EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 10 décembre 2025, sous la présidence de M. Alain Milon, vice-président, la commission examine le rapport de Mme Anne Souyris, rapporteure, sur la proposition de loi (n° 107 rectifiée, 2024-2025) visant à garantir la continuité des revenus des artistes auteurs.

M. Alain Milon, président. - Nous terminons nos travaux avec l'examen de la proposition de loi visant à garantir la continuité des revenus des artistes auteurs, déposée par notre collègue Monique de Marco. Ce texte sera examiné en séance publique jeudi 18 décembre au sein de la niche du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST).

Mme Anne Souyris, rapporteure. - La proposition de loi de notre collègue Monique de Marco vise à créer un revenu de remplacement au bénéfice des artistes auteurs afin de répondre à la discontinuité de leur rémunération.

Ce sujet fait l'objet d'une intense activité parlementaire, puisque les députées Soumya Bourouaha et Camille Galliard-Minier viennent de remettre un rapport d'information allant en ce sens. Même si nos avis peuvent diverger sur les modalités à retenir, le consensus sur le but poursuivi ne doit pas nous étonner. Il s'agit en quelque sorte du sens de l'histoire, que prédisait déjà le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles du Sénat, Jacques Carat, lors de l'examen de la proposition de loi de 1975 relative à la sécurité sociale des artistes auteurs d'oeuvres littéraires et dramatiques, musicales et chorégraphiques, audiovisuelles et cinématographiques, graphiques et plastiques : « La sécurité sociale des artistes auteurs n'est qu'une première étape ; elle n'assure pas encore, tant s'en faut, l'indépendance matérielle de l'artiste créateur. Elle tend du moins - ce n'est pas négligeable - à garantir sa sécurité, sans aliéner sa liberté, en le faisant bénéficier - mais dans une mesure que notre commission croit encore insuffisante - des prestations de régime général de la sécurité sociale, en le considérant comme un travailleur semblable aux autres. » Il me semble donc que ce travailleur comme les autres doit pouvoir bénéficier d'un revenu de remplacement lorsqu'il se trouve privé de revenus.

Quelques éclairages préalables sont nécessaires quant à la définition des artistes auteurs.

Le code de la sécurité sociale a dû définir cette qualité puisque, depuis 1975, ils bénéficient d'un régime de sécurité sociale, comme je l'ai indiqué. Y sont donc affiliées toutes les personnes dont l'activité donne lieu à des droits d'auteur ou à une rémunération liée à la vente ou à l'exploitation des oeuvres de l'esprit ; sont donc concernés les artistes auteurs d'oeuvres littéraires, graphiques, dramatiques, musicales, chorégraphiques, audiovisuelles, cinématographiques, plastiques et photographiques.

Au sein des 400 000 personnes affiliées à ce régime, il faut noter qu'une grande partie n'a pas vocation à exercer à titre professionnel. En 2022, parmi les 320 140 individus ayant une assiette de revenus renseignée, 187 000 disposaient de revenus inférieurs à 100 Smic horaires sur l'année.

Il convient également de garder à l'esprit que, parmi les artistes auteurs professionnels, les niveaux de rémunération sont très divers selon les secteurs. Ainsi, en 2022, les revenus artistiques des auteurs de compositions musicales s'élevaient en moyenne à 66 000 euros par an, alors que ceux des peintres étaient de 24 000 euros.

Même si, là encore, des modèles différents existent selon les secteurs artistiques, le mode de rémunération des artistes auteurs, se trouve, par essence, aléatoire et ingrat, puisqu'il dépend, non pas du travail fourni et du temps passé à la création, mais de la vente ou de l'exploitation de l'oeuvre. Il en ressort une grande instabilité et imprévisibilité des revenus. Selon le rapport précité de l'Assemblée nationale, deux tiers des artistes auteurs avaient, par exemple, subi, en 2022, une variation de revenu supérieure à 25 % en un an.

En conséquence, pour compenser cette incertitude des revenus, la multi-activité des artistes auteurs est fréquente, avec une part importante d'emplois précaires et, plus généralement, d'emplois qualifiés d'« alimentaires ».

Dans ce contexte de grande discontinuité de leurs revenus, les artistes auteurs se sont vu reconnaître un régime de protection sociale, toujours en cours de consolidation. Leur sécurité sociale recouvre les prestations familiales et les assure contre les risques vieillesse, maladie, maternité, invalidité et décès. Toutefois, ils ne sont toujours pas couverts contre les accidents du travail et les maladies professionnelles. Surtout, leur protection sociale ne comprend pas d'assurance chômage et les artistes auteurs ne peuvent bénéficier que de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) ou du revenu de solidarité active (RSA).

La précarité des artistes auteurs s'avère, dès lors, très prégnante ; seuls 22,7 % des artistes auteurs ayant une assiette sociale non nulle gagnaient plus de 600 Smic horaires, soit le seuil requis pour l'ouverture complète des droits sociaux. Le rapport de Bruno Racine, remis au ministre de la culture en 2020, de même que la mission flash de l'Assemblée nationale font état d'une érosion grandissante des revenus artistiques.

Mes auditions abondent dans ce sens : le déséquilibre des relations contractuelles entre les commanditaires et les artistes auteurs, et l'inadaptation des dispositions régissant le droit d'auteur placent les individus dans « une ubérisation de l'activité artistique », pour reprendre l'expression de Stéphanie Le Cam, maître de conférences de droit privé.

Cette précarisation se traduit par des effets particulièrement marqués pour les femmes et les jeunes. Les données disponibles sur les revenus montrent que l'écart de rémunération entre les femmes et les hommes a plutôt tendance à s'accroître au cours de la carrière pour atteindre 38 % pour la tranche d'âge 60-70 ans. En outre, les jeunes diplômés sont surexposés aux difficultés économiques liées à un marché de l'art, décrit comme particulièrement compétitif par plusieurs syndicats auditionnés. L'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris remarque que, pour ses promotions 2017-2021, 56 % de ses diplômés gagnent moins de 15 000 euros par an.

Dans ce contexte, cette proposition de loi vise précisément à garantir une continuité de revenus pour sortir de la précarité les artistes auteurs professionnels.

L'article 1er vise à créer le revenu de remplacement au bénéfice des artistes auteurs et y affecter des ressources nécessaires pour le financer. Pour cela, il prévoit de mettre en place une contribution spécifique versée par les diffuseurs. Celle-ci serait à la charge de toute personne qui, à titre principal ou à titre accessoire, procède à la diffusion ou à l'exploitation commerciale d'oeuvres originales relevant des arts. Par ailleurs, cette contribution ne pourrait être inférieure au niveau des contributions chômage du régime général, soit 4 %. Fixée à ce niveau, elle rapporterait l'équivalent de 120 millions d'euros par an.

L'article 2 porte les dispositions, au sein du code du travail, qui créeraient ce revenu de remplacement pour les artistes auteurs répondant à des conditions de ressources et de niveau de revenu d'activité antérieure sur les douze derniers mois. Son montant, proportionnel aux revenus d'activité perçus l'année précédente, dans la limite d'un plancher, serait fixé par décret, mais ne pourrait être inférieur à 85 % du Smic. Il serait versé par France Travail et financé par le régime d'assurance chômage de l'Unédic, grâce au financement proposé à l'article 1er.

Au cours de mes auditions, j'ai pu constater que ce texte répondait à un réel besoin au sein des professions artistiques. Les dispositions sont soutenues par bon nombre des syndicats d'artistes auteurs, qui portent cette revendication depuis plusieurs années maintenant. Cependant, ces mêmes auditions m'ont permis de constater que cette proposition de loi novatrice méritait encore quelques évolutions, afin de parvenir à un équilibre susceptible de faire advenir un consensus.

Les évolutions que je vous proposerai ont donc été conçues afin de répondre à trois objectifs : garantir un régime protecteur aux artistes auteurs sans pour autant les déresponsabiliser, donner la main aux partenaires sociaux pour définir les règles précises du revenu de remplacement, et assurer la pérennité financière du régime nouvellement créé.

Tout d'abord, par un amendement porté à l'article 2, il me paraît nécessaire de recibler l'éligibilité du revenu de remplacement, en limitant l'ouverture de ce droit aux personnes exclusivement affiliées à la sécurité sociale des artistes auteurs et en permettant aux partenaires sociaux de rehausser le seuil de revenus antérieurs exigé, dans la limite de 900 Smic horaires.

Une autre évolution pourrait être étudiée d'ici à la séance publique afin d'assurer de la progressivité à ce revenu. Celui-ci pourrait être plafonné au niveau des revenus de l'année précédente, en deçà de ce seuil de 900 heures. Au-delà en revanche, le montant du revenu devrait garantir des ressources égales à 85 % du Smic, puisqu'il s'adresserait dans ce cas à des artistes auteurs professionnels. En outre, les jeunes diplômés pourraient bénéficier d'un seuil d'ouverture dérogatoire, eu égard à la particulière vulnérabilité socio-économique à laquelle doivent faire face les artistes auteurs à la sortie de leur école.

Pour les personnes n'exerçant pas leur activité artistique à titre exclusif, nous pourrions nous inspirer du modèle belge en créant une commission chargée d'attester la pratique professionnelle des arts du demandeur. Chez nos voisins, la commission du travail des arts, récemment réformée par une loi de décembre 2022, semble tenir ses promesses. Composée de représentants des organismes publics, des syndicats et d'experts des différents secteurs artistiques, elle délivre les attestations, qui établissent une activité professionnelle principale dans les arts.

L'amendement à l'article 2 que je vous proposerai visera à préciser les obligations incombant aux bénéficiaires du revenu pour satisfaire à la condition de recherche d'emploi requise par France Travail. Les artistes auteurs devront notamment justifier des actes positifs et répétés en vue de développer leur activité artistique, la diffusion ou l'exploitation commerciale de leurs oeuvres.

Il tend également à renforcer la place du dialogue social dans la définition et la mise en oeuvre de revenu. Ce seront les organisations représentatives des artistes auteurs et des diffuseurs, sous l'orientation définie par les organisations représentatives sur le plan interprofessionnel, qui seront chargées de négocier un accord annexé à la convention d'assurance chômage. Nous avons entendu là une préoccupation de l'Unédic, qui s'étonnait, à juste titre, que les modalités d'application du nouveau régime soient déterminées par décret.

Concernant l'équilibre financier à trouver pour ce nouveau régime, je vous proposerai deux amendements. En effet, il semble qu'au regard des dépenses projetées, de l'ordre de 230 millions d'euros si vous retenez l'amendement que je vous ai déjà présenté, 120 millions d'euros de recettes ne suffisent pas. Or, la solidarité inter-régime, telle qu'elle existe, par exemple, pour le régime de l'intermittence, n'est pas à exclure, mais ne saurait à elle seule équilibrer le solde de ce revenu de continuité.

Aussi, je vous proposerai d'agir sur trois leviers. D'abord, il s'agit de relever la contribution des diffuseurs à 5 %, ce qui me semble absorbable par ces structures parfois fragiles, tout en demeurant bien en deçà des 9 % du régime de l'intermittence. L'équité me semble également commander de mettre à contribution les artistes auteurs eux-mêmes, dans une logique de mutualisation du risque, à hauteur de 2 % de contribution sur leurs revenus par exemple. Ces deux mesures porteraient à 210 millions d'euros les recettes dégagées.

Enfin, il me semble souhaitable de mettre en place une contribution spécifique à destination des plateformes numériques qui utilisent des oeuvres tombées dans le domaine public. Cette mesure, qui s'inspire de la solidarité intergénérationnelle prônée par Victor Hugo, semble à la fois juste et d'un rendement prometteur. De même, pourraient être redevables d'une contribution, les entreprises qui génèrent du contenu via l'intelligence artificielle (IA) en utilisant des oeuvres contemporaines sans avoir conclu de convention avec les organismes collectifs de gestion de droits d'auteurs.

De la sorte, le nouveau régime, dont la gestion demeurerait confiée à l'Unédic, serait excédentaire, répondant certainement ainsi à des préoccupations légitimes en période d'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et du projet de loi de finances (PLF) pour 2026...

Vous l'aurez compris, le texte ainsi amendé me semble souhaitable, utile et même nécessaire. Il n'épuisera pas, bien entendu, le sujet de la lutte contre la précarité des artistes auteurs, puisque celle-ci trouve aussi ses racines dans la faiblesse de leur position face aux commanditaires et aux diffuseurs. Cependant, il permettra, de manière soutenable pour nos finances publiques, de mettre fin à une injustice.

Ce texte s'inscrit pleinement dans les mouvements passés du législateur, qui, depuis 1975, enrichit les droits sociaux des artistes auteurs. En adoptant l'article 5 du PLFSS sur leur régime de sécurité sociale, notre commission a su voir en eux des assurés sociaux comme les autres. Il nous reste désormais à leur reconnaître la pleine qualité de travailleur et l'assurance sociale contre la perte de revenus qui va de pair.

Mme Frédérique Puissat. - Je remercie la rapporteure de son travail ; je note qu'elle a perçu les limites de ce texte en déposant des amendements tendant à le modifier. Nous en convenons tous, les artistes auteurs sont dans une situation fragile. L'observatoire des revenus et de l'activité des artistes auteurs l'atteste, leurs revenus sont faibles, certains d'entre eux se tournant vers une multi-activité pour vivre.

Même si nous partageons les constats posés, cette proposition de loi n'offre pas une solution adaptée à plusieurs égards. D'ailleurs, combien de personnes seraient concernées par ce revenu de remplacement ? Il est difficile de l'évaluer.

Avec cette proposition de loi, on créerait un mécanisme nouveau au sein de l'Unédic. Certes, vous avez associé les partenaires sociaux à la discussion, mais vous n'avez sollicité que les organisations représentatives des artistes auteurs. L'Unédic, instance paritaire, dans son ensemble, n'a pas participé aux discussions.

S'agissant des recettes, elles sont assez limitées. Vous proposez de créer une contribution pour les entreprises qui créent du contenu par l'intelligence artificielle, mais il est difficile d'évaluer avec certitude les recettes ainsi obtenues.

Au-delà, c'est l'articulation avec l'Unédic qui pose problème, pour deux raisons.

Une raison financière d'abord. Vous l'avez rapidement évoqué, l'Unédic n'est pas favorable à cette mesure. Elle aurait projeté à 1 milliard d'euros le coût de cette mesure, ce qui n'est pas négligeable. Mais, plus important, pour bénéficier des allocations versées par l'Unédic, les personnes doivent être privées involontairement d'emploi. Or vous proposez un revenu de remplacement, ce qui contrevient à l'esprit même de l'assurance chômage. Si nous ouvrons cette porte, mes chers collègues, nombreuses vont être les demandes de revenus de remplacement.

Ce sont les raisons pour lesquelles nous ne serons pas favorables à cette proposition de loi.

Mme Annie Le Houérou. - Merci au groupe GEST d'avoir déposé cette proposition de loi et à la rapporteure pour son travail.

On le reconnaît tous, les artistes auteurs contribuent à notre épanouissement individuel et collectif ainsi qu'à la cohésion sociale. Pour autant, ils exercent dans un cadre économique fragile, marqué par une forte précarité et une protection sociale défaillante. Il importe de trouver un modèle de soutien et d'accompagnement susceptible de les protéger.

Les inégalités sont majeures dans cette profession, avec une très forte concentration des revenus dans la mesure où 3,4 % des artistes auteurs perçoivent 48 % du revenu artistique disponible. Cette fragilité résulte de trois modes de rémunération instable : les droits d'auteur, les honoraires, la rémunération à la tâche, auxquels s'ajoutent les aides et les bourses qui soutiennent la création, sans constituer une véritable rémunération du travail.

Les députées Soumya Bourouaha et Camille Galliard-Minier ont travaillé sur la continuité des revenus de ces professions, car leurs rémunérations ne couvrent ni le temps de la création ni les investissements nécessaires, qui sont sous-évalués dans le travail artistique.

Pour certains droits, les artistes auteurs sont rattachés au régime général dans la mesure où ils bénéficient des prestations liées à la santé, à la retraite, à la maternité, à la formation professionnelle, mais ils sont exclus de l'assurance chômage, du régime des accidents du travail, du droit aux congés payés et n'ont pas de convention collective malgré leur implication dans notre vie sociale.

Nombre d'artistes auteurs sont allocataires du RSA ou de l'ASS. Le revenu de remplacement proposé dans ce texte permettra de leur garantir une continuité de revenus. Le financement du dispositif reste à finaliser avec les amendements proposés. Notons que les artistes auteurs s'acquittent de la contribution sociale généralisée (CSG). La cotisation des diffuseurs, dont le taux nous paraît équitable, s'inscrit dans la logique applicable aux employeurs du secteur privé en matière de taux de cotisation au chômage, au nom du principe de solidarité. Elle est de nature à assurer la viabilité de cette mesure.

Mme Chantal Deseyne. - Merci, madame la rapporteure, d'alerter sur la situation des artistes auteurs. Permettez-moi, toutefois, de faire un parallèle avec le régime des indépendants ; je pense notamment aux artisans. Pardonnez-moi d'être un peu provocatrice, mais n'est pas artiste qui veut ! Et on ne se décrète pas artiste. J'en conviens, il faut du temps pour produire. Mais est-ce qu'il revient aux diffuseurs de couvrir ce risque de perte de revenus ? Les artisans, pour leur part, ne bénéficient pas d'une garantie de perte de revenus...

Mme Raymonde Poncet Monge. - Les travailleurs indépendants sont affiliés à plusieurs égards au régime général.

Madame Puissat, le chômage est un revenu de remplacement.

Mme Frédérique Puissat. - Mais en cas de perte involontaire d'emploi !

Mme Raymonde Poncet Monge. - Certains artistes sont aussi involontairement privés de travail ! Il serait plus logique de faire une comparaison avec les intermittents du spectacle.

En l'occurrence, il s'agit de faire converger toutes ces branches d'activité très spécifiques vers un système de solidarité. D'ailleurs, ces revenus de remplacement, au même titre que les indemnités versées en cas de maladie, seront soumises à cotisation.

Il n'est pas demandé de faire contribuer tout un chacun. Si un artiste auteur diffuse un produit, c'est qu'il a créé une oeuvre ! La production culturelle est une production comme une autre. Les diffuseurs verseront donc cette contribution si le produit culturel est diffusé.

Mme Pascale Gruny. - Merci pour ce rapport.

C'est un vrai sujet. Mais, avant de demander le chômage, il conviendrait de s'interroger sur la manière dont on pourrait évaluer le travail des artistes auteurs, car là est toute la difficulté.

Permettez-moi de prendre un exemple concret. En tant que présidente d'une équipe pluridisciplinaire d'une unité territoriale d'action sociale (Utas), nous avons suspendu le versement du RSA à une personne qui ne respectait pas son contrat. En fait, il s'agissait d'un YouTuber, qui avait quinze followers. Peut-on parler de travail ?

Je comprends bien que les artistes auteurs soient dans une situation de précarité. Mais à partir de quand estime-t-on qu'une personne est un artiste ? S'agissant des autoentrepreneurs, il faut attendre deux ou trois ans pour savoir si l'entreprise sera pérenne.

Par ailleurs, la majorité des artistes auteurs demandent-ils ce statut de « salarié » ? Et que pensent les diffuseurs de cette nouvelle cotisation ?

Ce sont les personnes privées involontairement d'emploi qui sollicitent les aides de l'Unédic. Vous proposez 300 Smic horaires pour bénéficier du revenu de remplacement. Mais cela représente moins d'une heure par jour ! Pensez-vous que ce nouveau régime soit acceptable pour nos concitoyens ?

À mon avis, il conviendrait plutôt de se pencher sur le statut des artistes auteurs, en mettant autour de la table les diffuseurs et les artistes, lesquels revendiquent en réalité un statut d'indépendant, avant de mettre en place un revenu de remplacement, surtout dans le contexte budgétaire que l'on sait.

M. Jean-Luc Fichet. - De qui parle-t-on ? D'artistes auteurs. Ce sont au départ des amateurs, qui se lancent dans la création, dans l'écriture, dans l'art. Ces hommes et ces femmes vont à un moment donné prendre le risque de livrer leurs oeuvres au grand public. Le fait d'être artiste condamne-t-il à la précarité avant d'être reconnu ? Dans nos communes, dans nos villages, on inaugure régulièrement des expositions d'artistes, qui ont souvent une vie difficile.

Ce n'est pas dramatique que les diffuseurs soient sollicités ! La Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem) n'assure-t-elle pas la collecte auprès des diffuseurs pour répartir ensuite les droits ?

C'est une question importante pour la reconnaissance du travail difficile de nos artistes, qui comprend d'ailleurs une part de génie. Peut-être devrions-nous nous inspirer de la commission du travail des arts belge que vous avez citée, madame la rapporteure, pour instaurer un comité de reconnaissance ou d'identification des artistes ? Ne pourrait-on pas travailler en liaison avec les directions régionales des affaires culturelles (Drac) pour labelliser en quelque sorte leur travail afin qu'ils puissent bénéficier des avantages qui leur sont proposés dans ce texte ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Merci à la rapporteure d'avoir exposé son argumentation en faveur de la création d'un revenu de remplacement pour les artistes auteurs.

Nous sommes unanimes pour reconnaître que la situation des artistes auteurs est souvent difficile. Mais qu'entend-on exactement par le terme « artiste auteur » ?

L'exemple de la Sacem est parlant : le chanteur qui a une chanson à succès est rémunéré à vie, quand d'autres ont une vie plus difficile alors qu'ils travaillent beaucoup. La différence tient au succès, et cela vaut pour toute oeuvre. Sous quel prisme objectif pourrait-on définir une production vouée au succès ? Là est le véritable sujet.

Il est difficile de comparer un musicien à un YouTuber. Aujourd'hui, on voit naître presque quotidiennement de nouveaux artistes sur les réseaux sociaux. Tous peuvent se considérer, d'une certaine manière, comme des artistes auteurs.

Dans le cadre de l'article 5 du projet de loi de financement de la sécurité sociale, j'ai découvert un monde très discordant. Les artistes auteurs ne s'entendent pas du tout sur la façon de gérer leurs droits. Qu'en sera-t-il sur la définition d'artiste auteur, sur la définition de l'oeuvre créée, sur la quantité d'oeuvres créées pour bénéficier du revenu de remplacement ? En réalité, il faudrait plutôt se pencher sur le statut des artistes auteurs.

La solution proposée au travers de cette proposition de loi ne me paraît pas satisfaisante. Aussi, je n'y serai pas favorable.

Mme Céline Brulin. - Permettez-moi de commencer mon intervention par un trait d'humour. Sans doute nous arrive-t-il de douter parfois de nos choix et de nos orientations politiques. Mais vos propos me confortent dans mes choix. Certes, certains vont peut-être frauder, mais cela doit-il nous empêcher de traiter la question de la précarité ?

Mme Pascale Gruny. - On n'a pas parlé de fraude !

Mme Céline Brulin. - Je résume vos propos sous le vocable « fraude ». Vous dites qu'un YouTuber, avec quinze followers, ne saurait être considéré comme un artiste. Je caricature certes un peu vos propos, mais cela revient à parler d'une forme de fraude.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Non, ce n'est pas ce que nous avons dit !

Mme Céline Brulin. - N'y voyez rien de mal. Moi aussi, je suis d'accord pour lutter contre la fraude. Mais ne pouvons-nous pas répondre à la question de la précarité réelle dans laquelle vivent les artistes auteurs au prétexte que certains pourraient abuser du système ?

Il est bien sûr extrêmement difficile de définir l'artiste auteur. Va-t-on solliciter le ministère de la culture pour savoir qui est artiste et qui ne l'est pas ?... Aucun d'entre nous ne souhaite vivre sous ce régime. Ou se base-t-on sur le succès qu'il aura ? Je ne vous ferai pas l'offense de vous rappeler que des peintres sont morts dans le plus grand dénuement, alors que leurs tableaux s'arrachent aujourd'hui à prix d'or !

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. - Exactement !

Mme Céline Brulin. - Vous parlez aussi de la quantité de travail fourni. Moi aussi, je peux trouver choquant que les chanteurs qui ont eu une chanson à succès vivent dans des conditions confortables jusqu'à la fin de leur vie. Mais cela ne vous choque pas qu'un actionnaire ayant réalisé de bons investissements touche des dividendes jusqu'à la fin de ses jours ?

Cette proposition de loi est somme toute assez modeste. Il faut effectivement continuer à y travailler pour cheminer. Mais ne dites pas : il n'y a pas de sujet ; passons notre chemin !

Mme Frédérique Puissat. - Ce n'est pas ce que nous avons dit !

Mme Céline Brulin. - Cette proposition de loi mérite d'être adoptée. Cela n'épuisera pas le sujet, comme l'a souligné la rapporteure, mais nous franchirons un nouveau pas en ouvrant de nouveaux droits. Dans notre société, on retire beaucoup de droits, mais on n'en offre pas beaucoup de nouveaux !

M. Alain Milon, président. - Pour rebondir sur les propos de Mme la rapporteure générale, la chanson Born to Be Alive de Patrick Hernandez, qui vit dans le Vaucluse, est diffusée toutes les deux minutes après plus de quarante-cinq ans d'existence et lui assure donc de confortables revenus.

Mme Anne Souyris, rapporteure. - Il ne s'agit pas de considérer que tout le monde peut se prétendre artiste ! C'est exactement le contraire. La proposition de loi prévoit des critères objectifs. L'un de mes amendements, qui plus est, prévoit 900 Smic horaires, contre 300 initialement, pour bénéficier de ce nouveau droit, considérant que c'est le point de bascule vers la professionnalisation. D'ailleurs, cette base ne fait pas l'unanimité, certains estimant que le plafond doit être plus bas ; d'où une modulation pour les jeunes diplômés.

L'Unédic parle d'une dépense 800 millions d'euros si l'on s'en tient aux 300 Smic horaires ; d'où son inquiétude. Avec 900 Smic horaires, seules 20 000 personnes seraient concernées, pour une dépense de 220 millions. Considérant les recettes proposées, nous parvenons à un équilibre financier, même sans la contribution liée aux contenus créés grâce à l'IA et sans la contribution spécifique des plateformes numériques.

Nous avons aussi inscrit une clause de revoyure avec les différents acteurs, au sein de cette commission qui réunirait des organismes d'État, les syndicats d'auteurs et les diffuseurs. Notre proposition ambitionne donc d'être consensuelle.

Cette proposition de loi assez minimaliste, avec 900 Smic horaires, doit nous permettre de cheminer, d'autant que vous êtes tous convenus qu'il y avait là un sujet à traiter. On peut définir ce qu'est le travail d'artiste et, en cas de doute, il reviendra à la commission précitée de trancher. Je vous enjoins de travailler ensemble sur cette base plutôt que de dire que ce n'est pas le moment. Ce n'est jamais le bon moment ! Des amendements pourront être déposés pour consolider ce texte, qui est transpartisan - j'aimerais qu'il soit cosigné par des sénateurs d'autres groupes encore. Ce sujet, je le répète, fait l'objet d'une intense activité parlementaire à l'Assemblée nationale ; il y a une pression pour avancer.

Pour répondre à la question du financement, les diffuseurs concernés verseront une cotisation sociale de 5 % et la contribution des artistes auteurs s'élèvera à 2 %, sachant qu'ils s'acquittent déjà de la CSG, laquelle est une forme de contribution à l'assurance chômage.

Il ne s'agit pas d'un chômage stricto sensu : c'est lorsque les artistes ne sont pas rémunérés qu'ils travaillent le plus en réalité. Je le redis, à partir de 900 Smic horaires, il s'agit d'un professionnel reconnu. Ce ne sont pas des personnes qui se prétendent d'une manière ou d'une autre artiste.

Enfin, avant l'examen des amendements, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.

Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives à la couverture du risque de privation de revenus pour les artistes auteurs ; aux contributions affectées au financement du revenu de continuité des artistes auteurs ; au dialogue social visant à définir le régime de ce revenu.

En revanche, ne présenteraient aucun lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs au droit de la propriété intellectuelle ; à la gouvernance de la sécurité sociale des artistes auteurs.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Anne Souyris, rapporteure. - L'amendement COM-1 vise à créer deux nouvelles sources de financement du revenu de remplacement des artistes auteurs, en étendant la cotisation prévue pour les diffuseurs aux entreprises exploitant l'intelligence artificielle générative d'abord, en excluant toutefois le cas de ces entreprises déjà engagées dans des conventions d'indemnisation et de rémunération des artistes auteurs dont les oeuvres sont exploitées. En étendant également cette cotisation à l'exploitation et à la diffusion du domaine public, cette proposition s'inspire également de l'idée d'une solidarité intergénérationnelle entre artistes auteurs défendue par Jean Zay, et avant lui, Victor Hugo.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

Mme Anne Souyris, rapporteure. - L'amendement COM-2 vise à prévoir la possibilité d'une cotisation des artistes auteurs au financement du revenu de remplacement, dont le taux serait établi dans le cadre d'un accord entre organisations représentatives de diffuseur et organisations représentatives des artistes auteurs.

L'amendement COM-2 n'est pas adopté.

L'article 1er n'est pas adopté.

Article 2

Mme Anne Souyris, rapporteure. - L'amendement COM-3 tend à réécrire intégralement l'article 2 de la proposition de loi, afin de tenir compte des limites exposées par l'ensemble des personnes auditionnées. Les modifications proposées permettent de garantir l'équilibre financier du régime afin de ne pas dégrader les comptes de l'Unédic.

Cette réécriture vise en particulier à renforcer la place du dialogue social dans la définition et la mise en oeuvre du revenu de remplacement des artistes auteurs, conformément au fonctionnement de l'Unedic. Il est également spécifié que ce revenu ne peut être cumulé avec l'allocation d'aide au retour à l'emploi (ARE).

Elle donne la possibilité aux artistes auteurs ne répondant pas aux critères conventionnels d'activité de solliciter ce revenu de remplacement devant une commission paritaire. Elle permet également de clarifier les règles dérogatoires aux obligations de recherche d'emploi qui s'appliqueraient aux artistes auteurs ainsi que de clarifier les sources de financement du revenu de remplacement en lien avec d'autres amendements proposés à l'article 1er. Par ailleurs, elle vise à prévenir l'effet d'aubaine pour les diffuseurs, en prévoyant une mission particulière de lutte contre le salariat déguisé des artistes auteurs ; et à prévoir une date d'entrée en vigueur différée, qui permettrait à France Travail d'anticiper la mise en oeuvre opérationnelle du revenu de remplacement, ainsi qu'une obligation, pour les partenaires sociaux, de s'engager dans une révision éventuelle des règles de ce revenu de remplacement, quatre ans après la conclusion d'un premier accord.

L'amendement COM-3 n'est pas adopté.

L'article 2 n'est pas adopté.

Article 3

L'article 3 n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

TABLEAU DES SORTS

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1er : Création d'une contribution des diffuseurs afin de financer
le revenu de continuité des artistes auteurs

Mme SOUYRIS, rapporteure

1

Création d'une cotisation spécifique des diffuseurs d'oeuvres du domaine public payant et des entreprises exploitant la création contemporaine par traitement d'intelligence artificielle

Rejeté

Mme SOUYRIS, rapporteure

2

Création d'une contribution des salariés

Rejeté

Article 2 : Création d'un revenu de continuité pour les artistes auteurs

Mme SOUYRIS, rapporteure

3

Rédaction globale

Rejeté

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