III. ALORS QU'IL EST CONFRONTÉ À UNE IMPASSE BUDGÉTAIRE, DE FAÇON INCOMPRÉHENSIBLE, LE CÉRÉMA SEMBLE ÊTRE PUNI D'AVOIR ÉTÉ UN « BON ÉLÈVE »

Le Centre d'études et d'expertise pour les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) est un établissement public administratif qui résulte de la fusion au 1er janvier 2014 de onze services de l'État. L'action 11 « Études et expertises en matière de développement durable » du programme 159 porte les crédits de la subvention pour charges de service public de cet opérateur.

Dans un rapport d'information qu'il a présenté en juillet 202522(*), tout en soulignant que l'établissement constituait un outil d'expertise technique indispensable à l'État et aux collectivités à l'heure où l'approche de l'aménagement du territoire était révolutionnée par les conséquences des dérèglements climatiques, le rapporteur a mis en évidence l'impasse financière manifeste dans laquelle se trouve aujourd'hui le Cerema.

A. EN L'ÉTAT ACTUEL, « L'ARRÊT DE MORT » FINANCIER DU CEREMA EST PROGRAMMÉ POUR LE DÉBUT DE L'ANNÉE 2027

1. En baissant une nouvelle fois sa subvention pour charges de service public, l'État accélère la faillite annoncée du Cerema

Pour 2026, le présent projet de loi de finances prévoit une nouvelle diminution de 4,3 millions d'euros de la subvention pour charges de service public effectivement versée au Cerema sur les crédits du programme 159. Cette nouvelle baisse vient prolonger une tendance quasiment constante depuis la création de l'opérateur en 2014 et relancée en 2025 après deux années de répit qui avaient par ailleurs été marquées par des mesures extérieures à l'établissement aux conséquences fortement inflationnistes sur sa masse salariale sans qu'il n'ait aucune marge de manoeuvre sur celles-ci. Ainsi, depuis la naissance du Cerema, sa dotation annuelle aura-t-elle été diminuée de 41 millions d'euros, soit 18 %.

Évolution de la subvention pour charges de service public
effectivement versée au Cerema depuis sa création

(en milliers d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Depuis la création du Cerema, ses tutelles l'on fortement incité à développer ses ressources propres, provenant principalement de contrats conclus avec des collectivités locales, pour compenser la réduction continue de sa subvention pour charges de service public et, plus récemment, pour absorber la hausse de ses charges de personnel. Leur montant a globalement doublé depuis 2018, passant de 30 à 60 millions d'euros par an. Toutefois, cette manne ne semble pas intarissable et la contrainte budgétaire qui s'applique aux collectivités de même que les élections municipales devraient conduire à une stagnation de ces ressources en 2026.

Si la lecture des grands équilibres budgétaires du Cerema a été compliquée ces dernières années par les flux financiers, décalés dans le temps, en recettes comme en dépenses, liés à la participation de l'établissement à certains grands programmes nationaux, il apparaît que le solde budgétaire structurel du Cerema s'est nettement dégradé depuis 2022 en raison, d'une part, de la baisse de sa SCSP et, d'autre part, du dynamisme de ses charges de personnel et de ses autres dépenses de fonctionnement. Dans son rapport d'information précité, le rapporteur avait évalué à environ 20 millions d'euros le déficit structurel de l'opérateur. Il avait alors fait le constat d'un modèle financier en péril.

La contrainte budgétaire extrêmement forte résultant de la loi de finances pour 2025, principalement en raison de la conjugaison d'une baisse sensible de la subvention annuelle qui lui est versée et de l'effet inflationniste sur sa masse salariale de mesures externes, a rendu impératif la mise en oeuvre d'un plan de retour à l'équilibre. Ce plan d'économies vise tout particulièrement les frais de déplacements, l'événementiel, la formation des agents, les stagiaires, les études numériques, le renouvellement de la flotte de véhicules, les grands équipements techniques et scientifiques ainsi que le budget courant des différentes directions de l'établissement. Il passe aussi par un gel du programme de repyramidage des effectifs de l'opérateur, un phénomène qui accompagne une réforme du positionnement du Cerema visant à concentrer ses activités sur l'expertise technique de haut niveau.

Pour le seul exercice 2025, ce plan, actualisé en octobre dernier, prévoit une baisse des dépenses effectives de l'opérateur de 13,8 millions d'euros portant en premier lieu sur ses charges de personnel.

Décomposition en crédits de paiement (CP) des économies
prévues dans le cadre du plan de retour à l'équilibre du Cerema

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur

Principalement grâce aux efforts de maîtrise rigoureuse de ses dépenses, le Cerema devrait même parvenir à améliorer en 2025 le déficit budgétaire qui était prévu dans son budget initial de 17,4 millions d'euros. Il devrait néanmoins afficher un solde déficitaire de 34,8 millions d'euros au terme de cet exercice.

Entre 2020 et 2023, le niveau global de la trésorerie de l'établissement s'est sensiblement accru en raison des programmes d'intervention qu'il a été conduit à piloter, notamment dans le cadre du plan de relance. Dans la mesure où le Cerema ne dispose pas de cette trésorerie fléchée qui devra in fine être redistribuée aux bénéficiaires finaux des programmes concernés, il est essentiel de suivre le niveau de la trésorerie non fléchée, c'est-à-dire structurelle, de l'établissement. Or, cette trésorerie non fléchée ne représentait déjà plus que 19,9 millions d'euros à la fin de l'année 2024, soit tout juste le seuil prudentiel exigé par la circulaire du Premier ministre datée du 23 avril 2025, c'est-à-dire la garantie d'un mois de fonctionnement courant. À la fin de l'année 2025, le niveau de trésorerie non fléchée du Cerema passera largement sous ce seuil prudentiel puisqu'il ne devrait plus représenter que 5,5 millions d'euros. À partir de 2026, ce niveau de trésorerie non fléchée basculera en territoire négatif. Cela signifie qu'à compter de l'année prochaine, le Cerema financera ses dépenses courantes en puisant dans des fonds qui ne lui appartiennent pas puisqu'il est tenu de les reverser à des tiers dans le cadre de programmes d'intervention.

Véritable « fuite en avant financière », ce phénomène de « cavalerie budgétaire » avait dû être entériné par le conseil d'administration de l'établissement lors de l'adoption du budget initial pour 2025. Par la force des choses, l'adoption du budget pour 2026 viendra elle aussi confirmer cette situation aux antipodes de toutes les règles les plus élémentaires de bonne gestion financière, tout particulièrement s'agissant de deniers publics. Le rapporteur s'étonne que l'État puisse délibérément cautionner un tel système qu'il décide même d'aggraver en imposant au Cerema une nouvelle réduction sensible de sa subvention pour charges de service public.

Les trajectoires financières prévisionnelles du Cerema s'avèrent extrêmement préoccupantes. Dans les conditions actuelles, elles démontrent que dès les premiers mois de l'année 2027, le Cerema serait en situation de cessation de paiements puisque sa trésorerie tomberait en territoire négatif. Le rapporteur observe ainsi que, toutes choses égales par ailleurs, « l'arrêt de mort » financier du Cerema est ainsi programmé dans un peu plus d'un an. Certes les prévisions actuelles semblent indiquer que l'établissement pourrait tant bien que mal « vivre » sur sa trésorerie fléchée en 2026 et attendre une « bouée de sauvetage » à l'horizon 2027, cependant, le rapporteur note que ce faisant, l'État prend un risque significatif dans l'hypothèse où des évènements imprévus conduiraient à accélérer la survenance du « moment fatidique ».

Évolution prévisionnelle de la trésorerie du Cerema

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du Cerema au questionnaire du rapporteur

2. Depuis sa création, les moyens humains du Cerema ont fondu de plus de 20 %

Depuis sa création et jusqu'en 2023, les effectifs du Cerema avaient baissé de façon rapide et constante. Le plafond d'emplois de l'opérateur avait ainsi diminué de 22 % passant de 3 152 ETPT à 2 495 ETPT.

Évolution du plafond d'emplois du Cerema (2015-2026)

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire

Les effectifs du Cerema avaient fini par être stabilisés en 2023. Notamment à l'initiative d'un amendement déposé par le rapporteur, la loi de finances initiale pour 2024 avait prévu une augmentation de 25 ETP des effectifs de l'opérateur. Cependant, au cours de l'exercice, l'établissement a sur-exécuté de presque 100 % ce schéma d'emplois, augmentant ses effectifs à hauteur de 49 ETP. La loi de finances pour 2025 a prévu une nouvelle réduction des effectifs de l'opérateur à hauteur de 49 ETP, soit un retour à la situation qui prévalait en 2023. Le présent projet de loi de finances prévoit pour 2026 une nouvelle baisse des effectifs du Cerema à hauteur de 25 ETP.

Depuis sa naissance, au fil des schémas d'emplois négatifs successifs qu'il a connu, les effectifs du Cerema auront ainsi été réduits de 693 ETP.

Schémas d'emplois 2015-2026

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Sans compenser la baisse de ses emplois sous plafond, le Cerema a nettement augmenté le nombre de ses effectifs hors plafond depuis sa création. Alors qu'ils étaient au nombre de 2 ETP en 2014, ils représentaient 122 ETP en 2025. Pour 2026, le présent projet de loi de finances prévoit d'augmenter de 18 ETP, soit 140 ETP au total l'autorisation délivrée au Cerema de disposer d'effectifs hors de son plafond d'emploi.

Limite supérieur prévue pour les effectifs hors plafond du Cerema (2020-2026)

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La masse salariale du Cerema constitue l'essentiel de ses dépenses (environ 75 %). En 2026, elle devrait représenter environ 226 millions d'euros, un montant en très légère augmentation (+ 0,5 %) par rapport à l'année précédente.

Évolution des dépenses de personnel depuis 2017

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

L'ampleur de la hausse observée en 2023 s'expliquait en partie par une dépense ponctuelle. Il s'agissait d'une régularisation relative à la résorption de l'année de décalage de l'indemnité de sujétions spéciales (ISS) pour 13 millions d'euros. Un phénomène identique, mais dans une moindre proportion a concerné l'exercice 2022. En retraitant ce phénomène, la masse salariale de l'établissement aurait progressé de 7 millions d'euros entre 2022 et 2023 puis de 10 millions d'euros entre 2023 et 2024.

Les augmentations constatées en 2025 s'expliquaient principalement par l'augmentation de quatre points du CAS pensions, l'obligation de protection sociale complémentaire des agents, le phénomène de repyramidage des effectifs, l'effet GVT23(*) ou encore la réévaluation de l'enveloppe dédiée à la rémunération des emplois hors plafond.

Le Cerema considère que depuis 2019, les mesures exogènes, décidées par le Gouvernement ou le ministère de la transition écologique et non compensées, ont entraîné une inflation de ses charges de personnel d'environ 19 millions d'euros, dégradant d'autant ses équilibres financiers.

3. Un « acharnement » difficilement compréhensible si ce n'est de demander toujours plus d'efforts à un établissement qui a « osé » se réformer

Le rapporteur a du mal à comprendre la constance de l'État à faire peser une contrainte disproportionnée sur les moyens d'un établissement qui a pris le risque de se réformer.

En effet, le Cerema a largement su faire ce que l'État n'est jamais parvenu à réaliser pour son propre compte, à savoir l'inventaire détaillé de l'ensemble de ses missions ainsi que l'évaluation de la plus-value de chacune d'entre-elles. Á l'issue de ce travail, le Cerema a renoncé, non sans mal en raison des réticences très fortes exprimées notamment par les directions d'administration centrales concernées, à une part significative de ses activités, soit parce qu'elles pouvaient tout aussi bien être réalisées par le secteur privé, soit encore parce qu'un autre acteur public les assumait déjà de manière plus performante. À la faveur de cette réforme structurelle, de laquelle beaucoup d'opérateurs et l'État lui-même seraient avisés de s'inspirer, le Cerema a pu absorber en cinq ans une réduction de 20 % de ses effectifs et de sa subvention pour charges de service public tout en augmentant son volume d'activité de 10 %.

Le rapporteur estime donc qu'il est tout à fait paradoxal d'imposer des efforts si lourds, de manière si systématique, à un établissement qui, de l'avis de tous, a mené à bien une réforme structurelle si ambitieuse et exemplaire, des efforts si lourds qu'ils le contraignent à adopter un système de survie mortifère relevant de la « cavalerie budgétaire » et le conduisent droit dans un mur.

Le message adressé aux gestionnaires publics, notamment d'opérateurs, semble particulièrement contre-productif. Il ressemble à une forme de punition des « bons élèves » qui, puisqu'ils sont parvenus à se réformer une fois, doivent continuer à concentrer les efforts quand d'autres sont ménagés. Cette prime à l'immobilisme est proprement incompréhensible.


* 22 Le Cerema, bras armé de l'État pour l'ingénierie publique et les infrastructures, en manque de fondations financières stables, rapport d'information n° 835 (2024-2025) fait au nom de la commission des finances par M. Vincent Capo-Canellas, juillet 2025.

* 23 Glissement, vieillesse, technicité.

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