C. LES DIFFICULTÉS FINANCIÈRES DES SOCIÉTÉS METTENT EN ÉVIDENCE LES LACUNES LIÉES À L'ABSENCE DE VÉRITABLE STRATÉGIE DE RÉFORME
1. Après leur rejet par le Parlement, des contrats d'objectifs et de moyens dans les limbes
Les projets de contrats d'objectifs et de moyens (COM), devant couvrir pour France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA la période 2024-2028 de COM, initialement conclus dès mi-2023, n'ont en réalité été finalisés qu'en juin 2024.
Ces contrats contenaient une trajectoire de hausse de financements de 225 millions d'euros pour les quatre COM. Ces contrats reposaient sur une hypothèse de progression des dotations publiques allouées à l'ensemble des sociétés de 104 millions d'euros en 2025 et 225 millions d'euros en 2028 par rapport à 2024, soit une progression de 6,4 % en quatre ans.
Trajectoire financière prévue dans les COM 2024-2028 présentés en 2024
(en millions d'euros)
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2024 |
2025 |
2026 |
2027 |
2028 |
Hausse cumulée 2024-2028 |
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France Télévisions |
Ressources publiques annuelles |
2 555,10 |
2 618,20 |
2 644,70 |
2 647,70 |
2 684,00 |
+ 128,90 |
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Variation annuelle |
+ 63,10 |
+ 26,50 |
+ 3,00 |
+ 36,30 |
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|
Radio France |
Ressources publiques annuelles |
654,7 |
680 |
689 |
694 |
716 |
+ 61,3 |
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Variation annuelle |
+ 25,3 |
+ 9 |
+ 5 |
+ 22 |
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France Médias Monde |
Ressources publiques annuelles |
275,3 |
285,1 |
289 |
291,6 |
297,3 |
+ 22 |
|
Variation annuelle |
+ 9,8 |
+ 3,9 |
+ 2,6 |
+ 5,7 |
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INA |
Ressources publiques annuelles |
103,5 |
105,6 |
110,4 |
113,3 |
116 |
+ 12,5 |
|
Variation annuelle |
+ 2,1 |
+ 4,8 |
+ 2,9 |
+ 2,7 |
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Total |
3 588,60 |
3 688,90 |
3 733,10 |
3 746,60 |
3 813,30 |
+ 224,70 |
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Source : commission des finances d'après les COM
En réalité, cette trajectoire a été caduque dès la présentation des COM, le PLF pour 2025 et, a fortiori, la LFI pour 2025 ayant accentué l'écart avec les contrats. Le ministère indique ainsi sobrement que « cette trajectoire budgétaire n'est plus cohérente avec l'impératif de redressement des finances publiques auquel le secteur est appelé à contribuer ».
Le Parlement (au Sénat, la commission de la culture) a en conséquence émis un avis défavorable aux projets de COM 2024-2028 à l'automne 2024.
Le rapporteur spécial avait mis en avant l'année précédente la faiblesse des COM et surtout leur déconnexion avec le nécessaire effort d'économies demandées à l'audiovisuel public, voté à l'initiative du Sénat en PLF pour 2025. Il a pu également analyser par le passé, en qualité de rapporteur de la commission de la culture du Sénat, les faiblesses des précédents COM, dont le bilan apparaissait mitigé26(*). Il avait notamment mis en avant un nombre d'objectifs trop important et un manque de hiérarchisation : « le grand nombre des sujets évoqués dans ces documents comme le faible caractère contraignant des objectifs visés ont mis en évidence les défaillances de cet outil ».
Il n'en demeure pas moins que l'existence des COM demeure une obligation légale, dans la mesure où l'article 53 de la loi Léotard prévoit que « des contrats d'objectifs et de moyens sont conclus entre l'État et chacune des sociétés ou établissements suivants : France Télévisions, Radio France, la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France, Arte-France et l'Institut national de l'audiovisuel. La durée de ces contrats est comprise entre trois et cinq années civiles. Un nouveau contrat peut être conclu après la nomination d'un nouveau président ».
Les documents budgétaires se contentent d'envisager que « des orientations stratégiques cohérentes avec le cadre budgétaire seront déclinées dans les projets de contrats d'objectifs et de moyens (COM) précédemment évoqués, en cours d'actualisation ». Le ministère a indiqué en audition espérer une nouvelle présentation des COM d'ici la fin de l'année 2025, mais rien n'est officialisé à ce stade, alors même que le Parlement doit se prononcer sur les COM avant leur entrée en vigueur.
2. La réforme toujours repoussée de la gouvernance de l'audiovisuel public, une variation sur « cent fois sur le métier remettez votre ouvrage »
Une première tentative de réforme de la gouvernance de l'audiovisuel public a été abandonnée en février 2020 du fait de l'épidémie de covid-19. Le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l'ère numérique prévoyait la création de France Médias, holding censée chapeauter les sociétés publiques audiovisuelles. Arte France et TV5 Monde n'étaient pas, cependant, intégrées à cette nouvelle structure. Trois missions lui auraient été assignées :
- définir des coopérations éditoriales entre les différentes entités, les décisions éditoriales demeurant du ressort des entreprises éditrices de programme ;
- déployer une offre « trimédia » : télévision, radio et internet ;
- mutualiser les fonctions non éditoriales à l'image de la formation, de la régie publicitaire ou de la recherche et développement.
La mission conjointe de contrôle du Sénat sur le financement de l'audiovisuel a préconisé d'aller plus loin avec la création d'une entreprise unique, regroupant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA et de rendre enfin effectives les projets de coopération « par le bas » laborieusement mis en oeuvre ces dernières années, qu'il s'agisse des matinales communes à France 3 et France Bleu, du lancement de l'application numérique commune « Ici » ou du Club « Achats » lancé en 2017.
En conséquence, le rapporteur spécial n'avait pu que se réjouir de l'adoption par le Sénat en juin 2023 de la proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public 27(*), dont il était rapporteur.
Le chapitre 1er de cette proposition de loi prévoyait de regrouper les différentes sociétés dans une holding dès 2025. Cette holding, dénommée France Médias, devait permettre de préparer la fusion un an plus tard des différentes entités de l'audiovisuel public.
Cette proposition de loi devait être examiné en séance publique à l'Assemblée nationale du 24 au 26 juin 2024. Le processus aura été brutalement interrompu par la dissolution de l'Assemblée nationale le 9 juin 2024. L'Assemblée a finalement rejeté la proposition de loi le 30 juin 2025. Celle-ci est donc revenue au Sénat pour une deuxième lecture et a été adoptée avec modifications par le Sénat le 11 juillet 2025. À l'heure actuelle, le texte n'a pas été inscrit à l'Assemblée nationale pour une deuxième lecture.
Le rapporteur spécial ne peut qu'inciter le Gouvernement actuel à se saisir des travaux déjà engagés pour relancer la réforme. Il est en tout état de cause certain que la stratégie de mutualisations « par le bas » ne peut suffire. Malgré une prise de conscience des sociétés d'audiovisuel public, qui semblent davantage prêtes à progresser sur le sujet, les avancées sont restées minimes au cours des dernières années, faute de gouvernance commune.
* 26 « L'occasion manquée des COM de l'audiovisuel public : des objectifs modestes et des moyens rationnés », rapport d'information n° 309 (2020-2021) de M. Jean-Raymond Hugonet, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 27 janvier 2021.
* 27 Proposition de loi relative à la réforme de l'audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle, de M. Laurent LAFON et plusieurs de ses collègues, déposée au Sénat le 21 avril 2023.