II. LA POURSUITE DE LA CONTRIBUTION DES SOCIÉTÉS D'AUDIOVISUEL PUBLIC AUX EFFORTS DE REDRESSEMENT DES FINANCES PUBLIQUES

A. DES ÉCONOMIES SUBSTANTIELLES DEMANDÉES PAR LE PARLEMENT EN 2025

Le projet de loi de finances pour 2025 prévoyait que les sociétés de l'audiovisuel public bénéficient en 2025 d'un montant de 4,029 milliards d'euros.

Considérant qu'une baisse des crédits de l'audiovisuel public était légitime afin d'assurer leur participation à l'assainissement de la situation budgétaire nationale, le Sénat a adopté un amendement de réduction des crédits de 80 millions d'euros par rapport au montant figurant initialement sur la mission « Audiovisuel public ». Cet amendement a été conservé dans le texte issu de la commission mixte paritaire et le montant total accordé aux sociétés d'audiovisuel public en LFI pour 2025 était donc de 3,949 milliards d'euros.

Cette réduction de 80 millions d'euros se décomposait en :

- une baisse de 30 millions d'euros sur le programme 848 correspondant à la suppression du programme de transformation ;

- une diminution des crédits de France Télévisions à hauteur de 43 millions d'euros ;

- une diminution des crédits de Radio France à hauteur de 8 millions d'euros ;

- une augmentation des crédits de France Médias Monde de 1 million d'euros.

Économies demandées à l'audiovisuel public en LFI 2025

(en millions d'euros)

 

France Télévisions

ARTE

Radio France

France Médias Monde

INA

Crédits supprimés

- 63,2

- 2,8

- 14,1

- 1

0,8

Dont programme de transformation

- 18,2

- 2,8

- 6,1

- 2

0,8

Source : commission des finances du Sénat

B. DES ÉCONOMIES SUPPLÉMENTAIRES EN 2026 DE 70 MILLIONS D'EUROS ESSENTIELLEMENT CONCENTRÉES SUR FRANCE TÉLÉVISIONS

1. Un montant de 3,878 milliards d'euros prévus pour 2026

Le projet de loi de finances prévoit que les sociétés de l'audiovisuel public bénéficient en 2026 d'un montant de 3,878 milliards d'euros, bénéficiant pour près des deux-tiers à France Télévisions et pour 16,7 % à Radio France.

Répartition de la part du produit de TVA affectée
aux sociétés de l'audiovisuel public en 2026

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le montant prévu en 2026 serait inférieur d'1,8 % au montant accordé en 2025.

La quasi-totalité de cette diminution serait supportée par France Télévisions, qui verrait ses crédits diminuer de 65 millions d'euros, soit une baisse de 2,6 %. Radio France ne verrait son montant diminuer que de 4 millions d'euros, le reste des sociétés disposant d'un budget stable, à l'exception de l'INA (- 1,5 million d'euros, soit - 1,4 %).

Évolution des dotations accordées aux sociétés de l'audiovisuel public
depuis 2024

(en millions d'euros)

 

2025

2026 (PLF)

Écart 2025/ PLF 2026 en valeur 

Écart 2025/ PLF 2026 (en %)

France Télévisions

2 505,83

2 440,58

- 65,25

- 2,60 %

Radio France

652,13

648,03

- 4,10

- 0,63 %

ARTE France

298,11

298,11

0,00

0,00 %

France Médias Monde

303,88

303,88

0,00

0,00 %

Institut national de l'audiovisuel

104,96

103,46

- 1,50

- 1,43 %

TV5 Monde

84,24

84,24

0,00

0,00 %

Total

3 949,16

3 878,31

- 70,85

- 1,79 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Entre 2024 (en exécution) et 2026, le montant total accordé aux sociétés d'audiovisuel public aura diminué de 92 millions d'euros, soit - 2,6 %. ARTE, France Médias Monde et TV5 Monde auront vu leur dotation croître entre l'exécution 2024 et 2026.

Évolution des dotations accordées aux sociétés de l'audiovisuel public
entre 2024 et 2026

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Une partie de ces crédits découle de la compensation des effets fiscaux de la suppression de la contribution à l'audiovisuel public. Celle-ci était soumise à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) depuis 1969. Cette taxation permettait d'exonérer les opérateurs du paiement de la taxe sur les salaires. Le remplacement de la CAP par une fraction de TVA a donc eu pour conséquence d'entraîner l'assujettissement des sociétés de l'audiovisuel public concernées à la taxe sur les salaires. En conséquence, la fraction de TVA accordée inclut en retour une part supplémentaire destinée à compenser la hausse des prélèvements des entreprises, que le Gouvernement s'est engagé à compenser lors de la fixation de la trajectoire financière du secteur.

Au total, le coût de la neutralisation des effets fiscaux devrait atteindre 122 millions d'euros, soit un montant équivalent à celui prévu en 2024 (120 millions d'euros) et correspondant à 3 % de la dotation totale accordée aux sociétés de l'audiovisuel public.

2. Des moyens qui ont évolué de 160 millions d'euros en dix ans

Le montant total accordé à l'audiovisuel public depuis dix ans est en relative augmentation. Il représente 158 millions d'euros de plus qu'en 2016, soit une hausse de 4,2 % sur la période 2016-2026.

Le montant de la contribution à l'audiovisuel public avait en effet fait l'objet d'une diminution d'un euro en 2020, suivie de deux années de gel du montant de la contribution, pourtant théoriquement indexée sur l'inflation.

Cette stabilité des moyens s'inscrivait dans un contexte d'une trajectoire d'économies demandées aux sociétés de l'audiovisuel public, définie en juillet 2018 par le Gouvernement. Celle-ci prévoyait une réduction des dotations accordées de 190 millions d'euros entre 2018 et 2022.

La loi de finances pour 2019 a par ailleurs supprimé l'affectation à France Télévisions d'une part de la taxe sur les communications électroniques (TOCE). Le montant de cette fraction s'élevait à 85,5 millions d'euros en loi de finances pour 2018.

En conséquence, les montants accordés aux sociétés d'audiovisuel public avaient même diminué au cours des années précédant la crise sanitaire (- 10 millions d'euros au total entre 2016 et 2019). Ils ont en revanche augmenté de 169 millions d'euros entre 2019 et 2026.

Évolution des montants accordés à l'audiovisuel public
en loi de finances initiales depuis 2016

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Toutefois, rapportée à l'inflation, l'évolution observable depuis 2017 revient à des économies de près de 670 millions d'euros. Cela revient à une diminution en volume de 14 %.

Évolution des moyens accordés à l'audiovisuel public depuis 2018 hors inflation

(en millions d'euros et en %)

 

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

2026

Montant en valeur

3 853,20

3 816,50

3 780,50

3 711,20

3 695,60

3 796,00

4 025,20

3 949,16

3 878,31

Taux d'évolution en valeur

 

- 0,95 %

- 0,94 %

- 1,83 %

- 0,42 %

2,72 %

4,59 %

- 0,53 %

- 1,79 %

Taux d'évolution hors inflation

 

- 1,86 %

- 1,15 %

- 3,34 %

- 5,47 %

- 2,01 %

2,69 %

- 1,52 %

- 3,05 %

Montant en euros 2025

4 495,30

4 411,68

4 361,03

4 215,58

3 984,88

3 904,84

4 010,05

3 949,16

3 828,54

Source : commission des finances du Sénat

L'évolution est très variable selon les sociétés. Hors inflation, France Télévisions a absorbé 80 % de l'effort, avec une baisse de 15 % en euros 2025, soit une part supérieure à son poids dans l'ensemble des sociétés. Radio France a vu ses crédits diminuer de 50 millions d'euros en équivalent 2025, soit 10 % de l'effort global, ce qui est par contre inférieur à la proportion des financements qu'elle perçoit sur la même période. Arte et TV5 Monde ont également vu leurs crédits se réduire. En revanche, France Médias Monde et l'INA disposent de crédits stables hors inflation depuis 2019.

Évolution hors inflation des financements accordés à l'audiovisuel public entre 2019 et 2025

(en millions d'euros 2025 et en %)

 

France Télévisions

ARTE France

Radio France

France Médias Monde

Institut national de l'audiovisuel

TV5 Monde

Total

Évolution en valeur absolue

- 445,3

- 30,3

- 50,0

1,0

1,7

- 6,3

- 529,3

Variation

- 15,09 %

- 9,23 %

- 7,12 %

0,33 %

1,66 %

- 6,98 %

- 11,82 %

Source : commission des finances

Les montants présentés plus haut n'intègrent pas les efforts consentis par ailleurs par l'État pour amortir les conséquences de la crise sanitaire. Une dotation de 73 millions d'euros, prévue sur la mission « Plan de relance » a été répartie sur les exercices 2021 et 2022 (45,5 millions d'euros en 2021 et 27,5 millions d'euros en 2022).

Par ailleurs, plusieurs sociétés ont fait l'objet d'une augmentation de la dotation en capital de l'État, pour un total de 138 millions d'euros sur la période 2020-2023.

Dotations en capital accordées par l'État aux sociétés d'audiovisuel public

(en millions d'euros)

 

2020

2021

2022

2023

Total

France Télévisions

17

15,2

14,9

31,5

78,6

Radio France

17,7

18,5

15,6

6,5

58,3

France Médias Monde

       

1,6

Source : commission des finances du Sénat d'après les données transmises au rapporteur spécial

3. Des économies souhaitables en 2026 mais dont l'effort doit être calculé en fonction de la situation des entreprises
a) Un montant d'économies en 2026 qui ne doit pas dispenser les sociétés de se projeter vers davantage d'efforts au cours des années suivantes

Au-delà du cas spécifique de France Télévisions, les montants d'économies demandés aux différentes sociétés s'appuient sur des hypothèses d'efforts pluriannuels qui doivent devenir le socle des COM renégociés (cf infra).

Le ministère n'a pour l'instant communiqué d'hypothèses chiffrées que pour France Télévisions et Radio France, même si un effort des dépenses hors personnel d'au moins - 1 % à - 2 % est attendu pour toutes les sociétés d'audiovisuel public à compter de 2026. Cet effort est cependant calculé par rapport à un tendanciel de leurs charges dont les sous-jacents demeurent inconnus, et non en termes de réduction immédiate des concours publics.

Les sociétés ont toutes été invitées à la modération salariale, ce qui ne saurait étonner, dès lors que cet impératif a également été transmis à l'ensemble des ministères et opérateurs de l'État.

Ainsi, pour France Télévisions, il est demandé une réduction d'effectifs d'au moins - 180 ETP en 2026 et 2027 puis - 315 en 2028. Il est également demandé à la société de réduire de 50 à 60 millions d'euros ses investissements annuels dans les programmes audiovisuels24(*). Le ministère souligne que cela implique une révision du cahier des charges de l'entreprise ainsi qu'une dénonciation de l'accord 2025-2027 qui lie France Télévisions aux organisations représentatives du secteur.

Le ministère indique que les 65 millions d'euros d'économies demandés en 2026 nécessiteront, afin de dégager des marges à court terme, un effort complémentaire sur le coût des programmes (- 20 millions d'euros sur les programmes de flux et - 5 millions d'euros sur les programmes de sport).

Radio France devra quant à elle diminuer ses dépenses de personnel par une réduction de 61 ETP en 2026. Le ministère cible ensuite à partir de 2027 un non-remplacement sur deux. Là encore, une renégociation de l'accord collectif de l'entreprise est indispensable, conformément aux recommandations de la Cour des comptes.

Le ministère met également en avant une augmentation des recettes de France Télévisions et Radio France, d'environ 35 millions d'euros, grâce à une hausse de leurs recettes publicitaires.

Enfin, les économies demandées spécifiquement à l'INA sont sur le gain de productivité attendus des nouveaux outils numériques, en particulier le développement de l'intelligence artificielle.

L'absence de COM rend difficile une projection sur les années suivantes, d'autant plus qu'une partie des mesures d'économies envisagées par le Gouvernement supposent des évolutions structurantes pour les entreprises. En particulier, si les renégociations des accords collectifs sont tout à fait souhaitables, dans la mesure où France Télévisions et Radio France se caractérisent par un traitement avantageux accordés à leur personnel permanent, elles ne dégageront des marges de manoeuvre budgétaire qu'à moyen terme.

b) La situation particulièrement inquiétante de France Télévisions implique des efforts de maîtrise très rapides

La Cour des comptes a consacré une analyse approfondie à la situation financière, jugée très alarmante, de France Télévisions25(*). La Cour note qu'entre 2017 et 2024, le cumul des déficits d'exploitation est très important : de - 51 millions d'euros pour le groupe France Télévisions à 8376 millions d'euros pour la société anonyme.

En particulier, le déficit de France Télévisions en 2024, s'inscrit dans le cadre plus large d'une « situation financière lourdement dégradée », malgré des concours financiers de l'État qui sont loin de s'être effondrés au cours des dernières années.

Évolution des recettes de France Télévisions

(en millions d'euros)

Source : commission des finances d'après le compte de résultat de France Télévisions

Une nécessaire réduction du capital de France Télévisions
afin d'améliorer son ratio de fonds propres

La Cour consacre une analyse détaillée à la « baisse vertigineuse des capitaux propres » de France Télévisions.

Les pertes constatées au cours de la période 2017 - 2024 et celles attendues pour 2025 assèchent à la fois la trésorerie et les fonds propres de France Télévisions, passés de 300 millions d'euros en 2017 à environ 125 millions d'euros fin 2025. Jusqu'en 2022, France Télévisions semblait disposer d'une trésorerie abondante, mais un emprunt bancaire de 70 millions d'euros obtenu auprès de l'agence France Trésor a joué un effet de trompe-l'oeil sur la réalité de sa situation.

Les capitaux propres de France Télévisions sont devenus inférieurs à la moitié du capital dès l'exercice 2021, seuil en dessous duquel ils sont considérés comme insuffisants.

Faute d'avoir rétabli les fonds propres avant 2024, seule une réduction de capital d'ici le 31 décembre 2026 peut désormais être envisagée pour remédier à la situation, sans quoi la dissolution de la société pourrait être prononcée à la demande de tout intéressé. Il est impératif que la tutelle de l'entreprise s'empare rapidement et vigoureusement de ce problème, dans la mesure où les impérities des dernières années ne sauraient désormais se prolonger.

Plus largement, la Cour note que l'amenuisement significatif des fonds propres, qui constituent des ressources de long terme, réduit significativement les possibilités d'investissement de l'entreprise, notamment dans les domaines immobilier et numérique. Les modalités de financement de ces projets doivent être redéfinies préalablement au rétablissement du seuil de ses capitaux.

Source : Cour des comptes

Cette dégradation est en partie liée à une hausse des dépenses de l'entreprise, dont les charges d'exploitation sont passées de 464,6 millions d'euros en 2017 à 540 millions d'euros en 2024, soit une hausse de plus de 16 %.

Ventilation des dépenses de France Télévisions

(en %)

Source : commission des finances d'après le compte de résultat de France Télévisions

Une partie de cette hausse est liée à l'augmentation continue de la masse salariale de France Télévisions. La Cour des comptes souligne le caractère « indispensable et urgent » d'une réforme du cadre social de la société. Le rapporteur spécial ne saurait trop se féliciter à cet égard de la dénonciation à l'été 2025 de l'accord collectif de France Télévisions, ouvrant la voie à sa future renégociation.


* 24 À noter que le cahier des charges de France Télévisions dispose que son obligation d'investissement annuelle se monte à 420 millions d'euros. Or, depuis 2021, l'entreprise investit 440 millions d'euros par an, soit 20 millions d'euros de plus que ses obligations réglementaires.

* 25 France Télévisions, exercices 2017 à 2024, Cour des comptes, septembre 2025.

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