TRAVAUX EN COMMISSION
Désignation du
rapporteur
(Mercredi 14 mai 2025)
M. Jean-François Longeot, président. - Nous devons à présent désigner un rapporteur sur la proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses, déposée en mars dernier par Florence Blatrix Contat et plusieurs de ses collègues.
Nul n'ignore l'importance vitale de la préservation de la ressource en eau et la nécessité de protéger les aires de captage de contaminations susceptibles, dans le meilleur des cas, d'accroître les coûts de traitement et de potabilisation, et, dans le pire, de conduire à la fermeture du captage en question. C'est une préoccupation identifiée depuis longtemps par les pouvoirs publics, à laquelle le Grenelle de l'environnement avait tenté de répondre, au moyen de mécanismes de protection des captages d'eau destinée à la consommation humaine et la détermination de captages prioritaires. Le fait que nous examinions prochainement un texte législatif sur ce sujet est malheureusement le signe de notre échec collectif.
Pour tenter de renforcer l'efficacité des dispositifs de protection des captages et passer d'une logique curative à une démarche vertueuse de prévention, cette proposition de loi de deux articles envisage d'interdire l'usage et le stockage de produits phytosanitaires dans les zones de protection des aires de captage et prévoit une peine de deux ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende en cas de violation de cette interdiction.
Sous réserve des conclusions de la Conférence des présidents de cet après-midi, ce texte sera examiné en commission, le mercredi 4 juin prochain, et en séance publique, le jeudi 12 juin, dans le cadre de l'espace réservé du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
La commission désigne M. Hervé Gillé rapporteur sur la proposition de loi n° 421 (2024-2025) visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses, présentée par Mme Florence Blatrix Contat et plusieurs de ses collègues.
Examen du
rapport
(Mercredi 4 juin 2025)
M. Didier Mandelli, président. - Nous examinons à présent le rapport de notre collègue Hervé Gillé sur la proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses.
Ce texte, déposé par Mme Florence Blatrix Contat et l'ensemble des membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER), est examiné conformément à la procédure du gentlemen's agreement. Je rappelle que cet usage, qui encadre les pratiques parlementaires relatives aux propositions de loi d'initiative sénatoriale en première lecture, veut que la commission ne modifie pas une proposition de loi examinée dans le cadre d'un espace réservé sans l'accord de son auteur.
Pour mémoire, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance a été fixé par la Conférence des présidents au mardi 10 juin prochain à 12 heures. L'examen en séance publique aura lieu le 12 juin en fin de matinée et en début d'après-midi, dans le cadre de l'espace réservé au groupe SER.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - J'ai le plaisir de vous présenter les grandes orientations de mon rapport sur la proposition de loi visant à renforcer la protection des ressources en eau potable contre les pollutions diffuses, présentée par notre collègue Florence Blatrix Contat, que je remercie de sa présence parmi nous, ainsi que l'ensemble des membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Cette initiative législative constitue le prolongement des travaux de la mission d'information sur la gestion durable de l'eau de 2023, qui était présidée par Rémy Pointereau et dont j'étais le rapporteur. Nous avions conclu que « l'effort premier doit porter sur la prévention, avec une analyse plus approfondie des substances avant mise sur le marché et une meilleure protection des aires de captage des eaux destinées à la consommation humaine, dans la mesure où le coût du traitement est au moins trois fois supérieur à celui de la prévention ». Le texte que nous examinons ce matin se veut la traduction opérationnelle de cette conviction politique forte et partagée au sein de notre assemblée.
Je salue la mobilisation sans faille de notre commission ces dernières années en faveur de l'eau et des milieux aquatiques - notre président est très sensible à cette question. Ce fort intérêt s'illustre notamment par les travaux que nous avons menés sur la résilience hydrique, sur la gestion quantitative et qualitative de la ressource, et sur la diminution des pressions de toute nature susceptibles d'altérer la qualité des eaux. Je ne doute pas que ces approches pionnières prévaudront ce matin et que le texte qui vous est proposé recueillera vos suffrages, même si le contexte politique et budgétaire est délicat. Il s'agit de protéger efficacement nos captages d'eau potable et de réduire les charges, de plus en plus lourdes, de dépollution et de traitement, qui pèsent sur les finances des collectivités territoriales.
Pour bien cerner les enjeux et la problématique, j'esquisserai en premier lieu un rapide panorama des menaces qui pèsent sur une ressource aussi fondamentale que méconnue, l'eau du robinet.
En 2024, la France comptait un peu moins de 37 800 captages actifs destinés à la production d'eau potable, dont 32 500 étaient exploités pour l'adduction collective publique. Environ 18 millions de mètres cubes d'eau y sont prélevés par jour : 96 % des captages sont réalisés en eaux souterraines et permettent de fournir 66 % des volumes prélevés ; 4 % des captages prélèvent dans les eaux superficielles et fournissent 34 % des volumes.
Les pollutions se renforcent chaque jour, car les polluants s'accumulent. Ils se dégradent selon une durée variable. Certains, tels que les polluants dits éternels, ne disparaissent pas. Chaque année, ce patrimoine indispensable à la couverture des besoins domestiques et économiques en eau potable se réduit inéluctablement, du fait de l'abandon de certains équipements. Sur la période 1980-2024, on estime ainsi que près de 14 300 captages ont été fermés. Dans un tiers des cas, la fermeture est imputable à la dégradation de la qualité de la ressource en eau. Cette situation est très préoccupante.
Parmi les captages abandonnés en raison de la dégradation de la qualité de la ressource, 41 % le sont du fait de teneurs excessives en nitrates ou en pesticides : les activités agricoles constituent un facteur de pression significatif sur la qualité de l'eau, même si elles sont loin d'être les seules à contribuer à l'altération de la qualité de la ressource, voire à sa contamination. Jusqu'à présent, aucun instrument juridique, aucune stratégie, aucun mécanisme financier n'est parvenu à inverser la trajectoire de dégradation des eaux brutes.
Un rapport interinspections de juin 2024 a ainsi fait le constat de « l'échec global de la préservation de la qualité des ressources en eau pour ce qui concerne les pesticides ». Les inspecteurs alertent sur le fait que, sans mesures préventives ambitieuses et ciblées, la reconquête de la qualité des eaux est illusoire. Ils ajoutent que « la préservation de la qualité des ressources en eau brute est un impératif afin de pouvoir continuer à les utiliser pour produire des eaux destinées à la consommation humaine et éviter des coûts de traitement élevés ».
Entre trente et quarante captages sont fermés chaque année pour cause de pollution par les nitrates, les pesticides et leurs métabolites, ce qui réduit d'autant notre capacité à produire une eau de qualité constante dans le temps. En 2023, seuls trois Français sur quatre ont été alimentés en permanence par une eau respectant les limites de qualité réglementaires pour les pesticides et leurs métabolites. Ce chiffre masque de fortes disparités d'un territoire à l'autre : à titre d'illustration, en 2023, en Normandie, seulement 36 % de la population a été alimentée en permanence par des eaux conformes aux normes. On constate une dégradation progressive, qui s'accentue d'année en année.
Cette situation oblige les services publics de l'eau à mettre en oeuvre des traitements modifiant la nature ou la propriété de l'eau avant qu'elle ne soit distribuée, afin de réduire ou d'éliminer le risque de non-respect des normes sanitaires. Ces traitements engendrent naturellement des surcoûts pour les gestionnaires des services publics d'eau et d'assainissement, entre 1 et 2 milliards d'euros par an pour l'ensemble du territoire national. La mise en oeuvre des traitements pour débarrasser l'eau des pesticides et de leurs métabolites pèse tout particulièrement sur les services des collectivités de petite et moyenne taille. Ces traitements peuvent se traduire, dans les départements faisant face aux pressions les plus significatives, par des augmentations des prix comprises entre 0,3 à 0,4 euro par mètre cube d'eau consommée. Nous sommes en réalité en présence d'un conflit d'enjeux : il faut sécuriser les aires de captage, tout en aidant les agriculteurs à faire face aux contraintes susceptibles d'être imposées.
Ces données et ces constats illustrent la pertinence et les bénéfices des interventions visant à limiter les pollutions diffuses dans le cadre d'une logique préventive, afin de diminuer les coûts liés à la seule approche curative. La gestion des pollutions à la source et la protection des captages d'eau potable constituent une solution pertinente et efficace sur le plan économique, d'autant que le coût du traitement des eaux brutes pour les rendre potables ne cesse d'augmenter, en raison de la hausse des coûts des réactifs et de l'énergie, mais aussi du fait de la nécessité d'éliminer un nombre croissant de polluants présents dans les nappes souterraines. La prévention est primordiale : si nous n'agissons pas rapidement, les coûts augmenteront. Ce type d'approche constitue donc un investissement rentable, car les dépenses évitées sont bien supérieures aux moyens consacrés à la prévention : l'effet de levier est estimé à un pour trois - un euro dépensé pour la prévention évite au moins trois euros de dépense curative.
C'est d'ailleurs l'approche mise en oeuvre au travers des instruments juridiques existants et des différentes stratégies nationales élaborées en faveur des points de captage. Mais le succès est relatif, comme l'illustre, malheureusement, le nombre trop élevé d'abandons de captages - un par semaine en moyenne !
Le corpus normatif encadrant la protection et la qualité de l'eau est foisonnant. Il est coiffé par la directive européenne Eau potable de 1998, qui a été refondue en 2020 : celle-ci vise à protéger la santé humaine des effets néfastes de la contamination des eaux destinées à la consommation humaine, en garantissant la salubrité et la propreté de celles-ci par le biais d'une approche fondée sur les risques en matière de sécurité sanitaire des eaux. La directive-cadre sur l'eau de 2000 vise, quant à elle, à assurer la réduction progressive de la pollution des eaux souterraines et à prévenir l'aggravation de leur pollution.
Le législateur a progressivement renforcé et perfectionné les outils de protection des points de captage, depuis la loi du 15 février 1902, qui prévoyait déjà l'acquisition en pleine propriété des terrains où se trouve le point de captage et l'établissement d'un périmètre de protection contre les pollutions.
Les différentes lois sur l'eau de 1964, de 1992 et de 2006 ont institué différents périmètres, facultatifs ou obligatoires, aux abords et au sein du périmètre hydrographique du point de captage. Toute création d'un captage d'eau potable s'accompagne aujourd'hui d'un périmètre de protection immédiat et, le cas échéant, d'un périmètre rapproché, pouvant être complété par un périmètre éloigné. Ces périmètres sont institués par la voie d'une déclaration d'utilité publique (DUP) : à ce jour, 85 % des captages sont protégés par de tels périmètres, les captages non couverts étant principalement situés en zone montagneuse.
On constate toutefois que la délimitation de ces périmètres de protection ne suffit pas à protéger efficacement contre les pollutions diffuses. Pour les captages particulièrement sensibles aux pollutions anthropiques, il convient de définir des programmes d'actions, lesquels peuvent être complétés, depuis 2007, en cas d'échec des mesures prévues dans ce cadre, par la mise en oeuvre d'une zone soumise à contrainte environnementale (ZSCE), afin d'agir sur le secteur le plus important pour la qualité de la ressource en eau potable.
La loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques a ouvert la possibilité de délimiter des aires d'alimentation de captage (AAC). Cette notion, qui repose sur une approche hydrogéologique, correspond aux surfaces sur lesquelles l'eau qui s'infiltre ou ruisselle participe à l'alimentation de la ressource en eau dans laquelle se fait le prélèvement. À l'intérieur de ces périmètres, des zones de protection peuvent être délimitées, au sein desquelles il est nécessaire d'assurer la protection quantitative et qualitative des aires d'alimentation des captages d'eau potable d'une importance particulière pour l'approvisionnement actuel ou futur.
Les collectivités territoriales peuvent également, de leur propre initiative, intégrer des prescriptions de protection des captages dans leur plan local d'urbanisme (PLU), au travers du mécanisme des servitudes de protection, l'interdiction de certaines activités sur des terrains privés ou l'acquisition des terrains autour des captages pour assurer leur protection.
Le caractère foisonnant et l'empilement de ces dispositifs constituent un facteur indiscutable d'illisibilité et de complexité, notamment pour mettre en oeuvre les actions de prévention de la dégradation de la qualité des ressources en eau. Les dispositions encadrant la protection des captages d'eau destinée à la consommation humaine relèvent en effet de quatre codes différents, ce qui est source de possibles superpositions des périmètres et de confusion à propos des plans d'action instaurant des mesures de protection et d'action.
Outre ces instruments juridiques, des stratégies ont été élaborées pour rétablir la qualité des eaux souterraines : je pense notamment aux 500, puis 1 000 « captages prioritaires » annoncés lors du Grenelle de l'environnement de 2009 et de la conférence environnementale de 2013, aux différents plans Écophyto, ou au plan Eau de mars 2023. Je pourrai aussi citer la feuille de route du Gouvernement, présentée en mars dernier, visant à améliorer la qualité de l'eau par la protection de nos captages ; elle est copilotée par les ministères chargés de l'environnement, de l'agriculture et de la santé : l'ambition est de définir 3 000 « captages sensibles » et de concentrer l'effort sur la reconquête de leur qualité. Il est prévu que l'arrêté ministériel soit publié en octobre, mais il sera probablement publié plus tard, car le dossier est complexe. Les négociations risquent d'être longues, mais il est nécessaire d'agir. Notre rôle de parlementaires est de mener une réflexion en profondeur sur ce sujet.
Que retenir de cet arsenal législatif et réglementaire ? Un constat s'impose : la lutte efficace et transformatrice contre les pollutions diffuses est encore à venir ! Nous avons collectivement échoué à protéger la qualité des eaux souterraines. Les objectifs de reconquête de la qualité des masses d'eau fixés par la directive-cadre sur l'eau ne seront pas atteints et les élus locaux feront prochainement face à un mur d'investissements et à des impasses techniques pour garantir, en tout temps et en tout lieu, une eau répondant aux normes sanitaires.
Le moment est solennel. Le délégué général de l'association Amorce nous a indiqué qu'il craignait une forte inflation des coûts de traitement au cours de la prochaine décennie, de l'ordre de 50 % à 60 %. Cette hausse se répercutera mécaniquement sur le prix de l'eau, si nous ne faisons rien aujourd'hui.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, l'urgence nous commande d'agir de façon volontariste et déterminée si nous voulons inverser la dynamique délétère de dégradation de la qualité de l'eau. Ce texte, que je vous invite à adopter, vise ainsi précisément à interdire, d'ici à 2031, l'utilisation de produits phytosanitaires au sein des zones de protection des aires d'alimentation des captages. Cette mesure constitue la première brique d'une méthode globale, plus fédératrice, assortie de moyens financiers dédiés et de mécanismes d'accompagnement et d'aide à la transition.
Ce texte ne vise nullement à désigner les agriculteurs comme responsables d'une situation qu'ils subissent eux aussi. Son dispositif doit être indiscutablement complété pour combiner mesures accompagnatrices et coercitives, au moyen d'instruments financiers - paiements pour services environnementaux (PSE), mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec), aides à la conversion, contractualisation avec objectifs de moyens et de résultats, etc. - pour créer une dynamique en donnant les impulsions nécessaires. Pour agir, il faut accompagner les acteurs concernés et faire en sorte que les évolutions soient acceptables. C'est dans ce sens que je souhaite amender ce texte, en accord avec son auteure.
Afin de rééquilibrer les leviers d'action en faveur de la reconquête de la qualité des eaux brutes, je vous soumettrai dans quelques instants cinq amendements, qui visent à circonscrire l'interdiction contenue dans ce texte aux zones où cette mesure est la plus efficace et la plus transformatrice, et à trouver les voies pour accompagner le monde agricole vers la transition qui rendra notre système agricole plus durable, plus souverain et plus rémunérateur.
Je ne saurai trop vous inviter, mes chers collègues, à vous prononcer en faveur de ce texte qui vise à préserver ce que nous avons de plus précieux et de plus vital : la ressource en eau.
Il faut créer les conditions d'un dialogue efficace pour mobiliser tous les acteurs. Nous voulons mettre en avant un dialogue de gestion, assorti d'engagements réciproques, afin de négocier des objectifs et déterminer les moyens de les atteindre. L'approche serait moins coercitive pour ceux qui s'engageraient dans cette logique contractuelle. Le but est d'impulser une dynamique qui associe tous les acteurs sur le terrain, afin de préserver notre ressource en eau.
Mme Florence Blatrix Contat, auteure de la proposition de loi. - L'eau potable, ce bien vital que l'on croyait acquis, devient aujourd'hui une ressource fragile, de plus en plus rare et chère, dont il est de plus en plus difficile de garantir la conformité aux normes sanitaires.
J'ai été, pendant dix ans, vice-présidente d'un syndicat des eaux. J'ai rencontré différentes situations. L'eau d'un captage dont nous avions pu acquérir les terrains environnants ne comportait ni nitrates ni pesticides, et était parfaitement conforme aux normes sanitaires. Un autre captage était associé à une usine de traitement des eaux. Dans l'eau issue d'autres captages, les taux de pesticides atteignaient les valeurs limites autorisées, ce qui entraîne des difficultés en ce qui concerne l'information de la population et le traitement de l'eau. C'est pour cette raison que j'ai pris l'initiative de déposer cette proposition de loi.
Comme notre rapporteur l'a indiqué, 14 000 captages ont été abandonnés depuis les années 1980, dont près de 40 % d'entre eux à cause des pollutions aux nitrates et aux pesticides. En 2022, 10 millions de Français ont bu au moins une fois une eau du robinet non conforme aux normes sur les pesticides. Un tiers des nappes phréatiques est contaminé. Ce constat est accablant. En dépit des plans, des lois et des dispositifs incitatifs adoptés depuis des décennies, près d'un captage sur six n'a toujours pas de périmètre de protection. Les plans d'action qui encadrent la mise en place des aires d'alimentation des captages sont trop peu contraignants.
En réalité, la situation continue de se dégrader, les fermetures de captage s'accélèrent et ce sont nos collectivités qui en payent le prix. Quand un captage devient inexploitable, les communes, les syndicats des eaux, les intercommunalités doivent s'adapter, procéder à de nouveaux forages, mettre en oeuvre des traitements complexes, et la facture explose. On estime que les surcoûts liés à la pollution s'établissent dans une fourchette entre 1 et 2 milliards d'euros par an, ce qui est considérable.
Par ailleurs, je rappelle que les charbons actifs sont importés. Il s'agit donc aussi d'une question de souveraineté et de santé publique. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a clairement établi que l'exposition chronique aux pesticides s'accompagne de pathologies graves, en particulier chez les femmes enceintes, les enfants et les agriculteurs. Nous avons le devoir d'anticiper.
Allons-nous dès lors continuer simplement à réparer, à grands frais, les conséquences de notre inaction ? Ou bien allons-nous enfin protéger nos ressources en eau à la source ? C'est l'orientation de cette proposition de loi, qui vise à interdire de manière progressive l'usage et le stockage des pesticides. Je tiens à saluer le travail de notre rapporteur, qui l'a rendue plus opérationnelle. Ses amendements tendent à introduire des paliers progressifs, à protéger les agriculteurs qui utilisent peu d'intrants ou exercent en agriculture bio, à instaurer un accompagnement technique et financier pour réaliser la transition, à cibler des zones critiques et à développer une logique contractuelle, par le biais d'engagements réciproques entre les exploitants et les gestionnaires de l'eau.
Ce texte est une réponse collective à un problème structurel, qui est devant nous. Il reconnaît le rôle central des agriculteurs et leur propose un chemin réaliste vers une agriculture plus durable sur des zones vitales pour notre alimentation en eau. Il répond aussi à la demande de nombreux élus de toute sensibilité, qui souhaitent la création d'outils efficaces, car les coûts deviennent trop importants. Les politiques incitatives ont produit des résultats, mais ceux-ci sont trop limités, trop locaux, pour inverser une tendance nationale. Les objectifs de réduction des pesticides ne sont pas atteints et les masses d'eau restent, pour beaucoup d'entre elles, en mauvais état. Il est temps de franchir un cap.
Ce texte prolonge les recommandations du Sénat, de l'Assemblée nationale, des agences de l'eau, des associations d'élus, des rapports d'inspection, etc. Il va dans le sens des conclusions de la mission d'information sénatoriale sur la gestion durable de l'eau que nous avions conduite voilà deux ans. La question de la qualité de l'eau dépasse les clivages politiques. Elle constitue un enjeu de santé, de justice territoriale et de solidarité.
Mes chers collègues, nous avons l'occasion de faire un choix en responsabilité pour la santé publique, pour nos finances publiques, pour nos communes, pour notre souveraineté. Je vous encourage à soutenir cette proposition de loi.
M. Pascal Martin. - Le groupe Union Centriste partage le constat de notre rapporteur : les stratégies existantes pour rétablir la qualité des eaux ont échoué. Il convient de mettre en oeuvre des politiques publiques transversales, dans une logique d'accompagnement - c'est très important - et d'aide à la transition des pratiques et des méthodes culturales.
Le texte mobilise pour l'essentiel le levier coercitif. Il vise à interdire, à partir de 2031, l'utilisation et le stockage de produits phytosanitaires et des engrais minéraux au sein des périmètres de protection des aires d'alimentation des captages. Si cette approche peut paraître pertinente dans certains cas, notamment là où les pressions sur les ressources sont les plus fortes, ce profond changement des pratiques agricoles risque de fragiliser la viabilité agronomique et économique des exploitations concernées. Il est donc indispensable de prévoir des mesures d'accompagnement des agriculteurs. La lutte contre les pollutions diffuses ne sera efficace que si le monde agricole et l'ensemble des acteurs de l'eau sont associés.
Il nous paraît cependant quelque peu prématuré de légiférer alors que le Gouvernement vient de présenter sa feuille de route stratégique visant à améliorer la qualité de l'eau par la protection de captage. Ce chantier devrait aboutir d'ici à la fin de l'année. Attendons ses conclusions.
Ensuite, dans le contexte actuel de crise agricole que nous connaissons, et compte tenu des négociations en cours entre les deux assemblées sur ce sujet, il ne semble pas judicieux d'adopter des contraintes supplémentaires pesant sur les agriculteurs.
Cependant, nous saluons le travail de notre rapporteur, qui s'est efforcé de rendre le texte plus acceptable en introduisant quelques mesures d'accompagnement bienvenues. Malheureusement, compte tenu des éléments de contexte et de temporalité que j'ai évoqués, le groupe Union Centriste ne pourra pas approuver cette proposition de loi, et, par cohérence, votera contre les amendements du rapporteur, même si certains vont dans le bon sens.
M. Didier Mandelli, président. - J'indique que ce sera aussi la position du groupe Les Républicains.
M. Olivier Jacquin. - Ce texte est bienvenu. Voilà un peu plus de vingt ans que je suis en politique et que je m'intéresse à ces questions. Or, très peu de progrès ont été réalisés pour protéger les périmètres de captage. Les fermetures de captage continuent à être, comme l'a dit Hervé Gillé, le principal outil politique de régulation de la qualité de l'eau. Cette situation aboutit à un désastre écologique considérable.
J'ai été membre de la commission d'enquête sénatoriale sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. Celle-ci a permis de s'intéresser à la question de la qualité des eaux. Tous les industriels de l'eau minérale ont pris des mesures pour protéger leurs périmètres de captage, en interdisant l'utilisation des produits phytosanitaires et en soutenant les cultures à bas niveaux d'intrants. Nous connaissons tous, mes chers collègues, dans nos départements respectifs, des situations où l'on a pu, par le recours à des outils de maîtrise foncière ou grâce à une contractualisation forte, changer de type d'agriculture, ce qui s'est accompagné d'une amélioration considérable de la qualité de l'eau.
Ce texte est véritablement un texte de santé publique. En tant qu'agriculteur, je souscris aux propos de notre rapporteur et de l'auteure de la proposition de loi. Nous n'avancerons pas sans un accompagnement important des agriculteurs, par le biais, par exemple, des paiements pour services environnementaux, des mesures agroenvironnementales et climatiques, ou de la contractualisation dans le cadre de la politique agricole commune.
Alors que le Gouvernement commence à travailler sur la question des périmètres de captage, le moment semble opportun, contrairement à ce que vient de dire notre collègue Pascal Martin, pour lui envoyer un signal fort.
M. Ronan Dantec. - Depuis toujours la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) est opposée à la protection des espaces de captage, et ce pour des raisons idéologiques : elle ne souhaite pas voir apparaître ainsi de grands espaces qui seraient la vitrine d'une autre agriculture.
On sait, comme notre rapporteur l'a rappelé, que cette absence de protection des périmètres coûte très cher à la société française, aux collectivités territoriales, et génère des risques en termes de santé publique.
Le travail du Sénat est de trouver la voie pour parvenir à protéger les périmètres de captage, ce qui est indispensable en raison du changement climatique. Si le réchauffement moyen est de 4 degrés Celsius, la question de l'eau deviendra particulièrement prégnante.
Dès lors, soit le politique regarde ailleurs et laisse la société se réguler, parce que les uns et les autres n'ont pas les mêmes intérêts politiques et ne développent pas les mêmes argumentaires à partir de l'analyse de la situation actuelle ; soit, nous nous efforçons, comme le Sénat avait coutume de le faire, de trouver la voie d'un compromis, pour éviter d'assister à une judiciarisation accrue sur le terrain, à des plaintes massives contre les agriculteurs. Voyez ce qui se passe autour de Redon, où des élus locaux, qui ne sont pourtant pas de gauche, s'opposent fortement à une partie du monde agricole pour la préservation des nappes phréatiques. Une logique d'affrontement est déjà à l'oeuvre dans la société, la sensibilité aux questions de l'eau ne fera que croître.
L'examen de cette proposition de loi doit être l'occasion pour le Sénat de faire des propositions et d'orienter la réflexion du Gouvernement. S'abstenir d'agir ne serait pas responsable. N'attendons pas l'élection présidentielle qui aura lieu dans deux ans. Le Sénat a toujours su trouver des compromis. Ne nous privons pas des leviers parlementaires à cause de postures politiciennes. Vu l'urgence sanitaire et économique, il ne serait pas responsable de ne pas voter cette proposition de loi. Si nous ne faisons rien, cela coûtera un pognon de dingue ! Si nous cédons à la FNSEA, qui s'oppose pour des raisons purement idéologiques à la protection des périmètres de captage, nous manquerons une opportunité.
M. Didier Mandelli, président. - Notre rapporteur pourra sans doute, afin de vous répondre, nous préciser le contenu de l'audition de la FNSEA organisée dans le cadre de ses travaux préparatoires.
Mme Kristina Pluchet. - Il existe des zones de protection autour des périmètres de captage. Elles ne sont peut-être pas suffisantes, mais les agriculteurs sont déjà soumis à des contraintes. Je m'interroge sur l'interdiction du stockage des produits phytosanitaires. De même, si l'on élargit les périmètres, que se passera-t-il ? Que fera-t-on des exploitations d'élevage, des coopératives ou des usines déjà existantes qui se retrouveront incluses dans les nouveaux périmètres ? Faudra-t-il les délocaliser ? Le texte est muet à cet égard. Il mérite une étude d'impact approfondie. De nombreux points sont à revoir. Dans sa rédaction actuelle, cette proposition de loi mériterait des éclaircissements.
M. Alexandre Basquin. - Ce texte constitue une vraie opportunité. Je salue son auteure pour son audace et son volontarisme. Je salue aussi le travail pertinent de notre rapporteur. Les arguments et les chiffres qui ont été avancés montrent bien qu'il faut tout mettre en oeuvre pour préserver la ressource en eau et maintenir sa qualité.
Nous soutenons ce texte, même si les amendements du rapporteur amoindrissent sa portée, en ce qui concerne les exemptions ou la réduction des sanctions. Nous ne sommes pas hostiles à un accompagnement des agriculteurs - loin de là ! Nous avons en effet tout à gagner collectivement à ne pas opposer agriculture et préservation de l'eau.
Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste - Kanaky votera la proposition de loi, mais s'abstiendra sur les amendements.
M. Jean-Claude Anglars. - Je remercie notre rapporteur d'avoir rappelé toutes les mesures qui ont été adoptées sur le sujet depuis 1902.
La solution retenue dans cette proposition de loi est brutale, même si je peux partager certains éléments du constat. Je pense notamment aux territoires d'élevage, où coexistent des espaces pour le bétail et des périmètres de protection des captages. Ces derniers existent déjà.
Sur de tels sujets, je préfère le dialogue local. L'adoption par l'Europe de mesures agro-environnementales s'est ainsi accompagnée d'un dialogue permanent entre les agriculteurs, les acteurs des territoires, le Gouvernement et les autorités européennes. Il est dangereux de proposer une interdiction systématique d'un certain nombre de produits et de pratiques. Le monde agricole se sent agressé, et c'est normal.
J'aurais préféré que nous nous inspirions des conclusions de la mission commune d'information du Sénat sur les pesticides qui avait été présidée par Sophie Primas et dont la rapporteure était Nicole Bonnefoy. Il était préconisé de conclure des chartes locales. Il convient de privilégier une approche territorialisée pour résoudre les problèmes. C'est d'ailleurs ce qui se fait déjà.
En tout cas, je suis opposé à l'interdiction de l'utilisation et du stockage des produits phytosanitaires et des engrais minéraux au sein des périmètres de protection des aires d'alimentation des captages. Voilà une mesure brutale et contre-productive. Cela se retournera contre les auteurs du texte. Dans les territoires, notamment de montagne, nous avons mis en oeuvre des pratiques de concertation : inspirons-nous de cette démarche.
Mme Marta de Cidrac. - Je m'interroge sur les chiffres qui illustrent les enjeux dont nous débattons ce matin. Selon l'exposé des motifs de la proposition de loi, près de 12 500 captages actifs ont été fermés en vingt ans, dont 34 % à cause de pollutions aux nitrates et aux pesticides. Pour quelles raisons les autres captages ont-ils été fermés ? On se focalise sur le volet agricole, mais il y a certainement d'autres sources de pollution.
M. Michaël Weber. - Je remercie l'auteure de cette proposition de loi qui va dans le sens de l'histoire. Je salue aussi le travail de notre rapporteur, qui s'est efforcé de trouver un consensus.
Il n'y a pas de brutalité à essayer de trouver des solutions à un problème qui préoccupe nos concitoyens. La qualité de l'eau, comme celle de l'air, suscite chez nos concitoyens de grandes inquiétudes.
Certains ont évoqué le calendrier en indiquant qu'il n'était pas opportun d'adopter ce texte maintenant. Il est vrai que, depuis un an, la question des difficultés du monde agricole est prégnante. Il faut reconnaître la valeur ajoutée de l'agriculture. Mais la commission d'enquête sur les eaux minérales a démontré sans ambiguïté qu'il y avait un problème de qualité des eaux. Il faut tenir compte de ces deux éléments. On ne peut pas se contenter de dire que le contexte est défavorable et invoquer les difficultés des agriculteurs. C'est d'ailleurs le même argument que l'on nous opposait lors de l'examen de notre proposition de loi visant à préserver des sols vivants l'an dernier.
Notre président nous a dit que le rapporteur nous préciserait le contenu de ses échanges avec la FNSEA. Mais le Sénat ne doit pas être sous la tutelle de la FNSEA !
M. Didier Mandelli, président. - Ce n'est pas du tout ce que j'ai dit ! Je faisais simplement état des discussions préalables que j'ai eues avec le rapporteur à propos de ses travaux préparatoires.
M. Michaël Weber. - J'ai participé à plusieurs auditions avec le rapporteur. Il est toutefois maladroit de ne mentionner qu'un seul organisme...
M. Didier Mandelli, président. - Ce n'est pas moi qui l'ai cité !
M. Michaël Weber. - Ce texte va dans le sens des attentes de nos concitoyens. Ces derniers comprendraient mal qu'on ne l'adopte pas, alors que l'on fait par ailleurs le constat de l'existence de problèmes relatifs à la qualité des eaux. Des protections des captages existent déjà, certes, mais elles sont notoirement insuffisantes. Ce texte prévoit des mesures d'accompagnement. N'attendons pas que le Gouvernement présente son plan d'action. Si nous parvenons à un consensus au Sénat, nous pourrions orienter sa réflexion.
Le groupe SER votera ce texte, ainsi que les amendements du rapporteur.
M. Damien Michallet. - Le Sénat a pour vocation de rechercher le consensus. Je rejoins la position de l'opposition sur ce sujet, mais ce n'est pas rare.
Toutefois, je déplore que cette proposition de loi s'inscrive dans une approche très dogmatique : on prétend agir au nom de tout le monde, mais sans s'intéresser aux gens. On fait les mêmes erreurs que pour le dispositif « zéro artificialisation nette » (ZAN). Nous sommes tous d'accord sur le fond, mais l'approche retenue n'est pas bonne. On va braquer les gens dans les territoires. L'approche est unilatérale et trop parisienne.
Il faut penser par les territoires, et non pour les territoires. Laissons les élus locaux faire leur travail. Si les mesures de protection ne sont pas suffisantes, aidons les territoires à les améliorer, mais n'imposons pas. On ne peut pas tout résoudre depuis Paris. Chaque cas est spécifique. Le Sénat doit penser aux territoires. Nous devons les accompagner, pour qu'ils puissent traiter cette question, en fédérant l'action des associations locales, des agriculteurs et surtout des consommateurs d'eau.
M. Jean-Pierre Corbisez. - Mon collègue a raison : laissons les territoires s'organiser. Je voudrais témoigner de l'expérience d'une agglomération qui a su gérer son champ captant, en lien avec les agriculteurs, les syndicats d'agriculteurs et les chambres d'agriculture. L'eau affleurait parfois sur les sols et alimentait une petite rivière, l'Escrebieux. Nous avons acheté les terrains environnants. Les agriculteurs ne payent pas de loyer et ils sont indemnisés en fonction du choix des cultures. Nous indemnisons même les associations de chasseurs pour qu'elles achètent des munitions en céramique, qui ne contiennent pas de plomb, car ces dernières sont susceptibles de contaminer la nappe phréatique. Quand on le veut, on peut mettre en oeuvre des mesures qui fonctionnent sur le terrain ; cela suppose des moyens et du dialogue, mais cela fonctionne, y compris avec les syndicats agricoles.
J'aurais aimé que l'auteure de cette proposition de loi ou le rapporteur nous propose de modifier le code de l'urbanisme. Les nappes sont essentiellement alimentées par les eaux pluviales. Or, dans certains territoires, la gestion des eaux pluviales à la parcelle n'est pas obligatoire. Les eaux pluviales vont dans le réseau d'assainissement et alimentent la station d'épuration. Le délégataire de service public pour l'eau et l'assainissement ne s'en plaindra certainement pas, puisqu'il a alors à traiter de l'eau propre à 97 %, quand on le paye pour nettoyer de l'eau sale ! Or, pendant que la station d'épuration est pleine, le reste des eaux va dans la nappe. Il conviendrait donc de réfléchir à la question de l'infiltration des eaux pluviales.
La protection des nappes phréatiques est aussi un problème d'État. Dans mon territoire, la consommation de l'eau de la nappe est interdite aux femmes enceintes et aux nourrissons de moins de 6 mois, en raison de la pollution au perchlorate d'ammonium due aux munitions employées durant la Première Guerre mondiale. Quand la nappe est remplie, le taux des polluants est faible, mais, en période estivale, quand le niveau de la nappe est faible, la concentration des polluants augmente mécaniquement et dépasse parfois les taux limites définis par l'Europe. Cette dernière a d'ailleurs un rôle important à jouer en la matière. En tout cas, il faut veiller à ce que les eaux pluviales retournent au sol.
Nous n'avons pas parlé non plus des futures centrales nucléaires, les EPR, ni des usines de fabrication de batteries pour les voitures électriques, qui vont consommer des millions de mètres cubes d'eau supplémentaires, ce qui aura des conséquences sur le niveau des nappes phréatiques. Certaines de ces infrastructures seront installées en bord de mer, mais désaliniser l'eau de mer coûte très cher et personne ne veut payer.
Il conviendrait donc de dépasser la simple question de la protection des champs captants, et de s'intéresser au code de l'urbanisme, afin de préparer l'avenir et d'anticiper les conséquences de l'installation de nouvelles structures industrielles très consommatrices d'eau.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je vous remercie pour ces nombreuses interventions, qui enrichissent utilement nos échanges.
Je commencerai par formuler une remarque générale. Le texte dont nous débattons doit être apprécié à la lumière des amendements qui ont été déposés. Autrement dit, la lecture politique de ce texte passe nécessairement par une analyse tenant compte de sa version amendée. Or certaines observations que vous avez faites laissent à penser que les amendements proposés n'ont pas été pris en considération.
Ainsi, s'agissant de l'horizon de 2031, nous ne sommes plus sur cette échéance, car le texte a été substantiellement modifié. Nous parlons désormais d'un délai de dix ans à compter de la promulgation de la loi, ce qui est un ajustement majeur en matière de calendrier. Ce délai me semble être une position raisonnable dans la perspective d'une stratégie d'accompagnement. Dès lors, l'argument que vous avez avancé ne tient plus.
Plusieurs d'entre vous ont souligné la nécessité d'associer l'ensemble des acteurs, en exprimant des réserves sur la stratégie d'accompagnement financier. C'est précisément ce que nous visons au travers de nos amendements. Nous proposons en effet un dispositif préalable, qui a d'ailleurs retenu l'attention de la FNSEA. Je me permets ici de reprendre une remarque formulée par Didier Mandelli : lors d'un échange en amont, nous avons évoqué les différentes positions exprimées lors des auditions et il est apparu que, sur le fond, celle de la FNSEA n'était pas très éloignée de celle que nous défendons. Elle s'inscrit dans un contexte donné que je comprends parfaitement. J'ai bien conscience du décalage qui peut exister entre une responsabilité syndicale nationale et les difficultés qu'il y a à faire passer des messages au niveau local.
Sur la question des contrats d'engagements réciproques, que nous posons comme une pierre angulaire, notre volonté est claire : nous voulons, avant toute logique coercitive, instaurer un dialogue à l'échelle des territoires, impliquant chaque partie prenante dans les aires d'alimentation des captages. Il s'agit là d'un dialogue d'engagement réciproque où l'on négocie les objectifs à atteindre et les moyens à mobiliser avec les acteurs locaux, dans une perspective particulièrement territorialisée.
Le Girondin que je suis souhaite réagir à la logique excessive que certains d'entre vous ont suggérée. En effet, l'approche que nous défendons est ultra-territorialisée. Les points de captage d'eau potable sont tous différents, de sorte qu'il serait absurde d'appliquer un dogme uniforme au niveau national. Ce sont les diagnostics locaux qui orientent les mesures à mettre en oeuvre.
Je le redis, notre méthode repose bien sur une approche territorialisée, négociée avec les parties prenantes. Telle est notre volonté. Et, en ce qui concerne le calendrier, l'objectif demeure fixé à dix ans à compter de la promulgation de la loi. Nous nous laissons ainsi du champ pour déployer les actions nécessaires.
S'agissant du travail en cours avec le Gouvernement, il convient de parler clair : pensez-vous vraiment qu'un projet de loi gouvernemental verra le jour d'ici à la fin de l'année, ou en 2026, compte tenu du contexte institutionnel et politique que vous connaissez aussi bien que moi ? Vous le savez pertinemment : il y a 99 % de chances qu'aucun texte ne soit présenté.
Le Gouvernement lui-même, à tout le moins plusieurs ministres chargés de ce dossier, reconnaissent l'intérêt des initiatives parlementaires, qui permettent de faire vivre des projets. Nous nous inscrivons clairement dans cette dynamique.
Jean-Claude Anglars a évoqué une forme de brutalité, mais ce terme ne correspond pas à la réalité. Ce que je décris ici, c'est une stratégie d'accompagnement, reposant sur la négociation des moyens. Si nous avions le temps, nous pourrions en débattre, car c'est un sujet qui le mérite, mais l'ordre du jour ne le permet pas. L'objectif est clair : il s'agit d'essayer de négocier des briques financières à différents niveaux d'intervention pour consolider l'action territoriale.
S'agissant de la remarque de Marta de Cidrac sur les fermetures de captages, il faut le dire sans ambiguïté : certaines relèvent, certes, de problèmes liés à la pollution, mais d'autres s'expliquent par un manque de ressources, par des processus de rationalisation engagés à un moment donné, voire par des systèmes devenus obstrués ou dysfonctionnels. Toutes ces situations conduisent également à des fermetures au niveau des aires de captage.
Je rappelle aussi, pour faire écho aux propos de Jean-Pierre Corbisez que la gestion des eaux pluviales s'intègre désormais pleinement aux politiques d'urbanisme, dans les PLU et les plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi). C'est dans ce cadre que doit se construire une véritable stratégie pour le pluvial.
Aujourd'hui, certains schémas de cohérence territoriale (Scot) indiquent clairement qu'il y aura moins de permis de construire parce que la ressource en eau diminue. Il convient de garder cette donnée à l'esprit.
M. Didier Mandelli, président. - Concernant le périmètre de cette proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer qu'il inclut les dispositions relatives aux obligations et interdictions découlant de la reconquête de la qualité des eaux souterraines ; à la délimitation de périmètres de protection des captages d'eau potable, aux prescriptions s'appliquant au sein des zones ainsi délimitées et à l'entrée en vigueur des dispositifs réglementaires ou contractuels associés ; aux sanctions susceptibles d'être prononcées en cas de non-respect des prescriptions relatives à la protection des aires de captage d'eau potable.
Il en est ainsi décidé.
EXAMEN DES ARTICLES
M. Hervé Gillé, rapporteur. - Mon amendement COM-1 vise à redéfinir le périmètre d'application du dispositif de prohibition des usages et du stockage des produits phytosanitaires et des engrais minéraux, en se référant à des zones qui font l'objet d'une délimitation obligatoire. L'interdiction serait d'application systématique au sein des périmètres de protection immédiate et rapprochée, lorsque le point de prélèvement est considéré comme sensible, c'est-à-dire lorsque les résultats d'analyse de la qualité de l'eau font apparaître des niveaux excédant des seuils fixés par arrêté. Cette même interdiction concernerait également les engrais minéraux au sein des zones vulnérables aux pollutions par les pesticides.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'amendement COM-2 vise à compléter le texte par un volet indispensable dédié à l'accompagnement. J'insiste à nouveau sur la nécessité de proposer la création d'un contrat d'engagements réciproques, afin d'assurer la protection de la ressource en eau potable entre un exploitant agricole et le gestionnaire chargé de la production ou de la distribution de l'eau potable. Ce contrat vise à réduire les pollutions diffuses, mais en ayant un accord librement consenti par les parties. Nous sommes donc dans une démarche clairement volontariste, dans ce cadre, avant d'arriver à la démarche coercitive.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'amendement COM-3 vise à réécrire la disposition relative au décret fixant les seuils intermédiaires de réduction de l'usage et du stockage des produits phytopharmaceutiques et des engrais minéraux, en tenant compte de la création des contrats d'engagements réciproques. Il s'agit de respecter le rythme de diminution des usages de systèmes fixés par décret, à moins qu'un exploitant n'ait conclu un contrat d'engagements réciproques, qui implique un dialogue d'accompagnement.
L'amendement COM-3 n'est pas adopté.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'amendement COM-4 vise à différer l'entrée en vigueur de l'interdiction d'utilisation et de stockage des produits phytosanitaires et des engrais minéraux portée initialement par l'article 1er. Nous avons bien vu qu'il fallait donner du temps dans ce cas de figure, d'où le délai de dix ans à compter de la promulgation de la loi.
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
L'article 1er n'est pas adopté.
M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'amendement COM-5 vise à supprimer l'article 2 relatif à la sanction prévue en cas de violation de l'interdiction introduite à l'article 1er. Je souligne également l'effort qui a été fait pour diminuer le montant des amendes, dans la mesure où le montant de 75 000 euros nous a semblé trop important. Nous l'avons divisé par dix et il est désormais proportionné au niveau du chiffre d'affaires net produit par l'exploitation, ce qui protège les petites exploitations. Nous avons donc fait un geste supplémentaire pour atténuer la brutalité du texte.
L'amendement COM-5 n'est pas adopté.
L'article 2 n'est pas adopté.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
Les sorts de la commission sont repris dans le tableau ci-dessous :
Article 1er |
|||
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
M. GILLÉ, rapporteur |
COM-1 |
Redéfinition du périmètre d'application du dispositif de prohibition de l'utilisation et du stockage des produits phytosanitaires et des engrais minéraux et régime de sanction en cas de violation de l'interdiction |
Rejeté |
M. GILLÉ, rapporteur |
COM-2 |
Finalité et modalités de conclusion du contrat d'engagements réciproques |
Rejeté |
M. GILLÉ, rapporteur |
COM-3 |
Fixation par décret de seuils intermédiaires de réduction de l'usage et du stockage des produits phytosanitaires et des engrais minéraux |
Rejeté |
M. GILLÉ, rapporteur |
COM-4 |
Entrée en vigueur de l'interdiction d'utilisation et de stockage des produits phytosanitaires et des engrais minéraux |
Rejeté |
Article 2 |
|||
M. GILLÉ, rapporteur |
COM-5 |
Suppression par coordination |
Rejeté |