C. L'ENTRETIEN ET LE RENOUVELLEMENT DE LA FLOTTE DE CANADAIR

1. Le risque de rupture capacitaire rappelé par le mégafeu exceptionnel dans l'Aude en août 2025

À l'aune du réchauffement climatique, qui étend très au-delà de la seule période estivale l'exposition au risque de feux de forêt, la saison des feux s'étire désormais sur la quasi-totalité de l'année. En ce sens, nombre de schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (SDACR) classent le risque feu de forêts en risque courant et non plus en risque exceptionnel, traduisant le besoin d'adaptation de la réponse opérationnelle au dérèglement climatique.

Dans son précédent rapport budgétaire portant sur le PLF 2025, le rapporteur spécial soulignait que si les résultats de la campagne 2024 de lutte contre les feux de forêts étaient apparus satisfaisants et en retrait par rapport aux dernières années, ils le devaient en partie à une météo clémente. Par contraste, en 2025, la France a connu plus de 10 000 départs de feux, majoritairement en zone sud, dont le mégafeu de l'Aude, le plus important depuis 1949 avec une capacité de destruction de plus de 2000 ha/heure d'après la Fédération Nationale des Sapeurs-Pompiers de France. Ainsi, la pleine mobilisation des moyens aériens n'a pas suffi à contenir le caractère exceptionnel de cet incendie.

2. La commande de deux Canadair cofinancés par l'Union européenne signée en 2024 avec une livraison prévue en 2028

Aussi, le rapporteur spécial est particulièrement vigilant aux moyens alloués à l'entretien et au renouvellement annoncé de la flotte de Canadair. En effet, les difficultés posées par la vétusté croissante de la flotte de Canadair, conduisent à l'immobilisation d'une partie importante de cette dernière pour cause de panne et de maintenance.

D'après la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), à certaines périodes critiques de l'été 2024, seuls trois appareils sur douze étaient opérationnels. En juillet 2025, le sous-dimensionnement du nombre d'avions bombardiers d'eau disponibles a cette fois conduit à arbitrer entre des demandes simultanées d'engagement du commandant des opérations de secours dans deux territoires distincts dans l'Aude et les Bouches-du-Rhône. Le risque de rupture capacitaire est donc avéré.

Afin de renforcer sa flotte et d'initier les perspectives de son renouvellement, la France s'est inscrite dans le mécanisme européen entré en vigueur en 2021 qui prévoit de créer une réserve de sécurité civile européenne (RescEU), dotée de moyens subventionnés par l'Union Européenne, l'état-membre acquéreur s'engageant en contrepartie à les rendre disponibles en cas d'activation du mécanisme.

Au terme d'un long processus entre les 6 pays candidats (France, Espagne, Italie, Croatie, Grèce, Portugal), la Commission Européenne (DG ECHO) et l'entreprise De Havilland Canada - DHC, le lancement effectif de la chaîne de production des nouveaux « CANADAIR » (DHC-515) a été officiellement annoncé le 31 mars 2022, sécurisant ainsi le programme RescUE avec, au total, une expression de commande pour 22 appareils. L'Europe finance 12 avions DHC-515, soit 2 par pays demandeur. Les 6 États européens, la Commission et l'entreprise ont officiellement signé les contrats à l'été 2024. Pour la France, le contrat d'acquisition de deux DHC515 dans ce cadre a été signé par le Ministre de l'Intérieur le 12 août 2024.

En termes budgétaires, les coûts d'acquisition de 2 DHC-515 par pays sont couverts par la Direction générale pour la protection civile et les opérations d'aide humanitaire européennes de la Commission européenne (DG ECHO) pour les appareil seuls, soit 98,8 millions d'euros (49,4 millions d'euros hors taxe par appareil). Cependant, le coût global de l'ensemble des postes de dépenses pour un seul appareil est estimé autour de 91 millions d'euros TTC. En effet, demeurent à la charge de l'État acquéreur et donc du programme budgétaire 161 : la TVA à l'importation (23 millions d'euros) ainsi que les frais de douanes (3 millions d'euros) et un lot initial de matériels de rechange et de provisions (montant estimé entre 13 millions d'euros et 35 millions d'euros).

Du fait de la primauté de son contrat de subvention avec la Commission européenne, la France est prioritaire dans le calendrier de livraison des appareils, qui doit cependant tenir compte du niveau d'urgence rencontré dans certains pays, dont la Grèce. Aujourd'hui, selon les prévisions, le premier avion français serait attendu en mars 2028, le deuxième en novembre 2028. Ces délais ont été confirmés à la DGSCGC par l'industriel en 2025.

Il convient de préciser que les deux Canadair commandés par la France ne sont pas achetés via la DG ECHO mais bien par la France, dans le cadre d'un cofinancement accordé par la DG ECHO au titre de RescUE. Il est par ailleurs prévu dans le contrat de pouvoir commander des appareils sur financement propre.

3. La commande de deux Canadair supplémentaires sur fonds propres programmée dans le PLF 2026 suite au mégafeu de l'Aude

Par ailleurs, le contrat signé par la France avec la société canadienne DHC prévoit en option l'acquisition de 14 appareils de type DHC-515, commandables à l'unité et selon les conditions économiques à la date de la commande. Le coût unitaire de ces appareils serait ainsi plus élevé que ceux commandés via la Commission européenne. La butée contractuelle pour affermir tout ou partie ces appareils optionnels est fixée au 30 juin 2030.

Dans le cadre du PLF 2026, le programme 161 prévoit d'engager la commande de deux avions supplémentaires (209 millions d'euros en AE et 20 millions d'euros en CP). Ces deux appareils seraient livrés entre fin 2032 et courant 2033.

4. Des enjeux de financements et de souveraineté industrielle européenne

Le rapporteur spécial demeure vigilant sur le risque de non-respect du calendrier pour la livraison des deux premiers Canadair. D'une part, si le calendrier prévoit la livraison des deux appareils à horizon 2028, les difficultés intrinsèques à la remise en marche d'une chaîne de production industrielle de ce niveau laisse anticiper des retards et une livraison probable à horizon 2030. En outre, au regard des incendies ravageurs qui ont frappé l'Amérique du Nord, certains acteurs de la sécurité civile craignent que ces délais de livraison soient également retardés par la pression des États et des populations en faveur de la livraison prioritaire de ces Canadair au Canada et aux États-Unis plutôt qu'aux États de l'Union européenne.

Dans ces conditions, le rapporteur spécial partage l'analyse des acteurs de la sécurité civile auditionnés : la France et les pays européens ne peuvent pas être dépendants d'un unique industriel ni d'un unique modèle d'avion. Dans un contexte de besoin croissant d'avions bombardiers d'eau et d'un marché qui s'agrandit, le double enjeu de souveraineté industrielle et sécuritaire est de parvenir à faire émerger un modèle d'avion européen aux caractéristiques similaires au Canadair. En ce sens, la DGSCGC opère une veille stratégique en étant en contact étroit avec l'ensemble des porteurs de projets européens connus à ce jour. Des lettres d'intention (LOI) peuvent être signées à destination des porteurs de projets afin de leur permettre d'accéder plus facilement à des financements privés ou publics.

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