EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 11 JUIN 2025

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous en venons à l'examen du rapport d'Elsa Schalck et de Dominique Vérien sur la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.

Mme Elsa Schalck, rapporteure. - Nous examinons aujourd'hui une proposition de loi déposée par les députées Marie-Charlotte Garin et Véronique Riotton, qui vise à intégrer le consentement à la définition pénale du viol et des autres agressions sexuelles. Elle fait suite au travail qu'elles ont mené au nom de la délégation de l'Assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, qui a conduit au dépôt d'un rapport en janvier 2025 concluant à la nécessité d'aménager le code pénal pour améliorer la répression des violences sexuelles.

Disons-le d'emblée, ce texte ne vise pas à « tout changer » pour que rien ne change, selon la volonté de certains, ou pour que tout change effectivement, selon le souhait d'autres. Il ne vise pas même à « tout changer » à la définition pénale du viol. Il s'agit tout simplement de cesser d'ignorer l'éléphant dans la pièce, si je puis dire - ni plus, ni moins.

Les débats sur l'inscription dans la loi du consentement souffrent en effet souvent de discours excessifs, voire erronés. Certains voudraient laisser à penser que les droits de la défense seront demain bafoués, ou tout du moins négligés face à la parole de plaignantes. D'autres, à l'inverse, alertent quant à l'émergence d'une société qui contractualiserait les rapports sexuels, en forçant chacun à recueillir le consentement formel de son partenaire à chaque étape de l'acte charnel.

Si ces craintes traduisent des préoccupations légitimes, elles n'apparaissent pas fondées en l'espèce.

Dès avant le dépôt de cette proposition de loi, nous nous sommes attachées, avec Dominique Vérien, à examiner sereinement les enjeux juridiques que soulèverait l'inscription du consentement dans la loi, notamment lors du colloque organisé à ce sujet en novembre dernier par la délégation du Sénat aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Nous craignions en effet qu'une telle évolution n'entraîne des effets pervers pour les plaignantes, pour les accusés et, disons-le, pour la société dans son ensemble. Tous les travaux que nous avons conduits depuis lors nous ont rassurées. Plus encore, ils nous ont convaincues qu'une telle modification


serait bienvenue, tant pour améliorer la lutte contre les violences sexuelles que pour conformer notre législation à nos engagements internationaux en général, et à la convention d'Istanbul en particulier.

Cette conviction repose sur plusieurs éléments.

Contrairement à ce que certains peuvent penser, le consentement n'est en rien une nouveauté pour le juge pénal. Cette notion apparaît même dans l'arrêt Dubas rendu par la Cour de cassation en 1857, qui fonde, encore aujourd'hui, notre définition du viol.

Permettez-moi de citer longuement l'attendu de principe de cet arrêt, car il est éloquent : « Le crime de viol consiste dans le fait d'abuser une personne contre sa volonté, soit que le défaut de consentement résulte de la violence physique ou morale exercée à son égard, soit qu'il résulte de tout autre moyen de contrainte ou de surprise pour atteindre, en dehors de la volonté de la victime, le but que se propose l'auteur de l'action ».

Il y a déjà dans cette formule tout l'esprit de la proposition de loi que nous examinons ce matin et l'essentiel de la lettre du droit en vigueur.

La seule chose qui manque à cet attendu de principe, c'est la notion de menace, puisque cette dernière n'est apparue qu'avec le nouveau code pénal en 1994.

On pourrait considérer qu'il y a une autre différence, puisque la notion de consentement apparaît dans cette définition prétorienne, mais n'a pas été reprise par le législateur en 1980. Ce serait cependant une erreur, car si cette notion est absente du code pénal, elle est bien présente dans les enquêtes et dans la jurisprudence. Sinon, tout est déjà là, dans cet attendu bientôt deux fois centenaire : la notion de consentement, la violence, la contrainte, la surprise et surtout l'articulation entre ces notions.

La proposition de loi vise donc en son article 1er à modifier la définition pénale de l'agression sexuelle - entendue dans un sens large, incluant le viol - pour y intégrer la notion de consentement, sans pour autant écarter les critères classiques de caractérisation de cette infraction que sont la violence, la menace, la surprise et la contrainte.

Ce n'est pas une révolution copernicienne, mais une clarification. Dans un avis rendu sur un précédent texte, le Conseil d'État avait d'ailleurs affirmé que la violence, la contrainte, la surprise et la menace n'étaient « qu'une manière de caractériser l'absence de consentement de la victime ».

La définition actuellement retenue repose explicitement sur cette logique. Elle n'est que confortée par l'article 1er de la proposition de loi, qui prévoit d'inscrire dans le code pénal que sont illicites tous les « actes sexuels non consentis » et qu'« il n'y a pas de consentement si l'acte à caractère sexuel est commis avec violence, contrainte, menace ou surprise, quelle que soit leur nature ».

Cette formulation permet à la fois de conserver la jurisprudence issue de l'application du droit en vigueur et de fonder le caractère strictement interprétatif de cette proposition de loi.

Il ne s'agit nullement de durcir la pénalisation des agressions sexuelles par des formules incertaines qui procéderaient à un glissement intolérable de la charge de la preuve et violeraient manifestement le principe de légalité des délits et des peines. Le Conseil d'État l'a rappelé avec force : non seulement la présomption d'innocence n'est pas remise en cause par la prise en compte explicite du consentement, mais surtout cette évolution n'enlève rien aux grands principes de notre droit pénal, qui imposent au ministère public, et à lui seul, de prouver à la fois l'élément matériel de l'infraction et son élément moral, c'est-à-dire l'intention délictuelle ou criminelle de l'auteur.

Il ne s'agit pas, non plus, de retenir une rédaction préjudiciable aux victimes, qui se trouveraient mises en demeure de prouver leur absence de consentement. Tout à l'inverse, cette rédaction signifie que, au cours des investigations, des poursuites et du procès pénal, l'enjeu sera désormais de savoir si la personne mise en cause s'est assurée, ou non, du consentement de l'autre. Cela supposera non pas un accord explicite et formalisé de tous les protagonistes, mais, comme à l'accoutumée, l'analyse d'un faisceau d'indices tenant compte de toutes les circonstances de l'espèce.

Bref, il est question non pas de bouleverser le droit, mais d'intégrer à la définition pénale de l'agression sexuelle - et donc du viol - des acquis jurisprudentiels riches d'une charge symbolique.

Nous pensons que cet objectif, que poursuivent les auteures du texte, pourra largement être atteint par cette proposition de loi. L'effort de rédaction fourni par l'Assemblée nationale en témoigne.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'Assemblée nationale s'est en effet employée à amender la proposition de loi au regard d'un avis rendu par le Conseil d'État à son sujet, pour s'assurer qu'elle se cantonne à une forme de codification de la jurisprudence actuelle.

Nous estimons, à l'issue de nos travaux, que l'avis du Conseil d'État a été intégralement suivi. En témoignent, en particulier, les précisions apportées quant à la nature du consentement exprimé par les protagonistes, qui devra être libre, éclairé, spécifique, préalable et révocable : ces qualificatifs, qui font écho au concept de dol en droit civil, ne font que reprendre la jurisprudence constante de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui exige depuis plusieurs décennies un consentement « libre et éclairé » et qui juge comme relevant du viol tout acte sexuel extorqué par des « manoeuvres dolosives ». En attestent aussi, voire surtout, les modifications apportées au texte par l'Assemblée nationale pour assurer le plein respect du principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. C'est pour ce motif que les députés ont exclu que le viol soit constitué « notamment » en cas de recours à la violence, à la contrainte, à la surprise ou à la menace : cet adverbe aurait en effet, pour reprendre les termes utilisés par le Conseil d'État, été « de nature à dépasser une portée interprétative et à [introduire] une indétermination quant à la définition d'autres circonstances de fait potentielles ».

L'analyse de ce texte, éclairée tant par la lecture de cet avis que par les nombreuses auditions que nous avons réalisées en un temps contraint, nous a donc convaincues du bien-fondé de l'inscription du consentement dans la définition du viol et des autres agressions sexuelles.

Cette nouvelle rédaction présente en effet trois avantages majeurs.

En premier lieu, elle apparaît à la fois pédagogique et symbolique. La mention expresse du consentement dans la définition de l'agression sexuelle participera, nous l'espérons, à l'émergence d'une approche partagée des rapports intimes et rappellera, en des termes lisibles pour les justiciables, que tout acte sexuel doit être consenti. Ce rappel ne sera pas un luxe : le nombre de victimes de violences sexuelles est en effet estimé, au minimum, à 230 000 par an, ce chiffre restant désespérément stable au fil des années.

En deuxième lieu, ce texte constitue un apport opérationnel, dans la mesure où il permettra d'orienter les enquêtes et les débats sur le comportement de l'auteur - et non plus sur celui de la victime, comme c'est hélas ! bien trop souvent le cas aujourd'hui. Nous espérons, comme nombre des personnes que nous avons auditionnées, que cette orientation nouvelle permettra une meilleure répression des violences sexuelles, qui font aujourd'hui l'objet d'un taux de classement sans suite particulièrement élevé et qui ne donnent lieu qu'à environ 8 000 condamnations par an, ce qui montre que la justice ne parvient à se saisir que d'une infime minorité des viols et des agressions sexuelles perpétrés dans notre pays.

En troisième et dernier lieu, cette proposition de loi est robuste du point de vue juridique, car elle repose sur une démarche interprétative. Il est ainsi fait expressément mention des quatre critères classiques, qui demeureront les seuls éléments desquels pourra être mécaniquement déduite l'absence de consentement.

Pour toutes ces raisons, nous avons largement adhéré au dispositif transmis par l'Assemblée nationale. Nous ne vous proposerons de le modifier que sur deux points techniques, sur lesquels je reviendrai à la fin de cette intervention.

Si l'article 1er contient plusieurs dispositions de coordination qui n'appellent pas de commentaire, il procède aussi à une modification plus délicate qu'elle n'en a l'air.

Cet article vise en effet à préciser explicitement à l'article 222-23 du code pénal, qui traite du viol, que les actes bucco-anaux constituent aussi un tel crime. Un désaccord s'est élevé entre les auteures du texte et le Conseil d'État sur la nature de cet ajout, les députées considérant qu'il s'agissait - ici encore - d'une précision interprétative, tandis que le Conseil estime qu'une telle modification constitue une loi pénale plus sévère, soumise au principe de la non-rétroactivité in mitius.

Pour notre part, nous estimons que la prise en compte des actes bucco-anaux dans la définition du viol correspond bien à l'intention du législateur, exprimée clairement et sans ambiguïté au cours des travaux parlementaires sur la loi du 21 avril 2021. Or, force est de constater que cette intention n'a pas été littéralement traduite dans le code, conduisant les praticiens à poursuivre de tels actes sur le fondement des dispositions relatives à l'agression sexuelle. De facto, leur intégration au champ matériel du viol constituera une aggravation de la répression, ce qui ne permettra de criminaliser les actes bucco-anaux que pour l'avenir.

Enfin, la proposition de loi comporte deux demandes de rapport partiellement redondantes en ses articles 2 et 3, que nous vous proposerons de supprimer, suivant la position constante de la commission en la matière.

Mes chers collègues, vous l'aurez constaté, la proposition de loi n'entraîne pas une évolution majeure de notre droit. Elle intègre au code pénal une définition de l'agression sexuelle déjà admise par nos juges pour accompagner l'évolution bienvenue de notre société en matière de lutte contre les violences sexuelles.

Nous vous proposerons donc d'adopter ce texte, après y avoir apporté quelques légères modifications qui en garantissent la sécurité juridique et la pleine effectivité.

D'une part, l'article 1er de la proposition de loi dispose en son cinquième alinéa que le consentement « est apprécié au regard des circonstances environnantes ». Nous vous proposerons de substituer le mot de « contexte » à l'expression des « circonstances environnantes », empruntée à la convention d'Istanbul, mais inconnue du droit pénal français et susceptible de donner lieu à des interprétations extensives, contrairement au « contexte », qui est, lui, bien connu du juge pénal français.

D'autre part, l'intégration des actes bucco-anaux à la définition générale du viol exige de procéder à des coordinations au sein des articles spécifiques aux mineurs, faute de quoi ces derniers se trouveraient dans une situation moins favorable sur le plan juridique que les victimes majeures. Nous vous proposerons dès lors un amendement de mise en cohérence pour prévenir toute divergence malheureuse au sein du code pénal.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Merci pour votre rapport, car ce texte est technique et complexe à aborder. Or vous avez travaillé dans un temps particulièrement réduit.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ce texte ayant été adopté le 1er avril dernier par l'Assemblée nationale, pourquoi ne l'examinons-nous que maintenant et devons-nous travailler dans des délais contraints ? Nous n'avons pas pu assister à toutes les auditions organisées la semaine dernière, dans la mesure où était débattue en séance publique la proposition de loi visant à réformer le mode d'élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille.

Je remercie les rapporteures de leur travail sur ce sujet complexe. Cette proposition de loi illustre parfaitement la qualité du travail parlementaire en ce qu'elle émane des conclusions d'une mission transpartisane à l'Assemblée nationale, qui a duré un an, puis a fait l'objet d'une saisine du Conseil d'État.

La question de l'introduction du consentement dans la définition pénale du viol fait partie du débat public depuis un certain temps, ce qui n'est pas de nature à simplifier notre approche. Il ne s'agit pas de s'en tenir à l'évidence d'inscrire la notion de consentement dans la définition pénale du viol. En effet, les associations féministes sont partagées sur ce sujet : certaines y sont totalement favorables tandis que d'autres soulignent que cela contribuerait à mettre le projecteur sur la victime, ce qui ne serait pas admissible. À ces dernières, je répondrai que le projecteur est toujours mis sur la victime et que la question du consentement, lors du procès, fait toujours l'objet de débats. Même dans l'affaire Pelicot, certains avocats ont plaidé le consentement. Le consentement de la victime est l'éléphant au milieu de la pièce, pour reprendre l'image d'Elsa Schalck.

Certes, la jurisprudence ne doit pas être réduite à néant. Mais tel n'est pas le cas avec la rédaction retenue par l'Assemblée nationale, qui pose le principe du consentement et précise qu'il n'y a pas de consentement en cas de contrainte, de violence, de menace ou de surprise. Le texte proposé nous semble donc bien conçu d'un point de vue juridique.

On peut cependant s'interroger sur la portée réelle du texte. Je ne suis pas convaincue de sa vertu pédagogique, mais les dispositions proposées peuvent être importantes pour les services de police ou pour les autorités de poursuite. J'avais d'ailleurs suggéré à un ancien garde des sceaux de faire une circulaire sur les agressions sexuelles.

La question de l'application dans le temps est aussi un sujet. La notion de loi interprétative est très intéressante : si les dispositions de la loi sont considérées comme interprétatives par la Cour de cassation, elles seront d'application immédiate, permettant qu'elles soient mises en oeuvre pour des faits antérieurs à l'entrée en vigueur du texte. Peut-être déposerons-nous des amendements pour dépasser le critère de loi interprétative.

Enfin, je connais l'habitude de notre commission de refuser, par principe, les rapports. Pour autant, la démarche d'évaluation est intéressante ; nous pourrions prévoir que le Parlement procède à cette évaluation, car nous ne savons pas précisément quelle sera la portée de ce texte.

Vous l'aurez compris, nous sommes globalement favorables à cette proposition de loi et déposerons vraisemblablement des amendements en vue de la séance publique.

Mme Mélanie Vogel. - Je remercie les deux rapporteures, qui ont oeuvré dans un temps contraint.

Permettez-moi de pointer les éléments avancés à l'encontre de la proposition d'intégrer le consentement dans la définition pénale du viol. La position de certaines féministes était tout à fait légitime, soulignant quatre risques : la contractualisation des rapports sexuels ; le renversement de la charge de la preuve - le ministère public gardera la charge de démontrer la culpabilité de la personne mise en cause - ; une focalisation excessive sur la victime - les pays européens ayant modifié leur code pénal pour le mettre en conformité avec la convention d'Istanbul ne mentionnent pas un tel état de fait - ; une non-prise en compte de la jurisprudence sur les quatre critères que sont la contrainte, la menace, la surprise ou la violence. Or l'Assemblée nationale et nos rapporteures ont intelligemment pris en considération ces différentes critiques et la rédaction qui nous est proposée est de nature à répondre à ces craintes.

Je serai plus nuancée que notre collègue Marie-Pierre de La Gontrie sur la portée de ce texte. J'estime qu'il présente un intérêt judiciaire dans la mesure où les services de police auront une base légale pour s'assurer du consentement de la victime. Lors de l'affaire Pelicot, on a certes beaucoup parlé du consentement, mais dans certains procès, on considère que l'absence de réaction de la victime prouve son consentement.

Pour ma part, je crois à la portée performative et éducative de la loi. Lorsque la Suède a modifié la définition pénale du viol, les juges et les policiers avaient intégré cette notion avant même que la loi ne soit promulguée. Les dispositions introduites dans la loi par le Parlement participent à modifier petit à petit les mentalités. Passer progressivement à une culture du consentement, une notion clé qui fait la distinction entre ce qui relève de la sexualité et ce qui relève de la violence, permettra non seulement de mieux criminaliser les viols, mais également de diminuer leur nombre. Le groupe GEST votera ce texte et ne déposera pas d'amendements en vue de la séance publique.

Mme Marie Mercier. - Concernant l'inscription du consentement dans la définition du viol, j'ai été marquée par l'audition des avocats de Gisèle Pelicot. Nous avons alors compris ce qu'est la soumission chimique, que les médecins n'ont pas appris à diagnostiquer. Entendre l'auteur d'un viol

dire que dès lors qu'il y avait consentement du mari il y avait consentement de la victime fut particulièrement choquant. On parle de consentement, mais je m'interroge sur le discernement même de cette personne.

Mme Elsa Schalck, rapporteure. - Les auditions ont corroboré nos positions, notamment sur le renversement de la charge de la preuve. Le parquet reste l'autorité poursuivante. Nous sommes encore dans la culture de la « bonne victime », celle qui, violentée, se débat. Une des vertus du texte est d'encourager une autre vision. Nous nous intéresserons davantage à l'auteur pour voir ce qu'il a fait pour recueillir le consentement de la victime.

La mission d'information de l'Assemblée nationale a duré plus de quatorze mois. L'avis du Conseil d'État nous a beaucoup rassurées : le cadre juridique est bien posé pour faire entrer la notion de consentement dans la définition pénale du viol et définir correctement le consentement - libre et éclairé, révocable, préalable et spécifique.

Nous devons rester sur une loi interprétative, qui repose donc sur la conservation des acquis jurisprudentiels. Je pense aux quatre adminicules mentionnés : menace, contrainte, violence et surprise. Une grande partie des procès est déjà centrée sur la notion de consentement. Nous ne faisons qu'inscrire dans la loi une politique jurisprudentielle vieille de près de deux siècles.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Cette inscription permet une égalité de tous devant la loi. Les juges appliquent la loi, mais n'adoptent pas tous systématiquement la même jurisprudence.

À mes yeux, la phrase la plus importante du texte est la suivante : « [Le consentement] ne peut être déduit du seul silence ou de la seule absence de réaction de la victime ». Il ne sera plus possible de dire qu'il n'y pas viol au seul motif que la victime n'avait pas dit non.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Concernant le périmètre de cette proposition de loi, en application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre inclut les dispositions relatives à la définition pénale du viol et des autres agressions sexuelles.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Elsa Schalck, rapporteure. - L'amendement  COM-5 vise à remplacer les mots « circonstances environnantes » par le mot « contexte », terme connu de notre jurisprudence pénale.

L'amendement COM-5 est adopté.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement  COM-6 permet la prise en compte des actes bucco-anaux dans la définition du viol pour les mineurs.

L'amendement COM-6 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 1er

Mme Elsa Schalck, rapporteure. - L'amendement  COM-1 vise à ajouter une circonstance aggravante en cas de vulnérabilité chimique de la victime. La soumission chimique est déjà réprimée par notre droit depuis plusieurs années.

Par ailleurs, des difficultés de fond se posent. Les auditions n'ont pas permis d'évoquer cette question, extrêmement importante. L'Assemblée nationale non plus n'a pas étudié la question. Il faudra y revenir plus tard, pour renforcer notre arsenal juridique. Un travail important nous attend. Avis défavorable.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je ne sais pas si nous avons raison de reporter cette réflexion, extraordinairement compliquée.

Nous avons déjà progressé en matière de répression, en introduisant une circonstance aggravante pour l'auteur. La question est de savoir si cette dernière doit également s'appliquer à la victime. La question est aussi complexe qu'importante et il nous faut l'examiner de près. Nous avons encore une semaine devant nous : ne ratons pas une occasion de traiter cet enjeu.

Mme Sophie Briante Guillemont. - Les deux amendements de Mme Guillotin sont issus du rapport réalisé avec Sandrine Josso. C'est le résultat d'un travail important. Tous, nous savons l'importance du sujet, et l'actualité politique nous invite à l'examiner. Pourquoi repousser la question ?

Mme Elsa Schalck, rapporteure. - La question est très importante, mais aussi très complexe. Or, l'amendement priverait les magistrats d'une part de leur liberté d'appréciation. La loi pénale est d'interprétation stricte. L'appréciation au cas par cas par le juge du fond reste le meilleur moyen de procéder, notamment au regard des termes « ivresse » et « emprise de stupéfiants » qui sont utilisés par l'amendement sans être précisément définis. Cela nécessite une expertise approfondie.

Cet amendement soulève par ailleurs des difficultés rédactionnelles et ni nos travaux ni ceux de l'Assemblée nationale n'ont porté sur cette question.

M. Francis Szpiner. - Si l'on dit qu'il y a des vices du consentement, il faudra les détailler. L'inconvénient est que nous allons en oublier, permettant à certains de s'en sortir.

La soumission chimique est l'administration par l'auteur de l'agression de substances qui font perdre la liberté de donner un consentement libre, comme le dit le Conseil d'État. En voulant être plus spécifiques, nous allons réduire cette définition, ce qui sera dangereux.

Il est vrai que tous les juges n'appliquaient pas la jurisprudence, et que la notion de « contrainte » posait problème. La notion de consentement « libre et éclairé » suffit à établir qu'une victime de soumission chimique n'a pas pu consentir. Il en va de même pour la personne vulnérable.

Je préfère des dispositions autorisant une interprétation large plutôt que de proposer des définitions qui seront en fait plus restrictives pour la liberté du juge et iront à l'encontre de l'objectif poursuivi.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - L'amendement  COM-3 déposé par Olivia Richard vise à supprimer la circonstance aggravante de minorité en cas de recours à la prostitution ; l'objectif poursuivi est de garantir la poursuite pour viol de tous les clients de personnes prostituées de moins de quinze ans puisque, depuis la loi du 21 avril 2021, tout acte sexuel entre un majeur et un mineur de quinze ans est un viol. Ce principe est codifié à l'article 222-23-1 du code pénal.

Cet amendement soulève une question particulièrement technique, en dépit du fait que nous comprenons sa philosophie sur le fond.

Le dernier alinéa de l'article 225-12-2 du code pénal semble en effet contrevenir à l'une des principales mesures de la loi du 21 avril 2021, qui criminalise toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur de moins de quinze ans. Or, l'alinéa dont la suppression est proposée prévoit que le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir des relations sexuelles tarifées de la part d'un mineur de quinze ans constitue une circonstance aggravante du délit de recours à la prostitution.

Il y aurait donc une contradiction dans notre droit : la prostitution de mineurs serait délictuelle, et les rapports sexuels avec des mineurs, criminels.

Cette interprétation ne nous semble pas fondée.

L'alinéa en cause commence par une formule significative : « Hors les cas dans lesquels ces faits constituent un viol ou une agression sexuelle, [...] ».

La circonstance aggravante qu'il est proposé de supprimer s'applique donc exclusivement dans des cas qui ne sont pas couverts par l'article 222-23-1 du code pénal, référence à la loi Billon qui veut que toute relation sexuelle avec un mineur de moins de quinze ans soit un viol.

Vous proposez donc de supprimer une aggravation pleinement applicable aux faits qui concernent un auteur mineur ou un accusé majeur qui aurait sollicité ou accepté une relation tarifée avec un mineur de quinze ans sans qu'elle ait eu lieu. En d'autres termes, l'adoption de cet amendement fragiliserait la protection des mineurs victimes de violences sexuelles.

Les juges n'ont pas encore totalement intégré le fait que, dans le cadre de la prostitution, quand le client est un majeur et la prostituée une mineure de quinze ans, cela constitue un viol. Une circulaire de politique pénale serait plus efficace pour atteindre l'objectif poursuivi que de changer la loi.

Nous émettons donc un avis défavorable à cet amendement.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Là aussi, nous éludons cette question au motif que la question est technique.

Soyons clairs dans notre raisonnement. Si nous considérons qu'un viol sur un mineur est criminel, il faut que le dire clairement dans le texte.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Cela est ainsi rédigé dans le code pénal ! Nous avons sollicité la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) sur cette question, qui partage notre analyse.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous devrions examiner, notamment avec les associations, la réalité de la pratique du droit. Ne fermons pas la porte en vue de la séance.

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Cet amendement vient de la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof), qui pensait que la loi était mal écrite et donc mal appliquée. La DACG indique, elle, que la loi est correctement écrite, mais mal appliquée.

En supprimant cet alinéa, nous nous priverons de la possibilité de poursuivre un client mineur qui aurait une relation sexuelle avec une mineure, ainsi que de poursuivre les majeurs qui auraient sollicité un acte sexuel d'un mineur prostitué sans qu'il n'ait lieu.

L'analyse de la Miprof n'est pas juste, d'où mon appel à une circulaire de politique pénale visant à expliciter les modalités d'application de la loi Billon en matière de prostitution de mineurs.

Mme Olivia Richard. - La Miprof nous a alertés sur l'exploitation sexuelle des mineurs, notamment au sein de l'aide sociale à l'enfance (ASE) : entre 8 000 à 10 000 enfants seraient concernés en France. Il y a très peu de poursuites pour viol sur le fondement de la loi Billon de 2021 ; c'est un problème. Il est urgent d'avoir une réaction pénale adaptée. C'est un amendement d'appel. Pour l'instant, la loi Billon n'est pas appliquée. Nous en reparlerons la semaine prochaine. En attendant, je vous remercie pour ce travail très éclairant.

M. Francis Szpiner. - J'ai été l'avocat de l'association La voix de l'enfant. Nous nous sommes battus pour dire que le mineur de moins de quinze ans ne peut consentir : il n'y a plus de débat ! Le majeur qui a une relation sexuelle avec un mineur de moins de quinze ans commet un viol ! Le texte général permet la répression. À force de trop légiférer, on finira par créer trois textes pour une même situation.

L'amendement COM-3 n'est pas adopté.

Mme Elsa Schalck, rapporteure. - L'amendement  COM-2 prévoit la levée du secret médical lorsqu'un professionnel de santé s'aperçoit que son patient ou sa patiente fait l'objet d'une soumission chimique.

Là encore, en dépit de la légitimité de ses objectifs, l'amendement soulève des difficultés réelles.

La première difficulté est relevée par les autrices du rapport elles-mêmes : elles constatent en effet que cette innovation poserait la question de la responsabilité du médecin ou du professionnel de santé concerné dans le cas où celui-ci ne ferait pas de signalement.

La deuxième difficulté tient à l'articulation avec les dispositions existantes de l'article 226-14 du code pénal, qui prévoient notamment la levée du secret médical en cas « de placement, de maintien ou d'abus frauduleux d'une personne dans un état de sujétion psychologique ou physique », une telle sujétion pouvant en toute logique découler de l'administration de substances chimiques. En d'autres termes, il n'est pas acquis que l'amendement ne soit pas déjà satisfait. Évitons de créer un doublon, et donc des difficultés d'articulation, au sein du code pénal.

La troisième difficulté concerne la rédaction proposée. En effet, le renvoi à l'article 222-30-1 du code pénal peut avoir pour effet de ne couvrir que les cas dans lesquels la substance en question est administrée en vue de commettre des violences sexuelles, ce que le médecin ne peut, par définition, pas savoir. Plus largement, la formulation est perfectible. En l'état, on pourrait penser que c'est le médecin qui a administré une substance à l'insu de son patient. La commission demande, comme pour l'amendement COM-1, un travail approfondi et spécifique pour éviter tout effet de bord contre-productif. Avis défavorable.

L'amendement COM-2 n'est pas adopté.

Article 2 (nouveau)

Mme Elsa Schalck, rapporteure. - L'amendement  COM-7 vise à supprimer l'article.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Que pensez-vous de ma suggestion de prévoir une évaluation par le Parlement ?

Mme Dominique Vérien, rapporteure. - Il est difficile d'obtenir de bonnes statistiques auprès du ministère de la justice. Madame la présidente a réclamé elle-même des chiffres lors de l'audition du garde des sceaux. Nous n'avons pas de chiffres, cela est invraisemblable, j'en conviens.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Je suis toujours favorable à une évaluation réalisée par le Parlement. Mais il n'est pas nécessaire de le prévoir dans la loi.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Un engagement de votre part serait formidable, Madame la présidente... Mme Muriel Jourda, présidente. - Je ne suis pas sûre qu'une telle continuité existe, mais je suis, pour ma part, favorable à votre demande, sous réserve que nous obtenions des statistiques.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Dans ce cas-là, n'évaluons pas...

M. Francis Szpiner. - J'ai déjà eu à demander des chiffres à la DACG : j'ai été scandalisé par le fait qu'ils soient incapables de nous les transmettre ! Il est scandaleux qu'il n'existe pas d'outil statistique.

Oui, évaluer fait partie des prérogatives du Parlement, mais si nous l'inscrivons dans la loi, comme le demande Mme de La Gontrie, nous aurons un support pour faire pression sur la Chancellerie.

On nous parle d'informatique et d'intelligence artificielle, et nous sommes incapables d'avoir des statistiques utiles. Nous menons trop peu d'évaluations ! Pour supprimer des normes et remédier à l'inflation législative, il faut évaluer.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Vous avez raison, certes, mais inscrire dans la loi une telle évaluation n'aidera pas le ministère à s'équiper correctement.

L'amendement COM-7 est adopté.

L'article 2 est supprimé.

Article 3 (nouveau)

L'amendement de suppression COM-8 est adopté.

L'article 3 est supprimé.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

Mmes SCHALCK et VERIEN, rapporteures

5

Prise en compte du contexte d'expression du consentement

Adopté

Mme SCHALCK et Mme VERIEN, rapporteures

6

Coordination

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 1er

Mme GUILLOTIN

1 rect.

Circonstance aggravante en cas de vulnérabilité chimique de la victime

Rejeté

Mme Olivia RICHARD

3

Suppression de la circonstance aggravante de minorité en matière de prostitution 

Rejeté

Mme GUILLOTIN

2 rect.

Levée du secret médical en cas de soumission chimique

Rejeté

Article 2 (nouveau)

Mmes SCHALCK et VERIEN, rapporteures

7

Suppression de l'article 

Adopté

Article 3 (nouveau)

Mmes SCHALCK et VERIEN, rapporteures

8

Suppression de l'article 

Adopté

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