de marchandises ou de déduire d'office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non-respect d'une date de livraison, à la non-conformité des marchandises, lorsque la dette n'est pas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur ait été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant. »

Face au constat que le cadre juridique n'était pas suffisamment resserré, et à l'initiative du Sénat lors de l'examen de la loi Egalim 2, une section entière a été consacrée à ce sujet au sein du titre IV du livre IV du code de commerce, comportant trois articles.

L'article L. 441-17 prévoit que le contrat fixant les pénalités « prévoit une marge d'erreur suffisante au regard du volume de livraisons prévues par le contrat » et qu'« un délai suffisant doit être respecté pour informer l'autre partie en cas d'aléa ». Il rappelle que les pénalités doivent être proportionnées au préjudice subi au regard de l'inexécution d'engagements contractuels, et qu'est interdit le fait de procéder au refus ou au retour de marchandises, sauf en cas de non-conformité de celles-ci ou de non-respect de la date de livraison.

Cet article précise par ailleurs que « la preuve du manquement doit être apportée par le distributeur par tout moyen [et que] le fournisseur dispose d'un délai raisonnable pour vérifier et, le cas échéant, contester la réalité du grief correspondant ». Les déductions d'office sur la facture sont interdites (il s'agissait d'une pratique fréquente, permettant au distributeur de se constituer une trésorerie supplémentaire immédiate, charge ensuite au fournisseur d'attaquer le distributeur, et de courir ainsi le risque d'une mesure de rétorsion, en vue de faire constater l'illégalité de la déduction et de récupérer ces sommes).

Cet article L. 441-17 prévoit également que « seules les situations ayant entraîné des ruptures de stocks peuvent justifier l'application de pénalités logistiques », afin d'éviter les cas de figure dans lesquels une pénalité était infligée quand bien même le manquement reproché n'avait eu aucun impact sur le distributeur (par exemple, un retard de livraison de dix minutes). Enfin, l'infliction d'une pénalité doit tenir compte des circonstances indépendantes de la volonté des parties. Du reste, « en cas de force majeure, aucune pénalité logistique ne peut être infligée. »

L'article L. 441-18 , quant à lui, traite des pénalités (rares) éventuellement infligées par un fournisseur à un distributeur : « elles ne peuvent dépasser un montant correspondant à un pourcentage du prix d'achat des produits concernés. Elles doivent être proportionnées au préjudice subi au regard de l'inexécution d'engagements contractuels. La preuve du manquement doit être apportée par le fournisseur par tout moyen. Le distributeur dispose d'un délai raisonnable pour vérifier et, le cas échéant, contester la réalité du grief correspondant. »

L'article L. 441-19 , enfin, dispose que pour l'application des deux précédents articles, un guide des bonnes pratiques est publié et actualisé régulièrement.

2) ... complété récemment par des lignes directrices de la DGCCRF

Constatant que la parution du guide de bonnes pratiques tardait, au détriment des fournisseurs qui, s'ils constataient certes une diminution de la pratique dite de « déduction d'office », continuaient néanmoins à subir des pénalités semblant injustifiées, l'intention du législateur en la matière a été clairement rappelée par la rapporteure de la loi Egalim 2, Anne-Catherine Loisier, en mars 2022 32 ( * ) . Elle a ainsi rappelé que « pour le législateur, le principe est clair : il ne saurait y avoir de pénalités logistiques infligées sans préjudice subi et donc documenté. »

La présidente de la commission des affaires économiques, Sophie Primas, a, à cette occasion, indiqué « [inviter] le Gouvernement à adopter au plus vite, sur cette question des pénalités logistiques, déjà traitée au sein de la commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC), des lignes directrices qu'il modifiera en fonction des résultats de ses contrôles. C'est une obligation légale, c'est nécessaire et c'est surtout le seul moyen d'être réactif et pertinent pour réellement inverser la tendance ».

In fine , le 11 juillet 2022, la DGCCRF a publié une foire aux questions 33 ( * ) portant sur les lignes directrices en matière de pénalités logistiques, jugée utile et satisfaisante par les fournisseurs interrogés.

B. ... qui semble n'avoir toutefois pas éliminé tous les abus

Le 4 novembre 2022 34 ( * ) , la DGCCRF a annoncé avoir mené une vaste enquête relative aux pénalités logistiques auprès de 200 fournisseurs, lui ayant permis de mettre en évidence des pratiques abusives la conduisant à adresser à quatre enseignes de distribution des injonctions administratives de remise en conformité sous peine d'astreintes financières de plusieurs millions d'euros. Dans son communiqué, la DGCCRF mentionne quatre types de pénalités abusives :

• émission automatique de pénalité « sans que les fournisseurs puissent s'adresser à un interlocuteur physique pour les contester, au-delà d'une adresse de messagerie générique » ;

• émission de pénalités « alors que le fournisseur n'a pas manqué à ses obligations contractuelles ou qu'il a informé le distributeur de son incapacité à satisfaire certaines commandes avec un préavis raisonnable » ;

• « absence de document émis par l'enseigne de distribution permettant de justifier le manquement à l'origine de la pénalité. Il revenait, au contraire, au fournisseur de prouver que celle-ci n'était pas justifiée » ;

• « déduction automatique des pénalités sur les factures de vente des fournisseurs alors que ceux-ci contestent le bien-fondé de la pénalité ».

L'application de pénalités abusives, déjà déloyale en temps normal, est d'autant plus inadmissible que la guerre en Ukraine a participé, en 2022, à la désorganisation des chaînes logistiques et pouvait s'apparenter comme un cas de force majeure.

II. Le dispositif envisagé - Plafonner le montant des pénalités, fixer un taux de service maximal, permettre au Gouvernement de suspendre les pénalités en cas de crise exceptionnelle

L'article 3 bis prévoit tout d'abord que les pénalités logistiques ne puissent « être supérieures à 2 % de la valeur de la ligne des produits commandés, sur la base de chacune des commandes ». Il interdit également toute pénalité dès lors que « les taux de service mensuel se trouvent être à une limite de 99 % pour les promotions et de 98,5 % pour les produits hors promotion. » Autrement dit, pour des produits vendus en promotion, une pénalité ne peut être infligée que s'il manque plus d'un produit.

Cet article 3 bis prévoit les mêmes règles pour les pénalités qui seraient infligées par les fournisseurs aux distributeurs et, en modifiant l'article L. 631-25 du code rural et de la pêche maritime, pour celles infligées par un acheteur à un producteur de produits agricoles.

Enfin, il octroie au Gouvernement la possibilité, « en cas de crise d'une ampleur exceptionnelle affectant gravement la chaîne d'approvisionnement », de suspendre l'application des pénalités logistiques par décret en Conseil d'État, pour une durée maximale de six mois.

III. La position de la commission - Sécuriser juridiquement ce dispositif et augmenter sa portée

Si le principe des pénalités logistiques est, en tout état de cause, pertinent compte tenu du préjudice que peut subir un distributeur du fait de produits défectueux ou manquants, force est de constater qu'elles sont devenues un « centre de profit » à elles-seules, de l'avis général des acteurs entendus par la rapporteur, exception faite des distributeurs.

Leur développement répond de plus en plus, non pas à une réelle nécessité de faire respecter les termes d'un contrat, quand bien même cette situation existe bien entendu, mais à un objectif de rentabilité financière, au détriment de certains fournisseurs. Certaines pratiques ont certes disparu, à l'instar des déductions d'office de la facture, mais plusieurs contournements de la loi ont été portés à la connaissance de la rapporteure, y compris par les pouvoirs publics (absence de justification du préjudice subi, pénalités calculées sur la valeur de l'ensemble d'une commande mêlant plusieurs catégories de produits alors que seules certaines de ces catégories sont concernées par des manquements au contrat, pénalités appliquées pour des manquements remontant à plus d'un an, etc.). Cette situation, qui mêle mauvaise foi, intimidations et crainte du déréférencement, est inacceptable, et contribue au climat délétère dans lequel s'inscrivent les relations commerciales entre fournisseurs et grande distribution en France.

Les dispositions de cet article 3 bis sont donc utiles et bienvenues, mais doivent encore être renforcées et précisées pour être réellement efficaces.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a donc adopté un amendement COM-46 visant à :

• supprimer la référence à un taux de service maximal de 98,5 % pour les produits « fond de rayon » et de 99 % pour les produits sous promotion. En effet, la loi ne saurait fixer un taux de service uniforme à des situations commerciales aussi hétérogènes (le taux dépendant des produits, des secteurs, de la taille du fournisseur, etc.) ; il importe donc que ce taux soit librement défini par les parties dans le cadre de leurs négociations. En outre, fixer un tel taux dans la loi fait courir le risque que ce « plafond » devienne un « plancher », pénalisant ainsi les fournisseurs aujourd'hui soumis à un taux de service inférieur ;

• préciser que le plafond de pénalités logistiques à hauteur de 2 % s'applique, non pas à la valeur de toute la commande, mais à la valeur des produits commandés relevant de la catégorie de produits au sein de laquelle l'inexécution d'engagements contractuels a été constatée. Ainsi, si un distributeur commande, dans le même temps, mille boîtes de céréales et mille paquets de pâtes, et qu'un manquement est constaté sur 20 boîtes de céréales, la pénalité logistique ne pourra être supérieure à 2 % de la valeur de la commande de céréales, et non de la valeur de la commande totale ;

• renforcer l'encadrement des pénalités logistiques en prévoyant qu'aucune pénalité ne peut être infligée pour un manquement remontant à plus d'un an ;

• obliger le distributeur à apporter au fournisseur la preuve du manquement et du préjudice subi en même temps qu'il l'informe d'un manquement constaté, afin d'éviter les cas de figure dans lesquels la preuve est apportée postérieurement à l'application de la pénalité ;

• préciser également le pouvoir donné par cet article 3 bis au Gouvernement de suspendre l'application des pénalités logistiques en cas de crise affectant les chaînes d'approvisionnement. Aux termes de cet amendement, le Gouvernement pourra, par arrêté, suspendre ces pénalités y compris lorsque la désorganisation des chaînes d'approvisionnement touche un secteur ou une filière en particulier, sans être globale. La durée de la suspension, de six mois au maximum, devient par ailleurs renouvelable ;

• prévoir explicitement des dispositions similaires (plafonnement du taux de service et du montant des pénalités) dans le code rural et de la pêche maritime.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 3 ter A (nouveau)

Exclusion des grossistes du régime de pénalités logistiques

Introduit par deux amendements de M. Duplomb et de M. Menonville, cet article exclut les grossistes du champ d'application des articles relatifs aux pénalités logistiques, compte tenu des spécificités de leur secteur.

La commission a adopté cet article ainsi rédigé.

La loi Egalim 2 a renforcé le cadre juridique applicable aux pénalités logistiques ( cf. commentaire de l'article 3 bis ).

Pour autant, ce nouveau cadre pose des difficultés d'application pour les grossistes. En tant que distributeurs, ils sont soumis vis-à-vis de leurs fournisseurs à ce nouveau régime. En tant que fournisseur de leurs clients professionnels, en revanche, ils sont soumis aux clauses pénales traditionnelles des contrats, mentionnées dans le code civil.

Par conséquent, le régime applicable en amont n'est pas le même que celui applicable en aval. En outre, il n'est pas remonté du terrain des litiges particuliers relatifs aux pénalités qu'infligeraient les grossistes à leurs fournisseurs.

Il convient donc de revenir, pour les grossistes, à la situation antérieure, à savoir que tant en amont qu'en aval, ce sont les clauses pénales des contrats qui s'appliquent. La commission a donc adopté l'amendement COM-23 de M. Menonville et l'amendement COM-25 de M. Duplomb procédant à cette évolution.

La commission a adopté l'article ainsi rédigé.

Article 3 ter

Communication à la DGCCRF avant la fin d'année, par les fournisseurs
et les distributeurs, des montants de pénalités logistiques
réclamés et perçus

Cet article oblige les distributeurs et les fournisseurs à communiquer à la DGCCRF, avant le 31 décembre de chaque année, les montants qu'ils ont réclamés à leur co-contractant en matière de pénalités logistiques ainsi que les montants réellement perçus.

Il sanctionne par ailleurs d'une amende administrative pouvant atteindre 375 000 € pour une personne morale tout manquement à ces dispositions.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement prévoyant que la communication annuelle de ces informations détaille les montants exigés et perçus pour chacun des douze derniers mois. Par ailleurs, cet amendement prévoit la remise par le Gouvernement, aux présidents des commissions des affaires économiques du Parlement, d'une synthèse annuelle de ces informations.

Cet amendement augmente, enfin, le montant de sanctions encourues en cas de manquement à l'obligation de communication

I. La situation actuelle - Des pratiques abusives en matière de pénalités logistiques qui persistent malgré les contrôles plus fréquents de la DGCCRF

Une description plus précise des pénalités logistiques et de leurs enjeux figure au commentaire de l'article 3 bis .

Dans la situation actuelle, certains fournisseurs n'osent pas signaler aux pouvoirs publics (DGCCRF ou juge) les pénalités logistiques qu'ils se seraient vus infliger et dont ils contestent le bien-fondé, par crainte de représailles commerciales de la part du distributeur.

Par conséquent, le caractère abusif des pénalités logistiques est essentiellement constaté via les contrôles réalisés par la DGCCRF en la matière (certains d'entre eux étant le fruit de signalements par les fournisseurs, comme ceux annoncés le 4 novembre 2022, cf. supra ). Or ces contrôles ne peuvent évidemment porter sur l'intégralité des pénalités abusives.

II. Le dispositif envisagé - Contraindre les parties à communiquer chaque année à la DGCCRF le montant de pénalités perçu

Cet article 3 ter complète l'article L. 441-19 du code de commerce en prévoyant que chaque distributeur est tenu de communiquer, au plus tard le 31 décembre de chaque année, au directeur de la DGCCRF ou à son représentant nommément désigné les montants qu'il a réclamés à ses fournisseurs ainsi que les montants réellement perçus au titre des pénalités logistiques lors de l'année précédente.

L'alinéa suivant crée la même règle pour les fournisseurs.

Cet article prévoit par ailleurs un régime de sanctions en cas de manquement : ce dernier serait passible d'une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et 375 000 € pour une personne morale, ces montants étant doublés en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans.

III. La position de la commission - Préciser le contenu de ces communications et prévoir une meilleure information du Parlement et une augmentation du montant de sanctions encourues

La commission souscrit pleinement à l'esprit de cet article 3 ter , qui facilitera le travail d'enquête des services de l'État. Compte tenu de l'importance prise par ces pénalités logistiques ces dernières années, du nombre important d'abus constatés ou relatés, et du déséquilibre du rapport de force entre fournisseurs et distributeurs susceptible d'entraîner une forme d'« autocensure » de la part de fournisseurs victimes de tels abus, il importe d'une part de documenter davantage le recours massif à ces pénalités et d'autre part de faciliter le travail d'enquête des services de l'État en la matière.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement COM-47 qui précise que le montant des pénalités, devant être communiqué à la DGCCRF chaque année, est détaillé sur une base mensuelle. Par ailleurs, cet amendement prévoit la remise d'un rapport annuel du Gouvernement aux présidents des commissions des affaires économiques du Parlement synthétisant lesdites communications reçues, et indiquant les manquements constatés et les suites qui leur ont été données. Ce document ne pourra être rendu public. Enfin, cet amendement augmente de 375 000 € à 500 000 € le montant maximal de sanction encourue en cas de manquement à ces obligations de communication, le montant étant doublé en cas de réitération du manquement.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 4

Attestation du tiers indépendant fournie en amont de la négociation
dans le cadre de la troisième option prévue par l'article L. 441-1-1
du code de commerce pour assurer la transparence des négociations commerciales concernant la matière première agricole

Cet article prévoit que, dans le cas où les fournisseurs choisissent « l'option n° 3 » lors de l'envoi de leurs conditions générales de vente, ils accompagnent cet envoi d'une attestation d'un tiers indépendant certifiant la part de l'évolution de tarif qui résulte de l'évolution du prix des matières premières agricoles qui composent son produit.

Il maintient par ailleurs l'existence de l'attestation ex-post , c'est-à-dire celle transmise par le tiers indépendant à l'issue des négociations, qui certifie que ces dernières n'ont pas porté sur la part du tarif qui résulte de l'évolution du prix de la matière première agricole.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement précisant que parmi les documents que le fournisseur doit transmettre au tiers indépendant figure la méthodologie qu'il a employée pour déterminer l'impact sur son tarif de l'évolution du prix des intrants agricoles. Le tiers indépendant ne certifie aujourd'hui, en effet, que la conclusion du lien qui est fait par le fournisseur entre l'évolution des matières premières mise en exergue et l'évolution de son tarif, sans contrôler la méthode retenue pour faire le lien entre l'une et l'autre. Cet amendement précise également explicitement que ladite attestation doit être transmise au distributeur, afin d'éviter tout contournement éventuel de l'intention du législateur.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

I. La situation actuelle - Un mécanisme de transparence, censé garantir la sanctuarisation de la matière première agricole dans les négociations commerciales, qui doit encore évoluer au regard des premiers retours d'expérience

A. Une sanctuarisation de la matière première agricole qui repose, entre autres, sur l'intervention post-négociation d'un tiers indépendant

La Loi Egalim 2, aux fins d'améliorer le revenu des producteurs agricoles, a mis en place en place un mécanisme tendant à « sanctuariser » la matière première agricole (MPA) au cours des négociations commerciales, afin que cet élément du tarif du fournisseur ne fasse pas l'objet d'une déflation qui se serait répercutée, in fine , sur les agriculteurs.

Ce mécanisme se compose de plusieurs étages :

• l'obligation de contractualisation écrite 35 ( * ) dans l'amont agricole, entre producteurs et acheteurs, sauf pour certaines filières définies par décret. Le contrat écrit ainsi conclu doit notamment déterminer le prix et les volumes livrés et, pour fixer le prix, tenir compte de différents types d'indicateurs (de coûts de production, de qualité, etc.). Surtout, ces contrats doivent contenir une clause de révision automatique des prix, qui se déclenche en fonction de l'évolution des coûts de production des agriculteurs ;

• la sanctuarisation de la MPA dans la négociation commerciale aval, entre fournisseurs et distributeurs. La non-négociabilité de la MPA est ainsi consacrée par la loi 36 ( * ) ;

• pour que le distributeur connaisse la part que représentent les MPA dans le tarif du fournisseur (préalable nécessaire pour s'assurer que la négociation ne porte pas dessus), trois options « de transparence » sont au choix du fournisseur, en vertu de l'article L. 441-1-1 du code de commerce.

La première option consiste pour le fournisseur à présenter dans ses CGV, « pour chacune des matières premières agricoles et pour chacun des produits transformés composés de plus de 50 % de matières premières agricoles qui entrent dans la composition du produit [...], leur part dans la composition dudit produit, sous la forme d'un pourcentage en volume et d'un pourcentage du tarif du fournisseur ». Par exemple, pour un yaourt aux fraises, le fournisseur indiquerait : « les fraises représentent x % du volume du produit, et y % du tarif transmis ».

La deuxième option consiste pour le fournisseur à présenter dans ses CGV, non pas la part détaillée de chaque MPA, mais la part agrégée des MPA. Par exemple, pour un yaourt aux fraises, le fournisseur indiquerait : « les MPA représentent x % du volume du produit et y % du tarif transmis », sans indiquer la part respective des fraises, du lait, du sucre.

Ces deux options facilitant toutefois, pour le distributeur, le fait d'estimer le niveau de marge du fournisseur (et par conséquent, la part du tarif sur laquelle il peut lui demander de rogner), le législateur a introduit une troisième option, plus respectueuse du secret des affaires tout en permettant le degré de transparence nécessaire.

La troisième option consiste pour le fournisseur à prévoir, lorsque son tarif évolue par rapport à l'année précédente, « l'intervention d'un tiers indépendant, aux frais du fournisseur, chargé de certifier au terme de la négociation que [...] celle-ci n'a pas porté sur la part de cette évolution qui résulte de celle du prix des matières premières agricoles ». Cette certification doit être fournie dans le mois qui suit la conclusion du contrat (donc au plus tard au 1 er avril).

B. « L'option 3 » n'a pas apporté entière satisfaction

Dans les faits, 80 % des fournisseurs ont choisi cette option 3, qui leur permet de ne pas dévoiler aux distributeurs la décomposition exacte de leur tarif, tout en permettant, normalement, de garantir la non-négociabilité de la MPA. Les entreprises qui ont choisi les options 1 et 2 sont, généralement, des PME.

Un rapport sénatorial 37 ( * ) de Daniel Gremillet et Anne-Catherine Loisier, de juillet 2022, a toutefois mis en exergue les limites de ce dispositif.

Premièrement, le choix de l'option 3 a pu alimenter la défiance entre fournisseurs et distributeurs, ces derniers soupçonnant les premiers d'avoir fait ce choix, qui implique une certification n'intervenant qu'à la fin des négociations, pour maintenir une forme d'opacité durant les négociations : « Les négociations commerciales étant une période dans laquelle le degré de défiance entre les parties est élevé, et dans laquelle chacune semble soupçonner l'autre de dissimuler des informations, le choix de l'option n° 3 a pu être vécu par les distributeurs comme une tentative de se soustraire à l'exigence de transparence promue par Egalim 2. En période de forte hausse des tarifs demandés, les distributeurs ont légitimement souhaité savoir dans quelle mesure elles sont le reflet fidèle de la hausse de telle ou telle MPA (qui dépend de la part que représente la MPA dans la composition du produit), sans attendre la certification du tiers indépendant ».

Deuxièmement, « selon les acteurs de la grande distribution entendus par le groupe de suivi, les certifications post-négociation des commissaires aux comptes auraient, pour une large part, tardé à être envoyées aux distributeurs (parfois plusieurs mois après la fin des négociations) ». De fait, l'attestation n'étant délivrée qu' ex-post , les négociations se déroulent « à l'aveugle », le fournisseur transmettant son tarif, et le distributeur devant attendre la fin des négociations pour savoir si la part de MPA sur laquelle la négociation ne devait pas porter était bien celle annoncée par le fournisseur. Par conséquent, le principe-même de l'option 3 est dévitalisé du fait de ces envois tardifs.

Et le rapport de conclure, dans le même sens que le médiateur des relations commerciales agricoles : « l'ensemble des professionnels entendus a estimé qu'une intervention plus en amont du tiers de confiance, par exemple au moment de l'envoi des conditions générales de vente du fournisseur, serait de nature à fluidifier les négociations et apaiser les tensions ».

Du reste, il convient de noter que plusieurs acteurs entendus en audition, dont le Médiateur, ont précisé que l'option 2 devrait être davantage utilisée en 2023 qu'elle ne l'a été en 2022.

II. Le dispositif envisagé - Compléter l'option 3 actuelle par une attestation délivrée au début des négociations

Le présent article 3 complète l'alinéa de l'article L. 441-1-1 du code de commerce relatif à l'option 3. Désormais, en cas d'évolution du tarif fournisseur par rapport à l'année précédente, les CGV dudit fournisseur prévoient « l'intervention d'un tiers indépendant, aux frais du fournisseur, chargé d'attester la part de cette évolution qui résulte de celle du prix des matières premières agricoles ou des produits transformés mentionnés au même premier alinéa. Dans ce cas, le fournisseur transmet au tiers indépendant les pièces nécessaires à cette attestation. Celle-ci est fournie dans le mois qui suit l'envoi des conditions générales de vente ».

L'article 3 conserve la deuxième attestation, post -négociation, chargée d'attester que la négociation n'a pas porté sur cette part de la MPA dans le tarif fournisseur.

III. La position de la commission - Souscrire à cette attestation ex ante tout en assurant une plus grande fiabilité des informations soumises à certification

La commission valide le principe d'une attestation transmise par le fournisseur au distributeur au début des négociations, gage d'une plus grande transparence et, en théorie, d'une plus grande fluidité des échanges. Cependant, une telle attestation ne permet que de vérifier si, selon la méthode retenue par le fournisseur, l'évolution des MPA mise en avant impacte correctement le tarif, sans que ne soit validée la méthodologie elle-même (quelle date de référence de l'évolution des cours des intrants est prise en compte, quel type de contrat d'achat des intrants agricoles est utilisé par le fournisseur, etc.). Autrement dit, rien ne permet aujourd'hui d'affirmer que cette attestation ex ante assurera une transparence qui, sans être totale car tel n'est pas l'objectif de l'option 3, est néanmoins suffisante.

En outre, il ressort des échanges que la rapporteure a eus avec certains distributeurs que, dans certains cas, des fournisseurs peuvent se sentir non-tenus de transmettre l'attestation, la loi indiquant seulement que les CGV doivent prévoir l'intervention d'un tiers indépendant.

Par conséquent, à l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement COM-48 qui prévoit que parmi les pièces justificatives que le fournisseur doit transmettre au tiers indépendant figure une note explicative de la méthodologie qu'il a retenue pour calculer l'impact entre évolution des MPA et évolution de son tarif. Cet amendement explicite également clairement que ladite attestation doit être transmise par le fournisseur au distributeur.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 4 bis

Champ d'application de la clause de révision automatique des prix
dans les conventions entre fournisseurs et distributeurs
et délai d'entrée en vigueur du nouveau tarif

Cet article prévoit que la clause de révision automatique des prix des produits alimentaires, devant figurer dans les conventions écrites conclues entre fournisseurs et distributeurs, se fonde sur l'évolution des différentes matières premières agricoles composant le produit, et non d'une seule d'entre elles. Par ailleurs, il précise que l'évolution tarifaire qui résulte du déclenchement de la clause doit être mise en oeuvre au plus tard un mois après ledit déclenchement.

La commission a adopté cet article, modifié par un amendement de la rapporteure procédant à des adaptations rédactionnelles.

I. La situation actuelle - Une clause de révision automatique des prix des produits alimentaires qui a entraîné des pratiques contestables visant à atténuer son effet

Afin d'assurer la construction du prix des produits agricoles et alimentaires « en marche avant », la loi Egalim 2 a prévu un mécanisme mêlant contractualisation écrite en amont et non-négociabilité des matières premières agricoles entre fournisseurs et distributeurs ( cf. supra, commentaire de l'article 4).

L'un des rouages de ce mécanisme consiste en la négociation, entre fournisseur et distributeur, d'une clause de révision automatique des prix du contrat « en fonction de la variation du coût de la matière première agricole, à la hausse ou à la baisse, entrant dans la composition du produit alimentaire 38 ( * ) », intégrée à la convention écrite qu'ils concluent entre eux.

La loi Egalim 2 promulguée en octobre 2021 ayant introduit des évolutions significatives en matière de négociation commerciale, celles qui se sont déroulées du 1 er décembre 2021 au 1 er mars 2022 n'ont laissé que peu de temps aux acteurs pour définir les termes de cette clause de révision automatique des prix. Ainsi que le pointait le rapport sénatorial 39 ( * ) de juillet 2022 de Daniel Gremillet et Anne-Catherine Loisier, la négociation de ces clauses semble avoir été bâclée, compte tenu de l'apprêté des échanges et du climat de défiance résultant à la fois du contexte inflationniste et du déclenchement de la guerre en Ukraine fin février.

Plus regrettable, ce rapport identifiait un ensemble de pratiques contestables pouvant être imputées aux distributeurs, consistant à fixer des conditions de déclenchement de ces clauses à des niveaux inatteignables. « Par exemple :

• délais de mise en oeuvre de neuf mois (c'est-à-dire que la hausse résultant de la clause de révision automatique ne s'applique que près d'un an plus tard, donc lorsque les nouvelles négociations annuelles ont débuté) ;

• seuils de déclenchement à partir de 30 % ou 50 % de hausse, de telle sorte qu'une hausse de 25 % n'est pas considérée comme suffisante pour réviser le tarif, etc. ;

• clause de révision qui ne s'applique que pour une seule matière première agricole (souvent celle qui n'a, justement, pas beaucoup augmenté). »

II. Le dispositif envisagé - Encadrer par la loi le délai d'entrée en vigueur du nouveau tarif résultant du déclenchement de la clause, et le champ d'application de ladite clause

Le présent article 4 bis est issu de deux amendements adoptés en séance publique à l'Assemblée nationale, à l'initiative du député Paul Molac.

Il précise que la révision n'est plus fonction de l'évolution du prix de la matière première agricole, mais « des matières premières agricoles », afin que toutes celles qui composent un produit alimentaire soient concernées par la clause de révision automatique. Il fixe par ailleurs un délai maximal d'un mois, à l'issue duquel les évolutions tarifaires résultant du déclenchement de la clause de révision doivent avoir été mises en oeuvre.

III. La position de la commission - Souscrire à ces évolutions bienvenues et procéder à une modification rédactionnelle

Les dispositions de cet article 4 bis traduisent législativement des recommandations issues du rapport rédigé en juillet 2022 par la rapporteure de la présente proposition de loi et par le sénateur Daniel Gremillet, président du groupe de suivi de la loi Egalim, adopté alors par la commission des affaires économiques : par conséquent, la commission souscrit pleinement aux dispositions de cet article, qui entendent lutter contre certaines pratiques contestables visant à vider de leur sens les clauses de révision automatique.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement COM-49 procédant à quelques ajustements rédactionnels.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 4 ter (non modifié)

Ratification des ordonnances n° 2019-358
et n° 2019-359 du 24 avril 2019

Cet article ratifie l'ordonnance n° 2019-358 du 24 avril 2019 relative à l'action en responsabilité pour prix abusivement bas et l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées.

La commission a adopté cet article sans modification.

I. La situation actuelle - Deux ordonnances modifiant le titre IV du livre IV du code de commerce

L'article 17 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite « Egalim 1 ») a autorisé le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour modifier le titre IV du livre IV du code de commerce. Le Gouvernement a modifié ce titre par deux ordonnances : la première porte sur l'action en responsabilité pour prix abusivement bas et la seconde porte réforme du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées.

Les deux ordonnances ont été publiées le 24 avril 2019, et un projet de loi de ratification a été déposé le 10 juillet 2019 sur le bureau de l'Assemblée nationale.

A. Ordonnance n° 2019-358 du 24 avril 2019 relative à l'action en responsabilité pour prix abusivement bas

L'ordonnance n° 2019-358 modifie l'article L. 442-9 du code de commerce relatif à l'action en responsabilité civile pour prix abusivement bas afin de rendre ce recours plus opérant.

L'article 1 er supprime l'exigence tendant à l'existence d'une crise conjoncturelle, en élargissant le champ d'application du dispositif à l'ensemble des produits agricoles et aux denrées alimentaires. Il indique également les modalités de prise en compte des indicateurs de coûts de production sur lesquels le juge pourra désormais s'appuyer pour caractériser le prix abusivement bas.

L'article 2 concerne les modalités d'application des dispositions introduites par l'ordonnance aux situations en cours à sa publication.

B. Ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées

L'ordonnance n° 2019-359 porte refonte du titre IV du livre IV du code de commerce. Elle réorganise ce titre afin d'améliorer la lisibilité et la sécurité juridique des textes.

Cette ordonnance s'inscrit dans la continuité des États généraux de l'alimentation, et a fait l'objet d'une consultation des acteurs économiques concernés. Elle comporte six articles. Les articles 1 er à 3 portent refonte des dispositions du titre IV du livre IV, qui font l'objet d'une renumérotation. Ce titre est réorganisé en suivant un plan chronologique et thématique de la relation commerciale.

L'article 1 er de l'ordonnance modifie le chapitre I er du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence dans la relation commerciale. Ce chapitre est composé de trois sections : conditions générales de ventes (1), négociation et formalisation de la relation commerciale (2) et facturation et délais de paiement (3).

Les dispositions modifiées par l'ordonnance permettent :

à la section 1 :

• de préciser les dispositions relatives aux conditions générales de vente (CGV) en créant un article spécifique (L. 441-1) qui mentionne le contenu des CGV, les modalités d'obligation de communication, le rôle dans la négociation commerciale et les sanctions en cas de non-communication ;

• de modifier les sanctions relatives à la non-communication des CGV : elle fait désormais l'objet d'une sanction administrative de 15 000 € pour une personne civile et de 75 000 € pour une personne morale.

à la section 2 :

• de réorganiser les dispositions relatives aux conventions uniques afin de simplifier et de préciser les dispositions applicables aux entreprises. Deux régimes de convention sont désormais prévus :

o un régime aux obligations applicables à tous les fournisseurs ou distributeurs ou prestataires de services, tous secteurs confondus (L. 441-3) ;

o un régime aux obligations applicables à tous les fournisseurs ou distributeurs ou prestataires de services lorsque la convention concerne des produits grande consommation (L. 441-4).

• de prendre en compte les obligations réciproques auxquelles se sont engagées les parties afin de déterminer le prix convenu, le chiffre d'affaires prévisionnel et la définition du plan d'affaire (art. L. 441-4) ;

• de modifier les dispositions relatives aux CGV dans le cadre de ces conventions ;

• de réécrire les dispositions relatives aux sanctions dans le cas de manquements aux dispositions des conventions précitées (art. L. 441-6) ;

• de supprimer des dispositions obsolètes.

à la section 3 :

• de clarifier les règles de facturation du code de commerce, de les harmoniser avec celles du code général des impôts et de modifier les sanctions relatives à ces règles ;

• de réorganiser et clarifier les dispositions relatives aux délais de paiement.

L'article 2 de l'ordonnance modifie le chapitre II relatif aux pratiques commerciales déloyales qui rassemble les pratiques restrictives de concurrence (section 1) et les autres pratiques prohibées (section 2).

L'ancien article L. 442-6 du code de commerce est désormais découpé en 4 nouveaux articles (articles L. 442-1 à L. 442-4) conformément aux objectifs suivants :

• recentrer la liste de pratiques commerciales restrictives autour de trois pratiques générales, et les définir (art. L. 442-1). Cette simplification supprime les pratiques non utilisées par les opérateurs économiques ou pouvant être appréhendées sous un autre fondement juridique ;

• préciser les modalités du préavis en ce qui concerne la rupture brutale d'une relation commerciale établie (art. L. 442-1) ;

• prévoir un article spécifique concernant la pratique illicite relative à la violation de l'interdiction de revente hors réseau faite au distributeur (art. L. 442-2) ;

• prévoir un article spécifique relatif aux clauses ou contrats prohibés (art. L. 442-3) ;

• prévoir un article spécifique sur la mise en oeuvre de l'action en justice clarifiant les dispositions antérieures et précisant les dispositions relatives aux amendes civiles (art. L. 442-4).

L'article 3 de l'ordonnance modifie le chapitre III relatif aux produits agricoles et aux denrées alimentaires afin de :

• clarifier et harmoniser les dispositions relatives aux produits agricoles et alimentaires ;

• mettre en cohérence ces dispositions en ce qui concerne les références applicables aux critères et modalités de détermination des prix (art. L. 443-4) ;

• élargir l'interdiction de céder à un prix abusivement bas aux produits agricoles et aux denrées alimentaires en supprimant l'exigence tenant à l'existence d'une situation de crise conjoncturelle.

L'article 4 est relatif aux dispositions d'outre-mer.

L'article 5 concerne les dispositions d'entrée en vigueur des articles 1 à 3.

II. Le dispositif envisagé - Ratifier les ordonnances n° 2019-358 et n° 2019-359 du 24 avril 2019

Cet article 4 ter est issu d'un amendement du Gouvernement visant à ratifier ces deux ordonnances.

III. La position de la commission - Une adoption sans modification de cet article

La commission des affaires économiques du Sénat a adopté cet article sans modification.

La commission a adopté l'article sans modification.

Article 5

Habilitation à légiférer par ordonnance pour améliorer
la lisibilité des dispositions relatives aux grossistes

Cet article habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour prendre toute mesure relevant du domaine de la loi pour améliorer la lisibilité des dispositions relatives au commerce de gros et mettre en cohérence les dispositions des autres codes avec ces modifications.

La commission a adopté un amendement de la rapporteure et deux amendements de ses collègues supprimant cette habilitation à légiférer par ordonnance et procédant « en dur » dans la loi aux modifications requises.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

I. La situation actuelle - Des dispositions propres aux grossistes disséminées dans plusieurs articles du code de commerce

Un grossiste s'entend de « toute personne physique ou morale qui, à des fins professionnelles, achète des produits à un ou plusieurs fournisseurs et les revend, à titre principal, à d'autres commerçants, grossistes ou détaillants, à des transformateurs ou à tout autre professionnel qui s'approvisionne pour les besoins de son activité 40 ( * ) ». Il existerait environ 150 000 entreprises du commerce de gros en France, composées à 95 % de TPE-PME, employant environ un million de salariés.

Compte tenu des spécificités de ce secteur, les grossistes sont souvent exemptés de l'application des dispositions générales relatives à l'encadrement des relations commerciales :

• les règles de formalisation des conditions générales de vente pour les produits alimentaires (art. L. 441-1-1) ;

• les règles spécifiques relatives au contenu de la convention écrite conclue entre fournisseurs et distributeurs lorsqu'elle concerne des produits de grande consommation (art. L. 441-4) ;

• pour le calcul du seuil de revente à perte, le prix d'achat effectif est affecté d'un coefficient de 0,9 pour certains grossistes, ce qui n'est pas le cas pour les autres vendeurs (art. L. 442-5).

La multiplication des lois relatives aux relations commerciales semble rendre nécessaire le regroupement des dispositions applicables aux grossistes dans un certain nombre d'articles qui leur soient propres. Les grossistes craignent en effet d'être les « victimes collatérales » d'évolutions législatives qui ne tiendraient pas suffisamment compte des spécificités de leur secteur.

II. Le dispositif envisagé - Une habilitation à légiférer par ordonnance pour procéder au regroupement de ces dispositions

L'article 5 habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour prendre, dans un délai de six mois, toute mesure relevant du domaine de la loi pour :

• modifier le titre IV du livre IV du code de commerce afin d'améliorer la lisibilité des dispositions relatives au commerce de gros, notamment en les regroupant ;

• mettre en cohérence les dispositions de tout code avec celles prises par voie d'ordonnance.

Au stade de la commission toutefois, les députés avaient adopté un amendement créant deux nouveaux articles « en dur » au sein du code de commerce (art. L. 441-1-2 et L. 441-1-3) procédant à ce regroupement, avant de privilégier en séance la voie d'une habilitation à légiférer par ordonnance.

Ces deux articles, à droit constant, fixaient notamment la définition d'un grossiste, les règles applicables à leurs CGV, ou encore le contenu de la convention écrite établie à l'issue des négociations.

III. La position de la commission - Procéder directement à l'inscription dans la loi des modifications requises et supprimer l'habilitation à légiférer par ordonnance

Aucun des échanges conduits avec les services ministériels ou avec les représentants des grossistes n'a permis de justifier le choix fait par le Gouvernement de privilégier une habilitation à légiférer par ordonnance.

Par conséquent, et compte tenu du fait qu'une telle habilitation dépossède temporairement le Parlement de son pouvoir de légiférer, la commission a adopté un amendement COM-50 de la rapporteure, ainsi qu'un amendement COM-16 de M. Tissot et un amendement COM-29 de M. Menonville, inscrivant directement dans la loi les modifications législatives requises pour clarifier le régime propre aux grossistes. Outre quelques adaptations rédactionnelles, ces amendements reprennent le dispositif adopté, à l'unanimité, par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 6

Exclusion des contrats portant sur certains produits agricoles
et alimentaires du champ de l'obligation de comporter une clause
de renégociation du prix

Cet article précise que peuvent être exclus de l'obligation de comporter une clause de renégociation des prix certains produits figurant sur une liste fixée par décret.

La commission a adopté un amendement de la rapporteure précisant que cette dérogation fait l'objet d'une demande motivée de l'interprofession représentative des produits concernés.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

I. La situation actuelle - Une obligation générale, pour les contrats portant sur des produits alimentaires, de comporter une clause de renégociation des prix

Aux termes de l'article L. 441-8 du code de commerce, les contrats de plus de trois mois portant sur la vente des produits agricoles et alimentaires « dont les prix de production sont significativement affectés par des fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires et des produits agricoles et alimentaires, de l'énergie, du transport et des matériaux entrant dans la composition des emballages » doivent comporter une clause de renégociation du prix afin de tenir compte desdites fluctuations.

Cette clause est définie par les parties, notamment ses conditions de déclenchement (pourcentage d'augmentation des coûts au-delà duquel la clause est activée, délai avant entrée en vigueur du nouveau tarif, etc.).

Peu de règles encadrent le déroulement de la renégociation, si ce n'est qu'elle doit avoir lieu dans un délai d'un mois à compter du moment où les conditions de déclenchement sont réunies, qu'elle doit être « conduite de bonne foi », et tendre à une « répartition équitable entre les parties de l'accroissement ou de la réduction des coûts de production résultant de ces fluctuations ».

Par ailleurs, ne pas prévoir de telle clause est passible d'une amende administrative ne pouvant excéder 375 000 € pour une personne morale.

Surtout, la loi ne fixe aucune obligation de résultat : le déclenchement de la clause impose simplement d'entamer des discussions en vue de renégocier le tarif d'achat des produits, mais sans contrainte légale de parvenir à un accord. Il s'agit là d'une différence majeure entre cette clause et la clause de révision automatique du prix figurant à l'article L. 441-7.

Avant la loi Egalim 2, cette clause de renégociation n'était obligatoire que pour les contrats portant sur la vente de produits agricoles et alimentaires figurant sur une liste fixée par décret. Du reste, elle ne trouvait à s'appliquer qu'en cas de fluctuation importante soit du prix des MPA et des produits agricoles et alimentaires, soit des coûts de l'énergie.

L'article 5 de la loi Egalim a élargi son champ d'application en supprimant la référence au décret (tous les produits agricoles et alimentaires sont donc désormais concernés) et en ajoutant, parmi les coûts dont la forte fluctuation entraîne le déclenchement de la clause, ceux des emballages et du transport.

Or il ressort des échanges avec les acteurs économiques que certains types de contrats sont, par principe, insusceptibles de contenir une telle clause, sauf à radicalement modifier l'organisation de certains marchés. En effet, les contrats « à terme », qui permettent de fixer à une certaine date le prix d'une livraison qui n'aura lieu qu'ultérieurement afin d'éliminer les risques de marché et donner de la prévisibilité aux acteurs, seraient vidés de leur utilité si le prix ainsi fixé en amont pouvait être renégocié entre temps. Cette situation trouve particulièrement à s'appliquer dans le secteur des céréales, où le prix de la livraison est souvent fixé avant même l'ensemencement ou la récolte.

II. Le dispositif envisagé - Une possibilité pour le ministre d'exclure par arrêté certains produits de cette obligation

L'article 6, introduit en commission à l'Assemblée nationale, précise que la clause de renégociation s'applique aux produits agricoles et alimentaires « à l'exception des produits figurant sur une liste fixée par décret ». Il s'agit là de confier au Gouvernement le soin de définir les produits exemptés de cette clause, au premier rang desquels devraient figurer les produits céréaliers.

III. La position de la commission - Prévoir une demande motivée de l'interprofession concernée

La rapporteure partage le constat que l'obligation de prévoir une clause de renégociation élargie (matière agricole, énergie, transport, emballage), si elle représente une avancée utile et importante pour la prise en compte de l'évolution des différents intrants, ne peut s'appliquer indifféremment à tout type de contrats.

En particulier, les contrats de vente à terme ou les contrats à prix ferme, surtout présents dans les filières céréales et oléagineux, sont intrinsèquement incompatibles avec une telle obligation, puisque leur principe-même est de fixer en amont le prix payé au moment de la livraison future, permettant à l'acheteur de se couvrir d'éventuels aléas de marché.

La rapporteure considère cependant qu'une telle dérogation à une obligation générale doit être officiellement demandée par l'interprofession concernée, charge au ministre d'y donner suite ou non. À son initiative, la commission a donc adopté l'amendement COM-51 qui précise que la dérogation fait l'objet d'une demande motivée de l'interprofession représentative des produits concernés.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 7

Exclusion des contrats « à terme » de l'obligation faite à l'acheteur
de communiquer, avant le premier jour de la livraison des produits,
le prix payé, et possibilité de tenir compte dans les contrats agricoles
des modalités de fixation du prix issues du commerce équitable

Cet article exonère les contrats à terme de la règle selon laquelle, lorsque le contrat liant un producteur agricole et son acheteur ne comporte pas de prix déterminé, l'acheteur communique au producteur, avant le premier jour de la livraison, le prix qui sera payé.

Par ailleurs, il ouvre la possibilité, pour définir les indicateurs devant être pris en compte au titre des critères et modalités de révision ou de détermination du prix, de s'appuyer sur les modalités de fixation du prix issues du commerce équitable.

La commission a adopté un amendement de la rapporteure précisant davantage les types de contrats concernés par la dérogation.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

I. La situation actuelle - Une obligation générale d'informer le producteur agricole, avant la livraison, du prix qui lui sera payé, qui ne tient pas suffisamment compte du cas spécifique des contrats à terme

L'article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime définit le mécanisme « amont » permettant la construction du prix « en marche avant » dans le secteur agricole et alimentaire :

• premièrement, il oblige à ce que tout contrat de vente de produits agricoles livrés en France soit conclu sous forme écrite (sauf quelques exceptions), et qu'il émane initialement du producteur agricole. Si ce dernier a donné mandat à une organisation du producteur (OP) pour négocier la commercialisation de ses produits, le contrat proposé est subordonné au respect d'un accord-cadre conclu entre l'OP et l'acheteur ;

• deuxièmement, il précise que « la proposition de contrat ou d'accord-cadre écrit est le socle unique de la négociation au sens de l'article L. 441-1 du code de commerce » ;

• troisièmement, il liste les clauses qui doivent impérativement figurer dans un contrat de vente, parmi lesquelles les clauses relatives « au prix et aux modalités de révision automatique, à la hausse ou à la baisse, de ce prix, selon une formule librement déterminée par les parties, ou aux critères et modalités de détermination du prix, parmi lesquels la pondération des indicateurs mentionnés au quinzième alinéa du présent III », la quantité à livrer, les modalités de collecte, ou encore les délais de paiement ;

• quatrièmement, il dispose que le contrat « prend en compte un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture et à l'évolution de ces coûts », ainsi qu'un ensemble d'autres indicateurs (indicateur relatif aux prix des produits agricoles constatés sur le marché, indicateurs relatifs aux quantités, à la composition, à la qualité, à l'origine, à la traçabilité des produits) ;

• cinquièmement, les contrats doivent également comporter une clause de renégociation (outre la clause de révision automatique).

Par ailleurs, pour les cas où le contrat ne comporterait pas de prix déterminé à l'avance, le VIII de cet article L. 631-24 précise que « l'acheteur communique au producteur et à l'organisation de producteurs ou à l'association d'organisations de producteurs, avant le premier jour de la livraison des produits concernés par le contrat, de manière lisible et compréhensible, le prix qui sera payé ».

Or il ressort des échanges avec les acteurs agricoles et avec les pouvoirs publics que, comme pour la clause de renégociation ( cf. commentaire de l'article 6), cette obligation ne peut être respectée dans le cas des contrats « à terme », sauf à modifier structurellement l'organisation des marchés agricoles qui y recourent.

Dans ces contrats en effet, une partie du prix est versée avant même la livraison (pour financer l'ensemencement des céréales, par exemple), une partie du prix est versée le jour de la livraison, et un complément de rémunération est versé a posteriori , dont le montant dépend du cours des marchés à cette date. Par conséquent, il ne peut être indiqué au producteur agricole en amont le prix total, et exact, qui lui sera versé, puisqu'une partie de ce prix sera déterminée ultérieurement.

II. Le dispositif envisagé - Exclure les contrats à terme de l'obligation d'informer le producteur, avant la livraison, du prix payé, et possibilité explicite de se fonder sur les modalités de fixation de prix issues du commerce équitable pour les contrats agricoles

L'article 7 précise ainsi que ladite obligation d'information « n'est pas applicable aux contrats de vente comportant des stipulations justifiant de les qualifier de contrats financiers au sens du III de l'article L. 211-1 du code monétaire et financier [c'est-à-dire les instruments financiers à terme] ou comportant des stipulations qui prévoient la conclusion d'un contrat financier pour la détermination du prix » .

Par ailleurs, les députés en séance ont adopté un amendement précisant que pour déterminer les indicateurs ( cf. supra ) sur lesquels doivent s'appuyer les modalités de détermination et de révision du prix d'un contrat agricole, « les parties peuvent notamment s'appuyer sur les modalités de fixation du prix des systèmes de garantie et des labels de commerce équitable ».

Ces systèmes de garanties et labels sont aujourd'hui au nombre de huit : Agri éthique France, Biopartenaire, Bio équitable en France, FNAB, Fair for life, Fairtrade Max Havelaar, World Fair Trade Organization, label Tourisme équitable.

Parmi les sept critères dont ils garantissent le respect figure, notamment, « un prix rémunérateur établi sur la base de l'identification des coûts de production et une négociation équilibrée » et « un montant supplémentaire destiné au financement de projets collectifs visant le renforcement de capacité et l'autonomisation des [producteurs] 41 ( * ) ».

Le principe de ces systèmes et labels, privés, est explicitement reconnu par la loi depuis 2015 42 ( * ) .

III. La position de la commission - Une précision des contrats concernés par la dérogation

La rapporteure note que l'ensemble des acteurs entendus juge utiles les précisions apportées par cet article 7. La rédaction actuelle de l'article L. 631-24, bien qu'elle ne semble pas avoir entraîné de contentieux, soulève en effet des préoccupations juridiques qu'il convient de clarifier en vue de sécuriser certains contrats d'achats de produits agricoles, notamment les céréales.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement COM-52 qui précise le champ des contrats concernés par la dérogation.

Du reste, la mention des systèmes de garanties et de labels issus du commerce équitable ouvre la possibilité d'y recourir, parmi d'autres, sans que cela ne soit une obligation ; cet ajout est donc pertinent et ne diminue en rien la liberté des parties au contrat.

La commission a adopté l'article ainsi modifié.

Article 8 (supprimé)

Rapport du Gouvernement au Parlement
relatif aux conséquences des pénalités logistiques infligées
par les distributeurs aux fournisseurs

Cet article prévoit la remise, par le Gouvernement, d'un rapport au Parlement relatif aux conséquences des pénalités logistiques infligées par les distributeurs aux fournisseurs. Ce rapport doit notamment évaluer l'hypothèse d'une potentielle suppression de celles-ci.

À l'initiative de la rapporteure, la commission a adopté un amendement supprimant cet article 8, compte tenu du fait qu'un rapport équivalent est désormais prévu à l'article 3 ter .

I. La situation actuelle - Des abus flagrants en matière de pénalités logistiques relevés par la DGCCRF, en dépit d'un renforcement récent de leur encadrement

La loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs (dite « Egalim 2 ») a renforcé le cadre législatif applicable aux pénalités logistiques infligées par les distributeurs aux fournisseurs, en créant une section dédiée au chapitre I er du titre IV du livre IV du code de commerce ( cf. le commentaire de l'article 3 bis pour une analyse plus détaillée de ces évolutions).

À la suite de nombreux signalements d'abus potentiels, la DGCCRF a mené en 2022 une vaste enquête auprès de plus de 200 fournisseurs afin de vérifier la bonne application de la loi « Egalim 2 ». Les services de la DGCCRF ont constaté des pratiques abusives de la part de plusieurs enseignes de la grande distribution, expressément interdites par l'article L. 441-17 du code du commerce introduit par la loi « Egalim 2 », qui sont davantage détaillées dans le commentaire de l'article 3 bis ( cf. supra ).

II. Le dispositif envisagé - La remise d'un rapport au Parlement afin d'évaluer les conséquences de ces pénalités et leur éventuelle suppression

Un amendement adopté en séance publique complète la proposition de loi par un article 8 prévoyant la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement, dans un délai de 3 mois à compter de la promulgation de la loi, relatif aux conséquences des pénalités logistiques infligées par les distributeurs aux fournisseurs. Le rapport devra évaluer également la potentielle suppression de ces pénalités.

III. La position de la commission - Supprimer cet article car un tel rapport est déjà prévu à l'article 3 ter

Bien que les demandes de rapport sont souvent perçues comme alourdissant la charge de travail des services ministériels, diminuant de facto la disponibilité des agents pour mener des enquêtes ou lutter contre les pratiques pointées du doigt, un tel rapport sur les pénalités logistiques aurait été particulièrement utile pour objectiver et documenter le phénomène croissant du recours à ces pénalités.

Suite à l'adoption de l'amendement COM-47 de la rapporteure à l'article 3 ter , qui prévoit un tel rapport et précise davantage son contenu, le rapport prévu à cet article 8 ne paraît plus nécessaire, car il doublonnerait le premier. La commission a donc adopté l'amendement COM-53 de la rapporteure supprimant cet article.

La commission a supprimé cet article.


* 2 Les dispositions de ce titre sont majoritairement issues de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce, elle-même prise sur le fondement de l'habilitation à légiférer par ordonnance accordée par le Parlement dans l'article 17 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi Egalim ».

* 3 Loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs.

* 4 Une centrale d`achat centralise les achats pour le compte de ses membres, permettant en temps normal une recherche plus efficace des fournisseurs, une analyse plus fine des produits et une négociation optimisée des conditions d'achat. Une centrale de référencement, dont le fonctionnement se rapproche fortement de celui d'une centrale d'achat, n'achète pas directement les produits ; elle négocie les tarifs et autres aspects commerciaux pour le compte de ses membres, et ce sont ces derniers qui les achètent auprès des fournisseurs, aux conditions ainsi négociées.

* 5 Réponse d'un acteur agricole au questionnaire transmis par la rapporteure.

* 6 Les critères de sélection des fournisseurs semblent toutefois plus précis dans le cas des centrales nationales.

* 7 RMC, 31 janvier 2018, « Michel-Edouard Leclerc dans le collimateur de Bercy » et Les Échos, 31 janvier 2018, « Leclerc dément vouloir contourner la loi avec sa centrale d'achat belge ».

* 8 Rapport fait au nom de la commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec leurs fournisseurs, présenté par M. Thierry Benoit, Président, et M. Grégory Besson-Moreau, Rapporteur, le 25 septembre 2019.

* 9 Règlement (CE) No 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles.

* 10 Devenu depuis l'article L. 442-1, relatif à certaines pratiques restrictives de concurrence comme l'avantage sans contrepartie, le déséquilibre significatif, la rupture brutale de relation commerciale.

* 11 Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 8 juillet 2020, 17-31.536, Publié au bulletin.

* 12 Scabel est une société de droit belge, qui exerce un rôle d'intermédiaire entre Eurelec et les centrales d'achat régionales françaises et portugaises de la société Leclerc.

* 13 Groupement d'achat des centres Édouard Leclerc. Il s'agit de la centrale d'achat nationale du groupe Leclerc, qui négocie les contrats-cadres annuels avec les fournisseurs français, lesquels contrats-cadres sont mis en oeuvre par les centrales d'achat régionales.

* 14 Association des centres distributeurs Édouard Leclerc, en charge de l'élaboration de la stratégie à long terme du Mouvement E. Leclerc.

* 15 Lors de l'examen de la loi Egalim en 2018, la commission des affaires économiques avait adopté un amendement des rapporteurs érigeant directement certaines dispositions du code de commerce au rang de loi de police, mais seuls deux articles dudit code étaient alors concernés.

* 16 Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.

* 17 Ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires.

* 18 Décret n° 2018-1304 du 28 décembre 2018 fixant l'entrée en vigueur de l'article 2 de l'ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018 relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires.

* 19 Loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique.

* 20 Loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs.

* 21 Compte-rendu intégral des débats de la séance du 26 juin 2018 ( https://www.senat.fr/seances/s201 806/s20 180 626/s20 180 626 005.html ).

* 22 Synthèse du rapport d'information « Loi Egalim un an après : le compte n'y est pas », de MM. Daniel Gremillet, Michel Raison et Mme Anne-Catherine Loisier, fait au nom de la commission des affaires économiques n° 89 (2019-2020) - 30 octobre 2019.

* 23 Une enseigne de grande distribution a indiqué à la rapporteure que le SRP+ 10 s'était traduit, pour elle, par un surcroît de recettes de 70 millions d'euros la première année de sa mise en oeuvre (2019).

* 24 « Négociations commerciales et inflation : des tensions inédites, des pratiques contestables », Rapport d'information n° 799 (2021-2022) de M. Daniel Gremillet et Mme Anne-Catherine Loisier, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 19 juillet 2022.

* 25 https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/276 625_0.pdf

* 26 Loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique.

* 27 Article 9 de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs.

* 28 Article 106 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

* 29 Il était ainsi constaté que : « sur les produits du rayon droguerie, parfumerie, hygiène, où l'encadrement ne s'applique pas, le taux de générosité a augmenté, même si le poids du chiffre d'affaires sous promotion n'a pas fondamentalement évolué. Nul doute que lors des prochaines négociations commerciales, ces produits étant devenus des produits d'appel, cette tendance devrait être modifiée » .

* 30 Il s'agit du prix de vente à la grande distribution minoré des remises accordées par le fournisseur (par exemple celles de fin d'année, en fonction des volumes vendus) et du montant des services de coopération commerciale vendus par le distributeur (par exemple le placement en tête de gondole).

* 31 Ils sont définis comme des produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation. Leur liste figure à l'article D. 441-9 du code de commerce.

* 32 « Rappel de l'intention du législateur sur l'application de l'article 7 de la loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs relatif aux pénalités logistiques infligées par les distributeurs », Rapport d'information de Mme Anne-Catherine LOISIER, fait au nom de la commission des affaires économiques n° 595 (2021-2022) - 30 mars 2022.

* 33 https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgccrf/concurrence/relations_commerciales/faq-lignes-directrices-penalites-logistiques-vf.pdf ?v=1658 221 274

* 34 https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/dgccrf/presse/communique/2022/cp-dgccrf-egalim2.pdf ?v=1668 499 068

* 35 Art. L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime.

* 36 II de l'article L. 443-8 du code de commerce : « La négociation commerciale ne porte pas sur la part, dans le tarif du fournisseur, du prix des matières premières agricoles [...] ».

* 37 « Négociations commerciales et inflation : des tensions inédites, des pratiques contestables », Rapport d'information n° 799 (2021-2022) de M. Daniel Gremillet et Mme Anne-Catherine Loisier, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 19 juillet 2022.

* 38 Art. L. 443-8 du code de commerce.

* 39 Rapport d'information de M. Daniel Gremillet et Mme Anne-Catherine Loisier, fait au nom de la commission des affaires économiques n° 799 (2021-2022) - 19 juillet 2022.

* 40 Art. L. 441-4 du code de commerce.

* 41 Guide des labels et systèmes de garanties, commerce équitable origine France : https://www.commercequitable.org/wp-content/uploads/cef-guide-label-of-2021.pdf

* 42 Article 219 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, modifiant l'article 60 de la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises.

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