N° 562
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 avril 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles,
de législation, du suffrage universel, du Règlement et
d'administration générale (1) sur la proposition de loi,
adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la
procédure accélérée,
visant à
renforcer la
sécurité des
professionnels de
santé,
Par Mme Anne-Sophie PATRU,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de :
Mme Muriel Jourda, présidente ;
M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La
Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain,
Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman,
MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset,
vice-présidents ; M. André Reichardt,
Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier
Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine
Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie
Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer,
MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco,
Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende,
MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier,
Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte,
Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul
Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia,
M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva
Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis
Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel,
Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (16ème législ.) : |
2093, 2296 et T.A. 259 |
|
Sénat : |
430 (2023-2024) et 563 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Mettant en oeuvre les mesures de nature législative du « plan pour la sécurité des professionnels de santé », présenté en septembre 2023 par Aurélien Rousseau et Agnès Firmin Le Bodo, alors respectivement ministre de la santé et de la prévention et ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, la proposition de loi visant à renforcer la sécurité des professionnels de santé a été adoptée par l'Assemblée nationale en mars 2024 pour répondre au sentiment, largement partagé par les professionnels de santé, d'une recrudescence des violences à leur encontre.
Malgré l'absence de données exhaustives, les chiffres récoltés sur la base des signalements volontaires démontrent indubitablement que les professionnels de santé sont exposés à des actes de violences dans des proportions qui ne peuvent être tolérées.
Pour prévenir ces violences, le texte transmis au Sénat comporte trois catégories de mesures. Les articles 1er et 2 renforcent ou étendent les sanctions encourues pour des faits de violence, de vol ou d'outrage commis dans les locaux des établissements de santé ou à l'encontre des personnels de ces établissements. Les articles 2 bis et 3 visent à faciliter le dépôt de plainte en cas de violence à l'encontre d'un professionnel de santé, en autorisant ce dernier à déclarer l'adresse de son ordre professionnel et en permettant à son employeur de déposer plainte pour lui. Enfin, dans le but d'améliorer la connaissance des violences commises dans les divers établissements de santé, l'article 3 bis prévoit la présentation annuelle au conseil d'administration ou de surveillance d'un bilan de ces actes de violence et des moyens mis en oeuvre pour y remédier.
Souscrivant pleinement aux objectifs poursuivis par la proposition de loi et constatant l'attente forte qu'elle suscite parmi les professionnels, la commission a, sur proposition de sa rapporteure, Anne-Sophie Patru, adopté la proposition de loi en veillant toutefois à sa bonne articulation avec le droit en vigueur et à assurer son opérationnalité. Pour ce faire, elle a adopté 6 amendements de sa rapporteure, portant des modifications de nature juridique ou rédactionnelle et supprimant les articles redondants avec l'état du droit.
I. DES VIOLENCES EN SANTÉ PRÉOCCUPANTES MALGRÉ L'ABSENCE DE DONNÉES EXHAUSTIVES
Le principal outil national de recueil statistique des violences en santé est l'observatoire national des violences en santé (ONVS). Dépendant du ministère de la santé, l'ONVS a été créé en 2005 dans le but - notamment - d'acquérir une « connaissance exhaustive »1(*) des actes de violence dans le milieu de la santé. Pour ce faire, il est censé être informé « de chaque fait grave qui viendrait à se produire », cette information lui permettant de publier un rapport annuel sur l'évolution des violences en santé.
L'objectif d'une connaissance exhaustive des actes de violences relève toutefois, comme le reconnaît lui-même l'ONVS dans son dernier rapport public, en date de 2022, d'un voeu pieux, dans la mesure où les signalements recueillis sur la plateforme de signalement de l'ONVS ne relèvent que du volontariat des établissements et des professionnels de santé : ils n'ont donc pas vocation à l'exhaustivité, malgré les directives ministérielles initiales. Un observatoire national de la sécurité des médecins (ONSM), au fonctionnement similaire, a été en outre créé en 2003 par le conseil national de l'ordre des médecins, pour recueillir, toujours sur la base du volontariat, des statistiques relatives aux violences commises à l'encontre des médecins.
Les données ainsi récoltées, même parcellaires, permettent cependant d'appréhender l'ampleur des violences en santé et de constater qu'elles constituent un phénomène qui n'est pas circonscrit à des faits isolés. Ainsi, sur la période 2019 - 2023, environ 20 000 signalements d'actes de violence ont été effectués par les professionnels de santé ou les établissements concernés sur la plateforme de l'ONVS. Avec 20 961 signalements, l'année 2024 apparaît en hausse de 6,6 % par rapport à 2023, ce qui peut traduire à la fois une hausse des violences et des progrès dans la systématisation de leur signalement. Pour ce qui concerne les médecins, la dernière année pour laquelle des données sont disponibles, l'année 2023, démontre, sous les mêmes réserves, une hausse de 27 % des signalements, avec 1 581 actes de violence signalés.
Ces signalements concernent majoritairement - environ 80 % - des atteintes aux personnes, le reste relevant des atteintes aux biens. Parmi les atteintes aux personnes, il s'agit principalement de violences physiques et de menaces avec arme (environ 50 %), puis d'insultes et d'injures (environ 30 %), de menaces d'atteintes à l'intégrité physique (17 %) et enfin de violences avec arme (3 %).
Source : commission des lois, d'après les données transmises par le ministère de la santé et le dernier rapport de l'observatoire national de la sécurité des médecins
Si la hausse des violences est difficile à étayer en l'absence de statistiques exhaustives, d'autant plus que les signalements auprès de l'ONVS demeurent inférieurs à la période antérieure à la crise du Covid-19, la rapporteure a pu toutefois constater l'unanimité des professionnels de santé quant au sentiment, fort compréhensible compte tenu du caractère inadmissible de ces violences, que les lieux de soins n'étaient plus préservés des accès de violences et d'incivilités et que la situation s'était dégradée.
Ces violences ont donné lieu à un taux de réponse pénale élevé, situé, selon les années, entre 89 % et 94 %. Il résulte d'une volonté affirmée en dernier lieu par la circulaire de politique pénale générale du 27 janvier 2025, qui enjoint les procureurs généraux et les procureurs de la République à une mobilisation particulière s'agissant de la lutte contre les violences commises envers les personnels de santé.
Les condamnations prononcées en première instance pour les faits de menace ou de violence contre les professionnels de santé comportent dans trois quarts des cas (de 72 % à 80 % selon les années) des peines d'emprisonnement. Elles sont cependant loin des quanta fixés par la loi pour les différentes infractions de menaces ou de violences, soit de trois à dix ans de prison. La durée moyenne de peines fermes prononcées n'atteint pas sept mois.
* 1 Circulaire DHOS/P1/2005/327 du 11 juillet 2005 du directeur de l'hospitalisation et de l'organisation des soins, alors Jean Castex.