EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Refonte de l'infraction pénale relative au délit de fraude artistique

Cet article vise à introduire, au sein du code du patrimoine, des dispositions pénales réprimant le délit de fraude artistique , jusqu'ici couvert, de manière plus étroite, par la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique.

Tout en souscrivant à l'objectif d'une refonte de l'infraction de fraude artistique compte tenu des lacunes présentées par la loi Bardoux pour réprimer correctement les faux en art dans leur diversité actuelle, la commission a clarifié la définition de l'infraction, élargi le champ d'application de la circonstance aggravante et précisé et complété les peines complémentaires applicables à ce nouveau délit .

I. - La législation actuelle : un arsenal répressif aujourd'hui incomplet pour lutter contre le phénomène des fraudes artistiques dans sa globalité

Même si le droit français comporte un certain nombre de dispositions permettant d'assurer la répression des fraudes artistiques (droit d'auteur, infractions pénales de droit commun, infractions spécifiques aux fraudes dans le domaine de l'art), ce cadre juridique ne permet pas aujourd'hui d'appréhender toute la diversité des faux artistiques, ni de pouvoir engager des poursuites dans toutes les circonstances dans lesquelles le faux pourrait être détecté.

(1) Les lacunes de la loi Bardoux

En dépit de son intitulé, la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique présente plusieurs lacunes pour permettre de lutter efficacement contre la prolifération des faux .

Celles-ci tiennent principalement à son champ d'application, trop restrictif .

Les circonstances qui ont conduit à l'adoption de cette loi peuvent permettre de comprendre ce périmètre restreint. En effet, la loi Bardoux fut élaborée à la suite de l'acquisition par Alexandre Dumas fils d'un faux tableau de Corot. Ce tableau avait en réalité été peint par Paul-Désiré Trouillebert, peintre de l'école de Barbizon, dont le nom avait ensuite été effacé pour le remplacer par celui d'un artiste plus prestigieux. La loi Bardoux entend donc non seulement protéger les acheteurs, mais aussi très largement les artistes dont la paternité est bafouée . À ce titre, elle réprime les faussaires qui apposent un faux nom sur une oeuvre d'art ou imitent la signature d'un artiste, ainsi que les marchands et intermédiaires qui se livreraient au recel, à la circulation ou à la commercialisation de telles oeuvres.

Néanmoins, son champ d'application ne correspond plus à la diversité des oeuvres d'art que l'on trouve aujourd'hui sur le marché, et, par conséquent, à la diversité possible des faux.

Premièrement, la loi Bardoux couvre uniquement les catégories d'oeuvres d'art en vogue à la Belle Époque lorsqu'elle fut adoptée, à savoir la peinture, la sculpture, le dessin, la gravure et la musique. Elle n'apporte donc aucune solution pour lutter contre les faux manuscrits, les faux objets d'arts appliqués à l'instar des meubles ou encore des objets de design, les fausses photographies, les fausses installations ou les fausses oeuvres d'art numériques qui circulent sur le marché.

Deuxièmement, elle porte exclusivement sur les oeuvres non tombées dans le domaine public , limitant la répression des faux aux seules oeuvres récentes. Ainsi les « faux Picabia » et les « faux Dufy » rejoindront, dans quelques mois, les tableaux de la plupart des grands maîtres, les meubles anciens ou encore les antiquités, qui ne bénéficient déjà pas de la protection offerte par la loi Bardoux, malgré le nombre important d'oeuvres anciennes parmi les affaires de faux.

Troisièmement, la loi Bardoux réprime seulement les oeuvres revêtues d'une signature apocryphe , soit par imitation de la signature ou du signe distinctif d'un auteur, soit par apposition d'un nom sur l'oeuvre d'autrui. En consacrant la signature comme l'élément matériel constitutif du délit, elle laisse donc de côté tous les faux sans signature , à l'instar de nombreux faux « à la manière de » qui ne sont pas non plus couverts par le délit de contrefaçon, limité aux seules reproductions intégrales ou partielles d'une oeuvre sans le consentement de son auteur. Elle exclut également de son champ tous les faux sans auteur identifié qui peuvent, par exemple, concerner des oeuvres relevant du champ des arts premiers, des antiquités, de l'art médiéval, de l'art islamique, des arts asiatiques ou des arts appliqués et ne bénéficient pas de la protection des droits patrimoniaux et moraux offerte par le code de la propriété intellectuelle, dans la mesure où il n'existe aucun auteur ou ayant droit identifié ayant qualité pour agir.

Au-delà des lacunes liées à son champ d'application, les peines prévues par la loi Bardoux - deux ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende, sans possibilité de les alourdir au motif d'une quelconque circonstance aggravante - n'apparaissent pas suffisamment sévères pour jouer leur rôle dissuasif . La simple exposition du faux échappe par ailleurs à l'incrimination, alors que les escrocs peuvent être tentés, avant d'écouler le bien, de garantir sa respectabilité et de faire grimper sa côte en l'exposant ou en obtenant sa mention dans des publications.

(2) Les limites des autres infractions pénales

Certes, la loi Bardoux n'est pas le seul texte à pouvoir s'appliquer pour réprimer les fraudes artistiques. Plusieurs infractions pénales de droit commun peuvent permettre de sanctionner les coupables de telles fraudes, mais leur champ d'application, qui n'est pas propre au marché de l'art, n'est pas toujours parfaitement adapté pour assurer la répression, dans sa globalité, du phénomène des faux artistiques . La caractérisation des faits se révèle complexe dans certains cas, tels les faux « à la manière de » non signés, ou dans certaines circonstances, comme par exemple en l'absence de transaction.

• La contrefaçon (art. L. 335-2 et suivants du code de la propriété intellectuelle)

Délit à la fois civil et pénal permettant de lutter contre les violations de droits patrimoniaux et extra-patrimoniaux d'un auteur d'une oeuvre de l'esprit, il ne permet cependant pas d'appréhender toutes les hypothèses de faux ou de fraudes artistiques, telles les oeuvres « à la manière de ». Son application reste par ailleurs très largement conditionnée à l'existence d'un auteur ou d'un de ses ayants droit ayant qualité pour agir, ce qui restreint sa portée.

• L'escroquerie (article 313-1 du code pénal)

Souvent qualifiée d'infraction-balai, elle a le mérite de couvrir un large spectre de comportements frauduleux. Sa mise en oeuvre se limite néanmoins aux cas dans lesquels les manoeuvres frauduleuses sont destinées à obtenir la remise de fonds ou de biens ou la fourniture d'un service. Elle ne peut permettre de sanctionner la présentation d'un objet frauduleux, sans recherche d'un quelconque profit.

• La tromperie (article L. 441-1 du code de la consommation)

Elle porte sur les marchandises qui font l'objet d'un contrat. Si elle peut être utilisée pour réprimer les mensonges, indépendamment des conséquences produites par celui-ci, son application reste néanmoins limitée à l'existence d'un cadre contractuel.

• Le faux et usage de faux (article 441-1 du code pénal)

Elle permet de réprimer les altérations frauduleuses de la vérité, sous réserve que cette altération ait pour objet ou pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques, ce qui n'est pas le cas d'une oeuvre d'art.

• La répression des fraudes en matière de transaction d'oeuvres d'art et d'objets de collection (décret dit « Marcus » du 3 mars 1981)

Visant à généraliser l'usage des certificats d'authenticité à l'occasion des ventes d'oeuvres d'art ou d'objets de collection en imposant des règles précises dans la description opérée de ces oeuvres ou objets, ce décret permet de sanctionner les vendeurs qui ne respecteraient pas la terminologie qu'il définit lors des transactions. Ses limites tiennent au fait qu'il ne s'applique qu'en cas de transaction et que ses sanctions sont réduites à une peine d'amende d'un montant maximal de 1 500 euros (contravention de cinquième classe).

II. - Le dispositif proposé : La création d'une nouvelle infraction pénale visant à répondre aux critiques émises à l'encontre de la loi Bardoux

L'article 1 er insère un nouveau chapitre consacré à la lutte contre les fraudes artistiques , composé de cinq articles (L. 112-28 à L. 112-32), au sein du titre du code du patrimoine portant sur la protection des biens culturels.

L' article L. 112-28 définit les éléments constitutifs de l'infraction et les peines principales qui lui sont applicables.

À cet effet, il prévoit de sanctionner la réalisation, la présentation, la diffusion ou la transmission , à titre gratuit ou onéreux, de tout bien artistique ou objet de collection qui serait, par quelque moyen que ce soit, affecté d'une altération de la vérité , dès lors que cette réalisation, présentation, diffusion ou transmission s'est faite en pleine connaissance de cause de l'état d'altération dudit bien ou objet.

À la différence de l'infraction prévue par la loi Bardoux et de la plupart des infractions pénales de droit commun, l'infraction envisagée n'est plus conditionnée à l'existence d'une transaction ou d'un cadre contractuel. L'objectif des auteurs de la proposition de loi n'est plus uniquement d'assainir le marché en protégeant les acquéreurs et les artistes dont les droits seraient violés, mais, de façon plus globale, de prévenir les atteintes portées aux oeuvres d'art elles-mêmes .

Par ailleurs, le champ d'application de l'infraction est élargi par rapport à celui de la loi Bardoux . Seraient concernés tout bien artistique ou objet de collection, sans restriction à certaines catégories d'oeuvres particulières ni distinction entre les oeuvres non tombées et celles déjà tombées dans le domaine public. Les altérations sanctionnées, jusqu'ici limitées par la loi Bardoux à l'apposition de nom ou à l'imitation de signature, seraient étendues à toutes les tromperies qui pourraient concerner l'identité de l'artiste, la provenance de l'oeuvre ou de l'objet, sa datation, son état ou toute autre caractéristique essentielle.

Les peines sont alignées sur celles applicables en matière d'escroquerie, de recel ou de blanchiment . La peine d'emprisonnement, jusqu'ici de deux ans en application de la loi Bardoux, est portée à cinq ans, et l'amende, aujourd'hui fixée à 75 000 euros, passerait à 375 000 euros.

Les articles L. 112-29 et L. 112-30 déterminent les circonstances aggravantes de cette nouvelle infraction .

En application du nouvel article L. 112-29, les peines seraient portées à sept ans d'emprisonnement et 750 000 euros d'amende - comme pour les circonstances aggravantes prévues en matière de contrefaçon, de tromperie et d'escroquerie - lorsque le délit est commis par plusieurs personnes agissant en qualité d'auteur ou de complice ou lorsqu'il est commis de manière habituelle. Cette seconde circonstance aggravante s'applique déjà en matière de faux, de blanchiment, de recel ou d'abus de confiance.

En application du nouvel article L. 112-30, les peines seraient alourdies à dix ans d'emprisonnement et un million d'euros d'amende lorsqu'ils sont commis en bande organisée.

L' article L. 112-31 prévoit les peines complémentaires applicables, à savoir la confiscation des oeuvres ou leur remise au plaignant lorsque les accusés sont reconnus coupables. Par rapport à la rédaction actuelle de la loi Bardoux, qui offre au juge la faculté de prononcer ces peines complémentaires, la rédaction de l'article L. 112-31, qui prévoit que « les personnes physiques coupables [...] encourent également les peines complémentaires suivantes », tend à les rendre à l'avenir systématiques.

L'article L. 112-32 autorise également le juge à ordonner la confiscation ou la remise au plaignant du bien artistique ou de l'objet de collection en cas de relaxe ou de non-lieu. Une disposition similaire figure déjà aujourd'hui dans la loi Bardoux. Son article 3-1, inséré à l'occasion d'une réforme de la répression de la contrefaçon en 1994, autorise la juridiction à prononcer la confiscation des oeuvres ou leur remise au plaignant, même « en cas de non-lieu ou de relaxe, lorsqu'il est établi que les oeuvres saisies constituent des faux ».

III. - La position de la commission : une réforme attendue dont la rédaction mérite d'être clarifiée et complétée

(1) Une adhésion au principe de la création d'une nouvelle infraction

Dans un contexte marqué par une recrudescence du trafic d'oeuvres d'art au niveau international, la commission est convaincue que la lutte contre la prolifération des fraudes artistiques doit gagner en efficacité , ce qui impose d'élargir le champ d'application de l'infraction et le quantum des peines applicables.

La refonte de la loi Bardoux correspond d'ailleurs à une véritable attente exprimée, tant par les auteurs ou leurs ayants droit, les professionnels du marché de l'art, les praticiens du droit et les services enquêteurs. Les lacunes de la législation existante sont unanimement dénoncées. La consolidation des mesures de compliance est également souhaitée afin d'améliorer la confiance des vendeurs et des acheteurs sur le marché de l'art, dans un contexte marqué par un certain nombre de scandales autour de l'authenticité ou de la provenance douteuse d'oeuvres d'art. À cet égard, le rapporteur estime que, loin de constituer un handicap, le renforcement des règles peut contribuer à accroître la notoriété de la place de Paris sur le marché de l'art.

La commission juge intéressante l'approche retenue par la proposition de loi qui consiste à focaliser la répression sur les atteintes portées aux oeuvres d'art elles-mêmes , indépendamment de la finalité de la fraude ou de l'existence d'un auteur victime au titre de ses droits sur son oeuvre. Cette approche présente l'avantage de ne pas assimiler les oeuvres d'art à de simples marchandises , puisqu'elle permet de sanctionner des manoeuvres frauduleuses qui n'auraient pas seulement pour but le versement de fonds, comme dans le cas de l'escroquerie. Elle permet également de traiter le problème posé par les faux sans auteur identifié , jusqu'ici non protégés par la loi Bardoux ou par le code de la propriété intellectuelle. L'élargissement de la qualification de l'infraction aux tromperies sur l'origine, l'ancienneté ou l'état de l'oeuvre devraient permettre de couvrir un nombre beaucoup plus important de faux sans auteur identifié (fausses antiquités, faux meubles...).

Même s'il est vrai que les différentes infractions de droit commun rendent possible la répression, dans une très large majorité des cas, des fraudes artistiques, la commission a jugé utile la création d'une nouvelle infraction au regard, d'une part, de la reconnaissance symbolique des spécificités de la matière artistique qu'elle pourrait apporter et, d'autre part, du signal fort qu'elle pourrait adresser aux auteurs de fraudes artistiques sur le caractère hautement répréhensible de leurs actions . Les faussaires font encore trop souvent l'objet d'une glorification inacceptable.

La commission s'est interrogée sur le bien-fondé de l'insertion de cette nouvelle infraction dans le code du patrimoine . Elle a considéré que la codification de cette nouvelle infraction était importante afin qu'elle jouisse d'une meilleure visibilité que la loi Bardoux, trop méconnue des magistrats du fait de son objet très spécifique et de sa non-codification. À cet égard, elle estime qu'il serait également important d'améliorer, à l'avenir, la formation des services de police judiciaire et des magistrats à ce type d'infractions très spécifique.

La commission s'est en revanche demandé s'il ne serait pas plus opportun d'intégrer ces nouvelles dispositions dans le code pénal, où sont déjà inscrites les infractions de faux et usage de faux, d'escroquerie ou de recel. L'insertion dans le code pénal de cette nouvelle infraction pourrait en effet lui conférer une plus grande portée symbolique et serait une garantie de sa meilleure appropriation par les magistrats.

La commission a néanmoins souhaité maintenir les dispositions dans le code du patrimoine, afin de tenir compte de la mission en cours sur les faux artistiques du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, dont les conclusions sont attendues en juillet prochain. Une partie de la réflexion menée dans le cadre de cette mission porte sur les différentes procédures judiciaires qui pourraient être mises en place pour mieux lutter contre la prolifération des faux sur le marché , y compris pour mieux circonscrire les risques que fait peser le développement des plateformes en ligne. Les auteurs réfléchissent notamment à l'intérêt qu'il pourrait y avoir à ouvrir la possibilité d'une voie d'action civile alternative à l'action pénale, comme cela existe en matière de contrefaçon - avec notamment la procédure jugée très efficace de « saisie-contrefaçon ».

La commission considère qu'il s'agit d'une piste intéressante et qu'elle donnerait un intérêt supplémentaire à la réforme de la loi Bardoux envisagée par la présente proposition de loi en offrant des possibilités plus puissantes d'action à l'encontre des faux. Les auditions ont montré qu'il pourrait être utile de disposer de moyens d'actions judiciaires plus rapides pour intervenir contre les pratiques frauduleuses de certaines galeries éphémères ou de plateformes en ligne.

Si cette piste devait être retenue, il paraitrait préférable, dans un souci de clarté, que l'ensemble des dispositions relatives aux poursuites judiciaires susceptibles d'être engagées pour lutter contre les faux artistiques soient regroupées au sein du même code. Or le code pénal ne serait pas approprié pour fixer des voies civiles de recours. En matière de contrefaçon, c'est d'ailleurs dans le code de la propriété intellectuelle que figurent l'ensemble des dispositions. La commission a donc préféré, à ce stade, maintenir ouverte la possibilité d'étendre le champ de la proposition de loi à la matière civile au cours de la navette parlementaire en maintenant le délit de faux artistique dans le code du patrimoine.

(2) Une clarification nécessaire de la définition de l'infraction

La commission a estimé que certaines notions employées dans la définition de l'infraction laissaient planer des ambiguïtés incompatibles avec l'exigence de précision imposée par la matière pénale ou susceptibles de nuire à la qualification des faits.

L'emploi de la notion de « bien artistique » lui est apparu risqué , dans la mesure où ses contours ne sont pas définis, puisqu'elle ne figure jusqu'ici dans aucun code ni texte de loi. Il lui a semblé plus opportun de privilégier le terme d'« oeuvre d'art » qui, au-delà de son aspect symbolique, est déjà employée dans le code du patrimoine ou en matière fiscale. Elle a considéré que la terminologie utilisée dans le décret Marcus d'« oeuvre d'art et objet de collection » permettrait d'inclure toutes les catégories d'oeuvres et d'objets susceptibles de faire l'objet de fraudes que la proposition de loi entendait sanctionner , c'est-à-dire à la fois les catégories classiques (peintures, sculptures, dessins, gravures, estampes, lithographies, tapisseries...), mais aussi des catégories plus récentes faisant l'objet de nombreuses transactions sur le marché de l'art (les photographies, l'ameublement, les objets relevant des arts appliqués, les objets archéologiques et ethnologiques, les manuscrits, les partitions de musique...), ainsi que des catégories très contemporaines (installations, vidéo, oeuvres d'art numériques...). La notion d'objet de collection est définie de manière large par le droit européen 2 ( * ) , ce qui présente l'avantage de pouvoir y faire rentrer toutes sortes d'éléments.

La commission s'est également inquiétée de la difficulté que pourrait avoir un juge à apprécier dans quelle mesure une oeuvre d'art ou un objet de collection aurait fait l'objet d'une altération de sa vérité tant la vérité en matière artistique est souvent difficile à établir et sujette aux aléas des connaissances et des techniques. Si l'altération de la vérité est effectivement l'élément constitutif de l'infraction de faux et usage de faux, cette notion apparait plus difficilement transposable lorsqu'on touche à la matière artistique.

La commission a par ailleurs estimé qu'il était essentiel de préserver la liberté de création artistique et qu'il n'y avait pas lieu d'empêcher la pratique de la copie, du plagiat, de la parodie ou du détournement d'oeuvre d'art à partir du moment où l'artiste qui s'y adonnait n'avait pas pour objectif de tromper autrui en faisant passer son oeuvre pour ce qu'elle n'était pas. Elle a donc jugé utile de recentrer l'infraction sur les comportements frauduleux destinés à tromper autrui .

Elle n'a pas souhaité maintenir dans le texte l'emploi de l'expression « toute autre caractéristique essentielle » , compte tenu du risque de censure de celle-ci par le Conseil constitutionnel pour non-respect du principe de légalité des délits et des peines, dans la mesure où aucun texte de loi ne dresse la liste des éléments devant être considérés comme des qualités essentielles d'une oeuvre d'art.

La commission a par ailleurs jugé indispensable de mieux distinguer les fraudes portant directement sur l'oeuvre d'art ou l'objet de collection des fraudes réalisées lors de la présentation, de la diffusion, de la transmission ou de la mise en vente d'une oeuvre d'art ou d'un objet de collection destinées à le faire passer pour ce qu'il n'est pas .

À cet effet, elle a adopté un amendement proposant une nouvelle rédaction globale de l'infraction ( COM-1 ) distinguant quatre hypothèses :

- celle de la réalisation ou de la modification d'une oeuvre d'art ou d'un objet de collection dans l'intention de tromper autrui sur l'identité de son créateur, son origine, sa datation, sa nature ou sa composition. Cette définition reprend les éléments rendus obligatoires par le décret Marcus sur les certificats d'authenticité délivrés par les vendeurs à l'occasion des transactions. Il permet de sanctionner l'auteur ou le commanditaire du faux proprement dit ;

- celle de la présentation, de la diffusion ou de la transmission, à titre gratuit ou onéreux, d'un faux en toute connaissance de son caractère trompeur et sans rétablir la vérité à son sujet. Il vise à sanctionner le receleur ;

- celle de la présentation, de la diffusion ou de la transmission d'une oeuvre authentique en mentant sur l'identité de son auteur, son origine, sa datation, sa nature ou sa composition dans l'intention de tromper autrui. Il vise à sanctionner l'escroquerie autour de l'authenticité de l'oeuvre , même en l'absence de remise de fonds ;

- celle enfin de la présentation, de la diffusion ou de la transmission d'une oeuvre, qu'elle soit authentique ou fausse, en lui inventant une fausse provenance. Il vise à sanctionner l'escroquerie autour de la provenance de l'oeuvre , qu'il s'agisse d'un faux ou d'une oeuvre authentique.

Comme pour tout délit, le délai de prescription de cette nouvelle infraction devrait s'établir à six ans . On peut néanmoins considérer que le délit de fraude artistique s'apparente, par sa nature, à un délit occulte et que le point de départ de la prescription devrait commencer à courir à partir du moment où l'infraction a été découverte.

( 3) Un élargissement des sanctions

La commission a estimé que le quantum de la peine proposé était de nature à jouer un rôle beaucoup plus dissuasif . Jusqu'ici très largement inférieures aux peines prévues dans le cadre des infractions de droit commun dont la loi Bardoux se rapprochait (cf. infographie page 9), les peines prévues par la proposition de loi placeraient cette infraction parmi celles qui sont les plus lourdement sanctionnées . Ce quantum , similaire à celui applicable en matière d'escroquerie, de recel ou de blanchiment, apparait néanmoins cohérent face à l'intérêt croissant manifesté par les organisations criminelles en matière de trafic d'oeuvres d'art.

La commission a jugé utile de compléter les circonstances aggravantes par deux autres :

- la première, déjà applicable en matière de recel (article 321-2 du code pénal) et en matière de blanchiment (article 324-2 du code pénal), concerne les cas dans lesquels l'auteur du délit serait une personne qui aurait utilisé les facilités que lui aurait procurées l'exercice de son activité professionnelle pour le commettre ( COM-3 ). Cet amendement vise les professionnels du marché de l'art et répond au souci de renforcer la confiance des futurs acquéreurs dans le fonctionnement du marché et la déontologie de ses acteurs ;

- la seconde concerne les cas dans lesquels la victime de la fraude artistique serait une collectivité publique , c'est-à-dire soit l'État, soit une collectivité territoriale, soit un établissement public de l'État ou d'une collectivité territoriale - un musée ou un monument notamment ( COM-4 ). Cette circonstance aggravante se justifie par le préjudice subi par la société du fait de l'acquisition par le biais de deniers publics.

Elle a par ailleurs adopté un amendement rédactionnel destiné à préciser que les circonstances aggravantes sont alternatives et non cumulatives ( COM-2 ).

La commission a par ailleurs inséré des dispositions précisant les peines applicables dans le cas où le délit aurait été commis par une personne morale ( COM-5 ).

La commission a constaté que les peines complémentaires prévues par l'article 1 er visent à parvenir à faire définitivement sortir du marché les faux artistiques reconnus comme tels . La présence des faux gangrène le marché de l'art et constitue un vrai problème pour les artistes ou leurs ayants droit. Leur destruction ou leur mise hors circuit apparait, de ce point de vue, importante pour éviter que les faux ne reviennent, tôt ou tard, sur le marché .

La difficulté réside dans le fait qu' il est souvent complexe d'établir la vérité en matière d'oeuvre d'art , comme l'illustrent les querelles d'experts. L'oeuvre considérée aujourd'hui comme authentique pourra être déclarée fausse demain à la lumière des progrès technologiques permettant de mieux détecter les faux. Inversement, il est arrivé que des pièces considérées comme fausses soient ensuite reconnues comme des oeuvres authentiques. À cela s'ajoute le fait que, comme le souligne Pierre Hénaff, « la question du faux n'est pas binaire, découpée entre ce qui serait très authentique et ce qui serait très faux mais [...] au contraire, des hypothèses intermédiaires coexistent entre ces deux pôles ». Entre le faux artistique intégral, le faux « à la manière de », l'imitation, l'objet « attribué à », la copie, l'oeuvre dégradée puis restaurée, l'oeuvre d'atelier ou la réplique d'auteur, lequel est-il légitime de confisquer ou de détruire ?

Par l'amendement COM-6 , La commission a souhaité laisser la faculté au juge de décider s'il y avait lieu d'ordonner la confiscation de l'oeuvre d'art ou de l'objet de collection ayant servi à commettre l'infraction compte tenu des difficultés qu'elle soulève au regard du droit de propriété d'un possesseur de bonne foi. Elle a en effet estimé que le juge serait le plus à même d'apprécier, en fonction des circonstances d'espèce, si l'oeuvre ou l'objet était un faux qui justifiait son retrait du marché et une atteinte au droit de propriété. Elle a parallèlement ouvert la faculté au juge d'ordonner la destruction de l'oeuvre ou de l'objet . Plutôt que de rendre possible la remise de l'oeuvre au plaignant, comme actuellement prévu par la loi Bardoux, elle a limité la possibilité de cette remise au seul créateur qui aurait été victime de la fraude ou à ses ayants droit , dans la mesure où les droits moraux et patrimoniaux dont ils disposent sur l'oeuvre leur donnent le pouvoir de sa destruction.

De la même manière, elle a précisé la rédaction de l'article permettant la confiscation ou la remise de l'oeuvre d'art ou de l'objet de collection même en cas de relaxe du prévenu ou de non-lieu ( COM-7 ). Elle a autorisé le juge, dans ces circonstances, à ordonner la confiscation, la destruction ou la remise de l'oeuvre d'art ou de l'objet de collection faisant l'objet des poursuites, à la condition qu'il ait été reconnu, en tant que tel, comme un faux et que la fraude poursuivie n'ait pas simplement consisté en un discours fallacieux autour de l'oeuvre.

Elle n'a en revanche pas souhaité mentionner , ni en cas de condamnation, ni même en cas de relaxe ou de non-lieu, la possibilité du marquage , par crainte que le juge ne retienne systématiquement cette option moins attentatoire au droit de propriété, alors qu'elle n'apporte pas nécessairement de garantie d'un retrait définitif de l'oeuvre ou de l'objet du marché, le marquage pouvant toujours être retiré (en tronquant une partie de l'oeuvre, par exemple).

Néanmoins, afin de limiter les risques de retour sur le marché des faux, la commission a souhaité prévoir l'inscription, à l'avenir, de toute oeuvre ou objet reconnu comme faux qui n'aurait pas été détruit sur un registre des fraudes artistiques , sur le modèle de la base TREIMA mise en place par Interpol recensant les biens culturels volés ( COM-9 ). Elle estime d'ailleurs que la France devrait plaider pour généraliser la mise en place d'un tel registre au niveau international, compte tenu du caractère aujourd'hui totalement internationalisé du marché de l'art.

Enfin, par cohérence avec l'introduction de la nouvelle circonstance aggravante en cas de commission de l'infraction en utilisant les facilités que procure l'exercice d'une activité professionnelle, la commission a ouvert la faculté pour le juge de prononcer, à titre de peine complémentaire, l'interdiction pour les personnes physiques coupables d'exercer, à titre temporaire ou définitif, l'activité professionnelle dans l'exercice de laquelle ils auraient commis l'infraction ( COM-8 ).

La commission a adopté cet article ainsi modifié

Article 2

Abrogation de la loi Bardoux et coordinations y afférentes

Cet article vise à abroger la loi Bardoux, susceptible de devenir sans objet du fait de la création de l'infraction pénale prévue à l'article 1 er . Il procède par ailleurs aux coordinations rendues nécessaires par cette abrogation dans le code général de la propriété des personnes publiques.

La commission a adopté plusieurs amendements visant à empêcher toute différence de traitement entre les faux qui concerneraient des oeuvres ou des objets non tombés dans le domaine public et ceux qui concerneraient des oeuvres ou des objets qui seraient déjà tombés dans celui-ci .

I. - Un article tirant les conséquences, sur le plan légistique, des dispositions de l'article 1 er

La création d'une nouvelle infraction réprimant les fraudes artistiques par l'article 1 er de la proposition de loi nécessite d'opérer un certain nombre de coordinations sur le plan légistique.

Le I de l'article 2 abroge la loi « Bardoux » du 9 février 1895, dont les dispositions deviendraient sans objet, dans la mesure où elles seraient redondantes avec la nouvelle infraction, dont le périmètre d'application concerne tous les types de tromperie liés à l'identité de l'auteur.

Son II opère les coordinations rendues nécessaires par l'abrogation de la loi « Bardoux » en remplaçant par les références à la nouvelle infraction les références à cette loi dans les seules dispositions de nature législative qui l'évoquent , à savoir l'article L. 3211-19 du code général des personnes publiques (visé par le 1° du II), ainsi que l'article L. 5441-3 de ce code relatif à l'application dudit article L. 3211-19 à Saint-Pierre-et-Miquelon (visé par le 2° du II).

L'article L. 3211-19 du code général de propriété des personnes publiques définit les règles particulières applicables à certains biens relevant du domaine privé de l'État et gérés par l'administration des domaines. Il précise notamment que les faux artistiques confisqués sur décision de justice en application de la loi Bardoux sont « soit détruit [] s, soit déposé [] s dans les musées de l'État et de ses établissements publics ». Par dérogation aux règles de droit commun applicables au domaine privé de l'État, il interdit par ailleurs l'aliénation des faux artistiques mentionnés par la loi Bardoux par souci de ne pas remettre sur le marché des oeuvres frauduleuses.

Dans le but d'opérer les strictes coordinations rendues nécessaires par l'abrogation de la loi Bardoux sans modifier l'état du droit existant, le II du présent article limite la possibilité de destruction ou de conservation, dans les musées relevant de l'État, des faux considérés comme tels en application de la nouvelle infraction, ainsi que de leur aliénation, aux seules oeuvres qui ne seraient pas tombées dans le domaine public, dans la mesure où la loi Bardoux ne couvrait pas jusqu'ici les oeuvres déjà tombées dans le domaine public. L'exposé des motifs de la proposition de loi justifie ce choix par la volonté d'autoriser « la vente d'un tableau tombé dans le domaine public, réalisé par l'élève d'un peintre de renom faussement attribué au maître », puisque celui-ci conserverait, en dépit de sa réattribution, une valeur majeure dans l'histoire de l'art.

II. - La position de la commission : supprimer toute différence de traitement entre les faux qui concerneraient des oeuvres récentes et ceux relatifs à des oeuvres anciennes

Si la commission considère l'abrogation de la loi Bardoux justifiée par sa redondance avec la nouvelle infraction, elle ne juge pas légitime de maintenir, dans le code général de la propriété des personnes publiques, une distinction entre les faux artistiques selon qu'ils correspondent à des oeuvres originales tombées ou non dans le domaine public .

Elle estime en effet que les dispositions prévues par l'article L. 3211-19 du code général de la propriété des personnes publiques relatives aux faux artistiques ont pour objectif de garantir le retrait du marché de ces oeuvres et objets . Il lui semble, par conséquent, dangereux, d'autoriser l'administration des domaines à pouvoir les céder, que l'artiste auquel ils sont faussement attribués jouissent encore ou non de ses droits patrimoniaux, à partir du moment où il est établi qu'ils sont, en eux-mêmes, des faux et que la fraude ne consiste pas uniquement en un discours frauduleux sur l'identité de leur auteur. Elle juge important que l'État montre l'exemple en ne remettant pas lui-même des faux sur le marché .

La commission constate par ailleurs que la réattribution d'un tableau qui serait déjà tombé dans le domaine public à l'élève du maître auquel il était jusqu'ici attribué ne lui fait nullement perdre sa valeur artistique ou historique, ce qui justifie qu'il ne puisse pas être aliéné par l'État . Le ministère de la culture a d'ailleurs confirmé qu'aucune des oeuvres appartenant aux collections publiques qui ont fait l'objet d'une réattribution n'avait fait l'objet d'une mesure de déclassement afin de permettre sa cession, dans la mesure où la réattribution ne se traduit pas par une perte d'intérêt scientifique de l'oeuvre.

Par conséquent, la commission a adopté un amendement à l'initiative du rapporteur supprimant la mention limitant l'aliénation et la confiscation aux seules oeuvres non tombées dans le domaine public ( COM-10 ). Cette suppression lui est apparue d'autant plus justifiée que la rédaction de l'article 2 laissait planer une ambiguïté sur le fait de savoir si l'entrée dans le domaine public s'apprécierait au regard de la date de décès de l'artiste dont les droits sur son oeuvre avaient été bafoués ou au regard de la date de décès du faussaire ayant réalisé le faux. Dans la mesure où il est rare que l'identité des faussaires soit découverte, cette disposition se serait, de toute façon, révélée, dans la plupart des cas, inapplicable.

La commission a adopté cet article ainsi modifié .

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* *

En conséquence, la commission de la culture, de l'éducation
et de la communication a adopté la proposition de loi ainsi modifiée
.


* 2 D'après le règlement n° 116/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 concernant l'exportation de biens culturels, les objets de collections « sont ceux qui présentent les qualités requises pour être admis au sein d'une collection, c'est-à-dire les objets qui sont relativement rares, ne sont pas normalement utilisés conformément à leur destination initiale, font l'objet de transactions spéciales en dehors du commerce habituel des objets similaires utilisables et ont une valeur élevée . »

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