N° 731

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 juin 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles,

Par Mmes Elsa SCHALCK et Dominique VÉRIEN,

Sénatrices

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) :

842, 1181 et T.A. 86

Sénat :

504 et 732 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

Depuis le milieu du XIXe siècle, l'absence de consentement permettant de caractériser un viol ou une agression sexuelle se déduit de l'existence d'un des éléments suivants : la violence, la contrainte, la menace et la surprise. Ces critères, inscrits aux articles 222-22 et suivants du code pénal, établissent une définition dite « objective » des violences sexuelles, l'emploi par l'auteur de l'un de ces quatre leviers suffisant à caractériser l'élément moral de l'infraction - donc à établir l'intention de la commettre.

Contrairement à la Cour de cassation, seule jusqu'à la loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux moeurs à avoir défini expressément le viol, le législateur n'avait pas souhaité intégrer au code pénal une référence explicite au consentement, estimant qu'un tel choix serait préjudiciable aux victimes en conduisant à l'examen de leur « moralité » plutôt que des agissements des auteurs.

Les évolutions de la société sous l'effet du mouvement #MeToo, les comparaisons juridiques internationales et les termes des engagements conventionnels de la France ont récemment conduit à un renouvellement de la réflexion sur l'intégration du non-consentement à la définition pénale du viol et des agressions sexuelles. C'est ainsi que, reprenant les conclusions du rapport d'information qu'elles avaient rendu sur ce sujet en janvier 2025, les députées Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton ont déposé une proposition de loi tendant :

- d'une part, à préciser que les actes sexuels non-consentis constituent des agressions sexuelles aux yeux de la loi ;

- d'autre part, à intégrer au périmètre matériel du viol les actes bucco-anaux.

La commission des lois a adhéré au principe de ce texte, auquel elle n'a apporté que des aménagements limités visant, en particulier, à éviter la création d'une divergence juridique préjudiciable aux mineurs victimes de viol.

I. LES FAILLES PRÉOCCUPANTES DE LA RÉPRESSION DU VIOL ET DES AUTRES AGRESSIONS SEXUELLES

A. L'APPROFONDISSEMENT PROGRESSIF DE LA DÉFINITION DU VIOL ET DES AUTRES AGRESSIONS SEXUELLES

Criminalisé par le code pénal de 1810 sans être défini par celui-ci, le viol n'a été caractérisé qu'en 1857 par un arrêt Dubas de la chambre criminelle de la Cour de cassation, aux termes duquel « Le crime de viol consiste dans le fait d'abuser une personne contre sa volonté, soit que le défaut de consentement résulte de la violence physique ou morale exercée à son égard, soit qu'il résulte de tout autre moyen de contrainte ou de surprise pour atteindre, en dehors de la volonté de la victime, le but que se propose l'auteur de l'action ».

Ayant constaté que le « défaut de consentement » retenu par la Cour de cassation avait conduit les enquêteurs et les juges du fond à « [mettre] en cause dans les affaires de viol la `respectabilité' de la victime tout autant que la culpabilité de l'accusé »1(*), le législateur n'avait pas souhaité, lors de l'intégration au code pénal de la définition du viol en 19802(*), y faire figurer la notion de « consentement ». Celle-ci n'en demeure pas moins omniprésente dans les actes d'enquête et les jugements des juridictions répressives : elle demeure le sous-bassement de la définition des violences sexuelles, le Conseil d'État ayant même considéré que la violence, la menace, la contrainte et la surprise n'étaient « qu'une manière de caractériser l'absence de consentement de la victime »3(*).

La définition du viol et des autres agressions sexuelles a été progressivement étendue par le législateur, en particulier pour caractériser l'usage de la contrainte lorsque la victime est âgée de moins de quinze ans4(*). La jurisprudence a, de même, promu une interprétation extensive des éléments permettant de caractériser l'assurance de consentement, singulièrement s'agissant de la surprise et de la contrainte : dans un arrêt récent, la chambre criminelle de la Cour de cassation a ainsi jugé que la « sidération » devait être reconnue comme un cas dans lequel le consentement de la victime avait été surpris5(*).


* 1  Rapport n° 442 (1977-1978) d'Edgar Tailhades sur la proposition de loi relative à la répression du viol et de certains attentats aux moeurs.

* 2 Loi n° 80-1041 du 23 décembre 1980 relative à la répression du viol et de certains attentats aux moeurs.

* 3  Avis du 15 mars 2018 sur le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes commises contre les mineurs et les majeurs.

* 4 Loi n° 2010-121 tendant à inscrire l'inceste commis sur les mineurs dans le code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux du 8 février 2010 ; loi n° 2018-703 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes du 3 août 2018.

* 5 Cass. crim., 11 septembre 2024, n° 23-86.657.

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