A. DES COMPÉTENCES ENCHEVÊTRÉES QUI FAVORISENT UN « LAISSER-FAIRE » DES ÉTABLISSEMENTS
Compte tenu de la complexité de la répartition des compétences dans le secteur social et médico-social, et notamment dans le domaine du handicap, l'exercice du contrôle sur le fonctionnement des établissements et services sociaux et médico-sociaux fait l'objet, depuis de nombreuses années, d'un certain nombre de critiques.
1. Une complexité essentiellement due à la répartition des compétences dans le domaine du handicap
La
loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action
sociale et médico-sociale
a posé un principe apparemment
simple en matière de contrôle des établissements sociaux et
médico-sociaux :
« Le contrôle de
l'activité des établissements et services sociaux et
médico-sociaux est exercé, notamment dans l'intérêt
des usagers, par l'autorité qui a délivré
l'autorisation »
32(
*
)
.
C'est donc en réalité la complexité de la
répartition des compétences en matière d'autorisation qui
nuit à la lisibilité du contrôle.
a) Des compétences réparties selon une logique de financement
Les
compétences en matière d'autorisation sont fixées par
l'
article L. 313-3 du code de l'action sociale et des familles
et
s'appuient sur la répartition des compétences entre
l'État, le département et l'assurance maladie en termes de
financement et de tarification des établissements :
- les établissements financés par l'État ou
l'assurance maladie voient leur tarification et donc leur autorisation
d'ouverture décidée par le préfet : il s'agit des
établissements d'éducation spéciale accueillant des
enfants et adolescents handicapés, des maisons d'accueil
spécialisé et des centres d'aide par le travail ;
- les établissements financés par le département,
à savoir l'ensemble des structures d'hébergement simple à
destination des adultes handicapés (foyers d'hébergement, foyers
de vie), ainsi que la plupart des structures d'accueil de jour, sont
autorisés par le président du conseil général ;
- les foyers d'accueil médicalisé (anciennement
dénommés « foyers à double
tarification »), dont le financement est assuré pour partie
par l'assurance maladie et pour partie par le département, font l'objet
d'une autorisation conjointe du préfet et du président du conseil
général.
Ainsi, sous réserve du pouvoir général de surveillance des
établissements qui est confié à la DDASS, le
contrôle est exercé, en fonction du type d'établissement et
de son mode de financement par deux autorités différentes.
C'est la raison pour laquelle
une modification des pouvoirs attachés
au contrôle ne saurait être envisagée indépendamment
des perspectives d'évolution de la répartition des
compétences dans le domaine du handicap
.
Il est indéniable que cette répartition des compétences
doit être simplifiée. C'est d'ailleurs l'un des axes de la
décentralisation souhaitée par le Premier ministre :
« Aujourd'hui, selon que vous êtes majeur ou mineur, que
vous travaillez ou non, que vous avez besoin de soins, selon que vous cherchez
un auxiliaire de vie, un foyer d'hébergement, médicalisé
ou non, un CAT, une maison d'accueil spécialisé, vous devez vous
adresser à la COTOREP, à l'État, aux départements
ou à l'assurance maladie. Je veux clarifier et simplifier.
Et la
logique voudrait que, par délégation de l'État, l'ensemble
de ces actions soit coordonné par le
département
. »
33(
*
)
Il est notamment possible d'imaginer une répartition fonctionnelle de
ces compétences, sur le modèle adopté pour les maisons de
retraite, modèle par ailleurs envisagé par M. Paul Blanc
dans son rapport d'information sur la compensation du handicap
34(
*
)
:
« - le département se verrait confier la
responsabilité de « chef de file » pour un volet
« vie quotidienne » recouvrant l'hébergement,
l'organisation de l'aide à l'autonomie et les loisirs ;
« - l'État continuerait à assurer la fonction
« emploi », laquelle recouvrirait sans
ambiguïté toute activité assimilable à l'insertion
par l'économique ;
« - l'assurance maladie conserverait la fonction
« soins », celle-ci comprenant au sens large les soins
eux-mêmes, mais aussi les frais de personnel médical ou
paramédical. »
La commission d'enquête souligne qu'une telle répartition
permettrait, sans modifier le principe établi par la loi du 2 janvier
2002 précitée en matière de contrôle, de
répondre à une grande partie des critiques,
en associant
systématiquement préfet et président du conseil
général dans le financement et, par conséquent, dans le
contrôle
des établissements accueillant des personnes
handicapées.
Il reste que cette nouvelle répartition des compétences devrait
être subordonnée à un
transfert concomitant des moyens
nécessaires
, pour le département, afin de lui permettre
d'assumer effectivement et dans des conditions satisfaisantes l'ensemble de ses
responsabilités.
b) Le déséquilibre des pouvoirs de contrôle au profit du préfet
Du point
de vue des pouvoirs attachés au contrôle, les deux
autorités que sont le préfet et le président du conseil
général ne sont pas sur un pied d'égalité.
La loi du 2 janvier 2002 précitée a, en effet, mis en place
une gradation dans les
mesures susceptibles d'être prises par les
autorités de contrôle. Trois d'entre elles seulement peuvent
être prises par le préfet et le président du conseil
général, chacun pour les établissements placés sous
leur responsabilité.
Il s'agit :
- du
pouvoir d'injonction,
prévu par le premier
alinéa de
l'article L. 313-14 du code de l'action sociale et des
familles
: cette injonction peut aller jusqu'à une demande de
réorganisation de l'établissement ou de mesures individuelles
conservatoires, mais dans les conditions prévues par le code du travail
ou par les accords collectifs. Une injonction est notamment adressée
à l'établissement lorsque sont constatés des infractions
aux lois et règlements ou des dysfonctionnements susceptibles d'affecter
la prise en charge, l'accompagnement ou le respect des droits des usagers ;
- de la
possibilité de nommer un administrateur provisoire
,
s'il n'est pas satisfait à l'injonction : désigné
pour une durée de six mois maximum, renouvelable une fois,
l'administrateur est alors chargé de prendre les actes urgents rendus
nécessaires par les dysfonctionnements constatés
(troisième alinéa de l'article L. 313-14 du code de
l'action sociale et des familles)
;
- de
fermeture de l'établissement ouvert, transformé ou
étendu sans autorisation
. Lorsque l'établissement
concerné est un foyer d'accueil médicalisé, le pouvoir de
fermeture est conjoint, à la différence des autres mesures qui
peuvent être engagées à l'initiative de l'une ou l'autre
des autorités compétentes
(article L. 315-15 du code
de l'action sociale et des familles).
Il reste que le pouvoir de fermeture pour motif d'ordre public appartient au
seul préfet
(article L. 313-16 du code de l'action sociale et
des familles)
. Il en est ainsi :
« 1° Lorsque les conditions techniques minimales
d'organisation et de fonctionnement (...) ne sont pas respectées ;
« 2° Lorsque la santé, la sécurité ou
le bien-être physique ou moral des personnes bénéficiaires
se trouvent compromis par les conditions d'installation, d'organisation ou de
fonctionnement de l'établissement ou du service ou par un fonctionnement
des instances de l'organisme gestionnaire non conformes à ses propres
statuts ;
« 3° Lorsque sont constatées dans
l'établissement ou le service et du fait de celui-ci des infractions aux
lois et règlements susceptibles d'entraîner la mise en cause de la
responsabilité civile de l'établissement ou du service ou de la
responsabilité pénale de ses dirigeants ou de la personne morale
gestionnaire. »
La
répartition des pouvoirs de contrôle des établissements
sociaux
et médico-sociaux entre préfet et président du
conseil général
|
Pouvoirs attachés au contrôle |
|||
Type d'établissement |
Injonction |
Nomination d'un administrateur provisoire |
Fermeture en cas d'absence d'autorisation |
Fermeture pour motifs d'ordre public |
Etablissements accueillant des enfants handicapés |
Préfet |
Préfet |
Préfet |
Préfet |
Maisons d'accueil spécialisé (MAS) |
Préfet |
Préfet |
Préfet |
Préfet |
Centre d'aide par le travail (CAT) |
Préfet |
Préfet |
Préfet |
Préfet |
Foyers
d'hébergement
|
Président du conseil général |
Président du conseil général |
Président du conseil général |
Préfet |
Foyer d'accueil médicalisé (FAM) |
Préfet ou président du conseil général |
Préfet ou président du conseil général |
Préfet et président du conseil général* |
Préfet |
* Le
dernier mot appartient au préfet.
Dans son organisation actuelle, le dispositif de contrôle des
établissements sociaux et médico-sociaux comporte principalement
deux faiblesses
:
- en cas de maltraitances dues à des dysfonctionnements graves,
lorsque l'établissement ressort de la compétence
départementale,
le président du conseil général
ne peut pas aller jusqu'au bout de la logique du contrôle
, dans la
mesure où le pouvoir de fermer l'établissement appartient au seul
préfet.
Cette « séparation des pouvoirs » peut parfois
bloquer le processus de traitement de certains cas de maltraitance. C'est
l'opinion exprimée devant la commission d'enquête par
M. Philippe Nogrix, au nom de l'Assemblée des départements
de France (ADF) :
« Pourquoi est-ce que j'insiste sur ce
problème des fermetures ? En interrogeant différents
présidents de conseils généraux, nous constatons que,
parfois, un temps important s'est écoulé entre un signalement de
maltraitance - mauvais traitement sanitaire, mauvais rapport au corps,
tentative de vol des économies - et le moment où la
fermeture est intervenue ou une sanction prise. Or le conseil
général, grâce à ses services de proximité,
est très souvent le premier averti des cas de
maltraitance. »
En effet, sa grande proximité des services donne au conseil
général la possibilité d'une prompte
réactivité, souvent déterminante en matière de
lutte contre la maltraitance.
C'est la raison pour laquelle la commission d'enquête estime
qu'il est
possible de confier un pouvoir de fermeture au département
, dans les
cas de dysfonctionnements graves de l'établissement,
tout en laissant
au préfet une compétence en dernier ressort
, en cas de
désaccord avec le président du conseil général ou
de carence de celui-ci.
- à l'inverse, lorsque les services de la DDASS constatent un
dysfonctionnement dans un établissement qui n'est pas placé sous
leur tutelle directe, ils ne disposent que du pouvoir de fermeture, ce qui,
dans un très grand nombre de cas, paraît totalement
disproportionné.
Il est vrai que les DDASS disposent d'un pouvoir général de
surveillance des établissements sociaux et médico-sociaux et
qu'elles peuvent à ce titre adresser des injonctions aux
établissements relevant du conseil général. Mais ces
injonctions ne peuvent se situer que dans le cadre d'un contrôle de
régularité, c'est-à-dire d'un contrôle du respect
des normes d'hygiène et de sécurité. Elles se trouvent
donc démunies lorsqu'elles se trouvent face à une carence de la
qualité du service rendu à la personne handicapée
accueillie dont la gravité n'exige pas une fermeture de
l'établissement, mais un simple « redressement » des
comportements des professionnels ou une amélioration de l'organisation
interne de celui-ci.
Il paraît donc également nécessaire de doter le
préfet de pouvoirs plus gradués en matière d'ordre public
à l'égard de ces établissements car la fermeture de
l'établissement fait figure, dans un contexte de pénurie de
places d'accueil, d'« arme atomique ».
Proposition
- Donner au président du conseil
général
un pouvoir de fermeture des établissements relevant du
département dans l'un des cas de dysfonctionnement grave
énumérés à l'
article L. 313-16 du code de
l'action sociale et des familles
, sans préjudice d'un pouvoir
d'appréciation en dernier ressort du préfet, au titre de l'ordre
public ;
- Elargir la gamme des pouvoirs du préfet à l'égard
des établissements qui ne sont pas sous sa tutelle directe.