EXAMEN EN COMMISSION
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Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous en venons à l'examen du rapport et du texte de la commission sur la proposition de loi visant à améliorer le dispositif de protection temporaire en France, déposée par Nadia Sollogoub et plusieurs de ses collègues.
Mme Isabelle Florennes, rapporteure. - Je tiens en premier lieu à remercier chaleureusement Nadia Sollogoub pour la qualité de nos échanges préalables à notre réunion.
Il est donc question du dispositif mis en oeuvre pour favoriser l'accueil des Ukrainiens, à la suite de l'invasion de leur territoire par la Russie. Ce régime a été introduit par une directive européenne du 20 juillet 2001, qui laisse aux États membres une marge d'appréciation conséquente pour préciser ses modalités pratiques.
Il a été appliqué pour la première fois à cette occasion et sur l'initiative de la France. Il s'agit donc, au regard de ce premier bilan, d'envisager des voies d'amélioration de ce régime.
Avant d'évoquer chacun des articles, il me semble utile de brosser un tableau d'ensemble à ce sujet. Toutes les personnes que j'ai auditionnées, qu'il s'agisse des associations représentant les Ukrainiens en France, du consul de l'Ukraine à Paris, des administrations centrales, de la direction générale des étrangers en France (DGEF) comme de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), ou encore du préfet de région d'Île-de-France, ont souligné la qualité de l'accueil qui a été réservé aux déplacés ukrainiens.
Cette mobilisation a permis de fournir aux Ukrainiens un accompagnement approprié à leur situation, en termes de logement, de travail ou de scolarisation. Il faut se féliciter de la mobilisation exceptionnelle de nos services, des associations et de la société.
Les différents articles de cette proposition de loi visent donc à parfaire le régime de la protection temporaire dès aujourd'hui, mais surtout dans la perspective de futures crises. Nous ne pouvons l'accueillir que favorablement. Les travaux que j'ai conduits m'ont toutefois convaincue que certaines modifications devaient être apportées au texte.
Tout d'abord, l'article 1er vise à étendre, au profit des bénéficiaires de la protection temporaire qui exercent une profession médicale, un dispositif dérogatoire aujourd'hui applicable aux réfugiés, apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire dans le cadre du recrutement des professionnels de santé diplômés hors de l'Union européenne, que l'on appelle couramment les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue). Ces professionnels de santé doivent en principe passer avec succès des épreuves de vérification de connaissances (EVC) spécifiques à leur profession.
Suivant ce dispositif, le nombre maximum de candidats susceptibles d'être reçus dans le cadre de ces épreuves n'est pas opposable aux réfugiés, apatrides et bénéficiaires de la protection subsidiaire.
L'article 1er vise donc à étendre cette mesure dérogatoire aux bénéficiaires de la protection temporaire. Cette mesure paraît opportune, dans la mesure où elle favorisera l'intégration des professionnels de santé qui disposeront de ce statut. Je vous propose de l'adopter.
L'article 2 entend faciliter la souscription d'une assurance automobile par les bénéficiaires de la protection temporaire. Ces derniers auraient en effet rencontré de nombreuses difficultés à ce titre, car le permis ukrainien n'est pas reconnu par la France.
Pour contourner ce problème, le dispositif permet au propriétaire d'un véhicule immatriculé à l'étranger de le faire immatriculer en France, même s'il ne possède pas de permis de conduire reconnu par la France.
Cet article n'apparaît donc pas opportun : il entraînerait des conséquences qui débordent largement la question de l'assurance automobile et la situation des bénéficiaires de la protection temporaire. Par ailleurs, un tel dispositif n'appartient pas au domaine de la loi. Il incombe au Gouvernement, en conciliation avec les assureurs, de trouver une solution à ce problème. Je vous propose donc de supprimer cet article.
L'article 3 permet aux bénéficiaires de la protection temporaire d'attester d'une résidence normale au sens du code de la route : c'est en effet l'une des conditions établies par ce code pour solliciter un permis de conduire. Or, les bénéficiaires de la protection temporaire ont échoué à la satisfaire en produisant leur autorisation provisoire de séjour (APS), qui ne vaut que six mois.
Si j'ai évidemment été sensible à ce dispositif, dans la mesure où le permis de conduire est bien souvent un facteur puissant d'intégration dans notre pays, où la circulation en voiture est généralement nécessaire pour travailler, il apparaît que le droit actuel satisfait déjà l'objectif qu'il poursuit.
En effet, l'arrêté du 10 février 2025 prévoit expressément que l'autorisation provisoire de séjour permet de justifier d'une résidence normale. Dès lors, puisque le droit en vigueur satisfait l'objectif poursuivi, je vous propose de supprimer cet article.
L'article 4, qui est le coeur de cette proposition de loi, résulte d'un constat préoccupant : les bénéficiaires de la protection temporaire sont de plus en plus nombreux à se détourner de ce dispositif au profit du régime de l'asile.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : les Ukrainiens ont déposé près de 2 000 demandes d'asile devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) en 2021 et en 2022. En 2023, ils ont formulé 3 250 demandes et en 2024, plus de 12 000 demandes. Il s'agit donc presque d'une multiplication par six depuis 2021.
L'Ukraine, qui était le dixième pays de provenance des demandes d'asile en 2023, était le deuxième en 2024, derrière l'Afghanistan, et est désormais le premier au premier trimestre 2025.
Ce phénomène constitue une exception à l'échelle de l'Union européenne. La France, qui est le dernier pays d'accueil de l'Union en proportion de sa population, reçoit la moitié des demandes d'asile formulées par des Ukrainiens au sein de l'Union.
Les personnes que j'ai auditionnées ont identifié plusieurs facteurs explicatifs de cette tendance. Je citerai les quatre principaux.
Le premier tient à la fréquence des démarches administratives attachées à ce régime, car l'APS doit être renouvelée en préfecture tous les six mois.
Le deuxième résulte de l'incertitude qui plane sur la sortie du dispositif. En effet, l'échéance actuelle a été fixée au 4 mars 2026. Les États membres devraient bientôt s'entendre sur une prolongation assortie d'un plan de sortie du dispositif, mais l'incertitude demeure pour le moment et les bénéficiaires du régime cherchent un statut pérenne.
Le troisième facteur découle de la difficulté que certains auraient pu rencontrer à se loger. Ils se dirigeraient donc vers l'asile pour bénéficier du dispositif national d'accueil.
Enfin, le quatrième facteur est lié à l'éventuelle insuffisance de la couverture sociale associée à la protection temporaire.
Comme vous l'aurez compris, l'article 4 repose sur cette dernière hypothèse. Il vise donc à étendre au profit des bénéficiaires de la protection temporaire plusieurs prestations et aides sociales. Il s'agit de l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa), du revenu de solidarité active (RSA) ; des allocations aux personnes âgées, que sont l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) et l'allocation supplémentaire d'invalidité (Asi) ; et enfin de l'allocation aux adultes handicapés (AAH).
Je vous propose d'accepter l'extension de la couverture sociale garantie par ce régime à l'Apa, l'Aspa, l'Asi et l'AAH, mais d'écarter le RSA dans la mesure où cette prestation n'est pas adaptée au régime de la protection temporaire, qui a une vocation provisoire et qui se caractérise par la mobilité de ses bénéficiaires.
Je tiens à souligner, à ce titre, deux éléments. Premièrement, le Gouvernement peut déjà adopter toutes ces mesures par la voie réglementaire ; deuxièmement, si nous l'inscrivons dans la loi, c'est pour opérer une modification du régime de la protection temporaire et non pour améliorer la situation des bénéficiaires actuels de ce régime.
En conséquence, nous ne devons pas préjuger des caractéristiques des crises à venir, qui justifieront à nouveau l'application de la protection temporaire. Il semble donc opportun et sage de laisser une marge d'appréciation au Gouvernement en ce qui concerne la prestation de base versée aux bénéficiaires de la protection temporaire.
Plus largement, la situation actuelle prouve qu'il nous faudra réaliser un véritable bilan détaillé de l'application de ce régime - et qu'il importe, dès maintenant, d'orienter les Ukrainiens vers des titres de séjour de droit commun et non vers l'asile.
Enfin, l'article 5 consiste en un gage financier, que je vous propose naturellement d'adopter.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Merci pour votre analyse sur ce texte qui n'a rien d'évident. Chacun d'entre nous a en tête le déclenchement de cette guerre, il y a trois ans, et la nécessité du soutien à apporter aux Ukrainiens, l'Europe s'étant très rapidement mobilisée pour apporter cette aide naturelle à un pays agressé par son voisin.
Les Ukrainiens ont ainsi bénéficié d'une protection temporaire appliquée pour la première fois par tous les pays européens, en particulier par la Pologne, qui accueille le plus grand nombre de réfugiés.
Vous avez indiqué que les États membres allaient se réunir pour envisager une prorogation du dispositif : pourquoi proposer une loi maintenant alors qu'un report de l'échéance du 4mars 2026 sera probablement proposé prochainement ?
Si les Ukrainiens sont nombreux à déposer des demandes d'asile, je ne suis pas persuadée qu'il s'agisse de la meilleure solution pour eux : en effet, retourner dans son pays d'origine lorsqu'on a obtenu l'asile ailleurs n'a rien d'évident. Disposons-nous de données chiffrées sur le taux d'acceptation des demandes d'asile ?
Par ailleurs, ce texte prévoit l'ouverture de droits nouveaux et je rappelle que les prestations sociales concernées sont le plus souvent prises en charge par les départements, auxquels on demande beaucoup sans les consulter, l'Assemblée des départements de France (ADF) tirant régulièrement la sonnette d'alarme à ce sujet.
Si je comprends très bien la nécessité d'aider les Ukrainiens, l'ouverture de nouveaux droits soulève des questions financières, et il me semblerait préférable d'attendre les propositions qui seront faites au niveau européen en vue de la prorogation des droits ouverts dès le début de la guerre. Pour ces raisons, je m'abstiendrai.
M. Christophe Chaillou. - Je salue à mon tour la qualité du rapport. On ne peut que porter un regard assez bienveillant sur cette proposition de loi, qui vise à prolonger la protection et à faciliter l'intégration des personnes ayant fui le conflit en Ukraine. Ce dernier se poursuivant, nous devons nous interroger quant au devenir d'un dispositif qui n'avait pas vocation à durer.
L'objectif de cette proposition de loi consiste à limiter le recours des Ukrainiens aux demandes d'asile, qui sont acceptées à 86 % d'après les chiffres dont je dispose. Au-delà des intentions bienveillantes que porte le texte, on peut se demander s'il suffira à limiter ces demandes d'asile, ce statut accordant davantage de protection et correspondant sans doute à une certaine réalité, puisque la perspective d'un retour s'éloigne pour des familles ukrainiennes installées en France depuis plusieurs années.
Si nous soutenons les propositions qui sont formulées, nous nous interrogeons quant à leur adéquation à une situation qui nous amènera inévitablement à poser la question d'un basculement vers le droit commun.
En outre, je note, au sujet des Padhue, que les appréciations sont à géométrie variable en fonction de l'origine des personnes.
En tout état de cause, ce texte ne résoudra pas l'ensemble des difficultés, les personnes concernées étant amenées à demander l'asile.
M. Guy Benarroche. - Nous portons également un regard bienveillant sur ce texte. La transformation de la protection temporaire en un titre de séjour de droit commun représenterait sans doute une solution adéquate dans la mesure où nous ne nous situons plus vraiment dans le cadre de la période limitée durant laquelle la protection temporaire devait s'appliquer. Nous nous étions réjouis de la mise en place de ce dispositif et avions souhaité qu'elle puisse servir d'exemple, afin de travailler plus globalement sur la capacité d'accueil des migrants en France.
Nous soutiendrons ce texte et voterons en faveur des amendements de la rapporteure, même si nous regrettons l'exclusion du RSA.
Pour finir par une remarque en lien avec le texte que nous venons d'examiner précédemment, je note que personne n'a accusé les associations d'aide aux Ukrainiens d'être responsables de l'augmentation du nombre de demandes d'asile...
Mme Isabelle Florennes, rapporteure. - La situation des Ukrainiens en France est incertaine et dépend bien évidemment du contexte international. L'auteur de la proposition de loi, qui préside le groupe d'amitié France-Ukraine, souhaite apporter des solutions concrètes aux problèmes qui sont apparus depuis trois ans.
Pour ce qui est de l'application de la directive, toute latitude est laissée aux États membres pour fixer le « panier » de droits accordés aux réfugiés. Même si le dispositif de protection temporaire venait à être prolongé - ce que je souhaite, à titre personnel -, chaque pays conservera cette liberté. À ce titre, la France a choisi une autorisation provisoire de six mois, ce qui est exceptionnel à l'échelle de l'Union européenne. L'Allemagne a par exemple opté pour une durée d'un an.
S'agissant du basculement vers les demandes d'asile, l'Ofpra nous a communiqué des chiffres précis : en 2024, le taux de protection des Ukrainiens s'élevait à 92,2 % avant saisine de la cour nationale du droit d'asile (CNDA), et à 93,4 % après. Parmi ces derniers, 98 % se voient octroyer la protection subsidiaire. Les taux d'acceptation des demandes apparaissent donc extrêmement élevés. Pour rappel, un bénéficiaire de la protection subsidiaire ne peut en principe regagner son pays d'origine durant quatre années.
Cet état de fait suscite plusieurs interrogations chez l'ensemble des acteurs. Par ailleurs, durant l'instruction de leur demande, leur passeport doit être remis à l'Ofpra, ce qui les prive même de circuler au sein de l'Union européenne.
De surcroît, d'un point de vue plus politique, cette perspective de l'asile ne semble généralement pas être le souhait de cette population. Les associations représentant les Ukrainiens en France m'ont dit le désarroi de ces derniers à ce sujet, qui déposeraient une demande d'asile par crainte de se trouver sans document de séjour et sans protection le 4 mars 2026. Enfin, le consul d'Ukraine à Paris m'a fait part de la grande inquiétude, voire de la sensibilité des autorités ukrainiennes à ce sujet, car l'asile renvoie à la persécution - et éloigne durablement ses ressortissants du territoire national.
S'agissant des ressources des départements, la DGCS et la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) ont indiqué qu'il ne leur était pas possible de procéder à une évaluation précise. La DGCS s'y est essayée pour l'Apa, en appliquant à la cohorte en question les proportions qui prévalent au sein de la population française. Cela donnerait près de 800 bénéficiaires et représenterait une dépense de 4,1 millions d'euros, soit une hausse de 0,06 % des dépenses de versement de l'Apa, qui s'élevaient à 7,3 milliards d'euros en 2024.
Concernant l'AAH, il s'agit d'une clarification, car certaines maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) procèdent déjà à l'évaluation du handicap des Ukrainiens concernés, au cas par cas. Seulement, l'organisme payeur refuse ensuite de procéder au versement de l'allocation, conformément à la doctrine actuelle de l'État en la matière. J'ajoute que de nombreux réfugiés ukrainiens en France sont souvent des femmes seules accompagnées de leurs enfants, ou des personnes âgées qui peuvent rencontrer des difficultés en termes d'autonomie.
Mme Muriel Jourda, présidente. - Comme c'est l'usage, il me revient, mes chers collègues, de vous indiquer quel est le périmètre indicatif de la proposition de loi.
Je vous propose de considérer que ce périmètre inclut les dispositions relatives au régime de la protection temporaire, tel qu'il est défini dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; aux bénéficiaires de la protection temporaire ; aux conditions d'immatriculation, en France, des véhicules immatriculés à l'étranger.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'amendement rédactionnel COM-1 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Mme Isabelle Florennes, rapporteure. - Le dispositif prévu par l'article 2 vise à contourner un obstacle rencontré lors de la souscription d'une police d'assurance automobile. Il entraînerait donc des conséquences inconsidérées et ne relève pas du domaine législatif. Aussi, l'amendement COM-2 vise à supprimer cet article.
L'amendement COM-2 est adopté
L'article 2 est supprimé.
Mme Isabelle Florennes, rapporteure. - L'amendement COM-3 vise à supprimer cet article, dont les dispositions sont déjà satisfaites.
L'amendement COM-3 est adopté.
L'article 3 est supprimé.
Mme Isabelle Florennes, rapporteure. - L'amendement COM-4 vise à supprimer l'extension du RSA aux bénéficiaires de la protection temporaire.
L'amendement COM-4 est adopté, de même que l'amendement rédactionnel COM-5.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Article 5
L'article 5 est adopté sans modification.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1er |
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Mme FLORENNES, rapporteure |
1 |
Amendement rédactionnel |
Adopté |
Article 2 |
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Mme FLORENNES, rapporteure |
2 |
Suppression du dispositif dérogatoire d'immatriculation |
Adopté |
Article 3 |
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Mme FLORENNES, rapporteure |
3 |
Suppression du dispositif envisagé pour faciliter le passage du permis de conduire |
Adopté |
Article 4 |
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Mme FLORENNES, rapporteure |
4 |
Suppression de l'extension du revenu de solidarité active aux bénéficiaires de la protection temporaire |
Adopté |
Mme FLORENNES, rapporteure |
5 |
Amendement rédactionnel |
Adopté |