EXAMEN EN COMMISSION

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous passons à présent à l'examen du rapport de Christophe-André Frassa sur la proposition de loi visant à assouplir les contraintes à l'usage de dispositifs de lecture automatisée de plaques d'immatriculation (LAPI) et à sécuriser l'action des forces de l'ordre, présentée par Pierre Jean Rochette et plusieurs de ses collègues.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Les dispositifs LAPI correspondent à une technologie fondée sur des algorithmes permettant la lecture automatique des plaques d'immatriculation. Une technologie que plusieurs d'entre vous connaissent bien, puisqu'elle est utilisée par certaines communes pour le contrôle du stationnement payant.

Le code de la sécurité intérieure autorise les forces de l'ordre à utiliser des dispositifs LAPI dans deux cas.

Premièrement, la police et la gendarmerie nationales sont autorisées à les mettre en oeuvre pour la préservation de l'ordre public, spécialement lors de grands rassemblements de personnes, ou pour la prévention du terrorisme.

Deuxièmement, les services de police et de gendarmerie nationales ainsi que les douanes peuvent utiliser des dispositifs LAPI pour faciliter la constatation, le rassemblement des preuves et la recherche des auteurs de certaines infractions limitativement énumérées, telles que les actes de terrorisme, les infractions criminelles, les infractions liées à la criminalité organisée - notamment le trafic de stupéfiants - ou encore les vols de véhicules.

Les échanges que j'ai pu avoir avec les forces de l'ordre ont mis en lumière la grande utilité opérationnelle de cette technologie pour l'élucidation des enquêtes, en particulier pour retrouver rapidement l'auteur d'une infraction en retraçant les déplacements de son véhicule.

La proposition de loi déposée par notre collègue Pierre Jean Rochette, dont je salue le travail, vise à lever les freins à l'utilisation de cette technologie par les forces de sécurité intérieure. Les mesures qu'il propose partent du constat que l'usage dispositifs LAPI par les forces de l'ordre demeure trop limité, en dépit de l'efficacité de ces outils.

Pour faciliter leur recours à cette technologie, la proposition de loi prévoit trois mesures.

D'abord, le texte prévoit d'élargir les finalités autorisant l'utilisation de dispositifs LAPI. Les forces de sécurité intérieure pourraient ainsi utiliser ces dispositifs non plus seulement pour la répression de certaines infractions limitativement énumérées, mais pour la répression des crimes et de l'ensemble des délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement - ce qui concernerait selon la Chancellerie plus de 2 300 infractions pénales.

Ensuite, il est proposé de doubler la durée de conservation des données collectées par les dispositifs LAPI. Celle-ci passerait de quinze jours à un mois ; en cas de correspondance avec un autre fichier existant, tel que le fichier des véhicules volés, ces données pourraient être conservées deux mois au lieu d'un mois.

Enfin, l'article 3 de la proposition de loi prévoit de rendre obligatoire, à partir de 2028, l'intégration de dispositifs LAPI à l'ensemble des caméras de vidéoprotection déjà en place, pour assurer un maillage plus fin du territoire et retracer plus précisément les trajets des véhicules.

L'objectif poursuivi au travers de cette proposition de loi m'apparaît louable. Néanmoins, je souhaite vous proposer certains ajustements afin d'assurer le respect des exigences constitutionnelles, avec, au premier chef, le droit au respect de la vie privée.

À l'article 1er, je vous présenterai ainsi un amendement afin de circonscrire l'élargissement proposé du champ des finalités autorisant le recours aux dispositifs LAPI.

Je souscris sur le fond à l'élargissement du champ infractionnel, qui apparaît en effet utile et justifié par l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions pénales et par la protection des forces de l'ordre. Toutefois, la mise en oeuvre de dispositifs LAPI n'est pas nécessairement utile pour la répression de l'ensemble des infractions punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement, telles que les dénonciations calomnieuses ou encore le harcèlement scolaire. Dès lors, l'élargissement proposé pourrait entraîner une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée.

Je vous proposerai donc d'élargir le champ infractionnel actuellement en vigueur aux seules infractions pour lesquelles l'utilisation de dispositifs LAPI pourrait être utile, comme les infractions de vol aggravé et de recel, les infractions d'évasion et les infractions d'aide à l'entrée et au séjour irréguliers. Cette liste pourra être utilement complétée lors de l'examen en séance publique et au cours de la navette parlementaire, pour répondre le plus précisément possible aux besoins des forces de l'ordre.

Je vous proposerai d'adopter sans modification l'article 2, qui procède à l'allongement des durées de conservation des données collectées par les dispositifs LAPI. Restant toujours bien en deçà des pratiques de plusieurs de nos voisins européens, dont la Belgique, les nouvelles durées de conservation apparaissent en effet proportionnées aux objectifs poursuivis.

Cet allongement est, d'une part, justifié par de réelles contraintes opérationnelles, comme l'ont montré les auditions que j'ai menées. Les investigations conduisent en effet parfois à mettre en évidence une personne ou un véhicule d'intérêt plusieurs mois après les faits, alors même que les données ont été effacées, ne permettant plus de retracer les mouvements du véhicule. D'autre part, de nombreuses garanties existent d'ores et déjà : la consultation des données est, par exemple, interdite tant qu'il n'y a pas eu de correspondance avec un fichier, et les données sont automatiquement détruites au-delà des délais autorisés. Il me semble donc que le dispositif proposé permet d'assurer la protection du droit au respect de la vie privée, tout en facilitant la conduite des investigations.

Les auditions que j'ai menées ont cependant mis en évidence le caractère non opportun de l'obligation, prévue à l'article 3, d'intégration des dispositifs LAPI aux systèmes de vidéoprotection mis en oeuvre sur la voie publique. Les acteurs concernés par l'utilisation de ces dispositifs n'y sont eux-mêmes pas favorables : selon eux, il serait, par exemple, totalement inutile d'intégrer ces dispositifs sur des caméras de vidéoprotection situées dans les zones piétonnes des grandes villes.

Au-delà, il convient de prendre en compte le coût budgétaire qu'engendrerait une telle disposition, lequel serait non négligeable, notamment pour les collectivités territoriales. En l'état, il n'existe pas de possibilité de cofinancement entre les différents acteurs ; les communes acquérant des dispositifs LAPI les mettent à disposition des forces de sécurité intérieure à titre gracieux.

Il me semble donc souhaitable, afin de préserver le principe de libre administration des collectivités territoriales, garanti par notre Constitution, de resserrer le dispositif prévu. C'est pourquoi je vous présenterai un amendement qui tend plutôt à instaurer une possibilité de conventionnement entre les forces de sécurité intérieure et les autorités publiques compétentes pour mettre en oeuvre des systèmes de vidéoprotection conformément à l'article L. 251-2 du code de la sécurité intérieure.

De cette manière, nous permettrons auxdites autorités de choisir - ou non - l'intégration de dispositifs LAPI au sein de leur territoire, à l'instar des plus de 70 communes ayant déjà conclu une telle convention avec la police ou la gendarmerie nationales. En effet, lorsqu'une collectivité territoriale entend mettre à disposition des forces de l'ordre un dispositif LAPI, une convention de prestation de matériel doit être conclue entre les différents acteurs. Cette pratique existe depuis 2009, mais la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ne l'a avalisée, dans un avis qu'elle a rendu, qu'en juillet 2024.

Dans une optique d'efficacité et d'opérationnalité, je vous proposerai qu'un décret en Conseil d'État prenne le soin de fixer les clauses d'une convention type, qui préciserait les modalités de financement de l'intégration ainsi que les règles de collecte et de partage des données. Il demeure en effet essentiel de se conformer aux conditions fixées par le code de la sécurité intérieure, qui prévoit que seules les forces de l'ordre étatiques puissent accéder aux flux issus des dispositifs LAPI, dans la limite des finalités admises.

L'ensemble des ajustements que je vous soumets, et qui ont été élaborés en coopération avec l'auteur principal de la proposition de loi conformément au gentleman's agreement, permettent d'aboutir à un texte équilibré renforçant l'efficacité de l'action des forces de sécurité intérieure, tout en assurant le respect des libertés locales et des exigences constitutionnelles en matière de protection de la vie privée.

Je vous proposerai par conséquent d'adopter cette proposition de loi sous réserve de l'adoption des amendements que je vous soumettrai.

Mme Audrey Linkenheld. - Merci à notre rapporteur de sa présentation du contenu de la proposition de loi et des modifications qu'il propose au regard tant du respect de la vie privée que des libertés locales. Notre groupe politique n'aurait certainement pas été favorable à ce texte dans sa version initiale ; grâce aux amendements de notre collègue, il peut désormais l'aborder différemment, malgré quelques réserves persistantes.

Le premier de ces amendements circonscrit opportunément l'élargissement des finalités permettant l'utilisation de la LAPI. Il s'inscrit à la suite des textes législatifs précédemment adoptés en la matière et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

En ce qui concerne l'article 2, on pourrait s'interroger sur le bien-fondé du doublement des délais de conservation des données. Toutefois, le choix de passer, selon le cas de figure, de quinze jours à un mois et d'un à deux mois demeure modéré, surtout en considération des pratiques d'autres pays. Il nous est donc possible de soutenir également l'adoption de cet article en l'état.

L'article 3 renvoie en quelque sorte à une généralisation de la LAPI. L'auteur de la proposition de loi a du reste été clair sur ses intentions : si cela ne tenait qu'à lui, il faudrait centraliser, vers le fichier du système de traitement central LAPI (STCL), l'intégralité des données issues de la LAPI, quelle qu'en soit l'origine - y compris les données provenant des caméras installées en zones piétonnes, de celles du télépéage, des parkings privés ou publics. En outre, ces données devraient être librement consultables par les forces de l'ordre. Cela nous ne nous paraît pas opportun au regard de la protection des droits et libertés. L'amendement proposé nous semble préférable en ce qu'il laisse aux collectivités territoriales leur liberté de choix.

Le surcoût qu'implique l'obligation initialement prévue est du reste évident pour celles-ci. Rappelons notamment que les crédits du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) servant au financement des caméras, que les collectivités installent, ont été diminués.

Enfin, il importe de relever que, lors de son audition, la direction des entreprises et partenariats de sécurité et des armes (Depsa) a qualifié de « léger » l'établissement de simples conventions sur un sujet tel que la LAPI. Pour ma part, je serais davantage favorable à ce qu'un décret vienne encadrer ces pratiques de mise à disposition, par les collectivités locales, de leurs dispositifs LAPI.

En définitive, la nature de notre vote final sur la proposition de loi dépendra du sort réservé aux amendements du rapporteur ainsi que de la possible présentation, en séance, d'autres amendements.

Mme Patricia Schillinger. - Dans le Haut-Rhin, nos communes sont frontalières de la Suisse et de l'Allemagne. Des échanges de données issues des dispositifs LAPI avec ces pays supposent également l'établissement de conventions. Le texte proposé prévoit-il un élargissement des conventions aux partenariats internationaux ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Ce système conventionnel de coopération internationale ne fait pas l'objet du texte proposé. Toutefois, au cours des auditions, les représentants de la police, de la gendarmerie et des douanes en ont fait état : il leur permet un échange régulier d'informations avec nos partenaires, d'instaurer un tracking numérique, ou encore d'engager enquêtes et poursuites. À cet égard, la Suisse a longtemps été un pays peu coopératif. Elle trouve désormais un intérêt à prendre part, dans une logique de réciprocité, à cette coopération avec les autres pays européens et leur donne accès à ses registres de données.

Mme Muriel Jourda, présidente. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, je vous propose de considérer que le périmètre de la proposition de loi inclut les dispositions relatives, premièrement, aux finalités permettant la mise en oeuvre par les forces de sécurité intérieure de dispositifs LAPI à des fins répressives ; deuxièmement, au régime de conservation des données collectées par les dispositifs LAPI ; troisièmement, aux modalités d'intégration de ces dispositifs aux systèmes de vidéoprotection des autorités publiques autres que les forces de sécurité intérieure.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Avec l'amendement COM-1, je vous propose une nouvelle rédaction de l'article 1er, afin de ne pas y intégrer l'ensemble des infractions pénales punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement et de circonscrire son champ d'application à une liste d'infractions précisément énumérées, qui sont celles pour lesquelles l'usage de la LAPI apparaît le plus utile.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1er est ainsi rédigé.

Article 2

L'article 2 est adopté sans modification.

Article 3

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-2 a pour objet de supprimer l'obligation d'intégration de dispositifs LAPI aux systèmes de vidéoprotection mis en oeuvre sur la voie publique. Il instaure à la place une possibilité de conventionnement entre les forces de l'ordre et les autorités publiques compétentes au sens de l'article L.251-2 du code de la sécurité intérieure. Enfin, il prévoit qu'un décret en Conseil d'État fixe les clauses d'une convention type, en particulier sur les modalités de financement de l'intégration des dispositifs et sur les règles de collecte des données.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Après l'article 3

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-3 est d'ordre rédactionnel. Il vise à assurer les coordinations nécessaires pour les territoires d'outre-mer.

L'amendement COM-3 est adopté et devient article additionnel.

Article 4

L'article 4 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er

M. FRASSA, rapporteur

1

Encadrement du champ infractionnel permettant la mise en oeuvre de dispositifs LAPI

Adopté

Article 3

M. FRASSA, rapporteur

2

Convention de mise à disposition des données LAPI collectées par les systèmes de vidéoprotection

Adopté

Article(s) additionnel(s) après Article 3

M. FRASSA, rapporteur

3

Coordinations outre-mer

Adopté

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page